Archives de catégorie : Morale

Les Verts, le WWF et le greenwashing (sur le cas Loiselet)

Je me tais quelques jours, confiant dans la capacité des Terriens à se passer de moi. Je vous laisse avec une petite nouvelle qui rassure sur l’état des associations écologistes officielles. Jeudi 27 et vendredi 28 septembre a eu lieu à Paris un colloque du WWF, intitulé « Quelle relance écologique de l’économie européenne » (ici). On dira ce qu’on voudra, ces gens connaissent la langue française et pratiquent avec délice la figure rhétorique connue sous le nom d’oxymore. Qui est l’affirmation, sous la forme de deux termes, d’une chose pratiquement impossible. L’exemple le plus souvent cité est celui de Corneille, dans Le Cid : « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles ». Le WWF entend donc prôner une relance économique qui serait aussi écologique. Avec Total, Monsanto, et leurs magnifiques doublures ? Possible.

On me dit – je n’ai pas vérifié personnellement – qu’était présent le sieur Éric Loiselet, responsable du Comité d’orientation politique (COP) chez Europe-Écologie Les Verts (EELV). Ce machin est censé définir les orientations générales du parti dit écologiste. Il joue ainsi un rôle éminent dans le positionnement du mouvement sur des questions comme la Conférence environnementale ou le traité européen. Or Le Canard Enchaîné nous apprend que ce Loiselet est aussi le grand dirigeant adulé de la région Champagne-Ardenne. Ayant regardé de plus près, je puis vous dire que Loiselet est conseiller régional (ici) et qu’il a, bien entendu, été candidat aux élections législatives.

Un détail : Loiselet est un gracieux cumulard, mais lui est à la fois payé par l’impôt public, et par le privé. Il est également directeur conseil associé d’une grosse boîte américaine de lobbying, Burston-Marteller (ici), dont je retiens, parmi les très nombreux clients industriels, ces quelques noms : Philip Morris, Monsanto, Total, ainsi que la junte militaire argentine. Oui, Burston-Marteller a défendu les intérêts des fascistes qui s’étaient emparé du pouvoir après 1976, torturant et assassinant chemin faisant des milliers d’opposants. Pas grave. Il est vrai que le WWF-Argentine a longtemps été dirigé par un homme de la junte, le fasciste Martinez de Hoz. Il est vrai que le WWF a créé une crapuleuse table-ronde sur le soja soutenable (ici) – encore un bel oxymoron – qui profite à Monsanto, membre de la supercherie, et à tous les salopards du Paraguay, de l’Argentine et du Brésil qui ont planté du soja transgénique sur des dizaines de millions d’hectares, en lieu et place de la forêt ou du cerrado, une sublime savane de là-bas.

Dans ces conditions, je n’ai pas même le goût de vérifier la présence au colloque du WWF de ce Loiselet. Il y avait sa place, toute sa place.

Je n’ai pas le temps, mais quand même (l’étude Séralini sur les OGM)

Ce long texte est la faute exclusive de Sancho, lecteur de Planète sans visa, qui m’a poussé dans mes retranchements. Il avait bien raison. Tu avais bien raison. C’est long, mais cet article contient des informations que vous ne trouverez pas ailleurs, notamment à propos de deux personnages, Gérard Pascal et Catherine Geslain-Lanéelle. C’est de l’aguichage ? Il n’y a pas d’autre mot.

Je pense que vous êtes au courant. Gilles-Éric Séralini est l’auteur principal d’une étude sur les OGM. Publiée dans la revue réputée Food and Chemical Toxicology, qui a accueilli des recherches de Monsanto sur le même sujet, elle annonce une sorte d’Apocalypse. Des rats ont été divisés en trois groupes. Le premier soumis à un régime à base de maïs OGM NK 603, le deuxième à ce même maïs OGM traité au Roundup, herbicide bien connu, et le troisième à un maïs non OGM, mais traité au Roundup (ici). Je n’entre pas dans le détail des résultats, qui sont, comme vous savez, accablants pour les OGM.

Je n’y entre pas, car je suis bien incapable, aujourd’hui comme demain, de juger l’étude Séralini. Je connais cet homme, je sais son honnêteté foncière, sa vaillance, sa valeur scientifique. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout. En 2005 – sept ans, comme le temps passe, hein ? -, j’ai mené avec lui un long entretien dans le magazine Terre Sauvage, auquel je collaborais alors. En voici un extrait : « (Séralini) Nous n’avons plus, pour ainsi dire, d’observatoire global, ni de l’homme ni de la nature, ce qui a de nombreuses et fâcheuses conséquences. N’oublions jamais que ce sont les physiciens à l’origine de la bombe A qui ont développé à la fois  la biologie moléculaire et l’informatique. Physiciens et mathématiciens ont en quelque sorte dit aux biologistes : vous devez saisir le code génétique des humains. Et en le comparant explicitement au code informatique ». « (Moi) À vous suivre donc, les OGM seraient le fruit d’une certaine vision, discutable, de la science. Mais au fait, à quand remontent vos premiers contacts avec les OGM ? ».

« (Séralini) Dès mes années d’étude, j’ai travaillé sur des OGM de laboratoire. J’ai pratiqué la manipulation, le clonage, le séquençage des gènes. Quant aux OGM qui allaient devenir commerciaux, ceux dont on parle tant, je les ai découverts en 1991, quand j’ai été nommé professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen. J’étais au courant des essais d’OGM en plein champ, et comme je devais faire un enseignement sur le sujet, j’ai lu les rapports de la Commission du génie biomoléculaire de l’époque – de 86 et 96 – et surtout le premier bilan qu’avaient écrit Axel Kahn et ses collègues. Les fabricants d’OGM assuraient qu’ils allaient permettre une réduction de l’usage des pesticides, dont je savais le rôle dans les dérèglements hormonaux et les cancers. J’étais donc non seulement favorable, mais enthousiaste devant ces nouvelles perspectives. J’ai pris les dossiers en mains et là, la stupéfaction m’a… ». « (Moi) …saisi ? ». « (Séralini) …Atterré ! Car je me suis rendu compte que la principale stratégie des industriels était de “fabriquer” des plantes capables d’absorber des pesticides sans en mourir. Alors qu’on prétendait réduire ces produits ! Et du reste, dix ans après le lancement des OGM commerciaux, les trois quarts des plantes transgéniques ne sont que cela. Seconde stratégie, tout aussi curieuse : la création de plantes OGM qui sécrètent leur propre insecticide. Lequel est, je le rappelle, aussi un pesticide ».

Revenons au présent. Je ne sais donc pas la valeur scientifique du travail de Séralini. On le saura fatalement, un jour ou l’autre. En attendant, le spectacle des réactions m’amène à m’interroger, car cette soudaine montée au créneau de tant de scientifiques pour disqualifier à ce stade le travail du professeur rappelle inévitablement des souvenirs. Qui s’inscrivent dans les stratégies désormais connues de l’industrie pour sauvegarder ses intérêts. L’exemple le plus abouti est celui des cigarettiers américains, car depuis la date de 1998, le Master Settlement Agreement – un accord à l’américaine clôturant un immense procès contre les industriels de la clope – a peu à peu rendu publics des millions de documents internes à Marlboro and co.  Le résultat est ahurissant, même si je ne suis pas tout à fait né de la dernière pluie. L’historien des sciences Robert Proctor en a tiré un livre de 750 pages, Golden Holocaust, que j’ai commandé aux Amériques, que j’ai reçu, que je n’ai pas encore lu. La quatrième de couverture fait peur.

Je vous ai signalé déjà, par ailleurs, un excellent article de l’excellent Stéphane Foucart, qui rapporte la parution du livre et ses a-côtés (ici). Sachez, si vous ne le savez, que des pontes de la science française ont servi les intérêts mortels de la clope. Des pontes. Et que le centre de la stratégie des cigarettiers consistait à gagner du temps en finançant des études parallèles, inutiles, confuses autant que contradictoires, avec pour seul but de créer du doute. Est-ce que le même scénario se reproduit autour de ce que la science officielle appelle déjà « l’affaire Séralini » ? Je rappelle qu’on l’accuse désormais de mensonge, de biais évidents, de choix plus que contestables de la souche de rats ayant servi à l’expérience, etc, etc. Ce qui est proprement incroyable, c’est que nul n’a pu, en un temps si bref, examiner l’étude pilonnée. Personne. Est-ce que cela a empêché des flopées de scientifiques bardés de diplômes de déblatérer à la télé ou à la radio ? Non. A-t-on vu, fût-ce de loin, pareille mobilisation lorsque des études payées par Monsanto ont prétendu que les OGM ne posaient aucun problème de santé publique ? Non.

Attention, ce qui suit est une interrogation, et elle n’est pas formelle. Je n’accuse personne. Je ne sais rien. Et même le pire criminel reste innocent tant qu’on n’a pas démontré sa culpabilité. Or donc, je n’accuse pas Gérard Pascal et Catherine Geslain-Lanéelle. Mais comme je connais – un peu – les deux, je me sens tenu de vous confier quelques éléments en ma possession. Gérard Pascal a longtemps été un homme-clé de notre système de surveillance alimentaire. Il a ainsi été le président, entre 1998 et 2002, du conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), aujourd’hui dissoute dans l’Anses. Je vous mets à la fin de l’article un CV du monsieur, qui date de 2007. C’est instructif. En tout cas, Gérard Pascal, arborant ses titres comme autant de médailles, s’est autorisé une sortie terrible contre Séralini : « Le protocole d’étude de M. Séralini présente des lacunes rédhibitoires (Le Monde du 20 septembre 2012) ». Ce n’est pas une critique, c’est du tir au gros.

L’étude ayant été validée par des pairs, et publiée par une revue de haute réputation, à comité de lecture précisément, il me paraît difficile de croire, au plan de la simple logique, qu’elle soit à ce point ridicule. Par ailleurs, et je me répète, nul ne pouvait dire le 20 septembre, quelques heures après publication, ce que pouvait valoir une étude ayant mobilisé de bons scientifiques pendant deux ans. So what ? Quand j’ai écrit Pesticides, révélations sur un scandale français (paru chez Fayard en 2007) avec mon ami François Veillerette – la bise à tous les trois -,  j’ai eu l’occasion d’égratigner Pascal. Page 226 de l’édition générale, nous constations, François et moi, que Gérard Pascal avait été le conseiller d’une agence de com’ et de lobbying, Entropy Conseil, laquelle a par exemple mené des campagnes de promotion en faveur de l’industrie des pesticides. Hum. Lorsque j’ai écrit Bidoche (paru aux éditions LLL en 2009), j’ai retrouvé sur mon chemin Gérard Pascal. Extrait du livre :

« La société créée par Serge Michels à son départ de Que Choisir, Entropy, reste à bien des égards une entreprise fascinante. Outre son fondateur, dont on apprend au passage qu’il a participé aux travaux du Conseil supérieur d’hygiène de France, du Conseil national de l’alimentation, de l’Inra, de la Commission européenne et du Codex Alimentarius, les scientifiques d’Entropy sont vraiment fameux. Il s’agit, dans l’ordre d’apparition à l’écran d’ordinateur, de Gérard Pascal, Philippe Verger, Claude Fischler, Serge Hercberg, Jeanne Brugère-Picoux, Adam Drewnovski. Regardons un peu mieux le cas Gérard Pascal, personnage clé de la sécurité alimentaire en France. On ne peut détailler un curriculum aussi prestigieux que le sien, mais même en élaguant, on demeure surpris par l’étendue et la durée des responsabilités qu’il a occupées. Il fut – et parfois reste – président du conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), membre de la Commission du génie biomoléculaire, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), au CNRS puis à l’Inra, expert pour l’évaluation des projets de recherche à la direction générale « Recherche » de l’Union européenne, président du comité scientifique directeur de l’Union européenne. Il a reçu en 1993, comme Mme Bellisle en 2007, le prix de la recherche de l’IFN. Et il est donc en relation commerciale avec Protéines, agence au service de l’industrie ».

Si vous êtes encore là – sait-on jamais -, vous me direz peut-être : et l’IFN, c’est quoi ? Comme je veille à mes intérêts – et plutôt à mon temps -, je me permets respectueusement de renvoyer à mon livre. Encore un bout : « Que peut-on ajouter sur les experts d’Entropy ? Trois fois rien. Ils sont (presque) tous membres de l’IFN, eux aussi. Serge Michels fait partie du grand institut indépendant, ainsi que Serge Hercberg, Claude Fischler, Gérard Pascal – membre du conseil d’administration –, et même Adam Drewnovski. Comme le monde est petit ! Ce n’est certes pas un crime, juste une considération géographique. Tous les points de l’univers semblent parfois se rejoindre. Même l’agence Protéines, ès qualités, fait partie de l’IFN. C’est ainsi. Appelons cela une bizarrerie de la nature ».

Quant à madame Catherine Geslain-Lanéelle, sachez qu’elle est la patronne de l’EFSA, acronyme anglais pour Autorité européenne de la sécurité des aliments. Elle a annoncé ces derniers jours que son agence analyserait l’étude Séralini. Oui, mais avec les mêmes experts que ceux qui avaient donné le feu vert au maïs OGM si gravement mis en cause par ce même Séralini, qui a aussitôt déclaré : « Pas question que ceux qui ont autorisé le NK 603 réalisent la contre-expertise de nos données. Il y aurait un conflit d’intérêt avec leur autorité et leur carrière ».

Au passage, je signale que l’EFSA a été gravement mise en cause pour des conflits d’intérêt, jusques et y compris dans son panel de scientifiques qui suivent le dossier OGM. Cela donne le tournis, mais j’y ajoute volontiers ma touche personnelle. Dans Pesticides, cité plus haut, nous avions, François et moi, évoqué le cas Geslain-Lanéelle, réputée de gauche, mais oui, faudrait pas croire. Un premier extrait, qui concerne la gestion de l’épouvantable dossier Gaucho, du nom d’un pesticide dévastant ruchers et abeilles : « Le juge Ripoll, qui a ouvert une instruction à Paris à la suite d’une plainte d’un syndicat d’apiculteurs, perquisitionne avec éclat au siège de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), une administration majeure qui dépend du ministère de l’Agriculture et dirigée alors par Catherine Geslain-Lanéelle. Il réclame communication du dossier d’autorisation de mise sur le marché du Gaucho. Inouï : Geslain-Lanéelle, pourtant haut fonctionnaire, en théorie au service de la République, refuse avec hauteur. Ripoll est si furieux qu’il l’oblige à rester dans une pièce sous contrôle. On frôle la garde à vue ! Finalement, la directrice peut appeler le ministre de l’Agriculture, Jean Glavany, et seulement lui. Sans céder pour autant. La justice n’obtiendra pas gain de cause. Le ministère est une forteresse qui n’est pas près d’être investie ».

Oh oh ! Deuxième extrait : « On pourrait presque achever là ce chapitre, mais on serait trop loin du compte. Il faudrait pour cela oublier le plus grave, le plus sombre du secret entourant le Gaucho et le Régent. Sous Guillou et Geslain-Lanéelle, la gestion du dossier a amplement démontré que l’administration française soutenait les intérêts industriels contre ceux de la santé publique. Mais l’arrivée de Thierry Klinger aggrave encore les choses : elle coïncide avec des méthodes faites de franche intimidation ». Un troisième, pour la route :

« Catherine Geslain-Lanéelle a failli rater une très belle promotion. Nommée à la tête de la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (DRAF) en Île-de-France après son passage à la DGAL, elle guignait sans trop le cacher un poste à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Jacques Chirac en personne, sans doute inspiré par des ennemis plus proches, a tenté de l’en empêcher. Mais le vieux chef n’a plus la main depuis des lustres, et en février 2006 Geslain-Lanéelle a été nommée directrice exécutive de l’EFSA, à Bruxelles. Comment vous priver de ses premières paroles ? Les voici : « J’entre en fonction à l’EFSA à un moment opportun. En effet, sur la base de l’énorme travail d’ores et déjà fourni, je m’engage à faire de l’EFSA une référence européenne en matière d’évaluation des risques concernant la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux au niveau tant européen qu’international. Les gestionnaires des risques en Europe doivent pouvoir se fier à des avis scientifiques indépendants et transparents pour élaborer des politiques et des mesures de sécurité alimentaire. » Seul un impudent personnage oserait poser la question suivante : Mme Geslain Lanéelle aurait-elle été nommée si elle avait choisi de coopérer avec la justice de son pays au moment de la perquisition du juge Ripoll ? ».

Voici ma contribution. Dans tous les cas, elle peut aider, ce me semble, à réfléchir.

—————————————————————————————————————

Curriculum Vitae de Gérard Pascal, arrêté en 2007

I – ETUDES ET FORMATION GENERALE

1. Etudes
1964    –    Ingénieur de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Lyon, spécialité « Biochimie », avec les félicitations du Jury
1964    –    Certificat de Zoologie Appliquée (C4) (Université de Lyon)
1968    –    DEA de Nutrition (Université de Paris VI)
2. Stages de longue durée
Septembre 64 – Août 65    :    CEA-CEN-Saclay – Service des Molécules marquées
Novembre 65 – Février 66    :    (Ingénieur stagiaire, puis Scientifique du contingent
Juin 66 – Avril 67    :    puis  Agent  Contractuel  Scientifique  INRA  mis  à disposition)
Mars – Mai 66    :    Centre de Recherches du Service de Santé des Armées :
Hôpital Percy, Division de Radiobiologie (Scientifique du
contingent)
Avril 67 – Juillet 76    :    Centre de Recherches sur la Nutrition du CNRS : ACS,    Assistant, puis Chargé de Recherches INRA mis à disposition (à plein         temps, puis à mi-temps)
II – ACTIVITÉS DE RECHERCHE
1. Carrière à l’INRA
Juin 1965    :    Agent Contractuel Scientifique
Décembre 1967    :    Assistant de Recherche
Juillet 1970    :    Chargé de Recherches
Janvier 1980    :    Maître de Recherches
Mai 1986    :    Directeur de Recherches, 1ère classe
Mai 1999    :    Directeur de Recherches, classe exceptionnelle
Janvier 2004    :    Directeur de Recherches honoraire
2. Responsabilités à l’INRA
Avril 1983    Directeur Adjoint du Laboratoire des Sciences de la Consommation
Juillet 1984    Chargé des fonctions de Chef du Département des Sciences de la
Consommation
Juil. 1984 / Sept 1989    Directeur du Laboratoire des Sciences de la Consommation (24
agents dont 15 scientifiques et ingénieurs)
Juil. 1985 / Oct. 1989    Chef du Département des Sciences de la Consommation (105
agents dont 65 scientifiques et ingénieurs)
Oct. 1989 / Déc. 1992    Chef du Département de Nutrition, Alimentation, Sécurité
Nov. 1996 / Déc. 1997    Alimentaire (280 agents dont 145 scientifiques et ingénieurs)
Janv. 1993 / Déc. 99    Directeur du CNERNA – CNRS
Déc. 1997/ Déc.03     Directeur Scientifique pour la Nutrition Humaine et la Sécurité des
Aliments à l’INRA
III – ACTIVITÉS D’ENSEIGNEMENT
–    Professeur Consultant de Nutrition en 2ème année à l’ENSIA (Massy) de 1982 à 2005
–    Interventions régulières dans divers DEA et DESS
–    DEA National de Toxicologie : co-responsable de l’option toxicologie alimentaire de 1991 à 1999
–    Participations à des jurys de thèse : de 5 à 10 participations par an jusqu’en 2000.
IV – ACTIVITÉS DANS LES COMMISSIONS SCIENTIFIQUES
– Au niveau national :
–    Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France :
.    Membre consultant, puis membre de 1978 à 2000
.    Président du groupe de travail « Additifs alimentaires » et expert toxicologue du groupe « Matériaux au contact » de 1983 à 1988,
.    Président de la Section de l’Alimentation de Novembre 1988 à Novembre 1992
–    Commission d’Étude des produits Destinés à une Alimentation Particulière (CEDAP) : membre de 1980 à 1992
–    Conseil National de l’Alimentation : représentant du PDG de l’INRA de 1986 à Juin 1989, puis membre de droit jusqu’en 1999
–    Commission du Génie Biomoléculaire : membre depuis 1986
–    Commission de Technologie Alimentaire : membre de droit depuis sa création en Juillet 1989 jusqu’en 2000
–    Commission Interministérielle et Interprofessionnelle de l’Alimentation Animale : membre de droit depuis 1993 jusqu’en 2000
–    Président du Conseil Scientifique de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) de 1999 à 2002. Membre du Conseil d’administration de 2002 à 2005.
– Au niveau international :
–    Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine de la CEE : membre de 1986 à 1997. Président de septembre 1992 à septembre 1997.
–    Multi-Disciplinary Scientific Committee of the E.U. (centré essentiellement sur le problème de l’ESB) de juillet 1996 à octobre 1997.
–    Comité Scientifique Directeur de l’Union Européenne : membre depuis Juillet 1997 et Président de novembre 1997 à avril 2003.
–   Membre du groupe de travail « Expérimentation animale pour l’évaluation de la sécurité des OGM du Panel OGM » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) depuis septembre 2004.
–    Consultation FAO/OMS sur les Biotechnologies et la Sécurité Alimentaire (Rome 1996) ; Expert invité.
–    Co-Président du Workshop de l’OCDE sur l’Evaluation Toxicologique et Nutritionnelle des Nouveaux Aliments- OGM (Aussois 1997).
–    Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, participation comme expert aux discussions sur la Nutrition Humaine et la Sécurité Alimentaire (1993, 1994, 1997 et 1998).
–    Expert en Sécurité Alimentaire de l’OMS depuis 1993.
–    Membre du Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives (JECFA) depuis 1995.
V – DISTINCTIONS
–    Médaille de bronze du Service de l’Hygiène et des Maladies Contagieuses de l’Académie Nationale de Médecine (1978)
–    Chevalier du Mérite Agricole (1987)
–    Lauréat de l’Académie Nationale de Médecine : Prix du Centre de Recherches Cliniques et Biologiques sur la Nutrition de l’Homme (1990)
–    Lauréat de l’Académie des Sciences : Prix du Docteur et de Madame Henri LABBE (1990)
–    Lauréat de l’Institut Français pour la Nutrition : Prix de Recherche de Nutrition (1993)
–    Médaille d’Or du Comité de l’Agro-Industrie de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (1995)
–    Membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France (1996)
–    Officier du Mérite Agricole (1997)
–    Médaille CHEVREUL de l’Association Française pour l’Etude des Corps Gras (1999)
–    Chevalier dans l’ordre National du Mérite (2000)
–    Prix de Nutrition de l’Institut Benjamin Delessert (2002)
–    Élu membre de l’Académie des Technologies (2002)
–    Grand Prix des Industries Alimentaires de l’Académie des Sciences (2002)
–    Commandeur du Mérite Agricole (2004).
–    Prix de la Recherche en Nutrition de l’Association Ajinomoto (2006)
–    Médaille d’argent du Comité mixte FAO/OMS d’expert des additifs alimentaires (JECFA) (2006)

Cracher dans la soupe des journalistes (les cas Alberganti et Nau)

Le texte qui suit est long, et la première partie est d’ordre un peu personnel. Qui voudrait commencer à lire le véritable sujet du jour – un papier paru sur le site en ligne Slate pourrait s’épargner les sept premiers paragraphes. Notez que je serais ravi que vous restiez avec moi du début à la fin.

Je crois pouvoir écrire, sans me vanter, que je n’ai pas l’esprit corporatiste. Parmi les innombrables journalistes que j’ai pu croiser dans ma vie, bien peu m’auront convenu, encore moins impressionné. La profession – c’est un signe des temps – est massivement corrompue sans seulement s’en douter. Je ne parle pas des enveloppes distribuées de la main à la main, emplies de bon argent frais. Non, cela, je ne l’ai pas vu. Mais j’ai été le témoin de bien d’autres choses, et vous me permettrez sans doute d’être plus concret.

J’ai travaillé pour l’hebdomadaire Femme Actuelle comme secrétaire de rédaction au moment de son lancement à l’automne 1984. Comme il y a prescription, je puis vous dire en deux mots que j’ai réussi alors un coup difficile. Car je n’étais nullement secrétaire de rédaction, poste hautement technique, et bien au-dessus de mon savoir de l’époque. J’avais 29 ans, et un bien grand besoin de croûter. Par la grâce d’une insider  – une femme de l’intérieur -, je me suis pointé un lundi matin en prétendant avoir travaillé pour d’excellents journaux de la place. Je vous jure que je n’en menais pas large. Ce fut l’un des labeurs les plus éprouvants de ma vie, le plus dur même, je crois bien.

À chaque minute, je craignais d’être démasqué comme l’imposteur authentique que j’étais. Et puis non. Après des jours et des jours épuisants de folle(s) et drolatique(s) ruses, j’ai été intronisé. Malgré quelques sérieuses alertes – je le répète, c’était technique -, j’ai réussi les deux semaines de remplacement qui étaient proposées au début. Le vendredi de mon départ programmé, et dans les cinq dernières minutes, la responsable du service, Nicole Ligney, m’a proposé de rester à plein temps, s’excusant de ne pas me proposer meilleur salaire. Elle ne savait pas que je n’avais jamais gagné autant d’argent de toute ma vie ! Je suis resté, et j’ai obtenu de la sorte ma première carte de presse, qui permet d’entrer gratuitement au musée.

C’est également à Femme Actuelle que j’ai compris qu’on pouvait parfaitement réaliser un journal populaire sans se vautrer dans la bassesse. Pour ceux qui n’ont pas connu les années 70, je rappelle le lamentable exemple du Parisien libéré de ce temps, qui faisait du lepénisme avant l’heure, perpétuellement à l’extrême bord du racisme le plus abject. Non, Femme Actuelle, qui devait finir par vendre 2 millions d’exemplaires par semaine, ne rabaissait pas le propos et même, en règle très générale, ouvrait des débats de bonne tenue. Je le jure, j’y étais. Ce qui ne m’empêche pas de me souvenir du reste. Une bonne part de la rédaction croulait sous les cadeaux publicitaires des firmes sur lesquelles elle prétendait ensuite donner son avis. Comme les envois étaient massifs, le standard de la rue Raffet était proprement débordé, au point que l’ordre avait été donné d’envoyer les présents commerciaux au domicile privé des rédactrices, car le journal ne comptait pratiquement que des rédactrices. Et le journal donnait ensuite, en toute indépendance, des conseils sur les fringues, les produits de beauté, les colifichets.

Je ne vais pas dresser la liste de tous les journaux pris dans ces rets. J’ai vu également comment les livres sont, en règle plus que générale, traités. Un peu partout, jusque dans la presse jugée sérieuse et référentielle. C’est horrible. Il n’y a pas un journaliste sur dix qui lise. Mais la plupart reçoivent gratuitement – en service de presse – des bouquins sur lesquels les invités marcheront en entrant dans le bureau du destinataire, ou qui seront vendus dans le quartier parisien de Saint-Michel sans qu’on ait seulement songé à ôter la page dédicacée. Variante : notre grand PPDA, qui recevait au temps de sa splendeur probablement vingt livres par jour, s’obstinait à adresser à l’envoyeur un mot manuscrit l’en remerciant. Le plus souvent à l’aide d’un parapheur, comme les ministres, car le Grand Homme n’avait évidemment pas le temps. Ni de lire, ni de remercier lui-même. Moi, je suis pour l’abolition de ce service de presse gratuit. Si un journaliste a envie de lire, qu’il le prouve, et ce n’est pas gagné.

J’ai également connu le règne abominable – pour moi – du renvoi d’ascenseur. Des voyages payés dans mon dos par l’institution dont j’étais censé parler au cours d’un reportage. Il m’est ainsi arrivé de consacrer un long article, publié dans l’un des plus grands magazines français, à un Parc naturel régional. Avant de réaliser sur place qu’il y avait anguille sous roche. Que tout était minutieusement préparé à mon insu. Que je devais parler de tel ou tel, ce que je n’ai d’ailleurs pas fait. Une autre fois, et pour ce même magazine, je me suis vu proposer, dans un magasin de luxe qui faisait partie de mon sujet, un blouson de qualité. Sans que le mot échange, vous vous doutez, ne soit jamais proposé. Non, en effet, je ne cite pas le nom de ce journal que tout le monde connaît. Pour une raison simple : l’un de ses chefs, pour qui je travaillai directement en ces deux occasions, pourrait bien avoir été l’un des purs et simples corrompus, au sens financier, de mon expérience personnelle. Et je n’ai aucune preuve.

Jamais on ne m’aura offert directement de l’argent. Une fois, pour me clouer le bec, on m’a proposé un travail on ne peut plus fictif, qui m’aurait rempli les poches pour une année.  C’était drôle, je vous raconterai cela une autre fois. De même que les quelques procès de presse que j’ai eu à affronter, et qui n’ont pas tous été des parties de plaisir. Bon, voilà que je réalise, un peu tard, que je prends mes aises au moment même où je souhaitais vous parler de deux valeureux journalistes, Michel Alberganti et Jean-Yves Nau. Ces deux-là viennent de publier sur le site de Slate (ici) un article titré : « Nucléaire, gaz de schiste, bisphénol: le gouvernement se prive de la science ». Notons ensemble, pour commencer, qu’ils eussent pu titrer : « se prive de science ». Mais non, la science est une, irrévocablement.

Avant d’entrer dans le cœur de mon commentaire, deux mots sur les auteurs. Alberganti et Nau ont longtemps été journalistes au Monde. Le premier de 1995 à 2009, le second de 1980 à 2009. Le premier comme responsable de la rubrique Sciences, le second comme titulaire de la rubrique Médecine. Ce n’est pas rien, n’est-ce pas ? À ce titre, ils ont pu notablement influencer une partie significative de la société française. Je me dois de préciser tout de suite que Nau a été au centre d’un petit scandale dans le vaste pandémonium de l’affaire du sang contaminé. Le principal acteur de cette abominable histoire, le docteur Garretta, a été condamné en 1992 à quatre ans de taule. Or Jean-Yves Nau avait été salarié pendant quelques mois de 1988 par une société dirigée par Garretta, pour préparer une exposition sur la transfusion sanguine. Le menu souci, c’est qu’au moment où l’affaire du sang empoisonné éclate en 1991, Nau est tout naturellement chargé de la suivre. Il ne prévient pas Le Monde qu’il connaît Garretta au point d’avoir été son employé au moment même – 1988 – où il était celui du Monde.

Je précise que Nau n’a été convaincu d’aucun trucage. Mais il n’est pas interdit de se poser des questions de morale élémentaire. Et je reprends le cours de mon commentaire en vous livrant un mot sur les itinéraires respectifs, au plan de la carrière, des deux signataires du billet de Slate. Alberganti n’a rien d’un scientifique, et son diplôme des Arts et Métiers l’aura conduit à certifier les navires transportant du gaz au bureau Veritas puis à travailler dans la presse technique – Industries et Technologie, L’Usine nouvelle – avant d’entrer au Monde. Croyez-le, cela ne m’inspire aucune réserve, mais cela me semble important de le noter. Quant à Nau, il a été docteur en médecine avant de devenir journaliste. Médecin, donc, comme l’aura été son ancien employeur Michel Garretta.

Le papier que ces deux journalistes signent dans Slate est un concentré, d’une rare densité, de pure et simple idéologie. Attendez, je vais m’expliquer. Alberganti et Nau épinglent le gouvernement à propos de trois décisions : la (soi-disant) interdiction de l’exploitation des gaz de schiste ; la fermeture en 2016 de la centrale nucléaire de Fessenheim ; l’interdiction du bisphénol A. Et nos deux amis – je suppose qu’ils le sont, amis – d’en appeler à la science, qui aurait été bafouée dans les trois cas cités. Restons-en, même si j’aimerais beaucoup sortir du cadre, à la science. L’article pointe, concernant les gaz de schiste, une évidence. Hollande a parlé dans un contexte difficile pour lui, et s’il n’était tenu par la présence de deux ministres EELV et l’existence d’une opinion critique, il aurait probablement déclaré autre chose.

Oui, mais c’est le cas de tout pouvoir. Et quand Slate prétend opposer la politique des gouvernements précédents – sur le sang, sur l’hormone de croissance, sur la vache folle -, qui auraient suivi la science, et le pouvoir actuel, il se moque du monde, car la politique a toujours été au commandement. Évidemment, doit-on ajouter. Mais la vraie malignité est ailleurs, dans cette opposition factice entre science et décision publique. En substance, disent les journalistes, l’interdiction – supposée – des gaz de schiste ne repose sur aucune considération scientifique. Et là, ils dérapent. Alors que les pétroliers peinent à fournir des études sérieuses en leur faveur, il ne manque plus de travaux scientifiques pointant des problèmes bien réels, touchant au paysage, à l’eau, au climat. Question centrale : pourquoi ne pas écrire cela ? Parce que Nau et Alberganti ne le savent pas ? Mais en ce cas, qui les informe sur le dossier ? Et n’est-il pas troublant de constater – comme je l’écrivais ici il y a quelques jours à propos de l’actuel journaliste du Monde Jean-Michel Bezat -, que l’industrie des gaz de schiste est lancée dans une lourde opération de communication ?

Le nucléaire ? Franchement, l’article devient détestable. La centrale de Fessenheim est en service depuis 1978. En 2016, si elle ferme à cette date, elle aura 38 ans d’activité dans les pattes. C’est énorme, car personne ne conteste que les centrales vieillissent. Et qu’elles doivent fermer. Refuser cette idée, c’est d’évidence affirmer que le nucléaire ne représente strictement aucun danger. Je constate que ni Nau ni Alberganti ne prennent la peine de seulement évoquer les innombrables avancées scientifiques sur la question du nucléaire, et par exemple sur l’effet des faibles doses de radiation. Ainsi, alors que la science officielle chère à Nau et Alberganti assure que les doses reçues autour de Tchernobyl aujourd’hui ne sauraient avoir des effets sérieux sur la santé humaine, des médecins de terrain et de grande valeur, comme le professeur Bandajevsky, ont prouvé tout le contraire. Nau et Alberganti ont bel et bien choisi leur camp : celui d’EDF et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il est piquant pour qui connaît l’histoire du nucléaire – c’est mon cas – de voir à quel point cette industrie de la terreur s’est développée sans la science, mais à 100 % par la politique, le lobbying, le secret le plus total. Alberganti et Nau sont de bien curieux aficionados.

Enfin, le bisphénol. On touche le fond. Ce poison, comme jadis le DDT, sera interdit en janvier 2014. C’est une bonne nouvelle parce que des études scientifiques prouvent les terribles perturbations endocriniennes dont est responsable le bisphénol. Le fond de l’argumentation de Slate est ici : « C’est donc en l’absence de données consensuelles nées de l’expérience que les interdictions le concernant ont commencé à être prises ». Le mot clé est consensuelles. Il faudrait, pour complaire à Nau et Alberganti, que tout le monde soit d’accord. Qu’il n’y ait aucune position si peu que ce soit contraire. Eh bien, n’est-ce pas exactement ce qu’ont plaidé jadis les industries criminelles de l’amiante et du tabac ? Mais si, mais si ! Les structures qui conseillent ces nobles entreprises en coulisse savent faire, remarquablement. Dans un livre paru en silence aux éditions Le Pommier (Les Marchands de doute), Naomi Oreskes et Erik M. Conway décrivent avec une clarté glaçante comment ils ont fait. Comment les grands Manitous du tabac, de la chimie, du pétrole ont pu manipuler les opinions en suscitant des études confuses autant qu’opportunes, venant semer le trouble et l’incertitude au moment où la décision politique s’imposait.

Ce livre, je vous en reparlerai, car il est exceptionnel de force. Mais vous avez sans doute entendu parler des formidables papiers du journaliste – du Monde, lui aussi, voyez qu’il n’y a pas complot – Stéphane Foucart sur les « conspirateurs du tabac » (ici). Des preuves venues des États-Unis établissent que des grands noms de la science – y compris en France – ont participé, dans des conditions qui restent à éclairer, à cette désinformation majeure. Où veux-je en venir ? Certainement pas à une accusation de corruption contre Nau et Alberganti. Je suis raisonnablement certain de leur honnêteté. Seulement, ils baignent dans la si douce idéologie du scientisme et du progrès. Et quand l’on est dans cette disposition d’esprit banale, comme Nau et Alberganti, on devient ipso facto une cible de choix pour les services spécialisés. Car l’on sait dès l’avance, comme Nau et Alberganti, que le nucléaire, le pétrole, la chimie sont la condition de cette si magnifique marche en avant de l’humanité. Et j’ajoute par-devers moi : marche vers l’abîme. Il faut et il suffit – c’est fait dans Slate – de trouver et disposer de jolies fleurs sur la couronne mortuaire.

Oui, je sais. J’ai accusé les deux amis de faire dans l’idéologie concentrée. Comme monsieur Jourdain faisant de la prose sans le deviner, chacun fait de l’idéologie. Même moi ? J’en ai bien peur. Mais un autre jour, je vous dirai pourquoi, à mon  sens, l’écologie en produit bien moins que d’autres. Restons donc en contact.

Et une con-fait-rance environnementale, une !

La bouffonnerie est reine. Rions donc comme à Carnaval. Pleurons de même, puisque, de toute façon, notre impuissance est totale. Pour ce qui me concerne, je regarde avec stupéfaction la pantomime qui se prépare. Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Je résume pour les sourds et mal-entendants : M.Hollande réunit vendredi 14 et samedi 15 septembre, au palais d’Iéna de Paris, une Conférence environnementale. Sur le modèle, mais en parodie, du Grenelle de l’Environnement voulu par Sarkozy en septembre 2007. Je vous glisse sous forme de PDF deux documents que l’on a le droit de juger hilarants. Un sur le déroulement (organisation des débats.pdf), l’autre qui donne la liste des participants (invités.pdf).

Mon premier commentaire sera évident : le simple fait que se tienne pareil conclave marque une défaite du mouvement écologiste. En effet, le cadre imposé par les socialistes est digne de l’émission télévisée des années 70 qui s’appelait Chefs-d’œuvre en péril. On y considérait la France des villages et l’affreuse atteinte du temps sur les nobles monuments légués par l’Histoire. Il s’agissait de dépenser quelques picaillons pour sauvegarder un clocher ou l’aile d’un château. Ma foi, cela ne mangeait pas de pain. Refaire le coup près de cinquante ans plus tard n’est pas seulement ridicule : il s’agit d’une insulte jetée au visage des centaines de millions – qui seront bientôt des milliards – de victimes de la crise écologique planétaire.

Hollande and co, qui se moquent tant de l’écologie qu’ils ne savent pas ce que c’est, prétendent donc, avec l’aval des écologistes officiels qui participent, incarner une vision nationale des écosystèmes. C’est baroque, inutile de s’appesantir, mais comme il faut entrer dans les détails, allons-y. La question de l’énergie ? Les pauvres âmes qui nous gouvernent ne pensent qu’à une chose : gagner un point de croissance pour éviter d’être jetés au prochain scrutin. Le dérèglement climatique ? Plus tard, un jour, peut-être. Je sais que Hollande a vu à plusieurs reprises Christophe de Margerie, patron de Total, par l’entremise de Jean-Pierre Jouyet, cousin de ce dernier et patron de la Caisse des dépôts et consignations (ici).

C’est on ne peut plus normal compte tenu de leurs rôles respectifs, mais que se sont-ils dit ? Selon ce que j’ai glané – je ne suis pas certain -, ils ont abordé la question des gaz et pétrole de schiste. Côté cour, Hollande et ses amis refusent toute exploitation en France, où la technique de fracturation hydraulique est interdite par une loi votée par la gauche et la droite l’an passé. Côté jardin, les mêmes misent sur un retournement de l’opinion, qui sur fond d’augmentation continue du prix du gaz domestique, pourrait accepter des forages en France. À la condition, par exemple, que les pétroliers bidouillent une technique présentée comme différente de la fracturation hydraulique. En façade, donc, intransigeance gouvernementale face aux gaz de schiste. Et en privé, encouragements donnés à Total pour malaxer l’opinion publique. L’affaire Bezat montre que nous sommes face à un plan concerté. En deux mots, Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde, y publie le 26 juillet un reportage réalisé aux États-Unis – 700 000 puits en activité, des régions entières transformées en Lune aride – sur les gaz de schiste. Surprise relative – Bezat est un grand admirateur de l’industrie -, ce reportage est très favorable au point de vue des pétroliers. Et puis plus rien.

Et puis on apprend que le voyage de Bezat a été payé par Total (ici). On, mais pas les lecteurs du si déontologique quotidien du soir, qui n’ont évidemment pas le droit de pénétrer dans l’arrière-boutique. En résumé : Total prépare le terrain, en accord avec Hollande, pour qui l’exploitation des gaz de schiste en France serait une bénédiction électorale. Et une violation grossière de la loi Énergie de juillet 2005, qui prévoit une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en France à l’horizon 2050. Mais que représente la loi au regard d’une possible réélection ?

Revenons à la Conférence qui commence demain. Si j’ai abordé en commençant le dossier des gaz de schiste, c’est parce qu’il est emblématique. Comme l’est le nucléaire, défendu sans état d’âme par ce gouvernement, ainsi que par le précédent. Reportez-vous plus haut au déroulement des festivités. La table-ronde numéro 1 s’appelle : « Préparer le débat national sur la transition énergétique ». On devrait mettre au centre de toute discussion la crise climatique et les extrêmes dangers d’une industrie sans contrôle, le nucléaire. Or non. On va comme à l’habitude blablater, de façon à « définir les enjeux du débat national », puis « définir les grandes règles du débat national ». En 2012, après tant de centaines de rapports, tant d’alertes et de mises en garde, d’engagements passés – le référendum sur le nucléaire promis par Mitterrand en janvier 1981 -, nous en sommes encore au point mort.

Et nous le resterons, je vous en fiche mon billet. Deux ministres en exercice participent à cette table-ronde truquée : Delphine Batho, ministre de l’écologie, et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les deux sont en faveur du nucléaire. Le second clairement en faveur de l’exploitation des gaz de schiste. Et de même madame Batho, qui, en hypocrite accomplie, fait semblant de croire que le dossier ne bouge pas. La fracturation hydraulique n’est-elle pas interdite par la loi ? À côté des deux ministres, une « facilitatrice » du nom de Laurence Tubiana. J’ai écrit sur elle en 2008, si cela vous intéresse : c’est ici.

Ceux qui acceptent de siéger dans ces conditions sont des dupes ou des manipulateurs. Peut-être les deux. Il n’y a pas de débat sur l’énergie, car les décisions ont déjà été prises. Ce que le pouvoir veut, c’est une caution. Il l’aura. Les écologistes officiels qui ont servi la soupe à Sarkozy il y a cinq ans peuvent bien aujourd’hui feindre qu’on ne les y reprendra plus. Si, on les y reprendra, aussi longtemps que les structures dégénérées qu’ils conduisent existeront. Voulez-vous qu’on parle des autres tables-rondes ? Bon, soit. L’intitulé de la deuxième est saisissant. La biodiversité s’effondre partout, mais, cocorico, on va s’atteler à la mise en œuvre de « la stratégie nationale pour la biodiversité » de manière à « favoriser la prise de conscience citoyenne ». C’est tellement con que ce n’est même plus drôle. On trouve ceci sur le site de notre ministère de l’Agriculture : « Grâce à l’Outre-mer, avec 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime mondial, après celui des USA. Dans l’Océan Indien, les zones sous juridiction française s’étalent sur une surface huit fois plus grande que celle de la métropole. Cet immense espace maritime, réparti dans tous les océans, dote la France d’une grande richesse en matière de biodiversité marine, ce qui constitue à la fois un atout et une responsabilité. »

Formidable, hein ? Alors que l’Europe, pour une fois inspirée, souhaite interdire progressivement le chalutage profond, notre France vertueuse s’y oppose. S’y oppose, à nouveau pour de sordides intérêts politiciens. Or le chalutage profond est une catastrophe écologique planétaire (ici). Autre menu exemple : le nickel est en train de tuer à jamais des espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie, venues en droite ligne du  Gondwana, supercontinent créé il y a 600 millions d’années et dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des ultimes morceaux, à la dérive depuis bien avant l’arrivée des hommes sur terre. Non, bien sûr que non, on ne parlera pas de biodiversité. Et pas même chez nous, dans notre vieille France où l’agriculture industrielle est reine. Le Foll, ministre de l’Agriculture, a dealé depuis des semaines avec la FNSEA, puissance dominante, au point de ne pas même inviter à la Conférence de demain la Confédération paysanne, pourtant proche de la gauche. Au point d’aller visiter le 3 septembre les industriels français des biocarburants, fiers défenseurs d’une filière criminelle (ici). Je dois bien reconnaître que ces gens me dégoûtent.

Le reste ? Quel reste ? Table-ronde 3 : « Prévenir les risques sanitaires environnementaux ». Ministre présente : Geneviève Fioraso, militante déchaînée du nucléaire, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse (ici). Les deux dernières tables-rondes, chiantes comme la mort dès leur énoncé, devraient causer fiscalité et gouvernance. Tout cela est à chialer. Mais comme je n’écoute que mon grand cœur, je n’entends pas vous quitter sans positiver un peu. Attention ! ce qui suit est à prendre au premier degré, malgré ce qui précède. Un certain nombre d’écologistes officiels, qui se rendront demain au palais d’Iéna, gardent ma sympathie. Notamment ceux du tout nouveau Rassemblement pour la planète (ici), comme André Cicolella, Nadine Lauverjat, Franck Laval ou François Veillerette. Ils vont tenter d’arracher quelques mesures dans le domaine de la santé, et même si je crois qu’ils se trompent sur le fond, ils ont mon estime et mon affection. Ceux-là du moins pensent à l’avenir.

Notre classe politique (un désastre total)

Le gouvernement socialiste encense le nucléaire et prépare le grand retour de l’exploitation des gaz de schiste. La ministre de l’Écologie défend l’idée d’un aéroport près de Nantes, à Notre-Dame-des-Landes, pour complaire à son promoteur, Jean-Marc Ayrault. Je les vomis.

Oh, je sais bien qu’il faut faire attention. Vilipender la classe politique peut se révéler inquiétant aux yeux de certains. Il est de bon ton de réserver cela à Le Pen et à ses sbires. Mais moi, je considère la totalité, fascistes compris. Et je ne mets pas tout le monde dans le même sac avant d’aller le jeter à la rivière. Non, je vois les différences. Mais, mille fois hélas, quelle que soit la couleur des oriflammes, elles sont dérisoires. Elles le sont, car aucun membre de la corporation, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, ne met en avant la moindre mesure susceptible d’au moins nous faire gagner du temps. Faut-il le rappeler ? Nous sommes lancés dans une course contre la montre, contre l’effondrement des écosystèmes ayant permis l’émergence des sociétés humaines.

Il n’y a plus aucun doute que la dislocation a commencé. Il n’y a plus aucun doute que la stabilité du climat, réelle depuis environ 10 000 ans, sera bientôt un souvenir. Or 10 000 ans en arrière, c’est grossièrement la naissance de l’agriculture, suivie des premières cités, puis de ce que l’on appelle, probablement par antiphrase, la civilisation. Cette coïncidence ne doit rien au hasard : c’est parce que le climat était de moins en moins imprévisible que les hommes ont pu s’installer, et planter. Que se passera-t-il demain sur une planète surpeuplée ? Je veux bien admettre qu’il existe plusieurs réponses, même si je crois la mienne plus réaliste. Dans tous les cas, nous n’allons pas vers les beaux jours.

Une telle situation, sans aucun précédent dans l’Histoire humaine que nous connaissons, exigerait de la part de nos représentants de formidables qualités, qui certes ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. Or aucun n’en a été doté. Nos politiques sont globalement des crétins, qui ne pensent qu’à leur prochain mandat, qui ne lisent pas ou peu, dont l’esprit érodé s’est peu à peu habitué aux règles sordides de la télévision et d’internet, réseaux sociaux compris. Les plus jeunes de ces si vieux passent un temps fou, chaque jour, à tweeter. Je précise pour ceux qui ne savent pas que le réseau Twitter oblige à des messages ne dépassant pas 140 signes. On ne s’approche pas du néant, on y est.

Aucun, je dis bien aucun, politique français de 2012 n’a conscience de l’imminence d’un basculement. Les plus ridicules, dans ce concours involontaire, sont encore les écologistes officiels d’Europe-Écologie. D’un côté, ils évoquent le pic pétrolier, le danger nucléaire, l’extrême gravité de la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité. De l’autre, ils acceptent, le sourire aux lèvres, deux strapontins dans un gouvernement aussi productiviste, aussi insensible aux vraies questions que le précédent. Au rythme de leurs ondulations et reptations, peut-être auront-ils un troisième ministre le jour où les poules auront des dents. Peut-être. Point trop n’en faut.

Est-ce bien étonnant ? Non. L’Histoire du siècle passé, pour en rester au proche, montre combien il faut miser sur le neuf, le marginal, la rébellion de l’esprit. Voyez avec moi les cas admirables de Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Je doute que beaucoup d’entre vous connaissent ces grands héros français. Moi, je ne les ai pas oubliés. Commençons par Monatte. Pierre, né en 1881, était un correcteur d’imprimerie. Responsable de la CGT au temps où ce syndicat n’avait pas encore été empoisonné par le stalinisme, il était anarchiste, au moins jusqu’en 1907. En 1909, c’est lui qui crée l’alors magnifique Vie ouvrière, un journal comme nul n’en fait plus. Il n’aimait pas le drapeau, la musique militaire, l’autorité, la guerre. Quand éclate la tuerie de 1914, tous ses espoirs s’effondrent. Les proclamations pacifistes, les serments d’amitié éternelle entre prolétariats de France et d’Allemagne, les si beaux discours des congrès disparaissent en quelques jours. Restent les tranchées. Il est minuit dans le siècle. Les socialistes de cette époque – la SFIO – pactisent avec leurs adversaires d’hier et entrent dans des gouvernements d’union sacrée. Les peuples vont saigner pendant quatre années.

Alfred Rosmer, né en 1877, est d’abord employé, puis journaliste à La Vie Ouvrière de Monatte, dont il deviendra l’ami définitif. Il y signe des papiers sur le théâtre, qui sera l’une des passions de sa vie passionnée, et passionnante. Anarchiste comme Monatte, il se rapproche comme lui, juste avant la guerre de 1914, de ce que l’on nommait le syndicalisme révolutionnaire, courant splendide qui pensait pouvoir renverser le monde par la grève générale. En 1914, à l’orée de la grande boucherie continentale, Monatte a 33 ans, et Rosmer 37. Ce ne sont pas des perdreaux de l’année. Vont-ils, comme tant de Gustave Hervé ou Miguel Almereyda, abandonner leur honneur, et devenir des patriotards ? Non.

À rebours d’une société qui désormais les exècre, Monatte et Rosmer maintiennent intact leur refus de la guerre. Ils sont seuls, ils sont une misérable poignée. On leur crache à la gueule. On fait mine de ne pas les reconnaître quand on les croise. Ils s’en foutent. Internationalistes ils étaient, internationalistes ils demeurent. La guerre est une merde sanglante, disent-ils avec d’autres mots. Un gigantesque abattoir où la justice n’a aucun droit de cité. En décembre 1914, avant de rejoindre en janvier 1915 le 252 ème régiment et de faire la guerre, contraint, Pierre Monatte démissionne du comité confédéral de la CGT pour protester contre son soutien à la guerre. Dans une lettre ouverte, il l’accuse de s’être déshonorée.

De son côté, Rosmer écrit le 1er novembre 1915, dans une admirable lettre aux abonnés de La Vie ouvrière : « Si nous avions accepté de faire notre partie dans le chœur de ceux qui, subitement, trouvèrent à la guerre des vertus, ces obstacles eussent été facilement surmontés. Mais c’eût été “pour vivre perdre toute raison de vivre” – chose très ancienne comme la formule qui sert à l’exprimer, – et pas un instant nous n’avons voulu être dupes des interprétations que les gouvernants ont si généreusement fournies aux peuples pour apaiser leur conscience et les faire aller joyeusement à la mort ».

Les deux amis jouèrent un rôle essentiel, du moins côté français, dans deux conférences internationales microscopiques, tenues en 1915  en en 1916 en Suisse, dans l’Oberland. À Zimmervald d’abord, à Kienthal ensuite, une quarantaine de délégués venus de toute l’Europe sauvent à eux seuls l’idée européenne, et la fraternité humaine. Dérisoire ? Dans l’Europe en feu de l’époque, sans nul doute. Mais plus encore fondamental. Le manifeste de Kienthal est l’un des moments les plus authentiques de l’homme, l’une des preuves que la noblesse existe en lui. Lisez donc avec moi cet extrait, publié au moment où tombent les jeunes êtres par millions : « Ni vainqueurs ni vaincus, ou plutôt tous vaincus, c’est-à-dire tous saignés, tous épuisés : tel sera le bilan de cette folie guerrière. Les classes dirigeantes peuvent ainsi constater la vanité de leurs rêves de domination impérialiste. Ainsi est-il de nouveau démontré que seuls ont bien servi leur pays ceux des socialistes qui, malgré les persécutions et les calomnies, se sont opposés, dans ces circonstances, au délire nationaliste en réclamant la paix immédiate et sans annexions. Que vos voix nombreuses crient avec les nôtres : A bas la guerre ! Vive la paix ! ».

Ce mots d’il y a près d’un siècle me font trembler encore. Je précise que le vocable socialiste est évidemment utilisé dans un contexte qui n’a rien à voir avec le nôtre. Pour le reste, disons que j’éprouve une vive et fraternelle admiration pour vous, ô Rosmer, ô Monatte. Ajoutons qu’ils moururent dans les années 60 du siècle écoulé, et n’abdiquèrent jamais. Gloire.

Vingt ans après celle de 14-18, et malgré les promesses, la guerre était de retour. Cette fois, sous la forme hideuse d’un fascisme apocalyptique. La classe politique française s’est couchée tout entière devant Hitler. Non, dites-vous ? Le parti communiste ne l’a pas fait ? Exact. Le parti communiste s’est livré à Staline, et aurait couché avec les nazis si le maître de Moscou l’avait exigé. Savez-vous seulement comment Thorez et Duclos ont défendu le pacte criminel conclu entre Hitler et Staline en août 1939 ? Savez-vous que Duclos, cette vieille crapule, a négocié avec l’armée d’occupation allemande, à l’été de 1940, pour obtenir la reparution légale, sous contrôle nazi, de L’Humanité ? Plus tard, bien plus tard, sera forgé le mythe du Parti des 75 000 fusillés. Je m’égare un peu ? Oui.

La vérité approximative de cette époque de sang, c’est qu’un homme seul a pu représenter l’espoir de tout un peuple, le nôtre (ici). Et cet homme, c’est De Gaulle. Qu’il ait été dans sa jeunesse un soldat de métier maurrassien, probablement antisémite, ajoute au miracle, que j’ai déjà rapporté ici à plusieurs reprises. Quoi qu’il en soit, pendant le sinistre été 1940, tandis que l’Angleterre elle-même était menacée d’une invasion, il a su rassembler 200 ou 300 partisans, et partir au combat contre l’une des plus formidables armées de l’Histoire. Un héros, lui aussi ? Pardi ! Quel autre mot lui accoler ?

J’en reviens au présent. D’abord, et pour éviter un funeste malentendu, soyez sûrs que je n’entends pas ici parler de moi. Si je frôle de la sorte le ridicule, c’est qu’un authentique connard, sur une radio, a prétendu que je me comparais à De Gaulle. Il est vrai que ce connard est aussi un imbécile. Je ne suis rien d’autre qu’une personne, « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». Je n’ai aucune vocation à devenir ce que je ne suis pas.

Et je reprends mon propos. Rien ne sortira de la classe politique d’aujourd’hui. Des individus singuliers s’en échapperont, et rejoindront le camp des défenseurs de la vie. Je n’en doute pas. Mais dans son ensemble, cette classe est perdue, à tout jamais. Et l’avenir, s’il demeure ouvert, ne saurait être incarné que par des êtres en rupture totale de ban. Des individus louches au regard torve. Des allumeurs de réverbères. Des chercheurs d’eau dans le désert. Des rhéteurs sans public. Des bretteurs sans rapière. Des chemineaux. Des hoboes. Tous ces gens-là, qui sont mes frères, préparent dans le mépris ou dans les marges du monde ce qui devra nous sauver tous. Ne croyez plus aucun politique. Ayez foi dans ceux qui marchent en direction des étoiles.

 PS du  3 septembre : Certains articles de Planète sans visa sont excellemment reproduits et enrichis sur le site http://www.altermonde-sans-frontiere.com/. Je lui pique avec plaisir et reconnaissance cet extrait musical ajouté au texte ci-dessus, et qui me transporte. John Lee Hooker ! Voici :  http://www.youtube.com/watch?v=zYrVwGxlcFA&feature=player_embedded