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Un mot sur le programme Le Pen

Si j’ai si peu évoqué ici la politique et les ambitions du Front National, c’est bien entendu parce que cela n’a le plus souvent aucun rapport avec la crise écologique. Mais cela pourrait changer, comme vous allez voir. Avant cela, deux mots personnels sur ce parti. Je suis né à la politique entre 1968 et 1970. J’avais alors de 12 ans et quelques cacahuètes à 14 puis 15 ans. Mon vieux était un communiste stalinien, un ouvrier à l’ancienne, qui se tapait ses 60 heures par semaine, dix heures par jour, samedi compris. J’ajoute un point qui est pour moi crucial. En décembre 1970 eut lieu en Espagne le « procès de Burgos », au cours duquel 16 Basques furent jugés par le vieux Franco. Ce même mois, les ouvriers polonais de la Baltique se soulevaient contre le régime stalinien de Gomulka. Moi, j’ai manifesté pour eux tous. Ceux de Burgos, ceux de Gdansk et de Gdynia. Contre les fascistes, contre les staliniens. Et je n’ai pas changé.

Je n’ai pas assez connu mon père, car j’avais huit ans à sa mort.  Mais comme il était d’une singulière bonté, je lui dois assurément ma survie psychique, et peut-être bien physique. Je l’ai aimé et l’aime encore d’un amour inconditionnel, ce qui ne signifie nullement aveugle. Il avait ses faiblesses, mais aussi, mais surtout sa grandeur. J’ai appris de lui, sur le mode incandescent, le culte de la résistance antifasciste, celle des années noires des guerres – l’Espagne, l’Europe, le monde -, celle de la lutte armée. Quand cette pauvre crapule de Le Pen a émergé en 1972, je n’ai pas hésité une seconde. Je ne raconterai pas ici ce que j’ai fait, mais je l’ai fait. Je ne regrette rien, je ne regrette aucun des affrontements de ces années-là, car il arrive toujours un moment où la vérité s’impose. On ne saurait transiger avec des fascistes.

Le Front National l’est-il, fasciste ? Je crois que l’usage de ce mot répugnant empêche de comprendre qu’il s’agit d’autre chose. Je sais que ce mouvement compte de vrais fascistes, qui n’attendent qu’un moment favorable pour abattre la Gueuse, notre pauvre République à nous. Néanmoins, je n’imagine pas un remake. Plutôt une terrible habituation aux pires politiques. Déjà, la France glisse de jour en jour vers une droite qu’on espérait ne plus jamais voir chez nous. Tout le monde finira par trinquer, à commencer par les Noirs et les Arabes. Tout le monde. Et je suis convaincu de la nécessité de bâtir ensemble des digues, qui dureront ce qu’elles dureront. Contre le pire, contre la régression, avec des gens qui auraient pu passer jadis pour des adversaires. L’union est une action magnifique.

Pourquoi ce papier déjà bien long sur le Front National ? Parce que Marine Le Pen, ainsi qu’on sait, ratisse autant qu’il est possible, et s’empare de besaces qui étaient celles de ses ennemis. Au plan économique, je n’insiste pas sur ses invocations altermondialistes, qui convainquent tant d’esprits faibles. Mais voilà aujourd’hui qu’elle se lance dans « l’écologie patriote », ainsi que vous pourrez lire ci-dessous. Évidemment, c’est grotesque de bout en bout. Un M.Murer, venu des marges du Front de Gauche (ici), entend promouvoir une transition énergétique made in France avec le nucléaire et sans doute le gaz de schiste. Et pas question d’imposer quoi que ce soit aux entreprises, de manière par exemple à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

C’est pourtant sérieux. Les angoisses montent sans trêve, et aucune offre politique ne propose de s’attaquer aux vraies racines de la crise, celle de la vie sur Terre. Les stimuli fantasmagoriques ne peuvent donc que se multiplier. L’avenir est aux « solutions » magiques. Au rêve d’une France reconquérant ses risibles frontières, et montant à l’assaut des « pollutions ». Je l’ai dit ici de nombreuses fois : le froid s’étend, la glaciation nous guette. Il n’est qu’une parade possible : bouger. Et bouger ensemble, en se serrant les uns contre les autres, en direction du printemps. Car le printemps viendra, je n’ai pas de doute. La seule question, pour nous tous, est de savoir si nous tiendrons jusque là.

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Un article du Huffington Post

Le FN invente « l’écologie patriote »: la préférence nationale lave plus vert que vert

 | Par

FRONT NATIONAL – C’est un des axes stratégiques empruntés par Marine Le Pen pour élargir sa base électorale et muscler son programme en vue de 2017. Depuis 2012 se sont créés dans le sillage du Rassemblement Bleu Marine plusieurs cercles de réflexion thématiques ouverts aux membres du FN et aux compagnons de route dits « patriotes ».

Il y eut le « collectif Racine » pour les enseignants, le « collectif Audace » pour les jeunes actifs ou encore le « collectif Marianne » dédié à la jeunesse. Autant de niches catégorielles (aux effectifs confidentiels) jadis délaissées par l’extrême droite par manque d’intérêt, de moyens ou d’opportunité.

Plus surprenant, ce mercredi 10 décembre, c’est un « collectif Ecologie » que Marine Le Pen entend introniser. Sa lettre de mission est double: d’une part, rassembler les « patriotes » en phase avec la ligne nationale-étatiste du FN et sensibles à la question du développement durable; de l’autre, plancher sur le programme environnemental de la future candidate à l’élection présidentielle.

L’invention de la nationale-écologie

A sa tête, l’économiste Philippe Murer, assistant parlementaire de Marine Le Pen et auteur d’un ouvrage publié chez Fayard intitulé « La transition énergétique: une énergie moins chère, un million d’emplois créés ». Cet ancien adhérent du Parti socialiste, hostile au référendum sur la Constitution européenne et passé depuis chez Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan, a débarqué au Front avec armes et bagages en mai dernier en qualité de conseiller économique.

Proche de l’économiste Jacques Sapir, lui-même compagnon du Front de Gauche mais adulé par les souverainistes depuis qu’il a théorisé l’échec et la sortie de l’euro, Philippe Murer fait partie du groupe d’universitaires (avec Bruno Lemaire et Jean-Richard Sulzer) dont la présidente du FN s’est entourée afin de « densifier » son programme économique en vue d’une hypothétique sortie de l’euro. A ses côtés, Eric Richermoz, jeune adhérent FN et étudiant en master finances, assurera les fonctions de secrétaire général du collectif.

Tous deux ont théorisé les contours d’une nationale-écologie liant les fondamentaux du Front (indépendance monétaire, dévaluation massive et protectionnisme ciblé) et les bienfaits d’une transition énergétique synonyme à terme d’indépendance énergétique, d’économies pour les Français et de croissance verte.

Si les constats ne divergent pas dans les grandes lignes de ceux prônés par Europe-Ecologie Les Verts, l’Ecologie Bleue Marine récuse la nécessité d’agir à une échelle globale ou européenne sur les questions environnementales. « La France doit réaliser sa transition énergétique, ce qui entraînera d’autres pays par l’exemple », plaide Philippe Murer, convaincu que cette transition n’est possible qu’à la condition que la France retrouve son indépendance monétaire et la maîtrise de ses frontières douanières.

Un positionnement anti-mondialiste et anti-EELV

Les premières bases de cette « écologie patriote » sont encore balbutiantes. Elles se veulent avant tout un réquisitoire contre l’écologie politique incarnée par les Verts, accusés d’avoir « monopolisé » la défense de l’environnement et « détourné » ses principes au profit d’une idéologie « punitive et fiscaliste ».

« L’écologie ne doit pas être un totalitarisme qui impose sa loi sur tout, il faut qu’elle se conjugue avec le reste », plaide Philippe Murer. « EELV prône une politique mondialiste favorable aux marchés de quota et soumise aux lobbies des multinationales qui ont pignon sur rue à Bruxelles », renchérit Eric Richermoz. Tous deux récusent le principe d’une fiscalité verte et plaide sur une négociation « apaisée » avec les entreprises pour qu’elles réduisent leurs émissions de CO2.

Alors que les écolos d’EELV défendent des accords globaux sur le climat, le collectif Ecologie du FN mise sur la « nation » et le retour au nouveau franc pour mener un « protectionnisme ciblé » qui favoriserait la relocalisation de l’industrie verte sur le territoire national. La renationalisation complète d’EDF et des investissements publics massifs dans le renouvelable, financés par la Banque de France (et donc la planche à billets), permettraient selon eux d’achever la transition d’ici 20 ans.

Autres nuances de taille avec la ligne d’EELV: l’écologie bleu marine est favorable à l’industrie nucléaire comme énergie de transition à faible émission de CO2 et ne ferme pas définitivement la porte au gaz de schiste tout en excluant la fracturation hydraulique.

« Une vision hygiéniste et naturaliste de l’écologie »

Du côté d’Europe-Ecologie Les Verts, l’initiative fait sourire. « Marine Le Pen n’a rien d’une écologiste puisqu’elle reste une productiviste forcenée », tranche le porte-parole d’EELV Julien bayou. « L’écologie nationaliste du Front revient à dire: du moment que c’est français, on construit n’importe quoi. Si la France avait une industrie de pointe dans l’amiante, le FN continuerait de promouvoir l’amiante », raille le conseiller régional d’Ile-de-France.

Pour le Front national, « l’écologie est un instrument de plus au service des mêmes fantasmes », regrette l’eurodéputé Yannick Jadot, pour qui il est illusoire de « vouloir lutter contre le dérèglement climatique sans passer par une triple approche locale, nationale et globale ». Sous couvert de promouvoir le bien-être animal, le Front national « instrumentalise l’écologie pour conforter sa clientèle islamophobe et s’en prendre à l’abattage rituel », renchérit-il, pointant également l’exploitation d’un « ordre naturel » des civilisations pour justifier le refus de l’immigration.

Le député européen renvoie surtout le Front national à ses contradictions, comme le soutien du FN aux Bonnets rouges « qui défendent pourtant les élevages les plus intensifs ». « Le FN défend la qualité de l’air mais prône une politique farouchement automobiliste », ajoute-t-il avant de renvoyer aux votes de Marine Le Pen au Parlement européen. En décembre 2013, les trois eurodéputés FN avaient voté contre l’interdiction du chalutage en haute mer, pratique désastreuse pour les fonds marins.

Alors, le collectif Ecologie n’est-il qu’un nouvel avatar du greenwashing? « Pas du tout », assure Philippe Murer qui promet que Marine Le Pen est « sincère » lorsqu’elle veut « proposer des solutions sur l’écologie ». « Le FN défend depuis longtemps ces thématiques même s’il ne les mettait pas toujours en avant », assure Eric Richermoz.

Une longue histoire d’écolo-scepticisme

En 2010 pourtant, Jean-Marie Le Pen associait encore « l’écologisme » à une « nouvelle religion des populations urbaines aisées ‘bobos gogos’ de l’Occident » lors d’un colloque organisé par son parti, sobrement intitulé « Réchauffement climatique, mythe ou réalité ».

Dans son programme présidentiel de 2012, Marine Le Pen détaillait assez peu ses projets en matière de développement durable, plaçant la priorité sur la sécurité alimentaire, la préservation de la faune et de la flore ainsi que des paysages. Aucune référence au réchauffement global ou à la transition énergétique n’y figurait.

En matière d’énergie justement, le programme FN de 2012 semblait plus que sceptique sur l’intérêt immédiat des énergies renouvelables jugées « pas réalistes en l’état ». Le programme de Marine Le Pen ne citait l’énergie éolienne qu’une seule fois pour estimer qu’elle n’était pas une source crédible d’énergie de substitution. Quant au solaire, il n’était même pas évoqué.

« Toutes nos propositions n’engagent pas le Front national, même si j’ai bon espoir qu’elles inspireront Marine Le Pen », précise Philippe Murer. Il y a du travail.

Interrogés en marge du congrès du parti à Lyon, nombre d’élus FN accueillaient ce nouveau collectif. avec bonne humeur mais circonspection. « L’écologie c’est une nouveauté au FN. A Hénin-Beaumont, c’est une source d’économies comme pour l’éclairage public. Mais moi, je ne veux pas d’éoliennes dans ma ville », tranchait le vice-président Steeve Briois. « Il faut un peu de bon sens, y compris dans l’écologie. N’oublions pas de concilier respect de l’environnement et le respect des travailleurs », nuançait l’eurodéputée Sophie Montel, élue dans un bassin industriel du Doubs.

Pris de court par la question, un élu botte en touche: « ce qui est sûr, c’est que nous on est pas des Ayatollah ». Preuve que, même en matière d’écologie, les vieilles références du FN marchent encore.

Hollande est bien l’homme de la situation

Je vous ai dit hier ce que je pensais de Ségolène Royal. Grâce à Luce Lapin (son indispensable blog), que j’embrasse au passage, il me faut féliciter le père de ses enfants, François Hollande. Mais regardez cette image renversante, qui date d’hier.

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On voit sur cette photo hideuse notre président de gauche en entretien privé avec le dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaiev. Je vous passe les détails, que vous connaissez ou pouvez imaginer. Le pays est plein d’uranium, de pétrole, de charbon, de fer, et son taux de croissance est de 7 % par an. Nazarbaiev règne sans partage depuis 1990, soit avant même la chute définitive de cette maudite Union des républiques socialistes soviétiques. Bien entendu, il a été lui-même dirigeant du parti communiste, avant d’imposer sa dictature personnelle, qui dure depuis un quart de siècle. Chez ce brave garçon, on torture tranquillement tous ceux ce qui pourraient gêner la corruption de masse, qui fait enfler chaque jour les comptes secrets du maître et de ses valets.

Pour en revenir à Hollande, on notera – je noterai – trois choses. Un, comme la Royal, il s’exhibe sans manières avec de la fourrure. Je gage que, cette fois, il pourrait bien s’agir de loups, car on en tire beaucoup au beau pays de ces grands salauds. Deux, il est atrocement ridicule, et réussit à nous faire encore un peu plus honte.Un exploit. Trois, il se comporte comme une pute. Attention ! J’emploie ce mot à contre-cœur, piégé que je suis par l’usage de certains mots. Il va de soi que je ne vise pas celles qui vendent leur corps. C’est Hollande, que j’entends insulter. Il ne vend certes pas son corps, mais c’est pis : il a fourgué ce qui lui restait d’âme à un tortionnaire de bas étage. Pour quelques tonnes d’uranium qui seront cramées dans nos centrales nucléaires avant, peut-être, de vitrifier tout ou partie de la France. Le dégoût.

Ségolène Royal en panthère (peut-être) synthétique

Deux choses, qui dégoûtent en profondeur de l’offre politique lamentable qui nous est faite.

Un, Ségolène Royal, ministre de l’Écologie en titre, prend l’avion pour aller à Lyon et manque se crasher (ici). L’information, ce n’est pas le train d’atterrissage qui ne se débloque pas, la seule retenue par nos piteux médias. Non, la chose importante est que Royal, qui prépare avec ardeur sa ridicule Conférence mondiale sur le climat, l’an prochain à Paris, se contrefout du dérèglement en cours. Le message atroce qu’elle adresse à 65 millions de Français, c’est : continuez tout comme avant. Le TGV met Paris à deux heures de Lyon, mais c’est encore trop pour nos misérables Excellences. Combien aura-t-elle gagné ? Un quart d’heure ? Je la vomis. Cela ne se fait pas d’écrire cela, mais justement, je le fais : je la vomis.

Deux, Ségolène Royal s’exhibe dans une soirée élyséenne avec un manteau de fourrure. Du loup ? Je n’en sais rien, et pour l’heure, il n’y a, à ma connaissance, aucune confirmation. Il n’empêche : c’est un message. Elle eût pu dire, ou laisser dire par son entourage – c’est un classique, chez ces gens-là – que la fourrure était synthétique. Elle n’en a rien fait, car ce qu’elle veut dire de toute façon, c’est qu’elle nous emmerde, nous les défenseurs de la vie sur Terre. Eh bien, elle a raison : elle nous emmerde. Vienne le temps où nous pourrons mieux exprimer ce que nous pensons vraiment.

S. Royal le 3 déc 2014 

Aux nobles gendarmes du barrage de Sivens

Cet article a été publié le 12 novembre 2014 par Charlie Hebdo

Revenons-en aux faits. Un, ce sont les flics qui ont commencé la violence. Deux, il y a sur place l’ébauche d’une milice pro-barrage que personne ne recherche. Trois, Xavier Beulin a des idées derrière la tête. Quatre, les agences de l’eau, ça craint.

C’est plutôt rigolo. Ben Lefetey est un écologiste de longue date, ancien président des Amis de la Terre. Il y a une petite quinzaine d’années, il part vivre en Asie, avec femme et bientôt enfants. Et puis il revient en France, où il s’installe à Gaillac (Tarn). Fatalitas ! Quelques mois après son arrivée, un tract déposé sous son pare-brise l’invite à une manif contre le barrage de Sivens, à une poignée de kilomètres de là. Il y va, il s’engage, et devient le porte-parole des opposants, ceux du « Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet » (http://www.collectif-testet.org).

Certains des pro-barrage les plus énervés lui promettent de lui couper les couilles, et les mêmes ou d’autres le présentent comme un « étranger » à la région venu y foutre le bordel. Il ne donne pas l’impression d’être autrement impressionné, et Charlie s’est finalement décidé à l’interroger. On apprend des choses, indiscutablement.

Charlie :  Et si on revenait sur la violence ? Qui a commencé ?

Ben Lefetey : Le premier acte de violence date du 23 janvier 2014. Ce jour-là, une bande d’une vingtaine de types, certains cagoulés, sont venus sur place saccager la ferme alors occupée par les zadistes. Avec des voitures dont le numéro d’immatriculation était caché. Il n’y avait que deux filles présentes, qui ont été attirées à l’autre bout du champ par une diversion. Le commando a sorti des masses, détruit portes et fenêtres, ouvert un trou dans le toit,  balancé du répulsif sur les matelas de manière à rendre le lieu inhabitable. Plainte a été déposée par le…conseil général, propriétaire en titre de la ferme. Bien qu’il n’y ait pas de grands doutes sur l’identité des gros bras, il n’y a jamais eu de suite.

> Les affrontements avec les gendarmes ont commencé, eux, le 27 février, un mois plus tard.  Les zadistes, surtout des anars du Tarn, renforcés par quelques Toulousains, étaient entre 5 et 10 à occuper le futur chantier en permanence et à y dormir. Après la destruction de la ferme, ils ont construit une maison en paille, installé des yourtes et un chapiteau. Et ils ont été expulsés par des policiers en civil et des gendarmes du Peloton de surveillance et d’intervention de Gaillac. Ces derniers forment une unité qui correspond aux brigades anti-criminalité (BAC) des villes. Une unité qui utilise souvent la violence, et qui l’a employée contre les occupants pacifiques du chantier. Le plus inouï est que cette expulsion a été condamnée ensuite par la cour d’appel de Toulouse. La gendarmerie opérait donc dans l’illégalité.

Charlie : Et c’est donc ensuite, et seulement ensuite, que tout s’est enchaîné ?

B.L : Aucun doute. Dès mars, les occupants ont été plus nombreux –entre 50 et 100 – et ils ont pu empêcher le déboisement qui était alors prévu.  Au passage, des gens plus radicaux sont en effet arrivés, qui ont construit des barricades qui ne tenaient d’ailleurs pas dix minutes. Dans tous les cas, l’escalade vient de là. Et de l’arrivée de Valls à Matignon : en septembre, entre 150 et 200 gardes mobiles ont été « réservés » trois semaines pour imposer le barrage de Sivens.

Charlie : En dehors des zadistes, qui refuse localement le barrage ?

B.L : Je voudrais d’abord parler des paysans, car le conseil général du Tarn a toujours prétendu que le monde agricole était pour, unanimement. Or il y a des paysans locaux, comme par exemple Pierre Lacoste, qui sont contre, et qui soutiennent depuis le début les zadistes. Et il faut citer le réseau de paysans bio de Nature et Progrès Tarn, très actif. Enfin, la Confédération paysanne est venue en renfort avec des tracteurs, réclamant au passage un moratoire. S’ajoutent au combat Attac, très présent dans le Tarn, ainsi que les associations historiques de France Nature Environnement (FNE). Des individus comme moi se sont greffés au fil du temps à la bagarre.

Charlie : Ségolène Royal a annoncé on ne sait plus bien quoi. Y aura-t-il un barrage ?

B.L : Nous avons désormais bon espoir qu’aucun barrage ne sera construit. Les experts qu’elle a nommés, dans leur fameux rapport, nous ont donné raison sur des points décisifs que nous avions avancé il y a un an sans être écoutés par le conseil général. Cela nous donne une sacrée crédibilité ! On est loin de cette image manipulée de zadistes maniant la barre de fer et terrorisant la population locale.

Charlie : Encore un mot sur la violence. Sans les affrontements avec les gendarmes, sans la détermination des zadistes, où en serait le barrage aujourd’hui ?

B. L : Il serait aux trois quarts construit.

Encadré 1

L’homme aux pesticides entre les dents

La menace bolchevique n’étant plus disponible, Xavier Beulin, président de la FNSEA – syndic(at) de faillite des paysans – vient d’inventer pire encore. Les écologistes de Sivens seraient des « djihadistes verts ». On pourrait en ricaner si ce n’était autant sérieux. Car derrière ce gros céréalier de la Beauce se profile une radicalisation croissante des paysans qu’il manipule.

Beulin déjeune régulièrement avec Hollande, à qui il promet de créer plein d’emplois à condition qu’on dérégule la profession. Plus de contraintes, plus de règles, nitrates à tous les étages ! Il veut en outre créer un statut du paysan qui serait refusé aux plus petits, ceux dont les surfaces ne lui paraissent pas dignes des grasses subventions qu’il reçoit.

Autre aspect de ce grand personnage : Sofiprotéol, énorme groupe industriel  qui pèse 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (en 2013). Beulin n’est pas seulement « syndicaliste » : il est également le patron de Sofiprotéol et joue un rôle crucial dans des dossiers comme celui de la ferme des 1000 vaches. Sofiprotéol commercialise plus de la moitié des pesticides épandus en France. Cet homme aime la vie.
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Encadré 2

Le rôle si trouble des agences de l’eau

Sans l’agence de l’eau Adour-Garonne, pas de barrage de Sivens. Ce mastodonte public prévoit un budget de près de deux  milliards d’euros sur la période 2013-2018, et a promis 50 % du montant des travaux, qui s’élèvent sur le papier à 8, 4 millions d’euros pour une poignée d’irrigants.

La France compte six agences régionales de l’eau, créées en 1964, qui décident de tout parce qu’elles financent tout. Menu problème : elles sont une chasse gardée des trois grands corps d’État évoqués la semaine passée dans Charlie : les Mines, les Ponts et le Génie rural et les eaux et forêts. Ces grands ingénieurs sont intéressés au volume de travaux placés sous leur contrôle. En 2014, malgré quelques velléités démocratiques, l’oligarchie règne : cinq des six agences sont dirigés par des « corpsards », et la sixième, qui attend le sien, est administrée par un intérimaire, haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture.

Adour Garonne est pilotée par un ingénieur général des Mines, Laurent Bergeot, et le vice-président de la décisive commission Programmes et Finances est un certain Alain Villocel. Mais il faut employer le passé, car Villocel vient de partir vers de nouvelles aventures. Qui était-il jusqu’à ces derniers mois ? Le directeur général de la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), bastringue public au service du conseil général du Tarn. Cette société d’économie mixte, qui fait abondamment couler l’argent public, est au point de départ du barrage de Sivens. Où le serpent se mord méchamment la queue.

Après l’Ours, le Loup, le Lynx, le Vautour, le Cormoran, la Grue

Je sais qu’ils s’en foutent, mais j’en veux à ceux – Bové, une bonne part de la Confédération paysanne, nombre d’altermondialistes, y compris journalistes – de soutenir la chasse au Loup, qui tue désormais chaque semaine et parfois chaque jour des animaux revenus dans ce qui est pourtant leur pays, de toute éternité. Ces ennemis du sauvage, s’alliant comme si de rien n’était avec les gros durs de la FNSEA et les chasseurs extrémistes, ont mis le doigt dans un engrenage qui les mènera fatalement plus loin. J’ai écrit ici quantité de papiers sur le sujet (notamment ici, ici, ici, ici, ici). Sur le Loup, sur l’Ours, sur le Vautour, ce dernier transformé pour les besoins d’une cause indéfendable en prédateur.

Voilà que – Raymond Faure, merci – la haine s’attaque aux grues, ces grâces ailées qui nous font l’immense honneur de nous survoler. Il fallait s’en douter : les grues, y en a marre. Il faut laisser ces braves gens faire pousser leur maïs aux pesticides, et trucider par millions poulets, canards, oies, cochons et bovins. Y en a marre. La FDSEA de la Haute-Marne – structure départementale de la FNSEA – vient d’obtenir de la région, gérée par nos bons socialistes, 100 000 euros pour faire face aux « dégâts » créés par les grues, ces barbares des airs. Un monsieur Jean-Louis Blondel,  président de cette FDSEA, a même déclaré à l’AFP : « Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l’hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce ». On admirera ici l’usage de l’euphémisme. Flinguer, cela s’appelle désormais, chez les tueurs, réguler.

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La dépêche de l’AFP :

Le lac du Der, havre de paix des oiseaux migrateurs

08 Nov 2014

 

 

 

 

A peine le jour levé qu’une immense clameur signe le réveil des échassiers qui s’élèvent en nuée dans un ciel orangé: à l’automne, des dizaines de milliers de grues cendrées font escale au lac du Der-Chantecoq en Champagne avant leur migration vers l’Espagne.

Plus grand lac artificiel d’Europe, le Der offre depuis sa création en 1974 un havre de paix aux grands oiseaux migrateurs qui se massent sur les îlots et les vasières pour y passer la nuit à l’abri des prédateurs.

Il aura fallu engloutir trois villages et des forêts de chênes pour construire ce réservoir de 4.800 hectares bordé de 77 kilomètres de rives à cheval entre la Marne et la Haute-Marne afin de prévenir et réguler les inondations du bassin parisien. « Un projet gigantesque qui serait probablement largement contesté de nos jours », remarque Aurélien Deschatres le coordinateur national du réseau « Grues France » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Selon lui, plus de 200 espèces d’oiseaux dont des animaux rares -pygargues à queues blanches, butors étoilés ou encore hérons pourprés- peuplent le site classé depuis 1986 « zone spéciale de conservation » par le réseau « Natura 2000 ». Mais ce sont surtout les grues cendrées et leurs envols matutinaux majestueux qui ont fait la réputation du lac auprès des amoureux de la nature.

« Les grues qui passent l’été en Europe du Nord se regroupent en Allemagne avant d’entreprendre la traversée vers la péninsule ibérique. Dès la création du lac, elles ont trouvé des conditions d’escales idéales et sont chaque année de plus en plus nombreuses à se poser et même à demeurer pendant les hivers doux », explique M. Deschatres.

Selon les estimations de la LPO, entre 80.000 et 100.000 de ces échassiers, soit près d’un quart de la population européenne, ont été dénombrés aux abords du lac fin octobre et environ 60.000 séjournaient encore sur le Der la première semaine de novembre, attendant des conditions météorologiques favorables à la poursuite de leur voyage.

Un long vol plané synchronisé

« Celles qui décident de partir exploitent les ascendances pour gagner de l’altitude avant de prendre un cap sud-ouest profitant si possible d’un vent de dos pour augmenter leur vitesse », explique l’ornithologue.

« Mais si la douceur persiste, entre 20.000 et 40.000 grues sont susceptibles de passer l’hiver sur place en se nourrissant de graines dans les champs alentours », précise-t-il.

Ce plus grand échassier d’Europe (2 mètres d’envergure pour 4 à 6 kilos) au plumage gris ardoise avec un cou noir, tache rouge sur la tête et queue touffue, quitte aux premières lueurs de l’aube son dortoir en « claironnant » continuellement et vole en formation serrée avec ses congénères vers les champs fraichement labourés ou les pâtures pour trouver sa pitance. A la nuit tombée, les grues repues se reposent au milieu du lac dans un long vol plané synchronisé.

Inquiets des quelques dégâts provoqués par les volatiles dans leurs champs, les agriculteurs ont négocié une enveloppe de 100.000 euros auprès de la Région Champagne-Ardenne.

« Les nuisances sont surtout dues au nombre croissant de grues qui restent pendant l’hiver, et en cas de surpopulation déraisonnable il faudrait réguler cette espèce », estime pour sa part Jean-Louis Blondel, le président de la FDSEA de Haute-Marne.

Un scénario inimaginable pour la LPO qui rappelle que la grue cendrée est un animal protégé depuis 1967 et pointe l’apport économique d’un « tourisme ornithologique » en pleine croissance.

Selon l’office du tourisme du lac du Der, en plus des 200.000 touristes recensés l’été, près de 100.000 amateurs d’oiseaux venus de toute l’Europe fréquentent le site d’octobre à mars offrant aux commerçants locaux une manne touristique à l’année.

Point de rendez vous de ces amoureux de la nature, le « Festival international de la photo animalière et de nature » de Montier-en-Der qui attire chaque près de 40.000 visiteurs chaque 3e week-end de novembre.