Archives de catégorie : Morale

Des nouvelles de la vieille politique (De Rugy et Mélenchon)

Bon, je n’écris rien ces jours-ci car je cours, vole sans venger grand monde pour le moment. J’ai divers trucs sur le feu, mais il me faut me poser une poignée d’heures, et c’est impossible pour l’instant. J’en profite pour donner, à ceux qui ont suivi, des nouvelles de mes échanges, ici même, avec François de Rugy, député EELV, et Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale du Parti de Gauche de M.Mélenchon.

M. de Rugy m’a bien déçu. Après m’avoir proposé publiquement une rencontre pour parler, entre autres j’imagine, de Notre-Dame-des-Landes, le député écolo de Loire-Atlantique a oublié de répondre à mon acceptation. S’est-il déballonné ? Ce n’est pas tout à fait exclu. Mais en ce cas, pourquoi diable avoir proposé une rencontre ?

Autre sujet, au fond du même genre : Mélenchon. J’ai eu ici même, sous votre regard, un échange avec Corinne Morel Darleux,  en charge de l’écologie dans le Parti de Gauche, où elle est secrétaire nationale. Nous étions convenus de nous voir, et nous nous sommes vus ce lundi, dans un café parisien. On peut parler d’une conversation privée, et je ne peux donc pas en rendre compte ici. Tout de même, deux mots. Le plus important : je n’ai pas changé d’opinion sur Mélenchon et son Parti de Gauche. Cela n’interdit pas la courtoisie, et en l’occurrence le respect.

L’autre point est drolatique : mes nombreux articles sur Mélenchon ont convaincu Corinne Morel Darleux que j’avais un contentieux personnel avec le chef de son parti. Je redis donc qu’il n’en est absolument rien. Je ne connais ni ne veux d’ailleurs connaître cet homme politique. Dans le privé, c’est peut-être une excellente personne, mais cela, je ne le saurai jamais. En revanche, je puis juger en conscience un itinéraire politique désastreux, menant de la secte lambertiste connue sous son nom ancien d’OCI au parti socialiste – 31 ans de présence, y compris dans des fonctions ministérielles -, passant par des épisodes ignominieux, comme la prise de pouvoir, en 1990-1991, de l’association Frères des Hommes.

En bref comme en résumé : je déteste la figure publique de Mélenchon, mais cela n’a rien de personnel. J’ai écrit ici des textes aussi agréables sur d’autres responsables politiques. Et je continuerai.

Une vache et son veau dans le moteur (une innovation)

Publié dans Charlie-Hebdo le 28 novembre 2012

Intermarché et l’équarrisseur Saria, après copulation, construisent une usine pour transformer des restes d’animaux en carburant automobile. 

Le premier qui dit : « Ho, hé ! c’est quand même pas Soleil vert ! » gagne un grand verre de Viandox, cette belle boisson pleine de bidoche. Rappel utile : dans le film Soleil Vert, sorti en 1973, la multinationale Soylent distribue aux affamés chroniques de New York un aliment de synthèse fait à partir d’algues. Surprise :  il n’y a plus d’algues, en réalité, et le Soleil vert est une mixture à base de macchabs. Les morts nourrissent les (sur)vivants.

On n’en est pas là, car la France est un beau pays, rempli d’humanistes et de philosophes. La preuve instantanée par Saria, une boîte de 4 000 salariés, dont 1 400 en France. Que fait Saria pendant que les braves gens regardent Jean-Pierre Pernaut ? Eh ben, elle récupère chaque année une grande part des 3 millions de tonnes de restes d’animaux venus des abattoirs ou de carcasses trouvées sur la route. Grâce aux petites mains de Saria, le tout se change en engrais, médicaments, aliments pour d’autres animaux, produits sanguins, farines animales.

Oui, ces farines animales qu’on a finies par cramer dans des fours de cimenteries par peur de la vache folle, c’était Saria, grand pro de l’équarrissage. En mai 2 000, un inspecteur du travail visite l’usine Saria de Guer, dans le Morbihan, et note sobrement en reluquant la fosse où s’entassent des morceaux de bêtes : « L’atmosphère viciée comporte un risque sérieux pour la sécurité des travailleurs, le fond est couvert par une boue infecte sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur ». À l’époque, l’usine de Guer est gentiment appelée, dans les environs, « la petite boutique des horreurs ». Mais depuis, l’eau rouge sang a coulé sous les ponts, et Saria ne cesse d’inventer de nouveaux marchés. Toujours à partir des cadavres obligeamment fournis par les abattoirs. Dernière trouvaille : les biocarburants.

Saria, qui est loin d’être con, a créé une filiale commune avec Intermarché, qui s’appelle Écomotion. On ne présente plus Les Mousquetaires, leurs 1 783 magasins (en 2010) et leurs « idées fraîches contre la vie chère ». Parmi ses publicités, la vente à prix coûtant, dans les stations-service de la marque, de l’essence SP95-E10. Lequel carburant contient 10 % d’un biocarburant d’origine végétale. Mais pourquoi se contenter de blé ou de colza ou de betterave, alors qu’on peut rouler au veau, à sa mère, au cochon rose, à la charpie de coq et de poule ?

Voilà l’idée. Écomotion a investi 40 millions d’euros dans une usine sans aucun précédent, qui devrait ouvrir en 2013 sur la zone portuaire du Havre. Dans ce lieu idyllique, et chaque année, 75 000 tonnes de graisses animales deviendront, après une opération appelée « transestérification », un excellent biocarburant qu’Intermarché vendra directement à ses clients venus lui acheter des saucisses et du boudin.

L’avantage de cette technique, comme dit Michel Ortega, ponte d’Intermarché, c’est qu’elle « réduira la compétition agricole entre nourriture et carburant ». Ce mec est sublime, et sait ce que propagande veut dire. Les biocarburants actuels, qui proviennent de plantes alimentaires, affament des millions de gueux, comme le répètent depuis des années l’ONU, la FAO et jusqu’au FMI. Avec les philanthropes de la Saria, on aura deux saloperies pour le prix d’une. Le maïs, l’huile de palme, la canne à sucre, le manioc, le blé, le colza continueront bien entendu à donner du jus pour la bagnole, mais les animaux aussi.

Sans rire, ne s’agit-il pas d’une rupture mentale, morale, anthropologique ? Au temps lointain des supposés Barbares, les animaux d’élevage étaient considérés comme des dieux. Le taureau Hap de l’Égypte des Pharaons, qui deviendrait Apis chez les Grecs, était un personnage plus vivant, et un brin plus respecté que les morceaux de bidoche que nos marchands veulent transformer en SP95.

Avis aux oublieux : la chaîne d’assemblage des bagnoles – Assembly Line – a été mise au point par Henry Ford en 1908. Mais l’idée de départ appartient à l’ingénieur William Klann, qui visitant les abattoirs de Chicago en 1906, aurait déclaré : « If they can kill pigs and cows that way, we can build cars that way ».  Dans une fulgurance, Klann avait compris que ce qui était découpé en morceaux – la Disassembly line des abattoirs – pouvait, en inversant le processus, être réuni pièce par pièce dans un atelier automobile. Autrement dit, l’industrie de masse, le taylorisme, les Temps Modernes viennent de l’imaginaire du grand massacre des animaux. Les biocarburants tirés des graisses animales pourraient annoncer de nouvelles aventures. On a le droit de dégueuler.

Mélenchon et les Indiens de Sarayaku (ode à la « révolution citoyenne »)

Pour Grego

Habitué aux sports de haute voltige, je vais commencer, moi qui ai conchié tant de fois Jean-Luc Mélenchon, par lui rendre hommage. Attention, c’est un saut périlleux arrière retourné, et je ne suis pas sûr de bien me rattraper. Roulement de tambour. Les paroles de Mélenchon dans Libération (ici) m’ont paru sortir du cadre habituel de la simple propagande. Cette dernière y était bien sûr, mais pour qui s’en tient aux mots, nul doute qu’il y avait là une petite musique intéressante.

En deux mots, Mélenchon y affirme que le tournant de son Parti de Gauche vers l’écologie n’a rien de tactique. Il s’agirait d’une conversion profonde et sincère. L’avenir, bien que présenté d’une manière nébuleuse, appartiendrait à la « règle verte », à la « planification écologique ». Certaines formules prêtent tout de même à sourire, comme : « Il faut cesser de produire et d’échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l’écosystème n’y répond plus. C’est simple, ça se chiffre et ça se planifie ». Mais au total, allez, une mention passable. Inutile d’insister, à ce stade, sur le but à peine caché de faire disparaître, à terme, le parti EELV. Au reste, je m’en fous bien.

Où sont passés les textes de 1992 ?

Pour être honnête ou tenter de, signalons les 18 thèses pour l’écosocialisme proposées au débat dans le Parti de Gauche (ici, puis chercher un peu). J’ai lu, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde. Si je veux être (très) gentil, je dirai que c’est rempli de proclamations et de bonnes intentions. Un peu comme le programme du parti socialiste d’avant 1981, que défendait d’ailleurs, à l’époque, Mélenchon. On a vu. Les programmes de partis sont comme des promesses. Des mirages. Et si j’essaie d’être franc, j’ajouterai qu’il s’agit de vieilleries assez consternantes. Le mot écosocialiste, désolé de faire de la peine aux mélenchonistes, a été employé à de nombreuses reprises dans le passé, et a même été défendu avec clarté par la Ligue communiste révolutionnaire il y a de longues années.

Le pire n’est pas là : il n’y a aucune analyse de la situation réelle du monde. De la dislocation déjà entamée de nombreuses sociétés sous le coup de la crise écologique. On se croirait en 1970. On y est, d’ailleurs. La crise diabolique du climat, la crise sans limites apparentes de la biodiversité, la crise mortelle des océans, la crise planétaire des sols fertiles ne sont pas au tableau. En somme, les questions politiques les plus essentielles ne font pas partie de la discussion publique. Quel étrange parti écosocialiste.

Retour à Mélenchon. Il est important de savoir ce que ce politicien pense. Non pour lui, je l’avoue, mais à cause des gens, souvent d’excellentes personnes, qui croient en lui. Mélenchon, dans l’article de Libération évoqué, se vante de textes qu’il aurait écrits sur l’écologie dès 1992. Qu’il les publie donc, que l’on puisse rire un peu ! Ne remontons pas à Mathusalem, seulement au 22 octobre 2012. Ce jour-là, l’agence chinoise Xinhua publie une dépêche (ici, en français) qui résume un entretien que lui a accordé Mélenchon. Que dit-il ? « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Une telle phrase, je pense, a le mérite de la clarté, mais comme elle m’a littéralement soufflé, j’ai cherché une confirmation. Les bureaucrates chinois, staliniens dans l’âme, avaient peut-être tordu le propos de notre grand Leader Écosocialiste ?

La croissance chinoise est une chance pour l’humanité

Eh bien non. Le 28 octobre 2012, Mélenchon était l’invité de Tous Politiques sur France Inter (ici), et y parlait à nouveau de la Chine (à partir de la minute 44). Il y confirme sans détour que la « croissance chinoise est une chance pour l’humanité ». Je crois pouvoir affirmer, car à la différence de Mélenchon, je sais de quoi je parle, que notre Grand Homme de poche démontre ainsi qu’il n’a strictement rien d’un écologiste. L’inculture profonde, l’ignorance abyssale ne sauraient être une excuse pour raconter de telles inepties. Car la Chine, comme je l’écris en de nombreux endroits depuis une dizaine d’années, nous menace tous, elle d’abord, d’un krach écologique à côté duquel la Grande Dépression d’après 1929 ressemblerait à une dispute pour un bout de chocolat.

Je n’ai pas le temps de détailler, mais même ici, sur Planète sans visa, il est aisé de retrouver certains textes grâce au moteur de recherche. La Chine, qui devient la plus grande économie mondiale, n’a plus d’eau, plus d’air, plus de terres agricoles capables de supporter une croissance démentielle. Et elle ruine en conséquence, pour des siècles au moins, quantité de pays d’Asie – le Cambodge et le Laos sont en haut de la liste – et désormais d’Afrique, s’emparant aussi bien du bois que du pétrole ou encore de millions d’hectares de terres destinées à produire, in fine, la viande que réclame tant sa classe moyenne.

Dire que la croissance chinoise, qui n’est que dévastation, est une chance pour tous n’est pas seulement imbécile. C’est aussi criminel. Je pèse mes mots, si. Dans la même émission d’Inter, Mélenchon se répand comme à son habitude sur la supposée vitalité des gauches latino-américaines. C’est justement de cela que je voulais vous parler, comme en atteste le titre que j’avais placé tout là-haut avant de commencer ce roman-fleuve. Le 17 février 2013, l’Équateur vote pour l’élection de ses président et vice-président de la République. Le président actuel, Rafael Correa, se représente et espère l’emporter une nouvelle fois. Qui est-il ? Un homme de gauche, à coup sûr. Est-il plus proche de la ligne Chávez que de la ligne Lula ? C’est hautement probable, et ce qui est certain, c’est que Correa est l’un des grands inspirateurs de Mélenchon. Il a notamment popularisé l’expression un brin étrange connue sous le nom de « révolution citoyenne » que le Français arrange désormais à toutes les sauces. Pendant la campagne présidentielle du printemps dernier, Correa a envoyé à Mélenchon un vibrant message de soutien, rendu public, qui commençait ainsi : « Querido Jean-Luc ». Et finissait par ce vieux slogan guévariste : «  ¡ Hasta la victoria, siempre ! ».

Les 1200 habitants de Sarayaku

Je pense que cela suffit pour établir la grande proximité entre les deux hommes. Et je poursuis. Les élections équatoriennes approchent, et surtout, ne quittez pas, car je vais (probablement) vous apprendre quelque chose. L’Équateur est un pays deux fois plus petit que le nôtre, peuplé de 15 millions d’habitants. Entre Quito, la capitale, installée sur les flancs d’un volcan, à 2850 mètres d’altitude, et l’Amazonie équatorienne, il n’y a pas grand chose en commun. Dans la forêt légendaire, des peuples indiens survivent tant bien que mal. Mal. Et parmi eux les kichwa. Et parmi eux, les 1200 habitants du village de Sarayaku (ici). Ils vivent de, ils vivent avec la forêt depuis des milliers d’années.

Mais le pétrole ne vaut-il pas mieux que tout ? Voici un court résumé, emprunté à Frontière de vie (ici) : « Afin de développer l’exploitation du pétrole amazonien, l’Etat équatorien a emprunté des milliards de dollars à l’étranger, s’endettant de façon effrayante. Cercle vicieux, l’Etat ne peut espérer rembourser ses dettes qu’en augmentant encore l’exploitation pétrolière, ce qui implique une surexploitation dépassant toutes limites. 1.500.000 hectares de forêts sont déjà en exploitation. 500 km de routes ont été construites pour permettre l’installation de 400 puits de pompage. Ces puits génèrent quotidiennement 17 millions de litres de déchets toxiques non traités. Ces déchets sont déversés dans des bassins à ciel ouvert qui débordent lors des pluies tropicales et se répandent dans la forêt. Dans certaines rivières, toute vie a disparu ».

Un grand désastre, donc, synonyme de « développement », cette parole maudite qui réunit les droites comme les gauches. Mais Sarayaku résiste aux compagnies pétrolières depuis 25 ans. Surtout depuis qu’en 2003, ces frères humains ont réussi à foutre dehors des ouvriers payés par un pétrolier, défendus par 400 militaires, venus pour de premiers travaux. Il est impossible de seulement évoquer les principaux événements de cette saga. Elle fait des habitants de Sarayaku des héros de l’humanité. Et ils tiennent. Encore et toujours. Greg m’envoie de Colombie un article du quotidien de Bogotá El Espectador (ici, en espagnol). J’y apprends que Los hijos del jaguar, les fils du jaguar comme ils se nomment, sont au cœur du débat de la présidentielle en cours. Correa, ce fier combattant de la « révolution citoyenne » entend ouvrir un peu plus aux pétroliers l’Amazonie équatorienne,. D’un mot, l’Équateur est l’une des zones les plus riches en biodiversité de notre planète. Peut-être la plus riche. Sans doute. On y a recensé environ 1 600 espèces d’oiseaux, 4 000 d’orchidées, 382 de mammifères.

 Les Indiens vendus par Correa aux transnationales

Je lis une dépêche en espagnol de l’agence chinoise – décidément – Xinhua, en date du 29 novembre 2012 : « El gobierno de Ecuador convocó hoy a la XI Ronda Petrolera de Licitación 13 campos del suroriente del país para la exploración y explotación de crudo, en medio de la resistencia de comunidades indígenas de la Amazonía ». Le gouvernement de Quito vient de lancer des enchères pour l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de la résistance de communautés indiennes de l’Amazonie. Voici les propres mots du querido compañero de Mélenchon, Correa soi-même : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale : on croirait du Total dans le texte. Mélenchonistes éventuels, qui me lisez, épargnez-moi vos leçons : Correa vend son pétrole et les Indiens qui sont au-dessus aux transnationales.  Point final. Et tant pis pour le climat, et tant pis pour la biodiversité, et tant pis pour ces extraordinaires cultures indiennes qui sont pourtant, razonablemente, une partie de notre avenir possible.

Alors, désolé, je ne marche pas. L’écosocialisme vérolé que Mélenchon tente de fourguer en France à des crédules – chaque génération a les siens -, non merci. À moins, amis mélenchonistes, que je ne me trompe ? À moins que The Great Leader Chairman ne vole publiquement au secours des Indiens de Sarayaku, et désavoue son cher ami Rafael Correa ? Ce serait, pour le coup, une vraie nouvelle, susceptible de me faire changer d’avis sur ce que je tiens pour une pure foutaise. Tenez, il y a même un rendez-vous : en avril 2013, Correa prévoit l’organisation à Quito d’un forum mondial de sa soi-disant « révolution citoyenne ». Mélenchon a, je crois, prévu d’y aller. C’est le moment, camarade écosocialiste, de prouver que les mots et proclamations ont un sens.

Mais qui est donc notre chef de la police (sur un certain Valls) ?

Cela fait un moment que je souhaite dire trois mots – finalement, ce sera bien plus – sur notre ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Avant même l’intervention de ses flics à Notre-Dame-des-Landes, qui a fait des blessés par dizaines. Mais bien entendu, je n’aurais pas écrit ce qui suit sans cette déclaration à propos de l’aéroport de M.Ayrault : « Il est hors de question de laisser un kyste s’organiser, se mettre en place, de façon durable, avec la volonté de nuire avec des moyens parfois dangereux (…). Nous mettrons tout en œuvre pour que la loi soit respectée (…) pour que les travaux puissent avoir lieu ». Valls est un personnage digne d’un certain intérêt, et je vous renvoie pour commencer à un long article de la journaliste du Monde Ariane Chemin. Vous le trouverez au bas de mon papier, en intégralité, et je vous recommande vivement de le lire.

Laurent Mucchielli et le livre controuvé

Que dit-il ? En 1980, quand Valls n’avait que 18 ans, il était membre des Jeunes rocardiens. Bon, je sais que cela paraît incroyable. 18 ans, et rocardien : ce seul rapprochement me fait penser à une corde, au bout de laquelle se balancerait un pendu. Passons. À cette époque, Valls étudie à l’université parisienne de Tolbiac, où il rencontre deux jeunes très vieux qui deviendront des amis définitifs : Alain Bauer et Stéphane Fouks. Il me faut les présenter pour mieux comprendre ce qui n’est nullement une affaire personnelle.

Alain Bauer se présente et gagne aujourd’hui sa vie comme « consultant en sécurité ». Mais ce titre falot ne lui rend pas justice. Il a donc noué une amitié inébranlable avec Valls au début des années 80, et milité avec lui chez les Jeunes rocardiens. Est-il de gauche ? La certitude, c’est qu’il signe avec Xavier Raufer, en 1998, un Que sais-je ? (PUF) dont le titre est : Violences et insécurité urbaines. Non, je ne l’ai pas lu. Mais le sociologue Laurent Mucchielli, dont je sais le sérieux, a décortiqué ce texte (ici). Ma foi, cette critique glace le sang. Car de deux choses l’une : ou Mucchielli est un escroc, ou ce livre est un ramassis d’analyses controuvées, établies pour tenter de prouver que la gauche au pouvoir à partir de 1981 est la responsable d’une explosion de la délinquance.

Xavier Raufer et le 11 septembre 2001

Je précise que Xavier Raufer, grand expert devant l’Éternel, et toujours ami, en 2012, de Bauer, a marqué, si peu que ce soit, ma vie. Ancien militant de la droite fasciste, passé à la droite classique via les réseaux patronaux de la métallurgie (UIMM), il est depuis quinze ans l’un des spécialistes du terrorisme les plus invités. Et j’en  viens à moi. Nous sommes le 11 septembre 2001, chez moi, je viens de récupérer dans ma cave un poste de télévision antédiluvien, afin de voir comme tout le monde les tours du World Trade Center s’effondrer.

Je me branche sur France 2, et je découvre, parlant de l’événement, Xavier Raufer. Un pro. Un fin connaisseur. Ce qu’il dit est resté gravé : les attentats porteraient la marque du FPLP palestinien. Moi qui suis loin de valoir M.Raufer, je sursaute aussitôt. Car je sais cette hypothèse totalement absurde. Si le FPLP a bien détourné et cramé des avions, c’était vers 1970, dans un contexte qui n’a rien à voir. Puis, ce groupe laïc a une tradition d’extrême-gauche qui exclut radicalement des méthodes comme celle du 11 septembre. Enfin, il est sur le déclin et il est évident, je dis bien évident qu’il n’aurait pas eu la force et la logistique d’une telle opération. La seule conclusion, concernant Raufer, est qu’il est un bien curieux expert.

Alain Bauer et Nicolas Sarkozy

Revenons à Bauer. Après avoir quitté Tolbiac, et bientôt les rocardiens, il deviendra franc-maçon et Grand maître du Grand Orient de France. Et de droite ? Les mots n’ont aucun sens. Il copine avec Alliot-Marie ou Sarkozy depuis des lustres, au point d’avoir confié au journaliste de Mediapart Éric Incyan, en 2008 : « Nicolas Sarkozy m’en a parlé une seule fois [d’un poste de ministre ] de manière explicite, il y a plus d’un an. Il m’a dit que s’il était élu à la présidence de la République, il me prendrait dans son équipe gouvernementale pour m’occuper des questions de sécurité. » Mais dès 2006, alors qu’il n’est encore que ministre de l’Intérieur, Sarkozy le décore de l’Ordre national du mérite. Bien entendu, il convie à la cérémonie Stéphane Fouks et…Manuel Valls.

Quoi d’autre ? Plein de choses, mais je n’ai pas le temps, ni la place. En décembre 2008, Bauer remet à sa copine Alliot-Marie, devenue ministre de l’Intérieur, le rapport sur les fichiers de police qu’elle lui avait commandé. Mais cette année 2008 était aussi celle du début de l’Affaire Tarnac, du nom de ce hameau habité par des jeunes très ressemblants à ceux de Notre-Dame-des-Landes. On le sait, la police encabana Julien Coupat et Yldune Lévy pour un sabotage supposé d’une ligne de la SNCF. Je ne reviens pas sur le montage policier lui-même, désormais certain. Ce qu’on sait (un peu) moins, c’est qu’Alain Bauer a joué un rôle important dans les prodromes de cette sombre histoire. L’essentiel est rapporté dans le livre de David Dufresne, Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy). Bauer, qui se prenait en la circonstance pour son ami Raufer en 2001, avait acheté, dès 2007, 40 exemplaires du livre appelé L’insurrection qui vient (éditions Hazan), signé par un mystérieux Comité invisible.

Alain Bauer et Julien Coupat

Invisible, mais pas pour Bauer. Pour lui, ce texte d’ultragauche annonçait probablement la réapparition d’un terrorisme de gauche, dans la lignée d’Action Directe. Bauer distribue les 40 livres achetés, et pas à n’importe qui. À des politiques de droite, dont certainement Alliot-Marie. À des journalistes connus. À des flics, dont le directeur de la police nationale Frédéric Péchenard, pote de toujours de Sarkozy. Nul ne peut, nul ne pourra peut-être savoir quel rôle ce militantisme aura joué dans le montage de Tarnac. Le certain, c’est que les flics considèrent bien vite Coupat comme l’auteur de L’insurrection qui vient. Et s’il a écrit cela, n’est-il pas cohérent de penser qu’il a pu mener des opérations de sabotage ?

Voilà pour Bauer. Passons plus rapidement sur Stéphane Fouks, dont je vous rappelle qu’il fait partie du trio de départ, avec Bauer et Valls. Donc, en 1980, le jeune vieux Fouks est rocardien. Il reste socialo un moment, puisqu’on le retrouve conseiller de différents ministres, dont Rocard à l’Agriculture. Mais le destin de Fouks, c’est la pub, dont je rappelle qu’elle est pour moi – après bien d’autres – l’industrie du mensonge. Fouks rencontre Séguéla, l’homme pour qui ne pas avoir de Rolex à 50 ans marque le désastre d’une vie, et finit par se faire une place centrale dans la fameuse agence RSCG, où il crée une filiale. Il foire lamentablement la communication de Jospin à la présidentielle de 2002, mais dans ce métier, c’est à croire que seul le présent immédiat compte. Il sera également le conseiller de l’ancien président ivoirien Gbagbo, du couple Ockrent-Kouchner quand ce dernier était accusé de joliesses, et conquiert l’oreille des grands patrons, conseillant près de la moitié du CAC 40. Sans oublier ses solides accointances chez Sarkozy. Ajoutons pour faire bon poids qu’il a promu et défendu l’image de DSK, faisant davantage pour ce merveilleux personnage que pour tout autre. On ne gagne pas à chaque fois, non.

Résumons : Manuel Valls, Alain Bauer, Stéphane Fouks sont comme frères. En 2010, sur le plateau de l’émission de Drucker Vivement Dimanche, consacrée à Valls, les trois apparaissent ensemble. Le 5 mai 2012, les mêmes fêtent leurs 150 ans – à eux trois – dans le restaurant parisien Drouant, dont les deux étages sont loués pour l’occasion. Se trouvent là des flics, de gauche et de droite, des chefs du renseignement, le patron de Veolia, tant d’autres. Peut-être est-il temps de parler de la Mnef, cette Mutuelle étudiante, vivier de copains et de coquins, tous en cheville avec notre grand, noble et valeureux parti socialiste.

Manuel Valls et la Mnef

Si vous voulez vous rafraîchir les idées sur les détournements de fric, les emplois fictifs, la crapulerie au détriment de la santé des étudiants, c’est ici. On retrouve dans cette arnaque massive deux courants, en réalité. Le PS, certes, mais aussi et d’abord la secte politique à laquelle a appartenu en secret Lionel Jospin, qui s’appelait jadis Organisation communiste internationaliste (OCI), menée par l’un des personnages les plus mystérieux de notre après-guerre, Pierre Lambert. Dans la Mnef, on retrouve un peu tout le monde. Spithakis, son patron, ancien lambertiste devenu socialiste, mais aussi les députés Cambadélis et Le Guen, et bien sûr DSK lui-même. Où se cache Valls dans le tableau ? Attention aux plaintes en diffamation, car Valls n’a pas, à la différence de 17 autres prévenus, été condamné. Il est donc innocent. Mais il n’est pas interdit de rappeler cette lettre de Manuel Valls envoyée le 21 décembre 1990 au président de la Mnef, Dominique Levêque (ici).

Deux choses sont très intéressantes. Un, elle est à en-tête du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard. Valls est alors son conseiller à Matignon. S’il utilise ce papier officiel, c’est évidemment pour montrer qu’il agit ès-qualités, en service commandé. Deux, Valls y menace la Mnef de représailles si elle refuse d’admettre dans son conseil d’administration un certain Emmanuel Couet. Les deux faits réunis suggèrent assurément qu’il existe un lien de subordination inconnu entre le parti socialiste au pouvoir, et cette Mnef où circule tant d’argent. Ah ! j’allais oublier. Dans sa lettre, Manuel Valls précise que « depuis des années, nos relations [entre lui et la Mnef] sont basées sur la confiance et le respect des dispositions arrêtées en commun avec moi-même et Alain Bauer. » Car Bauer est là, lui aussi, qui dirigera l’une des filiales de la Mnef.

On notera à ce stade que Valls, qui n’est pas encore ministre des flics, n’a donc pas comparé les refusants de Notre-Dame-des-Landes à un « kyste » qu’il conviendrait par définition d’extirper (ici). En cette année 1990, il ne juge pas déshonorant cette amitié qu’on qualifiera d’appuyée avec des ruffians qui se révèleront, devant la justice, d’authentiques délinquants, dûment condamnés ensuite. Et l’ayant noté, on reviendra à l’article du Monde dont je vous parlais au début de ce si long pensum.

Ce sera ma conclusion : en cette fin 2012, Valls, Fouks et Bauer sont toujours unis par des liens fraternels, ce qui ne peut que tirer une larme. Qu’importe à Valls que son cher vieux Bauer soit au centre politique et moral du dispositif sécuritaire de la droite ! Il aime, voyez-vous. Citation de Valls en 2008, tirée du Monde : « Si Alain pense qu’être sarkozyste est utile et cohérent, il en a le droit. L’amitié transcende les clivages politiques (…). On se retrouve sur la sécurité et, globalement, on est toujours en phase. » Ajout de 2012 : « Je lui ai dit que je regrettais qu’il ait travaillé pour Sarko, car je ne peux plus le prendre dans mon cabinet. » Ce qui veut dire sans détour que Valls-la-grenade aurait aimé travailler avec Bauer place Beauvau, mais qu’il ne le peut pas. Le chef des flics se faisant aider par Alain Bauer, conseiller-en-chef de Sarkozy.

J’espère que vous goûterez cette farce autant que moi. Voilà dans quelles mains nous sommes. Voilà l’arrière-plan des 100 blessés de Notre-Dame-des-Landes.

———————————————— Ci-dessous, l’article du Monde———————————-

Valls, Bauer, Fouks : le pacte de Tolbiac
LE MONDE | 26.11.2012 Par Ariane Chemin

Les deux étages de Drouant, le restaurant parisien des prix Goncourt, place Gaillon, ont été privatisés. Un e-mail – avec annonce d’une cagnotte pour un cadeau commun – est parvenu à la bonne centaine d’invités conviés ce 5 mai 2012. Manuel Valls, Alain Bauer et Stéphane Fouks fêtent leurs 150 ans. Prudemment – et pour cause –, les spécialistes d’intelligence économique et les fonctionnaires de police ont noté le rendez-vous, puis effacé l’e-mail: « On ne sait jamais. »

Il y a là des patrons, des pontes du renseignement, des politiques, autant de cercles qui s’emmêlent tandis que sur les tablées le bon vin abolit les frontières. L’aréopage d’initiés digresse sur le rituel qui accompagne chacun de ces anniversaires, où les couches d’invités prospèrent et se sédimentent au fil des ans: c’est toujours un fraisier qui clôt le déjeuner. Le dessert préféré de « Baubau », comme le ministre de l’intérieur et le coprésident d’Havas Worldwide continuent aujourd’hui d’appeler le consultant et ancien conseiller pour la sécurité de Nicolas Sarkozy, Alain Bauer.

Cette année, pourtant, la fête ne ressemble pas tout à fait à celle de Reims, l’an passé, ni aux précédentes. Alain Ducasse a fini par arriver mais il manque « Manuel ». In extremis, le porte-parole de la campagne du candidat socialiste a séché. Le lendemain, en effet, François Hollande joue sa place à l’Elysée, et Julien Dray vient de manquer de tout gâcher en invitant Dominique Strauss-Kahn, mis en examen pour proxénétisme, à son anniversaire à lui.

ASSEMBLÉE HÉTÉROCLITE

Les trois hommes sont trop copains pour ne pas savoir pardonner cette absence prudente; trop professionnels pour ne pas anticiper les risques d’une telle réunion. Que dirait-on d’agapes réunissant un futur ministre de gauche, le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, homme lige de la droite, et… le porte-parole de l’UMP sur les questions de sécurité, Bruno Beschizza?

Les strauss-kahniens Jean-Marie Le Guen, Jean-Christophe Cambadélis, François Kalfon, Anne Hommel et Jean-Jacques Urvoas se rendent donc sans l’ami Valls chez Drouant retrouver les PDG invités par Stéphane Fouks. Antoine Frérot, le patron de Veolia, est venu avec son communicant Laurent Obadia –un intime d’Alexandre Djouhri, le mystérieux intermédiaire en cour sous la Sarkozye. Autour des nappes blanches, on trouve aussi tout le réseau policier d’Alain Bauer – son « canal historique », dit l’un d’eux : le criminologue Xavier Raufer, formé à la droite extrême, le commissaire André-Michel Ventre, le secrétaire général du syndicat Alliance Jean-Claude Delage…

Les « frères » se saluent d’une table à l’autre : avec Philippe Guglielmi, pas moins de deux anciens grands maîtres du Grand Orient de France, que Alain Bauer a présidé de 2000 à 2003, sont du happening de Drouant. On offre des livres rares, des alcools forts millésimés. Les « anciens » de Tolbiac, les « copains d’avant », ont aussi préparé pour chacun des hôtes un reportage photo : des clichés sépia qui racontent la genèse d’une amitié « de plus de trente ans ».

HAUT LIEU DE LA CONTESTATION

Tolbiac. La fameuse fac de béton brut construite cinq ans après Mai 68, que personne n’a jamais réussi à appeler Centre Pierre-Mendès-France, et où un prof nommé Robert Badinter eut droit à vingt minutes d’applaudissements quand son amphi apprit sa nomination au ministère de la justice. En cette toute fin des années Giscard où la politique se fait encore dans les facs, Tolbiac est devenue le haut lieu de la contestation contre la politique économique de Raymond Barre et la circulaire Bonnet hostile aux étudiants étrangers. C’est l’époque où le service militaire est encore la règle – un étudiant vient de descendre en rappel la façade de la fac pour taguer le slogan « Service à six mois ».

Pas un hasard si, une ou deux fois par semaine, les « grands frères » de ces jeunes gens qui tentent de jouer les prolongations de Mai 68 viennent faire un tour à Tolbiac. Il y a Julien Dray, pour quelques mois encore trotskiste de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), et Jean-Christophe Cambadélis, la tête d’affiche des lambertistes de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), qui couvent les étudiants d’un œil efficace. Il y a aussi Jean-Marie Le Guen, ancien chef de la Jeunesse socialiste. Face à eux, un trio de trois garçons déjà inséparables qui, à 18ans, se sont trouvés et ne se lâcheront plus.

« Quand j’arrive à la fac en octobre 1980, je tombe sur un mec en cravate et un petit barbu », se souvient Manuel Valls. Il est alors un jeune Catalan qui peste de ne pas pouvoir voter pour la présidentielle – il ne sera naturalisé français qu’en 1982 – et porte les mêmes cheveux drus et le même regard sombre qu’aujourd’hui. Le mec en cravate, c’est Alain Bauer. Il est le fils d’un marchand de textiles. Pour impressionner, il laisse dire qu’il est un descendant d’Otto Bauer, le grand marxiste autrichien du début du XXe siècle. Il porte déjà des costumes trois pièces qui enserrent des rondeurs de notable, et jette son loden vert sur ses épaules comme une cape. Il a adhéré au PS à 15 ans et fait partie des plus jeunes francs-maçons de France.

A Tolbiac, il retrouve le « petit barbu » déjà croisé au lycée Arago, à Paris: Stéphane Fouks. Ce fils d’un ancien communiste juif et résistant fut l’un des responsables d’une éphémère coordination lycéenne. Les trois garçons ont le même âge. Bauer potasse le droit constit’. Fouks veut s’orienter vers les sciences politiques. Valls a choisi l’histoire.

« BUVEURS DE CAMOMILLE »

Tous les trois, surtout, sont rocardiens. Rocardiens? Le mot désigne une espèce rare à l’époque. « Des gens en costume, alors que nous on est en blousons de cuir, prêts à dégainer les manches de pioche de nos sacs marins achetés aux puces, se souvient le journaliste Serge Faubert, alors au service d’ordre de la LCR – l’homme qui a descendu la façade de la fac en rappel. Ils étaient comme des buveurs de camomille à une fête de la bière. Pour nous les socialistes étaient des sociaux-traîtres, alors l’aile droite du parti… » A l’époque, l’étiquette veut surtout dire qu’on se méfie de ce Mitterrand qu’adulent Le Guen et ses amis et – point commun avec les lambertistes – qu’on vomit les « cocos ».

« On était déjà très sociaux-démocrates, pas très refaiseurs de monde, se souvient Alain Bauer. L’autogestion, on n’y croyait pas nous-mêmes. Notre référence, c’était Mendès France, pas Lénine ou Trotski. » Pendant que L’Echo des cocos d’éco se félicite des nationalisations à 100% et de la rupture avec le capitalisme promises par François Mitterrand, « SF », « MV » et « AB » s’indignent dans le Rosé de Tolbiac, une feuille ronéotypée qui sent bon l’alcool à brûler, du passé de travailleur volontaire en Allemagne de Georges Marchais ou de la destruction d’un foyer d’immigrés à Vitry.

« Nous étions les sabras du rocardisme », sourit Fouks, le plus militant des trois. Pour le trio, Michel Rocard n’est pas seulement l’homme du « parler vrai ». « Pas encore ce type incompréhensible que les Guignols mettront en boîte », comme dit Valls dans un excellent livre d’entretiens (Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche!) menés en 2008 chez Robert Laffont par le journaliste Claude Askolovitch – un autre convive de Drouant. L’ex-leader du PSU est le champion qui doit les emmener au sommet.

« NETTOYER LA FAC DES GAUCHISTES »

Curieuse ambiance et étranges alliances qui se nouent en ce début des années 1980. « On ne se méfie pas d’eux, alors que les rocardiens n’avaient qu’une mission: nettoyer la fac des gauchistes en faisant alliance avec les lambertistes, raconte Serge Faubert, imposer les socialistes à Tolbiac sous l’étiquette d’un nouveau syndicat, fondé en 1980, l’UNEF-ID », « indépendante et démocratique », chargée de concurrencer l’UNEF dirigée par le PC.

« Entre nous, les vieux rocardiens, nous disions en rigolant: « Ces trois-là, on a intérêt à bien les former, au moins, le jour où ils nous assassineront, ils feront ça proprement! » », raconte le constitutionnaliste Guy Carcassonne. « Nous étions idéologiquement des rocardiens, et politiquement des mitterrandistes », confirme Fouks. Prêts à tout, y compris à accepter de devenir les paravents de ces lambertistes sulfureux.

UNEF-ID, conseil d’administration de la MNEF, la mutuelle étudiante qui finira par briser les socialistes qui l’ont approchée de trop près, clubs rocardiens: le trio est partout. Les lambertistes de l’UNEF-ID aident Alain Bauer – que « Camba » présentera ensuite à Pierre Lambert, le dirigeant de l’OCI et le pape caché de toute cette histoire – à devenir, en 1982, vice-président de Paris-I-Tolbiac.

« Quand on a vu Bauer arriver à la fac avec sa voiture et son chauffeur, on s’est dit que, là, il avait des réseaux qu’on n’aurait jamais, même à 50 ans », soupire un adversaire d’alors. En remerciement du coup de pouce, Alain Bauer fait confier – discret hold-up – la gestion de la cafet’ de la fac (une mine d’or dans ce 13e arrondissement étudiant) à un homme tout de cuir noir vêtu : Bernard Rayard, autre lambertiste officiel, plus sûrement joueur de poker et homme d’affaires.

« CHACUN UNE TÂCHE »

Premiers coups politiques. Premier succès. Déjà, au sein du trio, les zones d’influence se dessinent. Julien Dray jure que l’anecdote est vraie. « J’arrive un jour à la cafet’ de Tolbiac, confie le conseiller régional socialiste. J’ai le triumvirat en face de moi. Je dis à Bauer qu’on va bosser ensemble dans l’UNEF-ID, que je vais coordonner tout ça. Bauer se lance dans les confidences: « Moi, je rêve un jour d’être grand maître. » Fouks prend la parole à son tour: « Moi, je ne veux pas forcément faire de la politique mon métier; j’aime la communication. » Valls prend la parole le dernier: « Moi, j’aime la France, j’aimerais bien devenir président de la République. Mais pour ça, avant, il faut que je sois français. » » Le pacte secret…

« Chacun des trois avait déjà un morpho-type: communicant, agitateur politique, et, au choix, flic ou homme de réseaux », résume « Camba ». « Aux Jeunesses socialistes, ils ont chacun une tâche, confirme Jean-Claude Petitdemange, le patron de l’appareil rocardien, qui couve le trio : Manuel, la politique et la vie publique ; Bauer, la tactique et les manœuvres d’appareil ; Stéphane, la communication. Stéphane pensait d’ailleurs à l’époque à créer sa petite boîte, mais je l’avais mis en contact avec Jacques Pilhan [gourou de la comm’ politique] qui cherchait quelqu’un… »

Dès 1985, aux Arcs, en Savoie, pour les journées des Jeunes rocardiens, l’étudiant déploie son savoir-faire. « Stéphane me remplissait les salles avec 500 ou 1000 personnes. Tout était fait au cordeau », raconte Petitdemange. Lors du mouvement de l’hiver 1986 contre la loi Devaquet sur l’université, ils se partagent de nouveau le travail. A Bauer, les contacts avec la préfecture de police afin d’éviter les dérapages. « Alain était notre ministre de l’intérieur », sourit Fouks. « Il était comme un poisson dans l’eau. C’est tout juste s’il ne faisait pas estafette lui-même », ajoute « Camba ». Il noue ainsi des contacts avec les renseignements généraux, alors dirigés par Philippe Massoni, emballé par cet interlocuteur étudiant si respectueux de l’ordre. Ou avec Jean-Marc Berlioz, le nouveau « M. Sécurité » de Renault, ex-conseiller de Sarkozy et futur convive du « dîner chez Drouant »…

La politique est un monde plus cruel que celui des affaires. Pendant que Stéphane Fouks invente la communication politique et institutionnelle chez EuroRSCG et évite de se montrer trop regardant sur ses clients en Afrique ou en Europe de l’Est, tandis qu’Alain Bauer, surfant sur le développement des polices municipales, se lance dans l’ingénierie sécuritaire et la vidéosurveillance à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), Manuel Valls, atypique licencié d’histoire dans un monde d’énarques, gravit les marches du pouvoir.

Avant le congrès du PS de Lille, en 1987, le trio est convoqué par Petitdemange. « J’ai une place au comité directeur, à vous de choisir qui y va. » D’après Bauer – mais aussi Fouks –, le trio met le poste aux voix : trois bulletins secrets pour Valls – le futur député de l’Essonne a voté pour lui-même. « Ils sont revenus en me disant : ce sera Manuel », raconte Petitdemange.

« Tout ça est une légende absolue inventée par Alain », soupire aujourd’hui le locataire de la place Beauvau. A un quart de siècle de distance, la « légende » peut en effet devenir politiquement encombrante pour un ministre ambitieux. Car la donne a changé. Fouks, qui voyait déjà son champion DSK à l’Elysée, a accueilli avec une grimace l’outsider Hollande et s’est trouvé fragilisé cet été chez Havas. Quant à Bauer, il a purement et simplement basculé à droite en… 2007.

« Si Alain pense qu’être sarkozyste est utile et cohérent, il en a le droit, balayait Valls il y a quatre ans. L’amitié transcende les clivages politiques (…). On se retrouve sur la sécurité et, globalement, on est toujours en phase. » Aujourd’hui, le ministre précise: « Je lui ai dit que je regrettais qu’il ait travaillé pour Sarko, car je ne peux plus le prendre dans mon cabinet. »

Qu’importe l’organigramme. Le criminologue est toujours là, au bout du fil ou dans le bureau du ministre, pour livrer les derniers chiffres de la délinquance, son avis sur le terrorisme, les quartiers nord de Marseille, le danger islamiste, la mafia en Corse. Toujours vigilant, aussi, pour protéger le réseau, qu’il s’est constitué sous la droite, des purges, dont la place Beauvau a, de fait, été épargnée. Quant à Fouks, l’autre « plus proche ami », il reste prêt à surveiller l’opinion, peaufiner son image, commander un « quali » ou tester les discours du ministre: avant le congrès annuel de l’USM à Toulouse, cet automne, il l’a fait sur des magistrats.

AMITIÉ DURABLE

« Dans un monde politique qui revendique l’amateurisme comme une vertu, nous voulons être un îlot de professionnalisme », confie non sans ironie l’un des membres du trio. Dans les couloirs de Tolbiac, ils ont appris l’essentiel. « Le parcours de Manuel s’est fait autour de ce logiciel découvert à la fac: à 18 ans, nous avons compris qu’on peut être minoritaire dans les amphis et majoritaire dans les urnes, que notre rapport de force dans l’opinion était plus important que dans l’appareil », dit Stéphane Fouks.

« A notre fausse fraternité militante, trois mecs d’un pragmatisme consommé ont préféré l’amitié durable », convient aujourd’hui Serge Faubert. Trois inséparables qui mettent depuis trente-deux ans connaissances et réseaux au pot commun. Un exemple ? Depuis juin, Bruno Beschizza, porte-parole de l’UMP sur la sécurité, est chargé de répliquer à chaque « coup » ou annonce de Manuel Valls. Alors, il rappelle à chacun – que peut-il dire d’autre ? – que « le ministre est de gauche », à défaut d’avoir autre chose à lui reprocher. La mansuétude de l’élu UMP doit peut-être aussi à d’autres détails. Alain Bauer a gentiment accepté il y a quelques années de devenir le parrain de l’un de ses enfants. Malgré l’alternance, Valls lui a gardé un bureau place Beauvau. Et Fouks a trinqué avec lui chez Drouant.

Il y a eu Génération 1 – Les années de rêve, de Patrick Rotman et Hervé Hamon, et Génération 2 – Les années de poudre, au Seuil (2008). Et puis plus rien. Rien sur ceux qui ont vécu Mai 68 par procuration. « Personne n’a raconté la suite de l’histoire, note Julien Dray, à part peut-être Olivier Assayas. »

Dans Après Mai, d’Olivier Assayas, qui vient de sortir au cinéma, les lycéens sont trop jeunes pour avoir grimpé sur les barricades de la rue Soufflot, et, de la guerre du Vietnam, ils n’ont connu que les derniers moments. Mais ceux qui, après eux encore, ont voté pour la première fois en 1981 ? Quid de cette « génération Kaboul » ou « Pologne », effarée par l’entrée des Soviétiques en Afghanistan, en 1979, et par l’état de siège décrété par le général Jaruzelski fin 1981, déboussolée par la rupture de l’union de la gauche et sa défaite aux législatives en 1978 ?

Leur saga pourrait prendre place vers 1980 à Tolbiac (Paris-I), dans le 13e arrondissement. Plus précisément dans le fameux amphi N, où une génération, à commencer par Manuel Valls, s’est initiée aux « prises de parole » devant un bon millier d’auditeurs et à l’art de retourner une salle. En cette année 2012, Tolbiac se révèle la pouponnière des « patrons » de la gauche d’aujourd’hui. Parmi tous ceux qui s’y sont formés, pas moins d’un ministre, donc, et deux dirigeants de formation politique : Pierre Laurent, patron du Parti communiste, étudiant en sciences éco de 1977 à 1979, et Harlem Désir, nouveau chef du PS, de deux ans son cadet, formé à la philo par les cadors de l’althussérisme de Tolbiac.

« L’EFFERVESCENCE ÉTAIT PERMANENTE »

« Anars, lambertistes, communistes, liguards, socialistes, pablistes, autonomes… C’est simple : il y avait tout. L’ambiance était super-idéologique. Nous étions une gauche de résistance », se rappelle le premier secrétaire du PS. « Chaque organisation tenait une table dans le hall, l’effervescence était permanente, se souvient aussi Pierre Laurent. Pour la législative de 1978, l’UEC avait organisé un face-à-face entre Philippe Herzog et Paul Quilès, candidats dans le 13e. L’amphi N débordait… »
Tout avait pourtant été fait pour empêcher Tolbiac de devenir un nid d’agitateurs, comme Nanterre ou Jussieu. Un grand bâtiment avec des tours – il fallait caser 13000 étudiants sur un triangle de 4 500 m2 –, une fosse, des ascenseurs… « Une fac transparente où les locaux syndicaux avaient vue sur la cafet’,et où les couloirs étaient en pente, sans doute pour faciliter l’accès des flics », raconte le journaliste Serge Faubert. « Des sols recouverts de galets où les filles se prenaient les talons, conçus pour qu’on ne s’y rassemble pas trop », ajoute Patrick Cohen, militant de l’UNEF devenu la voix des matinales de France Inter.

Si Nanterre 68 symbolise le primat de l’extrême gauche dans les années 1970, Tolbiac 80 raconte le renouveau du PS grâce au syndicalisme étudiant et la revanche des vaincus de Mai 68. C’est au début de l’ère Mitterrand que plusieurs figures de la LCR de Tolbiac adhèrent au PS derrière Julien Dray : Stéphane Rozès, un temps secrétaire de section de Daniel Vaillant avant de quitter la politique pour les sondages, le journaliste Didier François, alias « Rocky », l’une des vedettes de l’amphi N, ou encore la sénatrice Laurence Rossignol.

Les lambertistes de Tolbiac, comme Marc Rozenblat, lunettes fumées et sang chaud, rejoignent à leur tour le PS derrière Jean-Christophe Cambadélis en 1986. C’est à Tolbiac enfin que se développe un « collectif autonome » fasciné par les groupes armés allemands ou italiens. Mais tous, d’Harlem Désir à Pierre Laurent en passant par Manuel Valls, finiront par quitter la fac sans croiser l’étudiante sage et discrète qui se lancera ensuite dans une carrière de première dame : Valérie Massonneau, future Trierweiler.

Vers une rencontre au sommet François de Rugy/Fabrice Nicolino

Rajout épouvanté : certains lecteurs ont visiblement pris au pied de la lettre le titre de ce (tout) petit papier. Il n’est qu’auto-ironie, évidemment ! Le jour où je me prendrai réellement au sérieux ne me semble pas arrivé. Ceci posé, je verrai bel e bien monsieur de Rugy s’il n’a pas changé d’avis.

Il y a quelques jours, sur Planète sans visa, j’ai consacré un article désagréable (ici) – pour lui – au député Europe Écologie/Les Verts (EELV) François de Rugy. Il y a répondu en commentaire, et j’ai aussitôt ajouté mon point de vue. Ce sont ces très courts textes que j’extrais des commentaires, où ils risquent fort de ne pas être assez lus à mon sens. Je précise pour François de Rugy que je ne prépare aucun traquenard et que ma réponse est simplement sincère.

François de Rugy le 28 novembre 2012

Cher Monsieur Nicolino,

Vous consacrez un long article à ma modeste personne avec force citations (dont vous reconnaissez ne pas toujours avoir les sources – gênant pour un journaliste, d’autant plus quand on revendique la qualification).?Vous dites pourtant ne pas connaître et plus étonnant ne pas vouloir me connaître. Étrange de me consacrer autant de lignes quand on ne veut pas me connaître…?Comprenne qui pourra! Comme je suis curieux, que j’aime le débat, donc la contradiction, je lance l’invitation à vous rencontrer. Quand vous voulez! “FDR” (!)

fabrice le 28 novembre 2012

Cher monsieur de Rugy,

Un mot sur la source. Je suis (presque) sûr que vous savez lire, et vous n’aurez pas manqué de noter que j’ai bel et bien cité une source, en général de qualité : Wikipédia. Mais ma déontologie m’interdisait de m’en contenter, car je ne disposais pas alors de l’origine directe, qui se trouve être le journal Presse Océan. Il me semble que cela fait beaucoup de scrupules pour quelqu’un qui, dites-vous, pourrait se sentir gêné.

Pour le reste, je vous remercie de votre invitation, et vous réponds : avec plaisir. Oui, voyons-nous. Où, quand ?

Au plaisir de la rencontre,

Fabrice Nicolino