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Plenel, Finkielkraut, Zemmour et compagnie

La pensée humaine. L’absence de pensée humaine. Je suis en train de lire – rapidement, mais quand même – deux livres insignifiants, qui marquent chacun pourtant, à droite et à gauche, ce qui nous sert de débat intellectuel. Le premier est signé Edwy Plenel, fondateur de Mediapart (Pour les musulmans, La Découverte, 12 euros), homme de gauche s’il en est. Le second est d’Éric Zemmour, héraut de la droite bien connu (Le suicide français, Albin Michel, 22,90 euros).

Je le répète : je les lis, et ne pourrai donc en faire un commentaire complet. Mais en vérité, à quoi bon ? S’inspirant ouvertement d’un article de Zola en 1896 sur fond d’affaire Dreyfus – Pour les Juifs –,  Plenel prend une sorte de défense des musulmans en France. Il plaide pour l’ouverture des esprits et donc la compréhension, les valeurs de la République, et stigmatise les responsabilités occidentales dans l’apparition et la dissémination des idées fondamentalistes chez certains musulmans, dont le djihadisme.

Zemmour entend expliquer la déstructuration de la société française par le triomphe des idées de mai 68 dans l’esprit des élites politiques, économiques et culturelles. Avec une véritable obsession pour l’immigré arabe, qui aurait grandement aidé à dissoudre notre peuple et la grandeur de son Histoire. Il passe en revue nos quarante dernières années communes, de Marchais à Giscard, de Chirac à Bové, de Dallas au football.

Bon, allons droit au but : c’est pathétique. C’est franchouillard. C’est détestable. Quand deux supposés « penseurs » de notre monde se mettent à écrire, ils le font d’emblée dans un cadre devenu dérisoire : la France. Incapables de seulement imaginer plus vaste réflexion – où sont donc passées les visions universalistes ? -, ils ratiocinent sur leurs minuscules personnages, leurs picrocholines querelles, leurs infinitésimales perspectives. Ce n’est certes pas de gaieté de cœur que je vous écris ces mots, mais en tout cas, je les pense.

Est-ce bien étonnant ? Non. Une loi sociale d’airain conduit chaque génération – il y a quand même des exceptions – à penser le présent avec les mots du passé. Sans songer à une exhaustivité impossible, citons les révolutionnaires de 1789, obsédés par l’Antiquité (« Le monde est vide depuis les Romains ; mais leur mémoire le remplit et prophétise le nom de liberté », Saint-Just); ceux de 1917 fascinés par 1789, Thermidor, la Commune; les amis trotskistes d’Edwy Plenel confondant en 1940 la guerre contre le fascisme et l’affrontement entre impérialismes de 1914, etc. Et dans cet et cætera, je m’inclus sans façon. Ma génération politique, celle de l’après-68, a cherché dans de vieilles lunes qui ne brillaient déjà plus – Lénine, Trostki, Guevara, pire parfois – des explications générales du malheur humain.

Oui, c’est une règle. Il est beaucoup plus difficile de saisir quand c’est utile ce qui se passe réellement. Quand c’est utile, c’est-à-dire sur le moment, face aux événements courants. Certains y sont parvenus magnifiquement, comme – on y revient toujours – George Orwell à propos du stalinisme, ou encore Simon Leys au sujet du maoïsme (ici). On notera, au passage, qu’ils ont tous deux été conspués. Maintenant que le stalinisme est dépourvu de sa toute-puissance étatique, maintenant que le maoïsme n’est plus qu’un immense cimetière oublié, comme il est aisé de célébrer ces deux hommes merveilleux ! Quel bonheur de faire semblant qu’on a toujours été d’accord avec eux !

Bref. Sur ce plan-là, la situation est pire que jamais, car la pensée humaine, ou ce qui en fait office, est comme cette poule qui, cherchant à picorer un grain, se heurte sempiternellement au grillage, et n’y parvient pas. Il lui suffirait de faire quelques pa(tte)s sur le côté pour atteindre l’autre bord, et becqueter le maïs, mais elle ne le fait pas. Plenel et Zemmour – Finkielkraut, intéressant personnage, de même – ne le font pas, ni le feront à vue humaine. Leur affaire, c’est leurs petites affaires. Ce qu’ils ont sous le nez, rien d’autre.

Plenel est un cas qui force l’attention. Il est un « ami » de longue date de François Hollande, avec qui il a publié en 2006 un livre d’entretien (Devoirs de vérité, Stock). On ne peut donc pas dire qu’il aura été pris par surprise. Hollande n’a jamais caché son jeu, il a toujours, et en tout cas depuis quinze ans, affirmé et assumé ce que les commentateurs pressés nomment le « social-libéralisme ». Et il se vante d’être l’héritier – Mélenchon aussi, au fait – de Mitterrand. Mais pourquoi diable Plenel ne nous a-t-il pas alerté dès 1981, dès 1983, dès 1984, quand le vieux filou de l’Élysée lançait avec ses petits jeunes sur mesure – Dray et Désir – SOS Racisme ? Franchement, le drame actuel des relations entre Français blancs et Arabes (éventuellement français) ne trouve-t-il pas une partie de son origine dans la faillite historique des socialistes ? Il était concevable en 1981 d’accorder enfin le droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Et de lancer un immense plan, sur une ou deux générations, pour faire des banlieues des zones vivables, et au passage, de droit. Mais on aura préféré la politicaillerie coutumière de Mitterrand, Touche pas à mon pote et l’instrumentalisation de Le Pen dès 1983.

Il eût été bon, il eût été glorieux de mener bataille quand c’était essentiel. Au lieu de quoi, Plenel aura préféré concentrer le tir sur sa personne, en dénonçant les écoutes illégales dont il a été la victime et quantité d’autres affaires périphériques, comme celle des Irlandais de Vincennes. Périphériques ne veut pas dire dépourvues de sens. Je veux simplement dire que l’important était bel et bien ailleurs. Ne croyez pas que je déteste Plenel, que j’ai un peu connu. Même pas. Je défends ainsi le travail de Mediapart, qui lui doit tant. Il a ses mérites, qui dépassent de loin, pour moi, les critiques qu’on peut lui faire légitimement. Seulement, non, NON. Ce n’est pas en écrivant quelques dizaines de pages pour rappeler les grands – et bons – principes de la République qu’on peut se mettre à l’abri du ridicule.

Le cas Zemmour est autre. C’est le journaliste politique dans toute la splendeur de sa vision rétrécie. Son livre – j’en suis à la page 131 – est une sorte de catalogue, de zapping des événements les plus courants des années comprises entre 1970 et aujourd’hui. On dirait presque une revue de presse. La méthode est bien connue : on entend démontrer une thèse, et l’on réorganise le fatras, puisant dans quelques millions d’informations possibles, de manière à prouver l’intuition de départ. Je ne crois pas me tromper beaucoup en prévoyant que tout se barre en couilles à cause des féministes, des antiracistes et des droits-de-l’hommistes. Et je n’insiste pas sur ce que j’ai entrevu à la télé – via mon ordinateur -, où Zemmour paraît souhaiter une réhabilitation de l’infâme régime de Vichy.

Le pitoyable – je tiens hélas à ce qualificatif – est que Zemmour s’est inventé un monde de pacotille où les idées se baladent toutes seules, dans une complète liberté, sans jamais être soumises à ces champs magnétiques surpuissants que sont le capital et l’existence de féodalités transnationales, les pouvoirs économique et technique, l’organisation de la décision, l’ossature administrative, le rapport de forces social. En somme, Zemmour ne parle que de cette infime fraction de la réalité qu’il pense connaître : la superstructure politique et ses habitants, lesquels ne conduisent à peu près rien. Et roulez jeunesse ! Et ouvrez les talk show, les antennes radio et les colonnes des plus grands journaux.

Ni Zemmour bien sûr, ni Plenel, ni Finkielkraut – à qui il arrive de dire des choses intéressantes – ne s’interrogent une seconde sur l’événement le plus fracassant de leur temps, qui n’est autre que l’approche de frontières indépassables par l’aventure humaine. Misère ! Ils ont la chance insigne – ne sont-ils pas des « intellectuels », reconnus en tout cas ainsi par leur époque ? – de vivre au milieu de tsunamis d’ampleur géologique, et eux se penchent sur un confetti, dont ils commentent l’usure, l’abrasion, les possibilités d’une très hypothétique reconstitution. Le climat crée les conditions d’un chaos mondial, la moitié des animaux sauvages a disparu entre 1970 et aujourd’hui, nous sommes plongés dans la sixième crise d’extinction massive des espèces, les océans s’acidifient et leurs extraordinaires créatures meurent, les sols s’épuisent, l’eau en arrive à manquer dans des zones explosives au plan social et politique, le nucléaire rend envisageable la disparition de toute société organisée, mais l’urgence est donc de blablater encore un peu.

Ce ne serait que risible si les conséquences ne n’annonçaient aussi graves. Car bien sûr, le temps ainsi perdu ne sera pas rattrapé. Pour que des idées nouvelles finissent par s’imposer et forment cette cohérence que l’on appelle à tout bout de champ un paradigme, il faut du temps. Qui se compte en générations. La pensée écologique, même si elle a eu des pionniers méconnus, n’a émergé qu’il y a une quarantaine d’années. Ni Plenel ni Zemmour ne l’ont seulement aperçue. S’ils étaient ce qu’ils pensent être, ils auraient évidemment cherché à comprendre la nature de tels bouleversements. Ils auraient lu. Ils auraient discuté. Ils auraient au moins entrouvert quelques portes. Un Zemmour aurait compris que 68, qui a produit bien des conneries, et tant servi, par la promotion de l’individualisme fou, la cause de l’industrialisation de la vie sur Terre, a également fait émerger des idées franchement nouvelles. Porteuses, oui, d’un avenir qui reste possible, et en tout cas souhaitable. Mais non : encore et toujours cette névrose obsessionnelle des acteurs de seconde zone que furent Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy.

Ce temps ne sera pas rattrapé. Quand viendront les vraies épreuves, le peuple français n’aura JAMAIS été préparé à les comprendre, et partant, à les dominer. Et il se vautrera donc fatalement dans des réponse magiques, fantasmagoriques, à une crise qui semblera le déposséder de tout. Le responsable sera donc, d’évidence, l’Étranger, qu’il soit Arabe ou tout autre. Qui écrira jamais qu’aucune barrière ne nous mettra à l’abri, dans un monde où coexistent, dans une vaste marmite du diable, richesses démentes, jeunesses immenses, frustrations sans limites ? Qui le dira ? Plenel et Zemmour sont les deux faces d’une même tragicomédie. Amoureux transis, et définitifs, d’idéologies qu’ils attribuent perpétuellement à d’autres qu’eux-mêmes, ils retomberont toujours sur leurs pattes. Telle est du reste l’une des meilleures définitions du mot idéologie : l’art de retomber sur ses pattes.

Un dernier mot :  j’ai lu il y a quelques semaines un livre paru il y a bien quinze ans (La fin tragique des dinosaures, Walter Alvarez, Pluriel). L’auteur y raconte la façon dont lui et quelques autres ont fait émerger l’explication la plus convaincante de la disparition des dinosaures, voici 65 millions d’années. Une comète – ou une météorite – aurait provoqué une explosion comparable à 100 millions de bombes à hydrogène, manquant de faire disparaître toute forme de vie. Ce qui est passionnant, c’est le chemin – scientifique – de la vérité, qui doit vaincre quantité de périls, principalement venus d’adversaires – tout aussi scientifiques qu’Alvarez – de la théorie de la météorite. On y voit combien il est dur d’avancer. Encore n’est-ce à peu près rien, car en ce qui concerne les dinosaures, les oppositions ne se rencontraient que dans de tout petits cénacles. Or la nécessité où nous sommes de refonder le projet humain se heurte de plein fouet aux vaines croyances d’une très forte majorité des contemporains. De ce point de vue, Plenel et Zemmour ne sont jamais que l’infime symptôme d’une maladie de l’esprit quasiment universelle.

La morale ? Ceux qui cherchent de vraies voies de sortie sont seuls. Et comme il n’est pas question de reculer, il faut encore et toujours avancer. En se serrant, amis de Planète sans visa, d’aussi près qu’il est possible. Comme le font les manchots empereurs pour lutter contre le froid antarctique. Car il fait froid, car le débat n’est pas loin d’être gelé. Conservons donc notre énergie, car nous en aurons besoin.

Aimer l’entreprise, adorer la Shell

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 10 septembre 2014

Les patrons de la Shell sont de grandioses criminels. Après avoir pourri pour l’éternité le delta du Niger, ils s’apprêtent à rembarquer. Prochaine destination : l’Alaska, qui a bien besoin d’une nouvelle marée noire.

Ainsi qu’on sait, ad nauseam, le brave garçon Valls aime l’entreprise. Donc la Shell, joyau anglo-néerlandais et sœur jumelle de notre magnifique Total. Total, pour les oublieux, c’est – historiquement – Elf Aquitaine, la Françafrique, les valoches pleines de biftons, les biens mal acquis, les satrapes comme Sassou-Nguesso ou Bongo, les disparus, les torturés, les démantibulés.

Et la Shell ? Avant de donner des nouvelles récentes du monstre, jetons ensemble un coup d’œil sur le passé. La Shell s’est emparée du delta du Niger (Nigeria) dès les années Cinquante du siècle passé, grâce à la découverte d’un premier gisement de pétrole à Oloibiri, en 1956. Le reste est une épouvante pure, qui a tué la région, jadis un paradis pour les pêcheurs et les paysans, grâce à l’eau et ses innombrables bras, grâce à des terres constamment fertilisées par les alluvions.

Un livre ne suffirait pas à seulement dresser une liste des saloperies de la Shell sur place. L’idée de crimes contre l’humanité s’impose d’elle-même. En août 2011, le Programme des nations unies pour l’environnement (Pnue) publie un rapport qu’il estime lui-même sans précédent (Environmental Assessment  of Ogoniland). En résumé, le delta est foutu. Le pétrole sature les sols agricoles, le poisson a disparu, l’air est pollué comme dans aucune autre ville industrielle. Notamment à cause de fuites dans des oléoducs que personne ne songe à réparer, et des immenses torchères qui crament le gaz – dont la Shell se fout – à mesure qu’il s’échappe des gisements pétroliers.

Au total, il faudrait un plan de restauration écologique étendu sur une génération, doté pour commencer d’un fonds d’1 milliard de dollars. En somme, comme le dit explicitement le texte, il s’agirait de la plus vaste opération de dépollution jamais réalisée dans le monde. Le conditionnel est évidemment un impératif, car rien n’a été seulement commencé. La Shell, bien conseillée par ses communicants, avait pourtant déclaré, aussitôt lu le texte du Pnue qui la mettait directement en cause : « Ce rapport apporte une contribution de grande valeur en vue d’améliorer la compréhension du problème des fuites de pétrole dans l’Ogoniland ».

Nous voilà à la fin de l’été 2014, et Amnesty International, associé aux Amis de la Terre, vient de publier un bilan des trois années perdues (http://www.foeeurope.org/shell-no-progress-polluted-niger-delta-040814). Commentaire de Godwin Ojo, des Amis de la Terre/Nigeria : « Le gouvernement et Shell se sont contentés de mettre en place des opérations qui ressemblent à des mesures réelles mais ne sont en réalité que des faux-semblants. Cette absence de véritables mesures face aux preuves scientifiques irréfutables est scandaleuse ».

Charlie s’autorise une précision sur le ton finalement prudent d’Ojo : le Nigeria est un pays qui tue ceux qui emmerdent le pouvoir en place. Militaires et civils remplissent depuis cinquante ans des comptes numérotés avec le fric du pétrole et ne plaisantent pas avec leurs sous. Rappelons pour mémoire la pendaison de l’écrivain Ken Saro-Wiwa, en 1995, qui présidait le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni. Ce pauvre couillon avait eu la très mauvaise idée de dénoncer les activités de la Shell dans le delta.

Après un demi-siècle de dévastation, il est visiblement temps, pour la transnationale pétrolière, d’aller forer ailleurs. On apprenait le 27 août, à la lecture du Figaro, ce grand ami de l’entreprise, que la Shell est en train de fourguer ses gisements pétroliers du Nigeria. On trouvera bien d’autres salauds pour continuer le boulot. Shell a de toutes nouvelles ambitions, à commencer par l’Alaska, un pays où les glaciers et les grizzlis font encore absurdement la loi.

Le groupe vient de déposer une demande de permis d’exploration en mer des Tchouktches, face à l’Alaska, en bordure de l’océan Arctique. Les forages devraient suivre en 2015, pas bien loin du lieu d’échouage du pétrolier Exxon Valdez, en 1989, qui avait massacré 1300 kilomètres de côtes sauvages. Or la Shell est une pro des marées noires, qui en a craché deux dans le delta du Niger, en 2008 et 2009. Valls a bien raison : y a de quoi aimer follement l’entreprise.

EELV, ce parti vert qui ne sert à rien

L’illusion, en politique, semble increvable. Probablement parce qu’elle l’est. Ce jour commencent à Bordeaux les journées d’été d’Europe Écologie Les Verts (EELV). Je n’ai ni le courage ni le temps de vous parler de cette triste histoire de trente ans. Le parti Les Verts a en effet été fondé en 1984, par des gens dont certains étaient d’une radicale étrangeté, comme le défunt Guy Cambot, qui joua un rôle essentiel pendant près de quinze ans. Qui se souvient de Cambot pourtant, et de ses belles affaires africaines dans les années 60 du siècle écoulé, et de son indifférence totale pour l’écologie ?

Comme nul n’a tiré le moindre bilan des conditions passées, et ainsi que l’écrivit le philosophe espagnol (devenu américain) George Santayana, « Those who cannot remember the past are condemned to repeat it ». Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre. Permettez trois mots, qui seront emportés par le vent dès demain.

Cécile Duflot dans son livre à paraître : « J’ai fait le même chemin que des millions de Français. J’ai voté Hollande, cru en lui et été déçue… J’ai essayé de l’aider à tenir ses promesses, de l’inciter à changer la vie des gens, de le pousser à mener une vraie politique de gauche. Et j’ai échoué. Alors je suis partie ». Tout est faux, c’est-à-dire pure tactique. Il serait tout de même intéressant de savoir ce que Hollande a pu dire pour qu’elle le croie aussi imp(r)udemment. On le saura dans une autre vie. Notons l’aveu involontaire : elle aurait tout tenté pour qu’il lance une politique « de gauche ». Pas écologiste, donc, mais « de gauche ». Ma foi, c’est assez clair.

Jean-Vincent Placé, compère de la précédente. Les deux, dont le destin est lié en profondeur, se sont partagé le boulot. À lui, les appels au centre, c’est-à-dire, pour employer le langage convenu, la droite. De manière à contrôler au mieux les ardeurs ministérielles des députés Pompili et de Rugy – entre autres – qui ragent de ne pas avoir pu profiter des bienfaits d’une entrée au gouvernement. À elle, le mollettisme écolo, de façon à surfer sur le mécontentement des rares troupes militantes qui n’ont pas encore déserté la salle. Selon Le Point, Placé serait un grand cachottier (ici). Il aurait « oublié » de déclarer à la Haute Autorité de transparence de la vie publique l’existence d’une société commerciale lui appartenant. Le pompon à qui dressera la liste de toutes les casseroles déjà attachées à l’excellent écologiste qui se fout si complètement de l’écologie, dont il ne sait rien.

Yves Cochet, le seul que je connaisse un peu, s’est spécialisé depuis peu dans les grands prêches apocalyptiques. Notamment au sujet du pétrole. La logique voudrait qu’il combatte sur ce terrain décisif, mais ce serait méconnaître l’immense talent transformiste de l’ancien ministre. Dans un entretien donné au JDD, il déclare sans se poser aucune question personnelle (ici): « Nous avons récupéré le pire de la politique – le calcul, les carrières, les divisions, le manque de fond – mais nous n’avons pas de recul historique dû à l’histoire ». Et rien, bien sûr. Pas de mise en cause de qui que ce soit, sauf pour se plaindre du passé. À l’en croire, il n’aurait pu être candidat à la présidentielle en raison de votes truqués qui auraient profité à Voynet (en 2007). Ce n’est pas grave, c’est directement insupportable. Mais quelle conclusion en tire notre si grand mémorialiste ? Celle-ci : « Nous étions très amis avec Voynet pendant une vingtaine d’années et depuis nous nous sommes éloignés ». Voynet truande et conchie ainsi le vote démocratique, censé être la pierre angulaire de l’engagement EELV, mais on s’éloigne gentiment, sans faire le moindre bruit. Oh ! comme ce rebelle est charmant. Par ailleurs, il déplore qu’aucun écolo de sa petite entreprise n’ait l’envergure pour devenir président de la République. On voit la hauteur de vue ! La planète, selon ses propres dires  – auxquels il ne croit pas – s’enfonce dans une crise totale, mai, crotte, personne de chez lui ne pourrait être à l’Élysée.

Emmanuelle Cosse enfin, « patronne » du parti et surtout propriétaire en titre de deux muselières – Duflot et Placé. Elle est entrée dans le mouvement en 2009, et sur décision en coulisses des deux maîtres précités, elle fait de la figuration. Ni trop, ni trop peu. Dans un entretien à Libération ce matin, elle félicite Royal, qui vient de s’attaquer comme on devrait tous savoir aux loups, aux ours, aux vautours, et lance, apparemment fière d’elle-même : « Il suffit de regarder les indicateurs. Depuis deux ans, le choix d’apporter des liquidités aux entreprises ne produit pas son effet. En revanche, les effets pervers de cette politique arrivent : récession et difficulté à maintenir l’emploi. Manuel Valls essaie de tuer un débat qu’il ne peut pas tuer ». Le reste n’est que blabla.

Nous en sommes là, à ce point zéro, et il est bien inutile de se lamenter. L’heure est au combat, mais il est très dangereux d’avancer sous le feu sans avoir une claire vision du champ de bataille. EELV est un parti absolument sans intérêt pour qui cherche de vraies solutions.

Le Loup, cet Arabe des montagnes

Cet article a été publié le 30 juillet 2014, sous un autre titre, par Charlie Hebdo

Ségolène Royal a décidé de tout flinguer. Les loups, les ours, en attendant les flamants roses demain. En faisant cadeau sur cadeau aux chasseurs et à la FNSEA, elle met à bas quarante ans de bagarres pour la beauté.

Ségolène Royal déconne à plein tube, sous les applaudissements des chasseurs et des beaufs. Rappelons, car ce serait facile à oublier, qu’elle est ministre de l’Écologie. Le 7 juillet, à l’Assemblée, elle déclare sans trembloter à propos des loups : « le nombre d’individus recensés dépasse désormais celui qui avait été fixé ». Revenus naturellement par l’Italie il y a vingt-cinq ans – après complète extermination -, ils seraient 300, contre 3000 en Espagne. Le Loup, ce Rom.

Encouragé par la bonne dame, le parc national des Écrins organise le 10 juillet une battue en son cœur, en théorie zone de protection maximale pour les animaux. L’objectif est de virer un loup qui s’y serait réfugié, de manière que des clampins à fusil le butent à la sortie du parc. On admire l’élégance : pas de tir dans un parc national, puisqu’on y protège, mais à la porte d’entrée, oui. Le Loup, cet Arabe.

Le 19 juillet, Royal est dans les Pyrénées et annonce qu’il n’y aura pas de réintroduction d’ours dans les zones de pastoralisme, c’est-à-dire partout. L’ours, le légendaire Moussu – le Monsieur – des montagnes pyrénéennes peut aller se faire foutre. Après avoir régné pendant des dizaines de millénaires, il n’a cessé de décliner, surtout au siècle dernier, pour cause de poison et de flingot. Il y en avait une centaine avant-guerre, 70 en 1954, 30, puis une poignée, puis un seul, mâtiné de gênes slovènes.

Slovène ? Pendant que disparaissaient les autochtones un  à un, des fêlés réussissaient in extremis à obtenir une réintroduction d’ours venus de Slovénie, à partir de 1996. Au total, ils seraient aujourd’hui 24 dans le massif, quand toutes les études scientifiques clament qu’il y a de la place pour au moins 250 animaux. Mais Royal n’en a évidemment rien à secouer : en abattant d’un coup 30 ans d’efforts associatifs en faveur des ours, elle est devenue la chouchoute des archi-beaufs locaux, qui ne parlent jamais que d’ours « importés » de Slovénie, Ce pays barbare, 30 fois plus petit que la France, abrite la bagatelle de 400 ours.

Mais ce n’est pas tout. Ce même 19 juillet, Royal lâche un mot sur les vautours : « On regarde ce qu’on peut faire ». Avec cette précision loufoque : « Il y a eu des attaques, non contre des animaux vivants, mais fatigués ». Cette sublime sottise donne raison aux grands délirants – les mêmes dégueulent sur les ours « étrangers » – qui prétendent que les vautours, stricts nécrophages depuis l’Éternité, attaquent depuis peu des animaux vivants, comme des vaches en train de vêler.

Ailleurs, pareil. En baie de Somme, les pauvres pêcheurs réclament la peau des phoques, accusés de se servir en poissons dans leurs filets. Les blaireaux, chargés de tous les vices et de toutes les maladies, font l’objet un peu partout de plans d’éradication, par exemple à l’aide de chloropicrine, un gaz de combat. Dans le massif du Bargy (Haute-Savoie), des centaines de bouquetins ont été abattus sous un grossier prétexte sanitaire, provoquant une pétition de près de 50 000 personnes (1).
Même les riziculteurs de Camargue entrent dans la danse. Certains de ces charmants garçons ont été épinglés pour un usage massif de pesticides interdits, et les étangs de la région sont tous gravement pollués, mais les voilà qui réclament des mesures contre les flamants roses, qui boulotteraient leurs saines récoltes. Alain Grossi, chef riziculteur (La Provence du 27 juin) : « Il y a une distorsion de traitement criante entre le loup et le flamant, entre les éleveurs et les producteurs ». Les gros durs de là-bas réclament des tirs contre les flamants, comme font les pisciculteurs avec les cormorans.

La morale est simple : un cycle historique s’achève. En 1971, la droite pompidolienne créait le ministère de l’Environnement. En 1976, la droite giscardienne faisait voter la « Loi n° 76-629 relative à la protection de la nature », qui avait fait absurdement lever des espoirs. La gauche de 2014 offre aux plus cons ce que la Nature a fait de plus beau. C’est le progrès.

(1) http://sauvonslesbouquetins.over-blog.com/tag/bouquetins%20du%20bargy

Les dégueulis de la guerre sont éternels

Publié par Charlie Hebdo le 18 juin 2014

Des millions d’obus et de bombes sont planqués dans le paysage français. Saurez-vous les retrouver sans vous faire sauter le caisson ? On retrouve chaque jour ou presque des explosifs venant des guerres de 1870, 14-18, 39-45. Vivement la prochaine !

Coucou, la guerre. On fête cette année deux splendides anniversaires. Un, les cent ans des débuts de 14-18, cette grande bagarre virile. Et deux, les 70 ans du grand Débarquement sur les côtes normandes, qui a permis le 6 juin dernier une belote entre Hollande, Merkel, Obama et Poutine.

C’est bien joli, mais qu’est-ce qu’on fait de celle de 1870 ? Ne surtout pas croire qu’elle a disparu, car ce serait une abominable offense à la mémoire. Le 23 mars 2012, des démineurs repêchent dans la Seine, non loin de notre bonne vieille Samaritaine, un obus rempli de poudre noir, en pleine forme, sous 6 mètres de vase. Un coup des Uhlans de Bismarck ? Voui. Des engins de la guerre de 70, on en trouve encore chaque mois, parfois chaque semaine, et beaucoup sont capables d’arracher une jambe ou de niquer un bras.

L’association Robin des Bois (http://www.robindesbois.org) vient de publier un inventaire – après déjà bien d’autres – des déchets de guerre retrouvés dans six régions de la façade Manche-Atlantique. Mes aïeux, on croirait pas. En seulement six ans, de 2008 à 2013 inclus, 95 000 personnes ont été évacuées de chez elles pour cause de munitions dangereuses. En tout, on a retrouvé 14 000 de ces dernières, qui ont réussi à buter un type et à blesser quatre couillons.

Est-ce bien étonnant ? 600 000 tonnes de bombes ont été larguées sur 1700 communes françaises entre 1940 et 1945, et une partie de ces petites chéries restent bloquées dans les fondations d’immeubles, sous des autoroutes, dans des marais, au milieu des champs, et bien sûr au bord des plages. Une équipe de géologues américains a analysé des échantillons de sable collectés en 1998, à Omaha Beach, en Normandie, et y a retrouvé de minuscules éclats métalliques de 0,06 à 1 mm de diamètre, indiscernables à l’œil.

Encore faut-il compter avec les décharges sous-marines de bombes et obus, dont certains sont chimiques. Selon Robin des Bois, il y aurait entre Normandie et Aquitaine 62 dépôts sous l’eau, où nos belles armées ont englouti tout ce qui les gênait à terre. Exemple entre mille : que sont devenus les gigantesques stocks nazis abandonnés à Lorient, Saint-Nazaire, Brest, Cherbourg ?

Il va de soi que l’eau érode et finit par tout éventrer. Qui contrôle ? Personne. Les mines explosent au hasard des courants, le mercure, le plomb, l’antimoine, l’arsenic et une infinité de poisons se répandent doucement sans que personne ne s’en rende compte. Sauf les poissons, le plancton, les mammifères marins.

La guerre précédente, celle des Poilus, a laissé le Nord et l’Est de la France sous un océan de métal. On pense que dans ces régions, un milliard d’obus ont été tirés entre 1914 et 1918, ce qui correspondrait à environ 15 millions de tonnes. Un quart des engins, dont 6 % contenaient des gaz de combat, n’ont pas explosé. Où sont-ils ? Comme les autres, dans les prés et les champs, dans les forêts, dans les villages, dans les villes. Les sols et sous-sols, les lacs et rivières, les canaux, sont pollués. Au total, entre 500 et 800 tonnes de munitions anciennes, toutes guerres confondues, sont retrouvées chaque année en France. Une seule certitude : trinitrotoluène – TNT -, nitrobenzène, nitrophénol, nitro-anisol et nitronaphtalène, qui sont les principaux composés des munitions conventionnelles des deux guerres mondiales, forment en se dégradant des sous-produits très toxiques. Qui ont nécessairement gagné pour partie l’eau dite potable.

Que fait la France éternelle, celle de Dunkerque à Tamanrasset ? Rien. Aucune enquête publique n’a été menée, ce qui semble le plus prudent compte tenu de l’énormité des enjeux. Robin des Bois se plaint depuis des années de l’absence d’une filière d’élimination « propre » des explosifs découverts, qui finissent le plus souvent explosés dans des carrières ou des terrains militaires, provoquant inévitablement des pollutions. On attend depuis des lustres la création d’un centre spécialisé dans l’élimination des munitions chimiques, à Mailly-le-Camp, dans l’Aube. Et l’on attendra encore longtemps, car on prépare surtout la prochaine, la plus belle, la der des ders.