Archives de catégorie : Morale

Dans les migrations, tout est bon

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 11 juin 2014

Il y aurait 232 millions de migrants dans le monde, et leur nombre explose. Mais l’Organisation mondiale du travail, un machin de l’ONU où siègent de curieux syndicalistes, juge l’exil forcé excellent « pour la croissance et le développement ». Demain, des esclaves au coin de la rue ?

« Nous sommes tous d’accord que les migrations peuvent contribuer dans une très large mesure à la croissance et au développement ». Qui a dit cette sombre connerie ? Un syndicaliste, Dieu du ciel éternel. Le Britannique Guy Rider a fait carrière dans les trade-unions d’outre-Manche avant de devenir directeur du bastringue mondial appelé Organisation mondiale du travail, ou OIT. Créée en 1919, devenue agence de l’ONU en 1946, l’OIT réunit 185 États membres, des patrons, et de grands syndicalistes mais oui. Bernard Thibault, l’ancien ponte de la CGT, vient d’entrer à son conseil d’administration, très prisé. Officiellement, il s’agit du bien à ces pauvres prolos. Officiellement.

En réalité, la 103e conférence internationale de l’OIT, qui vient de se terminer, a permis à ce Ryder de sortir ce qu’un négrier n’oserait jamais dire à propos des « migrations internationales » (1). La thèse de Ryder, énoncée dans son discours d’ouverture, est limpide : c’est génial. 232 millions d’humains – le nombre est de lui – vivent loin de chez eux en 2013, mais c’est génial. Des millions de peigne-culs se font dépouiller, tabasser, surexploiter, emprisonner, mais c’est génial.

Attention, ne pas prendre Ryder pour plus salaud qu’il n’est : notre syndicaliste de combat note au passage que le discours raciste et les mauvaises conditions de travail – notamment – sont une bien mauvaise action. L’OIT va s’en occuper, exactement comme elle le fait depuis bientôt 100 ans. Lentement. D’ailleurs, le rapport qui accompagne le discours du chef précise : « Selon une estimation, une augmentation de 3 % du nombre de travailleurs migrants des pays en développement vers les pays à revenu élevé se traduirait en 2025 par des gains de 356 milliards de dollars [262 milliards d’euros] pour l’économie mondiale, soit une progression de 0,6 % du revenu mondial ».

C’est dit : l’envoi de jeunes mecs et de jeunes nanas pour vider le pot de chambre de nos mémés ou embarquer nos sacs d’ordures est une excellente nouvelle pour la crapule du Nord abonnée à Canal Plus et à Bouygues Telecom. Du reste, l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques -, un grand machin ultralibéral, est d’accord avec l’OIT. Dans une étude parue ces derniers jours (Migration Policy Debates, mai 2014), elle note après beaucoup d’autres que « dans la plupart des pays, les immigrés contribuent bien plus par l’impôt et les contributions sociales qu’ils ne reçoivent d’avantages ».

Ce n’est pas seulement répugnant, c’est aussi instructif. Voilà comment les patrons et les syndicalistes qui leur ressemblent voient l’avenir. De plus en plus de pauvres quitteraient leur masure pour aller vers le bonheur d’un monde plein de wifi et de téléviseurs à écran plasma. Ne surtout pas leur parler, en plus, de la crise écologique. Un rapport publié en 2007 (2) chiffrait déjà à 163 millions le nombre de pégreleux chassés de chez eux par les changements climatiques, les beaux projets de « développement » comme les barrages, les mines, les biocarburants, ou encore les guerres. Demain 500 millions, demain un milliard ?

Deux ans avant, en 2005, un autre truc de l’ONU – l’Institut pour la sécurité environnementale et humaine – assurait : « Il y a des craintes bien fondées selon lesquelles les populations fuyant des conditions environnementales invivables pourraient croître de façon exponentielle au cours des prochaines années, alors que la planète subit des effets du changement climatique et d’autres phénomènes comme la désertification ».

Question à la con : que deviendront le Bangladesh et ses 150 millions d’habitants en cas de submersion ? Pour cause de dérèglement climatique, la mer monte partout et ce pays plat comme la main risque à terme l’engloutissement. Où iront les pedzouilles ? Madame Royal – authentique – prépare pour 2015 un statut de « déplacé environnemental ». L’OIT n’est donc pas seule dans son grand combat.

(1)    http://www.ilo.org/ilc/ILCSessions/103/reports/reports-to-the-conference/WCMS_243544/lang–fr/index.htm (en français)

(2)    en anglais seulement : http://www.christianaid.org.uk/images/human-tide.pdf

Total éventre la Patagonie argentine

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 28 mai 2014

Notre transnationale du pétrole bousille une réserve naturelle à la recherche de gaz de schiste, fracturation hydraulique en prime. Pendant que Margerie fait ici des risettes télévisées, ses engins s’en prennent là bas aux Indiens et aux pumas.

Avant de dire tout le mal nécessaire de Christophe de Margerie et de Total, sa pauvre chose, deux mots sur le génial Guillermo Enrique Hudson, appelé en anglais William Henry Hudson. Né en 1841, Hudson a décrit la pampa d’Argentine, jusqu’à la Patagonie, comme aucun autre (1). Avis autorisé de Joseph Conrad : « Il écrit comme l’herbe pousse ».

La Patagonie reste un lieu à part. Une immensité de steppes, de pampas, de montagnes, de glaciers, d’archipels. Une beauté insupportable pour la transnationale conjuration du gaz de schiste. Car voilà où nous en sommes : tandis que l’entreprise Total joue ici le fabliau du « développement durable » et de la « responsabilité environnementale », elle est en train de dévaster là-bas la Patagonie argentine.

Voyons l’insupportable détail. Total est présent en Argentine depuis 1978, au travers de sa filiale Total Austral S.A, et produisait entre 2009 et  2012 30 % du gaz argentin. Mais il s’agissait encore de gaz conventionnel alors que les réserves estimées de gaz de schiste désignent le pays comme un des principaux producteurs mondiaux de demain, juste derrière les États-Unis et la Chine.

On se souvient sans doute qu’une loi votée en quelques semaines, à l’été 2011, interdit en France l’usage de la fracturation hydraulique, qui oblige à injecter dans le sous-sol de grosses quantités d’eau sous pression, surchargée de dizaines, voire de centaines de produits chimiques toxiques. Sans ce cocktail de la mort, pas de « fracking », pas d’explosion de la roche, pas de libération du gaz.

Total a mis la main sur une zone longtemps oubliée de tous, dans la province de Neuquén, au nord-ouest de la Patagonie, tout contre la cordillère des Andes. Les Indiens y ont été gaiement massacrés au cours de la « Conquête du désert » de 1879, et il ne reste sur place que des Mapuche, dont tout le monde se contrefout.

Parmi les concessions accordées à Total, une attire fatalement l’œil, car elle est située dans une réserve naturelle en théorie protégée, Auca Mahuida. Un premier puits, Pampa las Yeguas X1, a déjà été percé. La zone est pourtant un territoire mapuche très riche en mammifères sauvages, au point que des biologistes la considèrent représentative de la « steppe patagonienne ». On y on trouve des guanacos – sortes de lamas -, des pumas, des maras – des rongeurs -, des grands tatous velus, des furets de Patagonie, et même des condors. Mais que comptent ces crétins en face des grandioses perspectives d’extraction ?

Tout autour de la réserve, 11 permis ont été accordés à Total, et le bal tragique des foreuses et des camions a déjà commencé autour de certains puits. Exemplaire, l’association Les Amis de la Terre vient de pondre un rapport très documenté (http://www.amisdelaterre.org/rapportargentine.html) qui ne laisse place à aucun doute sur le scrupuleux respect, par Total, de ses hautes valeurs morales. Carolina Garcia, ingénieure et militante locale, y raconte par ailleurs : « Le puits Pampa las Yeguas et les infrastructures qui y sont liées menacent [une] réserve de biodiversité, notamment des espèces telles que le nandou choique [ressemblant à une autruche], le condor, le guanaco ou le chat andin… Au-delà de cette aire, nous sommes mobilisés avec de nombreux habitants et communautés de la province, mais l’unique réponse des autorités est la répression et le déploiement d’une campagne de propagande pour soutenir l’industrie pétrolière  ».

Comme il se doit, Total jure que tout est en règle, et que toutes les autorisations ont été données. Qui ignore encore les paroles de cette chanson du business ? Margerie, le patron à moustache, est au mieux chez nous avec Hollande, qu’il rencontre quand il veut grâce à son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire général de l’Élysée. Interdite chez nous à cause des désastres écologiques qu’elle provoque, la fracturation hydraulique est employée en Argentine contre les Mapuche, les condors, les pumas. Total, entreprise citoyenne.

(1) Voir par exemple Un flâneur en Patagonie et Sous le vent de la pampa (Petite bibliothèque Payot)

Le Venezuela se vend au gaz de schiste et à Halliburton

Allez ! Je ne doute pas une seconde que M.Mélenchon nous expliquera combien il est utile et nécessaire de combattre les gaz de schiste en France au moment où ses amis vénézuéliens se lancent dans l’aventure. Il n’empêche que cela m’écœure encore un peu plus. Vous verrez plus bas que le Venezuela de l’ancien caudillo Chávez traite avec la société américaine Halliburton, qui est vraiment la lie des transnationales. Je n’entre pas dans les détails : après avoir été dirigée entre 1995 et 2000 par Dick Cheney, qui deviendrait le vice-président américain de W.Bush, Halliburton s’est fait des couilles en or en Irak après l’invasion de 2003.

Je sais. Je sais que le mot couilles est vulgaire. Mais je sais aussi qu’il s’impose pour parler de le fortune accumulée par ces excellentes personnes d’Halliburton. Pour le reste, je dois préciser que je ne suis plus écœuré : j’ai franchement envie de dégueuler.

PS : Amis, vrais amis du vrai peuple vénézuélien et de tous ses êtres vivants, combien de pots de vin ? Combien de fric étasunien discrètement exfiltré vers les banques amies des corrompus ?

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Un article paru dans Le Monde

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Le Venezuela se lance dans l’extraction et l’exploitation du gaz de schiste

Le Monde.fr avec AFP | • Mis à jour le

 Le Venezuela se lance à son tour dans l’exploitation du gaz de schiste, en partenariat avec les compagnies brésilienne Petrobras et américaine Williams International Oil & Gas, a annoncé mercredi 21 mai le ministre du pétrole, Rafael Ramirez.

Le pays importe actuellement entre 200 et 300 millions de pieds cubes de gaz par jour de la Colombie voisine. Disposant des plus importantes réserves de pétrole prouvées au monde (environ 298 milliards de barils), le Venezuela s’affiche au huitième rang mondial sur la liste des pays disposant des plus importantes réserves de gaz, selon le ministre.

« Un premier puits sera perforé dans le champ de Concepcion », dans le lac de Maracaibo (nord-ouest), par l’entreprise mixte Petrowayu, a précisé le ministre du pétrole, qui est également président de cette compagnie pétrolière publique vénézuélienne (PDVSA). Petrowayu est détenu à 60 % par PDVSA, à 36 % par Petrobras et à 4 % par Williams. PDVSA a également signé un contrat de 2 milliards de dollars avec l’entreprise américaine de services pétroliers Schlumberger, Weatherford et Halliburton.

Alerte rouge pour les Indiens de Sarayaku

Je me fais le messager, car il y a urgence. J’ai consacré deux articles au sort des Indiens de Sarayaku, en Équateur (ici le premier, et surtout le second). L’Équateur est dirigé par Rafael Correa, grand ami de Mélenchon, qui le soutient toutes les trois phrases. Vérité en France, grand désastre en Équateur. Vous trouverez ci-dessous un appel des Indiens, qui redoutent – j’espère qu’il ne s’agit que d’une fausse alerte – une intervention des ganaches de gauche contre leur splendide territoire. Rude début de journée.

L’affichage de cette email n’est pas optimal ? Visitez ce lien.

 

Le triomphe du prix Nobel Jean-Marie Lehn

Jean-Marie Lehn. Prix Nobel de chimie 1987. Un immense scientiste qui se croit pourtant un maître de la vie. Un grand scientifique, il est vrai, doté de qualités intellectuelles indiscutables, grâce auxquelles il ne croit plus nécessaire de se soumettre aux règles communes. Ce sentiment absurde et si fort de toute-puissance est, on le sait, celui des gosses. Quand il perdure chez un Lehn, salué par toutes les gazettes et une bonne part de la société, il est avant tout terrifiant. C’est le syndrome bien connu du docteur Folamour. Mais avant de revenir à Lehn – vous comprendrez aisément pourquoi -, un mot sur la nouvelle du jour.

Deux biologistes américains, Denis A. Malyshev et Floyd Romesberg, ont créé une chimère de plus, mais différente des autres. Car il s’agit d’un organisme vivant dont le patrimoine génétique n’avait jamais existé auparavant (ici). C’est la consécration d’un nouveau terrain d’aventure (ici) appelé « biologie de synthèse ». Pour sommes-nous à ce point inertes, pour ne pas dire complices ? Pourquoi n’avons-nous pas la force élémentaire de nous révolter, quitte à tout casser ? Je vous laisse répondre.

Pour en revenir à Lehn, je vous propose de regarder avec moi ce qui s’est passé le 5 mai 2009. Ce jour-là, il participe au premier rang d’un colloque organisé conjointement par le prestigieux Collège de France, créé en 1530, et l’entreprise Solvay, transnationale belge de la chimie. Thème de la rencontre sponsorisée : « De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse ». L’enthousiasme, palpable, est général. L’intervention de Lehn, qui dure une trentaine de minutes, évite tout jargon et se révèle éclairante. Car le prix Nobel est transporté fort loin. La synthèse chimique est comparée à une partition, à un jeu d’échecs aussi raffiné qu’élégant.

Dans sa conclusion, le professeur Lehn cite pour commencer cette phrase de Leonardo da Vinci, grand peintre, grand ingénieur, grand scientifique mort il y a près de 500 ans : «…Dove la natura finisce di produrre le sue spezie, l’uomo quivi comincia con le cose naturali, con l’aiutorio di essa natura, a  creare infinite spezie… ».  Et Lehn d’enchérir sans gêne sur Leonardo : « L’homme créera de nouvelles espèces, non-vivantes et  j’en suis convaincu, vivantes ». Ainsi parlait notre prix Nobel le 5 mai de l’année 2009 : la chimie officielle ne demande qu’à créer sur Terre chimères et dragons, hydres et griffons, Gorgones et harpies, sans oublier Charybde et Scylla. La chimie doit créer – et créera si les Lehn l’emportent – des organismes vivants sortis de l’imagination des spécialistes. Ça vient de commencer.