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Comment qu’ça va, au fait ?

Chers tous, je n’écris plus guère ici, pour le moment en tout cas. Je suis comme vous, je pense, sauf que la Grande Tuerie du 7 janvier 2015, au siège de Charlie, m’a valu trois balles dans le corps. Je suis dans un moment particulier, où il me faut admettre que je suis diminué, probablement à jamais, ce qui n’est pas bien rigolo. À quoi il faut ajouter les douleurs. Celles qu’on appelle des séquelles. Celles, nouvelles, qui sont venues après une chute d’anthologie dans des escaliers. Pas rigolo, non.

Les attentats du 13 novembre. J’ai un point de vue simple : il faut circonscrire ce vaste incendie. Quand cela brûle beaucoup en un lieu, il faut bien faire la part du feu. Qui consiste à distinguer ce qui est perdu et ce qui doit être absolument sauvé. Le 13 novembre est un jour d’épouvante pour toutes les victimes et leurs familles, ce qui fait du monde. Nous leur devons une solidarité sans trêve, une compassion sans faille, une fraternité sans limite. Mais il est en même temps malsain et insupportable que dix tueurs semblent mettre à genoux un pays de 65 millions d’habitants.

Vous verrez ici, dans quelques jours, ce que j’ai écrit dans le Charlie en vente cette semaine. Je ne peux avant, pour la raison évidente que je dois à ce journal une sorte d’exclusivité provisoire. Mais je peux d’ores et déjà dire que la confusion mentale atteint de bien surprenantes dimensions. Voyez donc le cas extrême de Michel Onfray, qui donne au journal Le Point de cette semaine un entretien insupportable de sottise. Je précise que j’ai longuement étrillé le même dans un Charlie d’il y a quelques semaines, ce qui m’a valu un grand nombre de lettres indignées. Indignées par mon ton et mes accusations. Vous pourrez juger sur pièces, car je vous mets ci-dessous, après ces quelques mots, la copie de ma longue gueulante.

Revenons-en aux attentats, et à Onfray. Il demande à la France de cesser sa « politique islamophobe » et utilise l’expression « Islam politique » pour parler des tueurs de Daech. Son point de vue est clair : les islamistes armés sont les représentants d’un peuple qui « est celui de la communauté musulmane planétaire, l’oumma ». Or donc, 1, 7milliard de Musulmans, répartis dans des dizaines de pays formeraient un seul ensemble, soudé par la religion. Parmi eux, des contrées comme le Mali ou la Libye, qui souhaitaient seulement décider librement de leurs choix politiques avant que nous n’intervenions en violation des lois internationales.

Ma foi. Que dire ? Onfray me fait penser à ces générations de faux intellectuels qui ne surent comprendre en temps réel les totalitarismes du siècle passé, c’est-à-dire les fascismes et les stalinismes. Oh ! maintenant que tout est passé, il est facile de traiter Hitler et Staline de monstres, mais je parle du temps réel, quand les événements se produisent. Et de ce point de vue, Onfray nous montre que sa pauvre philosophie l’empêche surtout de voir ce qui crève les yeux pourtant : Daech est précisément une forme nouvelle de totalitarisme, qui menace d’asphyxie et de mort certaines sociétés musulmanes, et probablement les nôtres. On ne combat efficacement un tel spectre qu’en produisant de vraies valeurs morales, et non pas la pacotille vendue à chaque coin de rue, sous forme de publicités dégoulinantes et d’hymnes à l’hyperconsommation perpétuelle.

En résumé : d’abord une vision, ensuite du courage, du courage, du courage.

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Ci-dessous, le long papier sur Onfray publié par Charlie. Ceux qui auraient envie de me chercher sur ce terrain doivent savoir que j’ai eu ma dose. On a tout à fait le droit de ne pas aimer ma prose, et de défendre Onfray. Mais comme j’en ai plein les bottes, sachez que je ne supporterai pas ici, qui est un peu chez moi, de commentaires trop haineux. Cela se trouve, oui.

Onfray, je te dis merde

Je te tutoie, Onfray, car après tout, ne sommes-nous pas frères de classe ? J’ai grandi dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Seine-Saint-Denis, où j’ai habité quelques riantes cités maudites, comme celle des Bosquets, à Montfermeil. Je te la conseille.
Mon vieux, Bernard, était un de ces prolos qui bossaient 60 heures par semaine, samedi compris, donc. Mais comme il est mort quand j’étais gosse, d’épuisement j’imagine, il s’est en finalement bien tiré. Les cinq mioches de la famille ont alors plongé dans le pittoresque quotidien du sous-prolétariat. Ma mère, quand elle travaillait chez Kréma comme OS, pleurait le dimanche soir à l’idée d’y retourner le lundi. On achetait notre bouffe à crédit, utilisant un mot que toute notre banlieue connaissait : à croume. On vivait à croume, toute l’année, toute la vie. À crédit.
Cela pour te dire que tes innombrables trémolos à la gloire de ton père ouvrier agricole et de ta mère femme de ménage ont fini par me faire chier. Tu n’es pas le seul fils de pauvre sur cette Terre, mon gars. Mais chez moi, on révérait la Résistance antifasciste, le combat armé contre la peste brune, la détestation de tous ces salopards repliés aujourd’hui dans le Front National. Oui, je sais, ça fait drôle.
Mais ce n’est encore rien, car il y a bien mieux au programme. Définition de l’imbécile : « Qui est peu capable de raisonner, de comprendre et d’agir judicieusement ». Ben mon corniaud. Pour ne prendre qu’un exemple, Bové. En 2007, voilà que tu soutiens sa candidature à la présidentielle, avant de te raviser in extremis, pour la raison que le moustachu fait des OGM un « combat monomaniaque ». Eh ! personne ne t’avait donc mis au courant ? Tu rallies aussitôt la candidature Besancenot, qui deviendra plus tard, à tes yeux, le (lieu)tenant d’une secte. Rions un peu : toi qui ne condamnes pas le capitalisme, mais seulement sa forme libérale, soutenir un Besancenot (1) !  La même farce se produit quelques années plus tard avec le Front de Gauche, d’abord encensé, puis expulsé sans ménagement vers tes proliférantes ténèbres extérieures. Je gage que tu aurais aimé ce vieux canasson d’Edgar Faure, aussi insaisissable que le vif-argent, qui répétait souvent cette phrase dont il était l’auteur : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. »
Mais ce n’est encore rien, car tu es l’homme des records. Tu es radieusement pour l’atome, les OGM et la transgénèse, la science et la technique les plus débridées. Citation de 2006 dans un hors-série du magazine Éperon : « L’opinion publique est toujours en retard sur la pointe avancée de la recherche scientifique (…)  Il faut que les chercheurs et les scientifiques pratiquent avec audace, à rebours de l’actuelle religion du principe de précaution qui est surtout très utile pour immobiliser tout, entraver la recherche et empêcher le progrès ». L’audace, évidemment. La liberté pleine et entière pour ceux de la chimie de synthèse, du nucléaire, du clonage, du transhumanisme. Tu me fais penser à cette baderne de Napoléon, qui allait répétant au matin des grands massacres : « On avance, et puis on voit ». Et on a vu, n’est-ce pas ?
Je ne résiste pas à l’idée de charger encore ta lourde barque. Sur le nucléaire (In Fééries anatomiques, Grasset) : « Les peurs dues au transgénisme ressemblent à s’y méprendre à celles qui accompagnèrent la naissance de l’électricité ou du chemin de fer, voire de l’énergie nucléaire – qui rappelons-le, n’a jamais causé aucun mort: Hiroshima et Nagasaki, puis Tchernobyl procèdent du délire militaire américain, puis de (…) soviétique, en aucun cas du nucléaire civil en tant que tel.» Ce que c’est qu’un philosophe, qui recopie mot pour mot les communiqués de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Mais tu es aussi un excellent imitateur. De Claude Allègre ? De Laurent Cabrol, l’immense présentateur météo ? Citation tirée de ton blog, publiée en mars 2012 : « Je ne sache pas que les tenants écologistes du tri sélectif, (…) les faucheurs d’OGM et autres opposants aux nanotechnologies (…) refusent la chimiothérapie quand, pour leur malheur, un cancer s’abat sur eux. Or ces médicaments terribles ne se fabriquent pas comme des tisanes de persil ou des décoctions d’échalotes… »
Le seul mot qui me vienne à l’esprit est celui de scientisme, dans son acception la plus ringarde. Cher grand et magnifique rebelle de poche, tu es un scientiste. Les plus imaginatifs de cette véritable secte – qui ne mourra jamais, dors tranquille –pensent que le pouvoir devrait revenir aux grands Sachants que sont les scientifiques, ceux qui cherchent et trouvent. Les seuls au fond qui changent réellement le monde, pas ? Tout le vingtième siècle est rempli d’hymnes niais au « progrès » technique et scientifique.

Que la technoscience ait empoisonné tous les milieux de la vie par la chimie, jusqu’à la rosée du matin, ne compte pas. Qu’elle ait imaginé l’atome et des radionucléides capables de frapper pendant des centaines de milliers d’années, pas davantage. Qu’elle change le monde en une vaste prison surveillée numériquement, jusqu’au moindre déplacement, et c’est encore un bienfait. Ton scientisme est d’évidence un mythe, celui de l’alliance – supposée vertueuse – entre la raison et la science, entre l’esprit et la technique. Cette pauvre pensée est incapable de saisir le neuf, incapable de comprendre les points de rupture et de basculement, incapable en conséquence de proposer la moindre perspective.
Cette idéologie concentrée a grand besoin des écologistes, autre nom des charlatans et des obscurantistes, pour resplendir. Eux, ces grands Hommes, maintiendraient dans la tempête la flamme des Lumières. Pathétique ? Oui, je dois avouer que je trouve cela pathétique. Des hommes qui ont eu le privilège insigne d’étudier, de réfléchir, de s’informer, acceptent de faire la courte échelle à une entreprise de destruction organisée du monde existant.
Mais ce n’est encore rien, car avec toi, les limites ordinaires sont chaque jour pulvérisées. Il paraît que le journal Marianne a loué le palais de la Mutualité pour toi seul, le 20 octobre.  Tu devrais y réunir tes amis Régis Debray, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Jean-François Kahn, et l’inusable culotte de peau Jean-Pierre Chevènement. Ma foi, tu vises haut ! Tant de grands noms, tant de braves gens ! Il est sans doute d’autres liens entre eux, mais celui qui me saute aux yeux est celui de franchouillardise. Ces grandioses intellectuels sont tous obsédés par ce minuscule territoire que le hasard nous fait habiter.
J’en ai bientôt fini. Toi, qui serais un grand philosophe, ne trouves aucun mot, aucune idée à apporter au seul débat politique, moral et philosophique qui tienne. Je veux évidemment parler de la crise écologique planétaire, dont tu ne sais rien, car cela commanderait cette fois de penser sans filet, ce qui peut faire mal au cul lorsque l’on tombe.

Ta petite personne – et la mienne – sommes les contemporains de la sixième crise d’extinction massive des espèces, mais tu t’en tapes. Les sols agricoles disparaissent par érosion ou sont empoisonnés pour des décennies ou des siècles par la chimie de tes amis techniciens, mais tu t’en cognes. La vie sous les eaux et ses équilibres vieux de millions d’années est atteinte par la pêche industrielle et les filets de 100 kilomètres de long parfois, mais tu t’en fous. Les forêts sont cramées pour en faire des étagères ou des allumettes, l’élevage industriel a changé les animaux, compagnons de dix millénaires, en tristes chairs martyrisées, les fleuves sont devenus partout sur Terre des dégueuloirs pour nos orgies de consommation, mais tu arranges ta mèche et cherches le meilleur profil possible. Hum. Comment te dire ?
Et puis ce foutu dérèglement climatique, bien sûr. Qui rebat toutes les cartes. Qui menace toutes les sociétés humaines de dislocation. Cette seule question, par-delà l’angoisse qu’elle renferme, pourrait être pour un philosophe une occasion unique de repenser le monde dans sa totalité. Voilà qui devrait passionner. Mais il faudrait pour cela quitter cette France fantasmatique et dérisoire qui te dispense tant de ronds de serviette à la rédaction des gazettes et des télés. Il faudrait prendre le large. Il faudrait devenir un penseur de l’humanité. Tu préféreras toujours les couvertures du Point et les interviews sur TF1.
Ce n’est encore rien, car ce ne sera jamais assez. Toi et le Front National. Je ne t’accuse pas d’en être, car tu es bien trop adroit pour cela. Mais il ne fait aucun doute que lorsque tu trouves excellente l’idée d’unir les souverainistes de droite et de gauche, Marine Le Pen comprise, tu travailles à l’égal d’un sapeur qui mine un barrage sur la Volga. Tu prépares – en conscience je l’espère – une crue dévastatrice des eaux les plus brunes. Vois-tu, arrivé là, je me dois de l’avouer : tu me dégoûtes.
Tu me dégoûtes d’autant plus que je continue, moi, à penser aux pauvres. Pas seulement à mon père parce qu’il serait mon père. Aux pauvres de ce monde en furie. Au milliard d’affamés chroniques, « ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ». Au milliard d’habitants des slums, favelas, bustee ou townships de cet inframonde dont tu ne dis jamais un mot, toi le si grand esprit. Au milliard de réfugiés climatiques que nous prépare l’avenir.
En réalité, je crois que tu appartiens à cette gauche d’épouvante qui envoya à la mort des millions de jeunes prolos et paysans de 1914. Qui ne bougea pas un orteil lorsque les impeccables chemises brunes et noires ont commencé d’habiter les rues. Qui mena les guerres coloniales que l’on sait, pour sauver cette soi-disant « France, de Dunkerque à Tamanrasset ». Il y a encore quelques personnes, au coin du bois, qui rêvent d’un monde sans chefs ni patrons, sans patrie ni frontières. Et parmi eux, moi. Moi qui t’emmerde autant qu’il m’est possible, Onfray. Moi qui te dirai merde sans jamais me lasser.

(1) Onfray est fatigué d’entendre « les vieilles scies militantes d’hier et d’avant-hier : cosmopolitisme des citoyens du monde, fraternité universelle, abolition des classes et des races, disparition du travail et du salariat, suppression du capitalisme, pulvérisation de toutes les aliénations, égalitarisme radical ». In L’Archipel des comètes, Grasset.

Merci aux textes de Bertrand Louart, qui m’ont apporté de précieuses informations.

Un point de vue éclairant sur les éoliennes

Non, je ne deviens pas le présentateur de Frédéric Wolff. Mais, oui, ce lecteur de Planète sans visa mérite que je lui cède la place aujourd’hui encore. Ses arguments sur les éoliennes (industrielles) ne referment sûrement pas le débat, et j’espère que d’autres lecteurs, qui pensent différemment, jugeront utile de s’exprimer à sa suite. Bonne lecture, lecteurs et amis. Même boiteux comme je suis, et morphinomane je dois bien l’avouer, je souris, car j’entends par la fenêtre un bon pianiste qui joue de l’autre côté de la rue. La vie continue à me plaire, malgré tout.

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LE COMMENTAIRE DE FRÉDÉRIC WOLFF

Une réaction, un peu longue – je n’ai pas eu le temps de faire plus court ! – aux textes de Fabrice et des commentateurs à qui j’adresse mes pensées fraternelles.

A celles et à ceux qui se demandaient :
Comment continuer à saccager, enlaidir, piller, asservir dans l’enthousiasme général ?
Comment faire semblant de changer d’énergie sans rien changer de notre société ni de notre mode de vie ?
Les bonnes âmes de la destruction massive ont trouvé une réponse, parmi d’autres : l’éolien industriel ! Cette trouvaille est une synthèse. Grâce à elle, les fanatiques de la pollution propre ont de quoi jubiler et la caste techno-industrielle peut se réjouir à l’idée de concentrer toujours plus de pouvoirs entre ses mains. La fuite en avant peut continuer, la croissance se renouveler sans limite, les objets inutiles et nuisibles encombrer ce qui reste d’espace pour la vie… L’éolien va alimenter « la clim partout dans son logement, la piscine en plein hiver dans son jardin » (P.P), les tablettes, les smartphones, les Facebook, les selfies, les data centers (Patrick), l’industrialisation du monde tous azimuts… A quand les panneaux publicitaires et les élevages hors-sol autonomes en énergie grâce aux champs d’éoliennes ? C’est peut-être déjà fait, qui sait. Et grâce aux villes, aux compteurs et aux objets intelligents, la surveillance et la rationalisation générales seront optimisées, la contrainte sera consentie. Le nouvel ordre énergétique étend son empire, l’efficacité fait place à la beauté des arbres et des saisons, et le pire qui pourrait arriver, c’est qu’un jour on oublie la lumière d’un châtaignier dans l’automne.

Dans cet univers là, tout devient froid et on a beau faire feu de tout ce qui brûle, on a beau transformer ce qui souffle, ce qui s’écoule en force ardente, quelque chose manque à nos vies, quelque chose qui se dérobe à nous, à notre parole et on est là avec ce qu’on ne peut nommer, mais on essaie quand même parce qu’on sait confusément qu’une porte est à ouvrir et que rien n’est plus impérieux, alors on tâtonne, un peu comme dans ces jeux d’enfant où parfois on brûle, où d’autres fois on a si froid qu’on ne peut plus mettre un pied devant l’autre et c’est avec la même intensité que l’on se débat, grand brûlé ou albatros pris dans les glaces, jusqu’à ce que des mots viennent, des questions : est-ce une source vive, l’affluent d’une parole, les vagues d’une main sur la peau, est-ce tout cela qui manque, qui a tant manqué et qui nous met en état d’urgence quand on espère un signe, quand on cherche sans y parvenir pleinement à l’adresser ?
Je me disperse, sans doute, du propos dont il est question ici : la force du vent dont on fait des profits pour les uns et des pertes pour les autres, pour tant d’autres qu’on ne peut les compter, mais ce que j’essaie de dire, au fond, n’est pas sans rapport avec ce qui nous anime, ce qui fait de nous des vivants, des combattants dans le monde froid des machines. Ce n’est pas de l’énergie du vent, du feu ou de l’eau dont nous avons tant besoin pour l’essentiel, c’est d’un autre souffle, celui d’un frère humain, d’une sœur d’âme, d’une vie sacrée de trois fois rien qui ne serait pas de notre famille, de notre pays, de notre espèce, ce n’est rien d’autre que de préserver ce qui fait de nous des humains, même si parfois c’est difficile, même et surtout si l’on frôle les gouffres qui s’ouvrent en nous. Les abîmes sont des chemins vers les cimes et à en vivre, à en mourir, que faire d’autre qu’aimer ?

Je reviens à mon propos liminaire.
Quand les énergies classiques – pétrole, gaz, charbon, nucléaire… – ne seront plus compétitives, il faudra continuer à faire tourner la machine à détruire ce qui reste de vie naturelle, d’inattendu, d’inespéré. Place à l’éolien industriel, donc. A noter que l’industrie solaire accomplit de belles prouesses aussi, en matière de fléaux (lire « Le soleil en face » aux éditions L’échappée, collection Négatif dirigée par Pièces et main d’œuvre).
Vous les appelez comment, celles et ceux qui vendent du vent, se gargarisent d’énergie propre et s’enrichissent au passage sur le dos des « communautés indigènes expropriées » (Fabien), sur la peau des millions d’exterminés du carnage industriel ? A mes heures gracieuses et policées, je les nommerais bien des « philouthropes », et peu m’importe qu’ils ou elles soient de droite, de gauche, d’Escrologie les verts ou de je ne sais quels chapelle, mafia, industrie ou collectif.
Est-il encore nécessaire de le rappeler ? La croissance verte, le développement durable et solidaire sont des mystifications, inséparables de la fabrique de nouveaux besoins, de gadgets superflus et prédateurs, de l’effet-rebond, ce mécanisme insidieux par lequel une réduction de coût, d’énergie ou de ressources d’un bien se traduit par une augmentation de son usage, par une consommation accrue d’un autre bien. Ainsi, les nouveaux modèles de voitures brûlent moins de carburant, mais nous roulons davantage, nous les renouvelons sans modération, nous faisons venir des marchandises de l’autre bout du monde, nous utilisons toujours plus l’avion et de technologies énergivores… Au final, l’économie de départ se solde par une gabegie plus importante. Et l’on voudrait se féliciter d’un tel gaspillage ?
Tant que nous resterons dans une société de croissance et de développement, nous n’aurons rien à espérer des soi-disant énergies propres.
Si l’éolien devait avoir un avenir estimable à mes yeux, il aurait un tout autre visage. Je l’imagine auto-construit et auto-réparable (pako del riu), à l’échelle d’un foyer ou d’un quartier, s’inscrivant dans une « réduction des besoins » (Love Bille), une « décroissance » (Laurent) volontaire (On peut prononcer le mot désormais, même le Pape le revendique).
Ce n’est pas la voie retenue par nos énarques et par nos ingénieurs des Mines, des Ponts et des Charniers, ça ne le sera jamais tant que l’hédonisme marchand, la toute-puissance technologique seront nos dieux intimes et collectifs ; ce capitalisme – que d’aucuns dénoncent avec véhémence comme s’il nous était extérieur – nous est consubstantiel, pour ainsi dire ; plus ou moins, nous sommes les proies et les carnassiers, les persécuteurs et les cobayes, les spoliés et les bons soldats de la débâcle, les empoisonnés et les empoisonneurs pour qui l’emploi est plus important que la vie, la nôtre et toutes les autres, nous sommes le tortionnaire et le bétail supplicié de la naissance jusqu’au trépas, les contremaîtres et les employés en batterie troquant leur vie, leur liberté contre un salaire. Même si, et je ne le sais que trop, certain(e)s sont plus responsables que d’autres, même si nous sommes un certain nombre à chercher le chemin pour nous libérer de ces chaînes.
Dans cette roue qui tourne sous l’impulsion de notre course folle, le seul horizon, c’est l’emballement. L’éolien, quand il participe à cette démesure, ne fait que nous précipiter vers le néant et ce ne sont pas les dogmatiques de la croissance verte qui me feront prendre des messies, les leurs – des leurres – pour des lanternes, si j’ose cet à-peu-près. Que l’on puisse se laisser abuser par de tels escrocs, c’est, me semble-t-il, le cœur du désastre où nous sommes. Et peut-être est-ce aussi l’une des raisons de l’amertume ressentie par Fabrice et des réactions saines et majoritaires des commentateurs ?usqu’au trépas, les contremaîtres et les employés en batterie troquant leur vie, leur liberté contre un salaire. Même si, et je ne le sais que trop, certain(e)s sont plus responsables que d’autres, même si nous sommes un certain nombre à chercher le chemin pour nous libérer de ces chaînes.
Dans cette roue qui tourne sous l’impulsion de notre course folle, le seul horizon, c’est l’emballement. L’éolien, quand il participe à cette démesure, ne fait que nous précipiter vers le néant et ce ne sont pas les dogmatiques de la croissance verte qui me feront prendre des messies, les leurs – des leurres – pour des lanternes, si j’ose cet à-peu-près. Que l’on puisse se laisser abuser par de tels escrocs, c’est, me semble-t-il, le cœur du désastre où nous sommes. Et peut-être est-ce aussi l’une des raisons de l’amertume ressentie par Fabrice et des réactions saines et majoritaires des commentateurs ?

Du vent et surtout plein de fric

Ah là là, ne me parlez plus d’éoliennes, les amis. J’ai écrit l’article qui suit, paru dans Charlie Hebdo voici trois semaines, et j’ai reçu pas mal de plaintes en retour. Pour être juste, également des mots de soutien, à peu près aussi nombreux. Mais il me reste un goût d’amertume, car enfin, j’ai eu la vilaine impression d’un pénible remake de ces années où il fallait appartenir à un camp. Nombre de mes critiques me reprochent explicitement d’être passé de je ne sais quel côté de je ne sais quelle barricade. Extrait représentatif : « Je te tutoie car nous avons mené des combats communs et j’avais l’impression que nous étions du même camp ».

Je mentirais en disant que cela ne m’atteint pas. Mais je suis décidé à continuer, car quel crime ai-je commis ? D’abord, ainsi que je l’ai expliqué à un de mes contempteurs, Claudio, qui s’exprime quelquefois ici, je suis parti d’une info du Syndicat des énergies renouvelables (SER), que j’ai estimée fausse. Et elle l’est. Ensuite, j’ai fait un court papier dans lequel j’ai présenté une facette de l’éolien que ses défenseurs refusent de voir : la place grandissante de l’industrie la plus lourde et les magouilles dont sont les victimes  de simples gens souvent sans défense. Lesquels sont soutenus par une Fédération Environnement Durable (FED), de droite, avec laquelle je ne dois guère partager grand-chose. Ai-je écrit qu’ils étaient merveilleux, et que je les soutenais de tout cœur ? Nullement. J’ai écrit que ses 1057 associations avaient des histoires extraordinaire à raconter, qui disent comment circule le pouvoir réel, et au détriment de qui.

C’était déjà trop. J’aurais dû, d’emblée, écrire au feutre rouge que FED est un rassemblement de salopards et que les éoliennes sont notre bel avenir à tous. Seulement non, on aura frappé à une mauvaise porte. Le soutien de certains aux éoliennes me semble un avatar de l’idéologie progressiste qui aura tant fait de mal. Puisqu’elles sont mues par le vent, elles tournent le dos au nucléaire et nous prépare un monde heureux où les énergies renouvelables seront reines. Et que dans ces conditions, il faut serrer les rangs, malgré qu’on en ait. Mais il se trouve que je ne crois plus aux contes de fée.

En résumé, on peut soutenir l’idée des éoliennes – c’est mon cas, sans réserve – et critiquer durement la manière dont leur développement se fait. La place d’Alstom, d’EDF et d’Areva dans le tableau dit bien que l’on assiste à une expropriation en bonne et due forme. Il ne s’agit plus, s’il s’est jamais agi, de défendre une énergie décentralisée, adaptée aux besoins modestes de petites communautés humaines, mais de remplir les poches des Grands de l’énergie en augmentant encore leur puissance. Je prends le pari : l’essor prodigieux des éoliennes ne permettra en aucune façon de réduire notre consommation énergétique, manière pourtant essentielle de lutte contre le dérèglement climatique. Tout au contraire, cet essor permettra d’offrir aux pauvres couillons que nous resterons tous, davantage de possibilités de gaspiller l’électricité. Nous assistons déjà à un empilement de nucléaire, de pétrole, de gaz, d’hydroélectricité, de solaire et de…vent. Non ?En bref, l’énergie éolienne est aussi un rapport social et ce que promeut le modèle actuel signifie toujours plus de contrôle et toujours moins de liberté pour chacun d’entre nous.

J’ajoute encore deux détails. Il y a 25 ans, j’ai mouillé ma chemise, au-delà du raisonnable, pour les riverains de l’infernale décharge de Montchanin, en Saône-et-Loire.Tous les pouvoirs étaient coalisés contre les victimes d’un cauchemar. Le ministre de l’Environnement était un certain Brice Lalonde, que j’ai eu la joie de pouvoir malmener au cours d’une réunion publique houleuse. La petite ville était socialiste depuis 1906, et le maire avait pourtant imposé au pied des jardins une décharge industrielle ultradangereuse où étaient entassées, quand je m’y suis rendu en 1989, la bagatelle d’un million de tonnes d’ordures. J’ai vite compris que l’association locale était tenue par des gens de droite, dont mon si cher Pierre Barrellon. Était-ce une raison pour les laisser crever sur place ? Je n’ai jamais eu avec eux la moindre discussion politique générale, et c’est tant mieux. Ils étaient formidables, ils se battaient, ils avaient raison. Je pense que c’est la même chose dans beaucoup d’endroits où des truands de l’énergie tentent d’imposer à des communautés tranquilles la cohabitation avec des mâts de 130 mètres de haut.

Bien sûr, Claudio Rumolino, bien sûr qu’il existe des PME de l’éolien qui ne partagent pas nécessairement les vues du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais leur silence devant la main-mise en cours me paraît devoir les disqualifier.

PS : J’ajoute, et franchement, cela me fait sourire, que mes nombreux critiques attaquent un texte riquiqui qui n’a jamais prétendu faire un point général sur les éoliennes. Ce n’était qu’un maigre article, mais il m’aura appris beaucoup. Et voilà donc ce papier, paru dans Charlie :

 

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Les éoliennes ? On est très loin des rêves de Reiser il y a quarante ans. Au lieu de l’autonomie énergétique pour tous, Areva, EDF, Total, Alstom ont fait main basse sur le pactole. Ça rapporte et ça ment. Beaucoup.

C’est pas tout à fait du vent, mais ça rafraîchit. Selon un audacieux communiqué de Syndicat des énergies renouvelables (SER), « la France vient de franchir le cap des 10 000 mégawatts éoliens raccordés au réseau (…)  Le parc éolien français permet d’alimenter en électricité un peu plus de 6 millions de foyers, soit plus que (…) la population de la région Ile-de-France ».
Les communicants du SER sont d’habiles filous, car tout est vrai, bien que tout soit faux. Le premier mouvement est simpliste, mais permet d’entuber le journaliste feignasse : 10 000 mégawatts, mazette, c’est du lourd ! Le deuxième est là pour achever le gogo : 6 millions de foyers, c’est au moins 13 millions de personnes ! Rien à dire, sauf que c’est bidon. En 2014, la production électrique nette, en France, a atteint 540,6 Terawattheure (TWh), dont 17 TWh grâce aux éoliennes. 3,1 % du total.
Sans entrer dans les détails, il faut ajouter qu’aucun foyer n’est alimenté directement par les éoliennes, car des problèmes techniques – à commencer par les facéties du vent – interdisent une production en continu. Dans l’état actuel, l’électricité éolienne est donc un tout petit complément. Ben alors, pourquoi ce grand bluff du SER ? Parce qu’il lui faut épater le monde, et chaque jour un peu plus. Tu vas voir, ami lecteur, ça vaut le dérangement. Les éoliennes, même si ça ne ressemble pas, c’est comme une vache à lait. Le marché atteint environ trois milliards d’euros  par an et le parc installé dépasse 5 000  grosses éoliennes, chiffre qui pourrait doubler d’ici quelques années seulement. Qui dirige le SER ? Jean-Louis Bal, qui a fait ses nobles classes dans le public – il dirigeait le service des Énergies renouvelables à l’ADEME, l’Agence de l’environnement – avant de mettre son carnet d’adresses au service de l’industrie.
Et quelle industrie ! On trouve au conseil d’administration du SER une magnifique bande de philanthropes : EDF et Areva, mais aussi Alstom – les turbines du délirant barrage des Trois Gorges, c’est elle -, la Compagnie nationale du Rhône – les gros barrages dégueu de chez nous – , Total et Sofiprotéol-Avril pour les nécrocarburants. Ce très puissant lobby a comme on se doute de nombreux amis dans les ministères de gauche comme de droite. Et il a réussi un tour de force qui n’est pas à la portée d’un débutant. Via une obscure « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), ponctionnée sur les factures d’électricité, EDF achète sur ordre la production éolienne à un prix deux fois supérieur à celui du marché. Qui paie pour la grande industrie ? Nous, patate. Compter 5 ou 6 milliards d’euros chaque année selon les grands teigneux de la Fédération environnement durable (FED).
Cette dernière (http://environnementdurable.net) est peut-être bien de droite et elle a le grand malheur d’être soutenue par le vieux Giscard, ce qui est bien chiant. Mais ses 1057 associations ont souvent des histoires hallucinantes à raconter. Notamment à propos de ces armées de commerciaux déchaînés par l’appât du gain, qui font le tour de France en toutes saisons pour appâter de nouveaux candidats. Et il s’en trouve aisément, car les mieux organisés de ceux qui louent leurs terrains peuvent empocher jusqu’à 100 000 euros par an. Hum.
On reviendra sur ce dossier démentiel, mais il faut encore parler de la corruption, qui accompagne gentiment les installations de mâts pouvant atteindre 130 mètres de haut. Dans son rapport de 2013 publié à l’été 2014, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) notait sans emphase : « Le développement de l’activité éolienne semble s’accompagner de nombreux cas de prise illégale d’intérêts impliquant des élus locaux ». La combine est simple : un maire rural fait voter le principe d’un parc éolien, et comme par extraordinaire, on le retrouve ensuite sur des terrains appartenant à lui-même ou à ses proches. Depuis dix ans, les condamnations d’élus pleuvent, mais tout le monde s’en fout. C’est si bon, le fric.
Je t’entends mal ? L’écologie, dans tout ça ? Avec Alstom, Areva et Total ? Je vois que tu es blagueur.

L’aéroport qui valait 10 000 euros

Ce n’est pas démentiel, puisque c’est vrai. On apprend aujourd’hui qu’un aéroport à 200 km au sud de Madrid vient d’être acheté aux enchères 10 000 euros. Par des Chinois. Ciudad Real devait devenir le grand aéroport de Madrid, mais les vents contraires qui découragent l’investissement en ont décidé autrement. Malgré les centaines de millions d’euros d’argent public jetés aux poubelles, le désastre est total. Prévu pour plusieurs millions de voyageurs chaque année, il n’aura accueilli que 100 000 visiteurs en cinq ans. Cette gabegie est évidemment un crime, mais le code pénal ne peut rien contre les vrais grands brigands qui ont lancé ce projet.

Lesquels étaient socialistes, comme un certain Jean-Marc Ayrault, l’ancien maire de Nantes qui veut tant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Comme je n’ai pas beaucoup d’énergie, je vous envoie ci-dessous des copies. D’abord, un article paru ce dimanche dans Le Point. Et puis des miens papiers de Planète sans visa. Où vous verrez qu’il ne sert à rien d’avoir raison contre le monde entier. Le monde entier sauf vous, cela va de soi.

LE POINT.

Un aéroport à 450 millions d’euros bradé aux enchères à 10 000 euros

L’aéroport de Ciudad Real, près de Madrid, abandonné à la suite de sa faillite en 2014, a été racheté aux enchères pour une bouchée de pain par un groupe chinois.

Publié le | Le Point.fr

L'aéroport de Ciudad Real

 

L’aéroport de Ciudad Real©Paul White/AP/SIPA

En cette période de soldes, c’est une très bonne affaire. La SARL d’investissement chinoise Tzaneen international est sur le point d’acquérir l’aéroport Ciudad Real pour la modique somme de… 10 000 euros ! Le complexe avait coûté 450 millions d’euros aux contribuables espagnols. En quatre ans, moins de 100 000 voyageurs ont emprunté les longues allées de ce terminal de 28 000 m2 et d’une capacité de 5 millions de passagers.

Bulle financière et plan de sauvetage espagnol

Premier aéroport privé d’Espagne et symbole de la bulle immobilière des années 2000, l’aéroport de Ciudad Real était destiné à devenir l’aéroport du sud de Madrid, dont il est pourtant éloigné de 200 kilomètres. L’infrastructure a fait faillite en 2010. Elle est en partie responsable du premier sauvetage bancaire du pays, celui de la Caisse d’épargne Caja Castilla-La Mancha, qui avait investi 300 millions d’euros dans ce projet pharaonique.

« Porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise

L’acquéreur compte investir entre 60 et 100 millions d’euros prochainement afin de remettre en service l’aéroport, les pistes et le terminal afin d’en faire une « porte d’entrée de l’Europe » à la chinoise. Estimées à 40 millions d’euros, les infrastructures vendues aux enchères le 17 juillet seront-elles définitivement adjugées au mystérieux groupe chinois ? Cela dépendra des contre-offres. Le tribunal s’est donné jusqu’au 15 septembre pour trancher.

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ET LES ENTRÉES DANS PLANÈTE SANS VISA

Jean-Marc Ayrault a refait sa vie (en Espagne)

 À CEUX DE NOTRE-DAME-DES-LANDES (ET À MARIE)

Résumé des épisodes précédents. Jean-Marc Ayrault fut, comme on le sait, député-maire socialiste de Nantes pendant quelque trois siècles. Avant son départ précipité, il avait, dans un geste ultime de philanthropie, offert à sa ville la perspective grandiose et futuriste d’un nouvel aéroport à la campagne, sur les terres chouannes de Notre-Dame-des-Landes ( lire le résumé ici). On le sait, l’ingratitude du petit peuple est sans limites, et les paysans au front bas du bocage, poussés vers l’émeute par une chienlit écologiste, monta un jour à l’assaut de l’hôtel de ville de Nantes, fourches au poing, hurlant des obscénités sur le compte pourtant valeureux de monsieur Jean-Marc Ayrault. N’entendit-on pas ces criminels ensabotés, crottés jusqu’aux narines, hurler : « Ayrault, fumier, tu serviras d’engrais » ? Si. Ils le firent.

Alors, comme vous vous en souvenez tous, le maire fut contraint au départ, n’emportant qu’une maigre valise, embarquant in extremis à bord d’un antique Avion III créé par Clément Ader, doté de tiges de bambou, barbes en toile et papier de Chine. Pendant 120 ans environ, le sort de Jean-Marc Ayrault est demeuré inconnu, et je ne suis pas peu fier, aujourd’hui, de vous livrer en exclusivité un scoop de derrière les fagots, qu’on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval, dont on parlera dans Landerneau, digne des meilleurs professionnels.

Ayrault a réussi à refaire sa vie en Espagne, sous un faux nom naturellement. Visiblement bien introduit sur place, il est parvenu en peu de temps à tenir une place aussi enviable que celle qu’il occupait chez nous. Car il est en effet président – socialiste toujours – de la région chère au cœur de l’Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha, autrement dit Castille-La Manche. Mais se refait-on jamais ? Connu en Espagne sous le nom de José Maria Barreda, Ayrault a décidé, financé, soutenu de toutes ses vives forces un aéroport international appelé Ciudad Real. ll ne peut s’agir que d’un clin d’œil au formidable humour que l’on prête à Miguel de Cervantes. Car autant vous le dire, Ciudad Real signifie, comme vous ne l’ignoriez sûrement pas, Ville Réelle. Ville Royale d’abord, mais aussi Ville Réelle.

Mais quel facétieux, cet Ayrault-Barreda ! Après investissement de 500 millions d’euros – ce n’est qu’un début, une mise en bouche – et construction de pistes de 4 kilomètres de long pouvant accueillir des Airbus 380, l’aéroport est prêt à recevoir ses 2,5 millions de passagers par an ( lire ici). Beau travail, Jean-Marc (tu permets que je t’appelle Jean-Marc ?) ! Beau travail. Des centaines d’emplois ont été créés, et des entreprises ont installé des bureaux à prix cassés par les aides publiques. Normal : le TGV doit relier Madrid en moins de cinquante minutes, les autoroutes sont innombrables, et l’emprise directe au sol – 1250 hectares – permet d’envisager des agrandissements à répétition.

Bien sûr, il reste à régler quelques détails. Après le départ de la compagnie Air Berlin, l’Irlandaise Ryanair occupe à elle seule l’aéroport international, retenue au moment où elle pliait bagage par une subvention publique. En somme, tout est désert, fantasma. Les 24 comptoirs d’enregistrement sont fermés toute la sainte journée, on ne croise ni hôtesse ni passagers, mais tout de même quelques-uns des 300 employés chargés de l’entretien et de la gestion. Car il faut bien gérer, non ? La passerelle prévue pour relier l’aéroport à la ligne de train Madrid-Séville s’achève au-dessus du vide. On peut toujours sauter.

La réussite est complète. Deux ans après son inauguration, le bel oiseau a déjà creusé un trou de 300 millions d’euros, entraînant la faillite de la Caisse d’épargne de Castille-La Manche (CCM), obligeant la région de mon ami Jean-Marc-José à créer de toute urgence une société publique capable de financer les pertes astronomiques. Et c’est là, je vous le demande personnellement, que nous devons tous nous lever pour applaudir. Je vous en prie, faites-moi confiance au moins une fois dans votre vie. Standing ovation ! N’écoutant que son courage de grand élu socialiste, Ayrault-Barreda refuse de baisser les bras.

Fin mai, notre homme double s’est à nouveau engagé, en hidalgo : « El presidente de Castilla-La Mancha, José María Barreda , aseguró que el Gobierno regional hará todo lo posible, dentro de la legalidad, para que el proyecto del aeropuerto privado de Ciudad Real tenga viabilidad en el futuro y “pueda despegar definitivamente”». Vous pourrez lire le texte intégral (ici ), ou vous en tenir à mon court résumé. Ayrault-Barreda veut davantage de fric pour que Ciudad Real  « pueda despegar definitivamente ». Pour qu’il puisse « décoller définitivement ». J’espère que vous goûtez comme moi, et à nouveau, l’humour noir de Janus. Décoller. Définitivement. Cela ouvre bien des perspectives.

Dans un autre entretien, Ayrault-Barreda a finement présenté les deux termes de l’alternative.  Ou l’argent public coule à nouveau, ou l’on abandonne. Et si l’on abandonne, il ne faudra pas s’étonner que « crezca la hierba en la pista de aterrizaje y se estropeen las instalaciones ». Il y en a pour trembler, comme dit un vieil homme de ma connaissance. L’herbe pousserait alors sur les pistes, et les magnifiques installations rouilleraient peu à peu, avant de disparaître dans la poussière de Rocinante. Rossinante, quoi.

Et maintenant, avant de rendre l’antenne, deux post-scriptum.

Le premier : l’Espagne est en train de sombrer. Il est plaisant qu’un olibrius comme moi ait pu le dire si longtemps avant les commentateurs appointés (lire ici, ici encore, et  ). Elle sombre. Un million de logements y sont en vente. 40 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. La spéculation et la corruption de masse ont détruit un pays. Telle est la réalité. Extrait de l’article cité tout en haut de cette page : « Surtout, au lieu de construire 800 000 logements chaque année, l’Espagne va se limiter à 100 000 pendant plusieurs années. Avec un impact terrible sur la croissance et sur l’emploi : “Il faut réinventer 18 % du PIB”, résume un économiste ». Oui, c’est à eux, aux économistes, aux politiques responsables de ce désastre biblique qu’on demande de réinventer du PIB. PIB ! Paltoquets, Imbéciles, Branlotins. Nous en sommes là, au point zéro d’une histoire à recommencer.

Le second : la dette des régions d’Espagne atteint 95 milliards d’euros, une somme inouïe. Le siège luxueux des braves gens aux commandes, les ronds-points, les subventions à l’agriculture industrielle, aux barrages, aux transferts d’eau vers le Sud à sec, les aides aux villes fantômes du littoral, tout cela coûte cher. Au fait, Ségolène Royal ne se faisait-elle pas appeler la Zapatera, nom dérivé de celui de José Luis Rodríguez Zapatero, le cornichon socialiste en place à Madrid, qui achève de dynamiter ce qui reste ? le Figaro rapporte une visite de Royal à Madrid en octobre 2007. Elle vient donc de perdre face à Sarkozy. Et voici l’extrait du journal, qu’il faut savourer à la petite cuiller : « Zapatero aurait chaleureusement encouragé Ségolène Royal à se présenter à la prochaine élection présidentielle. “Je me sens très proche de Zapatero et de cette gauche pragmatique”, a commenté celle que l’on dénomme ici “la Zapatera francesa”. Enchantée de porter ce surnom, Royal a estimé qu’elle avait plusieurs points communs avec Zapatero : “Au départ, Zapatero n’était pas forcément le favori au sein de son parti. Il était jugé trop jeune, inexpérimenté ou sans stature, mais il a réussi à prouver le contraire…” ».

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Vous trouverez ci-dessous un choix de quelques articles que j’ai consacrés à l’Espagne. Vous y verrez, si vous avez le temps, qu’il était possible de voir autrement les mêmes choses. Quand Ségolène Royal encensait le Premier ministre Zapatero – coquette en diable, ne se laissait-elle pas appeler la Zapatera ? -, d’autres, dont je fais partie, racontaient le dessous des cartes. Après relecture, cela reste intéressant. Il me semble.

Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs)

Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de “faux modèles” à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

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Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national (ici) ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.

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Espagne, castagnettes et dominos

Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.

La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.

Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.

Je ne serai donc pas décoré

Il m’est arrivé il y a quelques jours une bien curieuse histoire. Voici le texte d’un mail écrit – à mon attention – par un responsable du ministère de la Culture :

Monsieur,

Madame Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, souhaite vous nommer au grade de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, dans le cadre de la promotion de juillet 2015.
Je vous remercie de bien vouloir m’indiquer si cette proposition recueille votre agrément et reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.

Bien cordialement,

L’arrière-plan est limpide : madame Pellerin entend décorer les quatre blessés de Charlie-Hebdo, c’est-à-dire Simon Fieschi, Philippe Lançon, Riss et moi-même. Je ne sais pas encore ce que sera la réponse des trois autres, mais moi, j’ai refusé. Franchement ! Mettre une breloque à mon revers, ou pis encore la laisser sur son délicat velours, serait d’une telle extravagance que je ne pouvais bien sûr m’y résoudre. Je me suis vu dans un salon doré, et très simplement, je me suis marré tout seul. Je n’ai décidément rien à voir avec leur monde.

Par ailleurs, et sur un plan très secondaire, je n’aime pas du tout madame Pellerin. Vous lirez ci-dessous ce que j’écrivais il y a deux ans et demi à son propos. Au fait, comment allez-vous ? Moi, je traîne la patte et je mange encore de la morphine comme s’il s’agissait d’une sucrerie, mais ça va. Ça va. Et ça ira.

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Fleur Pellerin, ministre électromagnétique (et follement socialiste)

Le parti socialiste est arrivé au bout de sa course. On le voit mal beaucoup évoluer encore, car il exprime aujourd’hui, comme jamais, le soutien total au monde comme il va. Le destin des créations humaines est de dégénérer. Disons pour ne point fâcher, de s’institutionnaliser. Jadis parti de classe, au temps de Jaurès, ce mouvement a peu à peu pris la place politique qu’occupait, sous la Troisième République, le Parti radical. Une manière comme une autre de reconnaître le vrai pouvoir, celui de la propriété, qui s’incarne aussi bien dans les patrons français que transnationaux.

L’un des exercices les plus épuisants consiste à demander à une structure ou à un être ce qu’il leur est impossible de donner. Réclamer du parti socialiste, dirigé en totalité par une caste au service du monde réel et de sa destruction, qu’il défende les peuples, les espèces, les espaces, est pleinement absurde. Le temps où cela demeurait concevable a disparu depuis si longtemps que, personnellement, je ne l’ai pas connu. Et pourtant, il m’arrive encore d’être surpris. Mais il est possible que cela ne soit que niaiserie. Vous allez juger.

L’Assemblée nationale discute aujourd’hui d’une proposition de loi d’Europe Écologie-Les Verts au sujet des ondes électromagnétiques. Ou dois-je dire devait ? À l’heure où je vous écris – 18 heures – une rumeur me parvient : la discussion n’a pas eu lieu, et le projet est enterré au profond d’une Commission. Ces gens sont de parfaits croque-morts. Mais je n’entends pas insister aujourd’hui sur la dangerosité plus que probable des ondes, notamment celles du téléphone portable. Non, je voulais évoquer la personne de Fleur Pellerin, sous-ministre à l’Économie numérique (et aux PME, et à l’Innovation [sic]). On lui doit en bonne part le caviardage du projet de loi évoqué plus haut. Car bien qu’escamoté, apparemment et au dernier moment, ce projet avait au préalable été vidé de ses mesures les plus significatives. À savoir la limitation du wifi dans les crèches et les écoles.

À ce sujet, la déclaration la plus belle de madame Pellerin, mais il y a concours dans ce singulier domaine, condamne tout projet de loi qui inscrirait « dans le dur des choses qui correspondent à des peurs un peu irrationnelles, et qui consisteraient à donner un poids juridique à la dangerosité des ondes radioélectriques alors que cette dangerosité n’est pas scientifiquement étayée ». Quelle est cette langue stupéfiante ? La sienne.

Reprenons. Fleur Pellerin. Elle aura 40 ans en août prochain, et elle a fait une belle carrière dans ce qu’il faut appeler, après Bourdieu, la « noblesse d’État ». Essec, puis Sciences-Po, puis l’ENA, enfin la Cour des Comptes et les différentes babioles professionnelles qui vont de pair. Socialiste par surcroît ? Exact, par surcroît. Elle entre au PS en 2006, à l’âge intéressant de 33 ans. On a connu des engagements plus fulgurants, sans aucun doute, mais il faut faire avec. Donc, socialiste. Mais quelle ? Eh bien, cette même année 2006, madame Pellerin devient membre de la Fondation Royaumont (ici).

Cette philanthropique institution fonctionne comme un centre culturel,  accueille des concerts, éduque à la musique médiévale et baroque, forme au chant. On applaudit. Mais il n’est pas interdit de rappeler que le fondateur lui-même, Henry Goüin, décrit ainsi la philosophie de sa si charmante créature (ici) : « C’est bien l’étude de l’homme dans le temps, et dans l’espace, sous ses aspects physiques et moraux, dans ses relations avec sa famille, son milieu social, son milieu de travail, avec les peuples d’autres nations et d’autres races, qui peut faire découvrir les remèdes aux états de tension, manifestations d’un désaccord, souvent irraisonné, avec soi-même, avec le prochain, avec la société, qui se traduisent par le déséquilibre mental, les haines, les fanatismes, les luttes de classe, les révolutions et les guerres ».

Ma foi, le programme est joli : il faut extirper par le clavecin ces basses idées propagées par tant d’abrutis. C’est celui de toutes les droites rances, éventuellement catholiques, depuis deux siècles. S’agit-il d’une calomnie ? Sincèrement, je ne le crois. Dans un entretien récent au Parisien (ici), madame Pellerin énonce tranquillement, montrant combien elle a retenu la leçon : « À une logique de lutte des classes, je préfère une stratégie où tout le monde ressort gagnant ». Entendons-nous : ces propos n’ont rien de criminel. Mais ils démontrent, si besoin était, que cette dame n’a rien à voir, de près ou de loin, avec ce fil rouge qui court l’histoire souvent héroïque de ce qu’on appela jadis le mouvement ouvrier. Ce magnifique effort de civilisation assassiné par la guerre mondiale de 1914, puis le stalinisme.

Elle est parfaitement dans son rôle quand elle explique, ces derniers jours : « Je n’ai aujourd’hui aucune preuve que le Wifi est mauvais pour la santé ». Elle n’en aura jamais. Ou quand les morts se ramasseront à la pelle mécanique. Elle n’en aurait pas eu davantage à propos de la clope, de l’amiante, du DDT et des pesticides, de la dioxine, et du reste. N’oublions pas qu’elle est notamment ministre de l’Innovation. Le téléphone portable est une superbe innovation, et ce qui vient sera encore mieux. Fleur Pellerin est socialiste. Et le socialisme est désormais l’ennemi de l’écologie. Libre à chacun de croire le contraire. Il n’y a pas d’âge pour espérer le Père Noël.