Archives de catégorie : Morale

Nous en sommes donc là (une photo de presse)

Ce n’est qu’un signe parmi des milliards d’autres. Le signe en tout cas que l’esprit public se contente d’inepties. De billevesées, sornettes et coquecigrues, qu’on pardonne mon usage des synonymes. Alors même que la pensée vive devrait se concentrer sur l’essentiel, et cet essentiel ne saurait être autre chose que la crise écologique, elle se perd dans les sables du désert de l’intelligence. Regardez, oui regardez bien la photo ci-dessous, tirée d’un article de Libération de ce 12 juillet 2012.

Ce journal, né en 1973, avait alors pour bannière : « Peuple, prends la parole et garde-la ». Aujourd’hui, voici comment débute l’article qui accompagne la photo : « Qu’on se le dise: Jean-François Copé a déjeuné hier avec Nicolas Sarkozy. Opportunément alerté, un photographe de l’AFP a surpris le secrétaire général de l’UMP sur le chemin de ce rendez-vous, auquel s’était joint Brice Hortefeux, gardien du temple sarkozyste ».

Un journaliste professionnel de l’AFP a donc, sur ordre bien sûr, attendu Copé sur un trottoir parisien, après arrangement avec son staff pour régler les questions d’horaire. La photo publiée aurait pu être prise deux ans avant, cinq ans plus tard, sans que rien n’en soit changé. Elle dit à la perfection le vide dans lequel nous acceptons tous de vivre. Jusqu’à cette fausse distance prise par le journaliste de Libération, qui tente sans y parvenir de nous faire croire qu’il n’est pas dupe. Eh si ! il l’est. Il est la dupe que l’on espérait, et il nous prend du même coup pour ses pigeons. En quoi il a raison.

Attention les yeux : le 14 juillet, dans le cadre de l’entretien télévisé coutumier du président de la République, il est question que François Hollande aborde la question du tweet que sa nana, Valérie Trierweiler a envoyé en juin au candidat « dissident » de La Rochelle, Olivier Forlani. Je n’en dors plus. La photo :

Le patron de l'UMP Jean-Francois Copé en route pour son déjeuner avec Nicolas Sarkozy, le 12 juillet 2012, à Paris.

Le patron de l’UMP Jean-Francois Copé en route pour son déjeuner avec Nicolas Sarkozy, le 12 juillet 2012, à Paris. (Photo PIERRE VERDY.AFP)

Le Sommet de la Terre de Rio, Monbiot, Orru et le ridicule rigolo

L’ami Jean-Paul Brodier m’envoie la parfaite traduction d’un papier récent du Britannique George Monbiot (ici). J’ai beaucoup parlé de Monbiot dans les premières années de Planète sans visa, et presque plus depuis un long moment. Il y a une raison : Monbiot a publié un papier étonnamment favorable, dans mon esprit du moins, au nucléaire. Cela m’a secoué, au point que j’avais oublié l’essentiel : Monbiot est un grand journaliste, et malgré tout un véritable écologiste. Que Jean-Paul soit donc doublement remercié. Pour sa traduction, et pour m’avoir conduit à retrouver la mémoire.

Vous trouverez ci-dessous trois textes. Le premier est donc celui de Monbiot, qui revient sur le formidable désastre qu’a été la conférence de Rio, soi-disant Sommet de la Terre. Le deuxième, je l’espère en tout cas, vous fera rire, et sur le même sujet s’il vous plaît. Bien involontairement, je le crois et le crains, le directeur général du WWF en France, Serge Orru, se livre à un désopilant exercice au sujet de Rio. Je vous laisse découvrir son cri publié aujourd’hui même dans le quotidien gratuit 20 minutes, cela vaut la peine. Et d’autant plus que je vous glisse en prime une offre de travail originale. Tandis que les Serge Orru touchent des salaires de cadres très, très supérieurs, le WWF fait refaire ses plates-bandes par des jardiniers « bénévoles ». Ah les braves gens !

1/ Monbiot

Comment la « soutenabilité » est devenue la « croissance soutenable »

La déclaration de Rio se torche avec les principes de l’action environnementale

En 1992, les leaders mondiaux se sont engagés sur une chose dénommée « soutenabilité ». Peu d’entre eux avaient une idée claire de ce que cela signifiait ; j’en soupçonne beaucoup de ne pas avoir d’idée du tout. Peut-être en conséquence, il n’a pas fallu longtemps pour que ce concept se mue en quelque chose de subtilement différent : « développement soutenable ». Puis il a fait un saut vers un autre terme : « croissance soutenable ». Et maintenant, dans le texte que le Sommet de la Terre 2012 (ici) est sur le point d’adopter, il a subi une nouvelle mutation : « croissance soutenue ».

Ce terme apparaît 16 fois dans le document, il y alterne indifféremment avec soutenabilité et développement soutenable. Mais si la soutenabilité a quelque sens, c’est à coup sûr l’opposé de croissance soutenue. La croissance soutenue sur une planète finie est l’essence de la non-soutenabilité.

Comme l’observe Robert Skidelsky, qui aborde ce sujet sous un angle différent, dans le Guardian d’aujourd’hui (ici) : Aristote ne connaissait l’insatiabilité que comme un vice personnel ; il ne soupçonnait rien de l’insatiabilité collective, orchestrée politiquement, que nous appelons croissance économique. La civilisation du « toujours plus » l’aurait frappé comme une folie morale et politique. Et à partir d’un certain point c’est aussi une folie économique. Ce n’est pas seulement ni principalement parce que nous allons nous heurter bientôt aux limites naturelles de la croissance. C’est parce que nous ne pourrons pas continuer longtemps à économiser sur le travail plus vite que nous ne lui trouvons de nouveaux usages.

Plusieurs des suppressions les plus scandaleuses proposées par les États-Unis — comme toute mention des droits, ou de la justice, ou de responsabilités communes  mais différenciées — ont été retoquées. Par ailleurs, la purge du gouvernement Obama a réussi, en rejetant des concepts tels que « modèles non soutenables de consommation et de production » et la proposition de découpler la croissance économique de l’utilisation des ressources naturelles.

Au moins les États appelés à signer ce document n’ont pas déchiré les déclarations du dernier Sommet de la Terre, il y a vingt ans. Mais en termes de progrès depuis lors, voilà tout. La réaffirmation des engagements de 1992 est peut-être le principe le plus radical de toute la déclaration.

Le résultat est que le projet de déclaration, qui semble destiné à devenir le document final, ne mène précisément nulle part. Cent quatre-vingt dix gouvernements ont passé vingt ans à s’efforcer de « prendre en compte », « reconnaître » les crises environnementales et à exprimer une « profonde inquiétude » à leur sujet, mais pas à faire quoi que ce soit.

Ce paragraphe de la déclaration résume le problème pour moi :
Nous reconnaissons que la planète Terre et son écosystème sont notre maison et que l’expression Terre Mère est commune à un grand nombre de pays et régions, nous notons que certains pays reconnaissent les droits de la nature dans le contexte de la promotion du développement soutenable. Nous sommes convaincus que pour atteindre un juste équilibre entre les besoins économiques, sociaux et environnementaux des générations présentes et futures, il est nécessaire de promouvoir l’harmonie avec la nature.

Propos aimables, n’est-ce pas ? Ils pourraient être illustrés par des arcs-en-ciel et des licornes psychédéliques, et collés sur la porte de vos toilettes. Mais sans aucune proposition de moyens de mise en œuvre, on pourrait tout aussi bien leur trouver une autre fonction dans les mêmes lieux.

La déclaration se caractérise par l’absence de chiffres, dates et objectifs. Elles est bourrée de platitudes insensées, comme une publicité pour une carte de crédit, mais sans la menace nécessaire. Il n’y a rien là sur quoi travailler, aucun programme, aucune notion d’urgence, aucun appel à une action concrète au-delà des mesures inappropriées déjà actées dans de précédentes déclarations molles. Son ton et son contenu conviendraient mieux à un discours de départ en retraite qu’à un enchevêtrement de crises globales qui vont s’aggravant.

Le projet, probablement la déclaration finale, est fait de 283 paragraphes de vent. Il suggère que les 190 gouvernements appelés à l’approuver ont, effectivement, fait une croix sur le multilatéralisme, fait une croix sur le monde et fait une croix sur nous. Alors que faisons-nous maintenant ? C’est le sujet que je compte traiter dans mon papier de la semaine prochaine.

2/ Le texte de Serge Orru

L’écologie est joyeuse !

Créé le 27/06/2012 à 04h21
Après le piètre accord de « Rio+Vain » et les vicissitudes de notre monde accaparé par la sinistrose et le déferlement des crises, si nous devenions des écolos joyeux ? Imaginons que les gaz à effet de serre deviennent des gaz à effet de rêves ! On ne peut pas uniquement entraîner les peuples dans des démarches rébarbatives, quand bien même les constats sont alarmants. Il nous faut aussi diffuser des pratiques écologiques avec la dynamique de la joie et de la bienveillance aux autres et à la nature, car « L’indifférence, c’est le fléau », chante Michel Jonasz.?La vie est belle et notre planète magique est à préserver absolument pour nous et nos enfants chéris. Oui à l’éco-système ! Non à l’ego-système ! Antoine de Saint-Exupéry nous le dit : « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, tu as à le permettre. »

Serge Orru, directeur général? du WWF France

3/La proposition de travail du WWF

Prochaine mission bénévoles en Ile de France

Prochaine mission en Ile de France
Jardinage le Jeudi 5 juillet 2012

Nous vous proposons une matinée de jardinage le Jeudi 5 juillet 2012 de 9h à 13h au siège du WWF France.
Votre mission consistera à nettoyer une parcelle et à planter des fleurs sur une autre.
Nous avons besoin de 6 bénévoles (sans connaissances particulières) encadrés par Jacques, bénévole responsable.

Si vous êtes disponible pour cette mission, vous pouvez envoyez votre confirmation à benevolat@wwf.fr

Merci d’avance et bonne journée!

Service mobilisation & bénévolat
Fondation WWF-France
1, carrefour de Longchamp
75016 Paris

Pierre Cunéo, dir’cab de Delphine Batho (et grand ami de l’oligarchie)

Le terrain est glissant, et je vais donc tenter de bien me tenir aux murs. Comme vous savez sans doute, Madame Nicole Bricq a été remplacée au ministère de l’Écologie par madame Delphine Batho, parachutée par Ségolène Royal dans sa propre circonscription législative des Deux-Sèvres, en 2007. Madame Royal avait en effet décidé de ne pas se représenter, et Delphine Batho devint alors députée. Avant d’être, ce printemps, sous-ministre de la Justice, puis ministre de l’Écologie, à la place donc de madame Bricq.

Une simple rumeur, il est vrai insistante, car elle est entre autres colportée par Europe-Écologie-Les Verts, prétend que madame Bricq aurait été virée pour cause de Shell. Elle aurait contrarié les intérêts de la transnationale en suspendant l’autorisation de forages pétroliers au large de la Guyane. Je ne dispose d’aucune information exclusive, mais ceux qui croient cette histoire non plus. En attendant mieux, je n’y crois guère. Madame Bricq grande écologiste, je n’y crois pas du tout. Je parierai que la vérité se trouve ailleurs. Ce qui ne veut certes pas dire que l’industrie du pétrole n’a pas joué un rôle dans cet embrouillamini.

Passons au sujet du jour. Madame Batho, bien que jeune – elle est née en 1973 -, est une redoutable politicienne. Ce qui est d’ailleurs son droit. Si je m’autorise ce qualificatif de « redoutable », c’est parce qu’elle vient d’une marmite dont le maître-queux s’appelle Julien Dray. Elle a été, à l’âge de 17 ans, présidente de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), puis responsable de SOS-Racisme, deux associations créées en fait par Dray pour le compte de son si cher François Mitterrand. Je sais assez de choses sur les mœurs de ces structures pour être assuré que madame Batho connaît la chanson. Beaucoup de chansons même.

Et voilà que j’apprends qu’elle vient de choisir Pierre Cunéo  comme directeur de cabinet. Inutile de vous dire que je n’ai jamais rencontré cette personne, mais cela n’empêche pas d’en dire quelques mots. Né en janvier 1975, il a donc 37 ans, et comme il a fait l’ENA et Sciences Po, comme il est Inspecteur des Finances, on se l’arrache. J’ai entendu dire qu’il avait reçu des propositions venant de différents cabinets ministériels. Il a choisi l’Écologie. Ma foi. Après avoir travaillé pour l’Insee, puis le ministère de la Défense, il embauche à la SNCF en 2008, au poste de directeur de la Stratégie ferroviaire et de la Régulation. La suite est à la hauteur : directeur de cabinet du patron de la SNCF, Guillaume Pepy, il est nommé en 2010 directeur du RER C.

Ne pas oublier l’année 2007, celle où Sarkozy est élu. On ne souhaite pas trop s’en souvenir chez M.Hollande, mais son ami de toujours, Jean-Pierre Jouyet, avait accepté sans broncher un poste de secrétaire d’État aux Affaires européennes dans le premier gouvernement Fillon. Pierre Cunéo était alors devenu le directeur-adjoint de cabinet de Jouyet, et même, d’après ce que je crois avoir compris, son ami. Fort bien. Je vous conseille d’écouter un petit reportage réalisé par Hervé Kempf en janvier dernier, au moment où sortent de table les membres du grand club d’influence appelé Le Siècle (ici). Je crois pouvoir dire que c’est instructif.

Poursuivons. Cunéo, haut fonctionnaire pouvant servir, selon les cas, la droite ou la gauche, est ami de Jean-Pierre Jouyet, lequel peut servir, de même, tout « le cercle de la raison » cher à Alain Minc. Jouyet est un habitué du club du Siècle, où se retrouvent discrètement banquiers, « grands journalistes », politiciens, patrons. Mais il a un autre talent, certes mineur, mais épatant tout de même : Jouyet est président du conseil de surveillance de l’Institut Aspen France. Et – quelle surprise ! quelle heureuse surprise ! -, Pierre Cunéo est le président du directoire de ce même Institut. On est vraiment très content pour eux. Pour nous, un peu moins.

Avant de vous livrer un élément important sur Aspen France, laissez-moi préciser les conditions de naissance de ce charmant machin. Aspen est une station de ski du Colorado, qui attire depuis bien longtemps les oligarchies américaines. Notez, et c’est vrai, qu’on peut être oligarque et mélomane, oligarque et amoureux de la peinture, de la littérature, des arts en général. Tel fut bien le cas de  Walter Paepcke, le fondateur en 1950 du Aspen Institute of Humanistic Studies, qui deviendrait l’Institut Aspen. Je n’ai ni le temps, ni vraiment le goût d’aller beaucoup plus avant. Cet Institut, qui n’a rien de secret, je le précise d’emblée, a mené depuis 60 ans une permanente campagne d’influence en faveur des transnationales et de l’American Way of Life. Avec l’aide de pontes démocrates et républicains, et très probablement de services officiels, éventuellement secrets. Je note par exemple que madame Paepcke était la sœur du considérable personnage que fut Paul Henry Nitze. Ce type a joué un rôle essentiel dans la définition de la politique américaine au début de la Guerre Froide, quand la menace de guerre nucléaire tétanisait le monde. Compte tenu de sa place, il n’y a aucun doute qu’il avait la confiance d’organismes civils comme la CIA, ou militaires comme la DIA. Peut-être davantage.

Vous me direz qu’on s’en fout, étant entendu qu’on parle là du frère de madame Paepcke. C’est juste. Mais Paepcke étant mort en 1960, sa veuve s’est ensuite appuyé sur son frère Paul Henry pour continuer l’œuvre. Et le frangin aura beaucoup donné pour ce qui ressemble furieusement à une entreprise d’influence planétaire. Financé par des fondations comme Rockefeller, Ford ou encore Carnegie, comptant à son bureau des anciennes ministres comme Madeleine Albright ou Condoleezza Rice, l’Institut organise des séminaires, des conférences et raouts, forme des petites élites proches de leurs vues dans quantité de pays du Sud. Oui, ça peut toujours servir.

Il existe plusieurs sections nationales de l’Institut Aspen, dont une, en Inde, que je vous recommande. Dans ce pays qu’on peut dire martyrisé par les choix politiques en faveur des transnationales, l’Institut Aspen local regroupe la fine fleur de l’oligarchie (ici). Sans le cacher le moins du monde – et pourquoi le ferait-il ? il en est fier ! -, Aspen présente comme partenaire-clé The Confederation of Indian Industry, qui regroupe les plus grands patrons de l’Inde. Ceux qui sont en train de tuer ce pays. Ceux qui le vendent. Ceux qui laissent crever les 650 000 villages de l’Inde réelle.

Et la France ? Oui, n’oublions pas la France. MM.Jouyet et Cunéo sont donc les responsables de l’Institut Aspen France. Et M.Cunéo s’apprête à jouer un rôle important au ministère de l’Écologie. C’est très bien. C’est d’autant mieux qu’Aspen France, jadis présidé par l’ancien Premier ministre Raymond Barre, a des vues concernant notre avenir commun. Dont « la compréhension de la mondialisation, des contraintes et des opportunités qui en résultent », comme l’indique son site internet, et « l’aggiornamento du modèle économique, politique et social français ». Oh, oh ! voyez-vous cela. L’aggiornamento. Ces gens, qui sont délicats, n’osent pas dire qu’ils veulent abattre les restes de l’édifice construit après 1944, celui du Conseil National de la Résistance. Ils n’écriront pas, les malins, qu’ils veulent ouvrir davantage tous les secteurs encore épargnés par les prédateurs. Voyons, ne sont-ils pas des humanistes ? Une idée de leur ton, à propos de l’Afrique, tiré d’un colloque de 2008 financé par la fondation Mérieux, c’est-à-dire l’industrie pharmaceutique : « La première [des opportunités] est que, dans la mondialisation, l’Afrique dispose d’avantages compétitifs considérables : l’espace – avec un continent quasi vide ; les hommes, avec un immense réservoir de main d’œuvre ; enfin les matières premières, dont l’Afrique dispose en quantité — c’est un avantage compétitif et c’est un avantage géostratégique majeur ».

Je suis sûr que cet accès de franchise vous fera plaisir. Et de même, d’apprendre qui fait partie du Conseil de surveillance en 2012. On trouve dans ce merveilleux aréopage des gens comme l’ancien patron des cimenteries Lafarge, le directeur général de Saint Gobain, ci-devant champion de l’amiante, le président d’Oddo Corporate Finance, banque d’investissement et de gestion des capitaux, le gérant d’Interfinexa, conseil en fusion et acquisition d’entreprises, le PDG du laboratoire BioMérieux, le PDG de GDF-Suez – eau, gaz, électricité, nucléaire -, le directeur général d’Oliver Wyman France, entreprise mondiale de conseil aux entreprises, etc, etc.

Cerise ultime sur ce gâteau un poil indigeste : parmi les partenaires d’Aspen France, outre une bonne partie des entreprises citées plus haut, on retrouve Total. Notre bonne vieille transnationale à nous. Celle des gaz et pétroles de schiste. Celle de Christophe de Margerie, son patron, qui est aussi le cousin par alliance de Jean-Pierre Jouyet, qui lui a fait rencontrer dans la tranquillité François Hollande. Total, rappelons-le, c’est la plus grosse boîte française, avec un chiffre d’affaires atteignant 180 milliards d’euros en 2008. Comme tout s’arrange au mieux ! Comme on se sent bien en famille ! Cunéo dirige Aspen, défenseur intransigeant de l’industrie transnationale, et fait tourner la petite boutique avec une aide désintéressée de Total. Le même Cunéo, devenu directeur de cabinet de la ministre de l’Écologie, aura chaque jour le nez sur des affaires en relation avec Total. Le premier qui parle de conflit d’intérêt est un homme mort.

La soudaine richesse des pauvres gens de Kenguir* (un anniversaire)

In memoriam, 16 mai-26 juin 1954, mai-juin 2012

Je fête, et nous ne devons pas être si nombreux, le cinquante-huitième anniversaire de la révolte du camp de Kenguir, au Kazakhstan. Je vous préviens d’emblée que ce qui suit n’a rien à voir avec l’objet obsessionnel de Planète sans visa, c’est-à-dire la crise écologique. Mais il se trouve que, trois à quatre fois par semaine en ce moment, je pense à ceux de Kenguir. J’aimerais, où qu’ils soient, leur faire savoir qu’un être humain a allumé une bougie pour leur âme.

Nous sommes en Union soviétique, en 1954. Le Meilleur des Hommes, le Grand Camarade Staline, est mort le 5 mars 1953. Nul ne peut imaginer le deuil qui a frappé le monde. Lisez plutôt cette ode au Plus Grand Génie de Tous les Temps, signé du poète officiel Rashimov : « Ô grand Staline, Ô chef des peuples/Toi qui fais naître l’homme/Toi qui fécondes la terre/Toi qui rajeunis les siècles/Toi qui fais fleurir le printemps/Toi qui fais vibrer les cordes musicales/Toi splendeur de mon printemps,/Soleil reflété par des milliers de cœurs ». En France, L’Humanité titre en une : « Deuil pour tous les peuples qui expriment dans le plus grand recueillement leur amour pour le grand Staline ». Le siège parisien du PCF est tout enguirlandé de noir. Louis Aragon déclare : « On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes – mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer ». Des milliers d’êtres en pleurs défilent lentement dans l’entrée de l’ambassade soviétique, pour signer un immense livre de condoléances.

Pendant ce temps, le Goulag. Des millions d’hommes y croupissent, la plupart sans avoir jamais rien fait. Ou prononcé une parole. Ou retenu une phrase. Parce qu’ils sont paysans. Ou bien Tatars. Ou encore pour avoir été prisonniers de guerre des Allemands en 1941, quand l’Armée rouge décapitée par Staline laissait entrer la Wehrmacht dans le pays comme dans du beurre. Des millions de détenus habitent des centaines de camps dispersés dans cet Archipel génialement décrit par Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne. Les mois qui suivent la mort du Meilleur Ami de l’Homme sont très difficiles pour les glorieux kapos qui gardent les miradors.  Lavrenti Pavlovitch Beria, qui a pris la succession, saura-t-il se maintenir au pouvoir ? Non, et c’est bien triste, car un tel homme manquera fatalement au monde concentrationnaire. Arrêté l’arme au poing par le maréchal Gueorgui Konstantinovitch Joukov, qu’il voulait liquider, il est buté d’une balle dans la tête le 23 décembre 1953.

Qu’on se mette à la place de ceux qui ont assassiné tant de millions de personnes depuis 1918. Il faut comprendre que cette instabilité au sommet met leurs nerfs à rude épreuve. Et de même, les détenus qu’ils gardent commencent à se demander si le moment n’est pas venu de relever la tête, ne serait-ce que pour voir une seconde le ciel. À Kenguir, dans les premiers mois de 1954, rien ne va plus. En février, un garde guébiste – c’est-à-dire un membre de la police politique – flingue un type qui, rapporte Soljenitsyne, avait tiré un billet de dix. Autrement dit, qui avait été condamné à dix ans de camp, dont il avait fait neuf ans et neuf mois. Il se fait donc tirer comme un lapin parce qu’il a décidé de pisser à côté d’une guérite en bois. Est-il dans une zone interdite ? Non. Les flics du camp, constatant sa mort, tentent de le déposer dans ce qu’on appelle « l’avant zone », ce qui aurait constitué une infraction. Mais les zeks – les détenus – se révoltent, saisissent des pelles et des pics, avant de charger le mort sur leurs épaules et de le ramener au camp.

Une minute. Un tel fait, soit le tir sur un homme qui n’a rien fait, est évidemment ordinaire. Nous serions en 1952 que rien ne serait arrivé. Et même dans l’hypothèse d’un mouvement de zeks, ceux-ci auraient aussitôt été bastonnés, et peut-être bien tués. Mais nous sommes en février 1954, je le rappelle, et commence alors un des plus beaux moments de la liberté humaine. Le camp de Kenguir est une ville de 20 000 zeks, dont la moitié sont des Ukrainiens, et un quart des Baltes ou des Polonais. Au retour de la victime, un anonyme lâche dans le noir d’un baraquement, au moment du coucher : « Frères ! Jusques à quand allons-nous continuer de construire et de récolter des balles en échange ? Demain, nous n’allons pas au travail ! ». Cet appel héroïque à la grève est repris de dortoir en dortoir, et le lendemain, c’est la grève. Ce premier essai est brisé en deux jours.

Est-ce fini ? Bien sûr que non. La pâte lève, que nulle force ne peut plus contenir. À la veille du 1er Mai, sentant monter quelque chose d’inconnu, les bureaucrates en chef du camp font entrer 650 de ceux que le régime nomme les « socialement proches ». Il faudrait un livre pour seulement approcher cette réalité-là. Les « socialement proches » sont les truands, le plus souvent d’un individualisme et d’une violence sans limites. Dans les îles et îlots du vaste Archipel, ces voleurs ont toujours joué le jeu des assassins, en frappant, volant, tuant volontiers les 58, c’est-à-dire ceux arrêtés, selon l’article 58 du code pénal stalinien, pour « activités contre-révolutionnaires ». Le jeu des chefs du camp est limpide : ils entendent casser le mouvement grondant des zeks en faisant entrer dans les chambrées ceux qui possèdent des armes – au moins des couteaux – et ne reculent pas au moment de s’en servir.

Disons-le, c’est un excellent choix. Partout dans l’Archipel, l’usage des truands a permis de faire régner l’ordre policier. Mais à Kenguir, l’air de la liberté a commencé de souffler. Il se passe un événement inouï, sans aucun précédent : les truands fraternisent avec les politiques. Oh ! je suis bien incapable de décrire la magie complète de ces effusions. Si vous en avez la possibilité, lisez de toute urgence les pages que mon grand, mon noble, mon si cher Soljenitsyne y consacre dans le tome 3 de l’Archipel du Goulag (pages 234 à 269 de l’édition originale en français). Quel grand malheur que tant de lecteurs ne lisent pas. Ou ne sachent pas lire. La totalité de ce texte, mais ces pages-là un peu plus, sont un chant venu des profondeurs, à la gloire de la liberté. Contre l’autorité. Contre l’État. En ce sens, et je sais très bien ce que j’écris,  Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, le slavophile, le chrétien orthodoxe, l’anticommuniste féroce était un immense anarchiste. Un frère. Je plains ceux qui le tiennent pour fretin, quand il était si évidemment géant.

Mais revenons à Kenguir. Le 16 mai, des héros inconnus brisent le mur séparant leur camp numéro 3 de deux autres. On ne peut imaginer plus fol défi à l’ordre. Les satrapes staliniens tirent et tuent treize détenus, puis laissent faire, espérant que l’affaire prendra la forme d’un viol de masse. L’un des camps ainsi libéré est en effet peuplé de femmes. Mais nul n’en touche aucune. Pas même l’un de ces truands qui n’auraient jamais hésité en d’autre circonstances. Dans la nuit, des libérateurs filent à l’isolateur – le cachot -, et en sortent 252 prisonniers. Dans les jours suivants, la grève générale insurrectionnelle est décrétée. Les promesses commencent, aussitôt trahies par les flics du lager. Une commission vient de Moscou, repart. Les flics rebouchent le mur. La révolte s’étend, se durcit, un Comité de grève voit le jour, qui durera jusqu’à la fin. On fabrique des piques et des couteaux, on pile du verre pour retarder l’entrée des soudards, s’ils entrent. Car il n’y a plus un seul garde-chiourme dans ce territoire miraculeusement libéré.

Je vous garantis qu’en écrivant ces mots, j’ai la main qui tremble. Je vous le garantis. Soljenitsyne raconte une atmosphère de grande fête politique, qui oscille sans cesse entre espoir et cauchemar. Les révoltés ont mis la main sur les vivres, et peuvent compter sur une eau abondante. Les affiches font leur apparition. On voit sur des bouts de papier l’essentiel de ce qu’il faut oser : « Les gars, tapez sur les tchékistes ! », ou bien « Mort aux mouchards, ces larbins des tchékistes ! ». Commentaire de Soljenitsyne : « Les heures de la liberté ! Des dizaines de kilos de chaînes qui vous tombent des bras et des épaules ! Ah, certes non ! on ne regrette pas ! Un jour comme celui-ci, ça en vaut la peine ».

La suite. Incursions et tirs de la flicaille stalinienne. Les insurgés creusent des galeries sous les murs reconstruits par les sbires, façon Gaza 2012. Ils créent une commission technique, et aussitôt une rumeur voit le jour : les zeks auraient mis au point des armes secrètes, qui feront merveille en cas d’assaut. Et le camp s’organise, sans l’État policier et ses chiens. La vie continue, et elle est incomparablement plus belle. On expérimente le vol d’électricité, et même la puissance des éoliennes. On ouvre un café. On fait de la musique. Parallèlement, les généraux staliniens débarquent à la queue leu leu sur un aéroport voisin. Ils viennent, repartent, montrent leurs épaulettes, se tâtent, téléphonent, regardent à la jumelle le camp de la liberté.

Nous sommes à un moment de grâce, qui ne peut pas durer. Les tueurs moscovites sont entravés, et depuis la mort de Beria, ne savent plus sur quel pied danser. Pactiser avec cette racaille ? Pouah ! Les mitrailler et disperser leurs cendres, comme ils ont fait pendant des décennies ? Et si le vent avait tourné ? Les salauds ont peur, ils hésitent. On organise des sommets où des émissaires passent d’un bord à l’autre, drapeau blanc au poing. Ceux de Kenguir ne savent jusqu’à quel point dire ce qu’ils pensent de ce régime atroce. Certains font semblant. D’autres moins. Les policiers continuent de flageoler.

Les détenus libres construisent une montgolfière, chargée de tracts, pour informer le monde du drame en cours. Elle se perd sur les barbelés de l’enceinte. D’autres ballons réussissent à atteindre la cité ouvrière toute proche. On a écrit sur le flanc des ballons : « Sauvez des coups les femmes et les enfants ». Car il y a des femmes et des enfants, nous sommes au paradis des travailleurs, n’est-ce pas ? Les flics harcèlent, ouvrent des brèches, photographient, filment, remplissent leurs dossiers. On tient assemblée générale sur assemblée générale, pour savoir s’il faut tenir, ou capituler. Mais il n’est pas question de retourner au chenil. Il est question de se battre, ou de mourir. Cela change de nos conforts petits-bourgeois, ne trouvez-vous pas, chers lecteurs de Planète sans visa ?

À la mi-juin, des tracteurs apparaissent dans la steppe. Pourquoi ? Et que tirent-ils ? On ne sait. On s’endort auprès d’une pique digne de 1789, alors que les assassins disposent de milliers d’armes automatiques. Assez ! Assez de ce faux suspense qui me semble tout à coup insupportable.  Le 26 juin 1954, à 3 heures et demie du matin, les staliniens montrent leurs crocs. 1700 soldats, 98 chiens, cinq chars T-34 encerclent le camp, puis l’envahissent. On dit que les militaires, qui tiraient et tuaient sans discontinuer, étaient ivres. Ils étaient en toute certitude des ordures. Les chars écrasent les vivants, fichés à l’entrée de leurs baraquements. Et que peuvent des cailloux et des bâtons, fussent-ils de métal, contre les coques d’acier trempé ? Nul ne sait combien moururent ce jour-là. 500 ? Ni combien furent assassinés ensuite, après des procès truqués.

Moi, je vous le dis, les héros de Kenguir sont entrés dans mon panthéon personnel, et n’en sortiront plus jamais. En ces jours d’anniversaire, je pense à eux tous. Je verse ma larme. La bougie du souvenir brûle, lentement. Je sais ce qu’est la liberté. Je sais la reconnaître où elle apparaît. Et je sais la tyrannie, quel que soit son masque. Et il en est beaucoup.

* J’ai bien entendu pensé à ce film de Volker Schlöndorff, Der plötzliche Reichtum der armen Leute von Kombach, connu en français sous le titre : La soudaine richesse des pauvres gens de Kombach. Je l’ai vu à Paris au moment de sa sortie, en 1971 je crois. J’avais en tout cas 16 ans. J’espère que ma mémoire ne me trompe pas. Je revois des scènes en noir et blanc, dans la neige et les bois, dans le froid et la désolation de la misère. Je revois une révolte sans espoir. Mais nécessaire, mais cruciale, mais vitale. J’espère que je n’invente pas.

Le WWF cherche des picaillons (toujours plus)

Amis de la nature et de la Terre, on a encore le droit de rigoler un peu. Cela ne durera sûrement pas, et il faut donc en profiter. Ce qui suit est un mail adressé à des cibles trouvées dans le fichier du WWF-France. Je crois me souvenir que je vous ai déjà parlé de cette magnifique association, y compris dans mon livre Qui a tué l’écologie ? Dans le texte qui suit, on appréciera l’exceptionnelle ingéniosité du WWF, qui cherche des bénévoles – et sur quel ton – pour faire encore un peu plus de pognon. Ah ça ira !

PS : On trouvera dessous ce vibrant Appel la traduction d’un article de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, consacré au WWF International. À lire à petites doses, et avec quelque chose pour se remonter à portée de main.


Bonjour,

Nous recherchons l’appui d’un bénévole expert en prospection commercial afin d’aider la chargée de développement  des Relations Entreprises du WWF France :

Mission
Votre mission en tant que bénévole consistera à assurer une assistance en prospection commerciale dans le cadre du développement du Club PME. Vous serez amené(e) à effectuer les tâches suivantes :
– Recherche de prospects et de relais cibles
– Identification des contacts clés
– Constitution d’un fichier de prospection
– Aide à la création des supports de prise de contact (mail type, etc.)

Profil du bénévole
Pour mener à bien cette mission, nous recherchons les compétences suivantes :
–       Maîtrise du Pack Office et d’Internet
–       Connaissance des techniques de prospection
–       Aisance relationnelle et rédactionnelle
–       Sens commercial et de négociation
–       Autonomie

Début de la mission du bénévole
Nous recherchons une personne disponible dès que possible.

Durée de la mission du bénévole
Cette mission requiert un engagement de 2 mois, avec une présence de 1 journée par semaine.

Lieu
Vous effectuerez votre mission bénévole au siège du WWF France situé au 1 Carrefour de Longchamp, 75016 Paris.

Défraiement
Les frais de déplacements en transport en commun peuvent être remboursés sur présentation des justificatifs.

Si vous êtes intéressé par cette mission, merci de nous renvoyer votre CV par retour de mail.

Merci pour votre engagement !

Service mobilisation & bénévolat

Fondation WWF-France, 1, carrefour de Longchamp

75016 Paris
e-mail : benevolat@wwf.fr

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Merci à Christian Berdot, des Amis de la Terre, pour sa traduction d’une longue enquête de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Sans lui, vous ne pourriez lire ce qui suit. Der Spiegel est l’un des meilleurs journaux de la planète, et consacre des budgets importants à l’enquête et au terrain. Le travail qui suit est donc sérieux. Très sérieux. En dessous probablement de ce que les signataires savent réellement. Car il y a une distance considérable entre ce qu’un journaliste découvre et ce qu’il pourrait éventuellement documenter devant un tribunal.

Pour le reste, j’ai conscience qu’une grand part de ceux qui se pensent écologistes  ne supportent pas ce qu’ils nomment division. Ils aimeraient que nous nous aimions tous. Moi aussi, j’aimerais. Tel n’est pas le cas.

Le WWF est plus utile pour l’industrie que pour l’environnement

Article de Jens Klüsing et Nils Klawitter paru dans le Spiegel (29 mai 2012)

Le WWF est l’organisation environnementale la plus puissante au monde et mène des campagnes internationales sur des thèmes comme le sauvetage des tigres ou des forêts humides. Mais en y regardant de plus près, on déchante vite : parmi ses activités, beaucoup profitent plus aux industriels qu’à l’environnement ou aux espèces menacées.

Vous voulez protéger les forêts humides ? 5 euros suffisent pour commencer. Sauver les gorilles ? Avec 3 euros, c’est bon. Vous pouvez même aider la nature avec seulement 50 centimes, tant que vous les confiez au Fonds Mondial pour la Nature qui est toujours connu sous son nom d’origine au Etats-Unis et au Canada, comme Fonds Mondial pour la Vie sauvage. L’an dernier le WWF et le grand groupe de distribution REWE vendirent près de 2 millions d’albums pour collectionneurs. En seulement 6 semaines, ce programme collectait 875 088 euros que REWE reversa au WWF.

Le WWF a promis de faire plein de choses bien avec l’argent, comme de dépenser pour les forêts, les gorilles, l’eau, le climat – et bien sûr pour la protection de l’animal que cette organisation a pris comme emblème, le panda géant. Les gouvernements confient aussi beaucoup d’argent à cette organisation. C’est ainsi qu’au fil des ans, le WWF a reçu un total de 120 millions d’euros du ministère des Etats-Unis pour le développement international (USAID). Pendant longtemps, le gouvernement allemand a été si généreux envers le WWF, que cette organisation a même décidé de limiter l’ampleur des subventions gouvernementales qu’elle reçoit. Le WWF craignait de n’être perçu que comme un simple prolongement des ministères de protection de l’environnement des différents gouvernements.

L’illusion de l’aide

Mais est-ce que le WWF peut vraiment protéger la nature contre les humains, ou est-ce que ses belles affiches ne proposent qu’une protection illusoire ? 50 ans après sa fondation, les doutes se font de plus en plus forts sur l’indépendance du WWF et son mode de fonctionnement qui inclue des partenariats avec l’industrie pour protéger la nature.

Le WWF dont le quartier général se situe à Gland, en Suisse, est considéré comme l’organisation de conservation de la nature, la plus puissante au monde. Elle œuvre dans plus de 100 pays où elle jouit de relations étroites avec les riches et les puissants. Le logo de sa marque déposée, le panda, décore les pots de yaourts de Danone et les vêtements  des stars de la jet set, comme la Princesse Charlène de Monaco. Des entreprises payent des sommes à 7 chiffres pour avoir le privilège d’utiliser ce logo. Le WWF compte 430 000 membres en Allemagne et des millions de personnes donnent leurs économies à cette organisation. Dans quelle mesure cet argent est-il réellement investi de façon durable ? Telle est la question.

Le Spiegel a parcouru l’Amérique du Sud et l’île indonésienne de Sumatra pour trouver des réponses à cette question. Au Brésil, un cadre de l’industrie agricole nous a parlé de la première cargaison de soja « responsable », certifiée en accord avec les normes du WWF et arrivée à Rotterdam, l’an dernier, à grand renfort de matraquage médiatique. Ce cadre a reconnu, cependant, qu’il n’était pas tout à fait certain de l’origine de la cargaison. A Sumatra les membres d’une tribu racontèrent comment les troupes recrutées par Wilmar, le partenaire du WWF, ont détruit leurs maisons parce qu’elles gênaient le développement de la production d’huile de palme.

Gênant pour certains

Pour les représentants d’ONG allemandes indépendantes, comme « Sauvez la forêt » et « Robin Wood », le WWF n’est plus une organisation de protection des animaux. Au contraire, nombreux sont ceux qui considèrent que le WWF est complice des multinationales. A leurs yeux, le WWF donnent à ces grandes entreprises un permis de détruire la nature, en contrepartie d’un maximum de donations pour un minimum de concessions.

L’ONG qui encaisse actuellement près de 500 millions d’euros par an, a indéniablement quelques succès importants à son actif. La section néerlandaise du WWF a aidé à payer le bateau de Greenpeace, le Rainbow Warrior. Des militants ont occupé, parfois pendant des années, les sites de vastes projets pour empêcher des barrages sur le Danube et la Loire. Dans les années 80, la section suisse a combattu avec force l’énergie nucléaire et le directeur du WWF fut classé par la police confédérale, comme ennemi d’Etat.

Alors que le WWF peut vraiment poser des problèmes à certains, il peut aussi être accommodant avec d’autres. Les responsables de l’organisation réagissent avec irritation lorsqu’on critique leurs efforts de coopération. L’an dernier, le film « Le pacte du Panda – ou ce que le WWF nous cache », tourné pour la chaîne publique allemande WDR, faisait un bilan catastrophique du travail du WWF. Son auteur, Wilfried Huismann tient le WWF en partie responsable de la menace croissante  qui pèse sur les forêts humides – une accusation que le WWF repousse avec force.

Pour Martina Fleckentstein qui a travaillé comme biologiste pour le WWF, ces 20 dernières années, le film se base sur des « recherches inexactes » ou est « volontairement erroné ». Elle travaille à Berlin où elle dirige le département « politique agricole » du WWF. Il n’y a guère une réunion avec des industriels qui ait lieu sans elle et elle est la reine du compromis. Après la projection du film, le WWF a été inondé d’E-mails de protestations et plus de 3 000 personnes ont annulé leur adhésion. Le WWF n’avait jamais connu une telle hémorragie auparavant.

Des tigres et des hommes

L’animal qui sert de symbole au WWF est une adorable créature, menacée d’extinction  à cause d’un taux de reproduction très faible. Mais le panda ne soulève pas autant d’émotions que les grands singes ou les grands chats qui sont plus efficaces pour remplir les caisses de dons. En 2010, le WWF a pris exemple sur le calendrier chinois et a proclamé cette année, « l’année du Tigre ».

Le WWF mène sa mission en faveur des tigres depuis longtemps. Dans les années 70, et avec l’aide d’une importante donation, il convainquit le gouvernement indien d’Indira Gandhi de déterminer des zones protégées pour les grands chats menacés. Selon les estimations indiennes, il y avait plus de 4 000 tigres vivant dans le pays, à cette époque là. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 1 700.  Malgré tout, le WWF considère que son programme en faveur du tigre est un succès. Comme l’affirme un porte-parole du WWF, sans ces efforts, les tigres indiens pourraient avoir « très certainement disparu totalement aujourd’hui ».  Peu de publicité a été faite sur le fait que, pour  parvenir à un tel succès, des gens ont été expulsés de leurs territoires.  Des villages ont été « déplacés, mais pas contre leur volonté » affirme Claude Martin, l’ancien directeur suisse du WWF International de 1993 à 2005. « Nous sommes toujours convaincus que cette affaire a été menée correctement ». Pourtant, même dans ce cas des doutes subsistent.

Mark Dowie écrit dans son livre « Les réfugiés de la protection de la nature » ( Conservation Refugees) que près de 300 000 familles ont dû quitter leurs maisons, lors de la création d’une réserve de protection pour animaux sauvages. D’après Dowie, le déplacement des populations est le résultat d’un concept appelé la forteresse de protection de la nature (fortress conservation), dont le WWF a toujours affirmé qu’elle était une de ses meilleures politiques. Bernhard Grzimek, zoologue connu à la télévision allemande et qui a longtemps été membre du bureau des directeurs du WWF plaidait aussi pour le concept de parcs nationaux sans aucun humain présent à l’intérieur. Le WWF a été créé en 1961, suite à son film à succès « Le Serengeti ne doit pas mourir ».

Les réfugiés de la conservation de la nature

Un mélange de conservation de la nature et de néo-colonialisme unissait les fondateurs suisses et le zoologue allemand. Dans cet héritage, on trouve aussi le déplacement forcé des nomades Masaï, hors du Serengeti. Des experts estiment que, rien qu’en Afrique, les projets de conservation de la nature ont eu pour conséquence 14 millions de « réfugiés de la conservation de la nature » depuis l’ère coloniale. Dans ce modèle, certains membres de peuples indigènes, s’ils avaient suffisamment de chance, pouvaient travailler comme gardien du parc afin d’empêcher leurs propres parents de pénétrer dans les zones protégées.

Le parc national de Tesso Nilo est représentatif de ces zones de conservation promues par le WWF. Pour Martina Fleckenstein, il s’agit « d’un projet réussi de protection des tigres et des éléphants ». Cette zone est au cœur de l’île indonésienne de Sumatra. C’est le bureau du WWF de la ville de Pekanbaru qui gère le projet.

Dans le bureau de Pekanbaru qui est financé par le WWF Allemagne, on peut justement voir un poster allemand avec ce slogan en faveur du tigre « Sauvez son habitat ». Une émission de télé avec une présentatrice connue a mené campagne pour collecter de l’argent pour les 500 derniers tigres de Sumatra. Nombre d’entre eux sont supposés vivre dans le parc de Tesso Nilo qui se trouve à quelques heures du bureau du WWF.

Sunarto – comme beaucoup d’Indonésiens, il n’a qu’un nom – est biologiste et a longtemps mené des recherches sur le tigre dans le parc de Tesso Nilo. Pourtant, il n’y a jamais vu de tigres. « La densité des tigres est très faible là-bas à cause des activités économiques des humains », nous dit Sunarto. Il souligne en plus qu’il y a toujours des concessions forestières à l’intérieur de la zone de conservation. Le WWF a équipé les scientifiques avec des équipements de mesures de haute technicité, comme des GPS ou des méthodes d’analyses de l’ADN des déjections des tigres, ainsi que 20 pièges à photos, afin qu’ils puissent les repérer. Lors de la dernière séquence de prises de photos qui a duré plusieurs semaines, les pièges à photo n’ont photographié que 5 tigres.

Pas d’accès pour les populations locales

Pour le WWF, son travail à Sumatra est un important succès et il a réussi à sauver la forêt humide dans la région de Tesso Nilo, grâce à une « démarche de service incendie». En réalité, la zone de conservation s’est agrandie, alors que la forêt à l’intérieur diminuait. Des compagnies comme la Asia Pacific Resources International, avec qui le WWF avait précédemment un accord de coopération, continue d’abattre la forêt vierge, nous dit Sunarto.

Son collègue Ruswantu guide de riches éco-touristes, lors d’excursions dans le parc sur le dos d’éléphants domestiqués. La zone est interdite aux populations locales et des unités anti-braconnage payées par les Allemands veillent à ce qu’elles restent à l’extérieur. Bahri est le propriétaire d’un petit magasin et vit dans le village à l’entrée du parc. Pour lui, « C’est le WWF qui commande et c’est ça, le problème ». Personne ne sait où se trouvent les limites nous dit-il. « Nous avions de petits champs plantés d’hévéas et tout d’un coup, nous n’avons plus le droit d’y aller ».

Feri est un militant de WALHI (WALHI est un collectif d’associations écologistes indonésiennes qui est membre de la Fédération Internationale des Amis de la Terre). Pour lui cette forme de conservation de la nature, « est du racisme et du néo-colonialisme ». Il n’y a jamais eu de forêts sans humain ici. Toujours selon Feri, des milliers de petites fermes ont été repoussées hors du parc de Tesso Nilo et en fait, le nombre d’animaux sauvages a baissé depuis que les conservationnistes et les multinationales travaillent main dans la main. Pour Feri, cet Ami de la Terre, « Le WWF participe à la transformation de notre monde, en plantations, monocultures et parcs nationaux ».

Le business de l’huile de palme

Dans le bureau de Sunarto, le protecteur du tigre, une carte montre l’expansion des coupes claires à Sumatra, la 6ème île du monde par la taille. Il y a tellement de bois coupé que chaque heure, on pourrait couvrir 88 terrains de foot. Dans la plupart des cas, il s’agit de faire de la place pour des plantations de palmiers à huile. Le boum de l’huile de palme pousse l’économie indonésienne. Ce pays représente 48% de la production mondiale. Cette huile est multifonctionnelle et est utilisée dans les agrocarburants, les produits alimentaires comme le Nutella, les shampooings et les lotions pour la peau. L’important usage de pesticides sur les monocultures pollue les rivières et les nappes phréatiques. L’agriculture basée sur la destruction et le brûlage de la forêt fait que l’Indonésie est un des principaux producteurs mondiaux de gaz à effets de serre.

Nombreuses sont les compagnies qui continuent  à détruire les forêts, même si elles prétendent agir de façon « durable ». Une concession coûte 30 000 dollars en pots de vin ou subventions pour une campagne, raconte un ancien employé du WWF qui a longtemps travaillé en Indonésie. Pour lui, « l’huile de palme durable, telle que nous la promet le WWF avec son label RSPO, n’existe tout simplement pas ». Le sigle RSPO signifie « Roundtable on Sustainable Palm Oil » (Table ronde pour une Huile de palme Durable). Cette certification permet d’augmenter la production, tout en faisant plaisir aux consciences des clients. Henkel, la compagnie allemande basée à Düsseldorf, fait de la réclame pour sa gamme de produits ménagers, Terra, en affirmant qu’ils favorisent « la production durable d’huile de palme et d’huile de palmiste avec le WWF ».

Forêt humide de seconde classe

La compagnie prétend qu’avec son action, elle « contribue à protéger la forêt humide ». Mais comment peut-on protéger la forêt, s’il faut d’abord la couper ?

Pour le WWF, certaines zones sont des terres « dégradées », c’est-à-dire des forêts de seconde classe ou des terres en friches. Le WWF insiste sur le fait que monocultures et conservation de la nature ne sont pas contradictoires. Le WWF appelle cette démarche « la transformation du marché ». Elle incarne la croyance qu’on peut mieux réussir en coopérant qu’en s’affrontant.

Le WWF a lancé l’initiative de la Table ronde pour l’Huile de palme Durable (RSPO) en 2004, avec des compagnies comme Unilever qui transforme 1,3 millions de tonnes d’huile de palme par an, ce qui en fait un des plus grands transformateurs d’huile de palme au monde. Une autre compagnie impliquée est Wilmar, un des plus importants producteurs d’huile de palme mondiaux. Mme Fleckenstein du WWF affirme que Wilmar « a changé». Elle souligne le fait que la compagnie a un agenda clair pour la certification et que les critères sociaux sont pris en compte.

« Alors, ils ont commencé à tirer »

Les peuples indigènes et la tribu des Batin Sembilan  cherchent encore des preuves de ce changement. Ils vivent au milieu de la plantation Asiatic Persada de Wilmar, au sud de la ville de Jambi. Avec ses 40 000 hectares, elle couvre à peu près la moitié de la surface de Berlin et il est prévue qu’elle soit certifiée RSPO par l’agence de certification du TÜV de Rhénanie Palatinat. Sur l’une des entrées de la plantation, quelqu’un a tagué « suceurs de sang ».

Roni est l’ancien du village. Il est au milieu des palmiers à huile avec une douzaine de personnes. Beaucoup sont nu-pied et l’un d’entre eux porte une lance qu’il utilise pour la chasse au sanglier. Des restes de bois écrasés jonchent le sol derrière eux, là où leur village se trouvait.

Le 10 aout de cette année, la Brimob, la fameuse brigade de police, a détruit leurs maisons. Juste avant l’incident, un villageois avait essayé de vendre des fruits de palmiers dont Wilmar prétend qu’ils lui appartiennent.

« 18 personnes ont été arrêtées et certaines passées à tabac » nous raconte Roni. « Les responsables de Wilmar collaboraient avec la Brimob. Lorsqu’elle a commencé à tirer, nous avons pris nos femmes et nos enfants et avons couru vers la forêt. Les villageois considèrent que la forêt est leur forêt. « Nous avons vécu ici depuis l’époque de nos ancêtres. » dit Roni.

Les forestiers sont arrivés dans les années 70, mais il y restait assez de forêts où la tribu de Roni pouvait se réfugier. Par contre aujourd’hui, ils sont cernés par les palmiers à huile. La compagnie qui a précédé Wilmar a planté illégalement 20 000 hectares – soit la moitié de la superficie de Berlin. Mais cela ne semble pas gêner Wilmar. Roni a même des droits reconnus pour sa tribu, mais cela ne lui est d’aucune aide.

Activités illicites

Après la destruction du village, des organisations comme « Sauvez la forêt » et « Robin Wood » ont affirmé que la margarine Rama qui est fabriquée par Henkel, un client de Wilmar, était tâchée par le sang des peuples indigènes. Certains de leurs membres ont même campé devant le siège d’Unilever Allemagne

Ceci fut très mal accueilli par Unilever, une compagnie anglo-néerlandaise qui est classée parmi les premières pour les indices de durabilité et qui a comme but affiché d’aider plus d’un milliard d’humains à améliorer leur santé et leur qualité de vie.

Wilmar ne pouvait nier que des huttes avaient été détruites et que des coups de feu avaient été tirés. Mais dans une lettre adressée aux clients et amis (notamment des partenaires du WWF, comme le financier de l’huile de palme HSBC) les responsables de la compagnie ont minimisé l’affaire.

Du point de vue de Wilmar, une compagnie orientée vers le social est devenue la cible des coups bas d’un petit nombre de hooligans. Dans un mail interne, Unilever reconnaissait au moins qu’il y avaient eu des « activités illicites » et laissait entendre qu’il y aurait « un processus de médiation ». Mais la campagne policière n’a pas affecté négativement les relations commerciales d’Unilever avec Wilmar. Le géant de l’huile de palme a monté des logements temporaires et accepté de payer des compensations.

Face aux voyous de la Brimob, de nombreuses familles indigènes se sont enfuies vers l’une des dernières forêts à moitié intacte de la région, la toute proche PT Reki. Mais elles n’ont pas été autorisées à rester là-bas non plus, car la forêt est le lieu d’un projet de reforestation, financé par la banque allemande de développement KfW et l’organisation environnementaliste allemande, l’Union pour la Conservation de la Nature et de la Biodiversité (NABU).

Fondateurs, bienfaiteurs et chasseurs de gros gibier

Le quartier général du WWF à Gland, près de Genève, confère une solide impression de verdure et de respectabilité. Des plaques en argent y commémorent les gens à qui l’organisation doit beaucoup : les « Membres des 1001 ». Cette élite de financeurs aux noms non divulgués, fut créée en 1971 afin de fournir le soutien financier à l’organisation.
Encore aujourd’hui, le WWF n’aime pas dévoiler le nom des donateurs, probablement parce que certains noms qui apparaissent sur la liste du club ne rehausseraient pas son image : des gens comme le marchand d’armes Adnan Khashoggi et l’ancien dictateur du Zaïre, Mobutu Sese Seko.

Lorsqu’il était président du WWF, le Prince Bernhard des Pays-Bas réussit à recruter Shell, la multinationale du pétrole, comme premier sponsor important. En 1967, des milliers d’oiseaux moururent des suites de l’accident d’un pétrolier au large des côtes françaises et pourtant le WWF interdit toute critique. Comme des dirigeants du WWF le dirent lors d’une réunion du conseil d’administration, cela pourrait « mettre en danger » les futurs à venir pour s’assurer les donations de certains secteurs industriels

A la fin des années 80, de prétendus braconniers apparurent dans certains parcs nationaux africains qui avaient été créés par les blancs durant la période coloniale. Le WWF décida de riposter. L’organisation finança l’utilisation d’hélicoptères par l’administration des parcs nationaux du Zimbabwe pour traquer les braconniers. Des dizaines de personnes ont été tuées lors de ces missions.

Encore bienvenu

Lors d’une opération secrète, ce chasseur de gros gibier qu’est le Prince Bernhard et John Hanks, le directeur du WWF Afrique louèrent les services de mercenaires pour briser le commerce illégal de cornes de rhinocéros. Pourtant, des membres de l’armée sud-africaine considérée comme le plus grand trafiquant de cornes à l’époque, infiltraient le groupe.

Pour Phil Dickie, porte-parole du WWF, tout cela se passait il y a longtemps. Il fait remarquer que l’association a bien changé et n’accepte plus d’argent provenant des industries du pétrole, du nucléaire, du tabac ou de l’armement. Pourtant, personne n’est exclu. Des représentants de ces industries, par exemple la multinationale BP, sont toujours les bienvenus au sein du conseil d’administration du WWF.

Le toujours membre du conseil d’administration du WWF, John Hanks, est aujourd’hui responsable de parcs naturels transfrontaliers géants en Afrique. Ces projets sont appelés « Peace parks » – parcs de la paix – et sont pourtant source de nombreux conflits. Le gouvernement allemand a fait don au WWF de près de 200 000 euros pour ce qui est appelé les dialogues des parcs de la paix en Afrique du Sud. Un des résultats fut que des corridors étaient nécessaires pour les Peace Parks – comme l’était la relocalisation des habitants locaux qui résistaient.

L’agence allemande de développement, la KfW, est même prête à contribuer à hauteur de 20 millions d’euros à de nouveaux corridors dans un autre des principaux projets du WWF, le parc national de Kaza. Martina Fleckenstein estime que « pour chaque euro avancé par le WWF, 5 autres sont fournis par des gouvernements ». L’organisation semble avoir une énorme influence politique.

La chasse est dorénavant permise dans ces immenses parcs. Le roi d’Espagne, Juan Carlos a fait dernièrement la une des medias après s’être fracturé la hanche lors d’une chasse à l’éléphant au Botswana. Juan Carlos est le président honoraire du WWF Espagne, ce qui  scandalise beaucoup de monde. Rien qu’en Namibie, le WWF a autorisé la chasse aux trophées, dans plus de 38 zones protégées.

De riches européens ou Américains sont autorisés à se comporter comme si l’ère coloniale n’avait jamais cessé. Ils sont autorisés à abattre des éléphants, des buffles, des léopards, des lions, des girafes et des zèbres et ils peuvent même se barbouiller le visage du sang des animaux morts, comme le veut une vielle coutume. Un porte-parole du WWF défend cette démarche, car des quotas ont été établis et les gains de cette « chasse régulée » permettent de contribuer à la protection de la nature.

Le mythe de la durabilité

Andrew Murphy est un jeune diplômé de l’Université de Harvard et a une expérience africaine dans le Corps de la Paix des Etats-Unis. Il travaille dans l’équipe de la « Transformation du marché » du WWF. Il représente la nouvelle génération des conservationnistes. Il considère les membres de son équipe comme des « agents du changement » qui peuvent « transformer » tout un marché. Murphy a plein de slogans similaires dans sa musette. Il veut rendre plus soutenables, les plus grands producteurs et négociants de produits de base comme le soja, le lait, l’huile de palme, le bois et la viande. Est-ce qu’il y réussit ? Oui, puisque les compagnies veulent maintenant voir d’où viennent les produits. Des systèmes de contrôle à toute épreuve ont été mis en place. Murphy se réfère à des normes, comme celles de la Table Ronde pour un Soja Responsable (RTRS)

Le WWF a invité les industriels à cette table ronde en 2004. Des négociants comme Cargill et des compagnies comme Monsanto – qui a donné au fil des ans 100 000 euros – ont une forte présence dans cette assemblée.

Un des participants déclare qu’ « il fut rapidement clair qu’il s’agissait de greenwashing en faveur des négociants de soja modifié génétiquement », faisant allusion à la pratique qui consiste à commercialiser de façon trompeuse un produit comme étant respectueux de l’environnement. Lorsque quelques Européens voulurent parler des dangers de l’herbicide glyphosate, ils furent rapidement réduits au silence. « L’argument massue des Américains était que le soja GM était « technologiquement neutre » ».

La branche allemande du WWF, officiellement opposée au génie génétique, assure que ceux qui le soutiennent sont aussi les bienvenus à la table ronde. Les Allemands ont même payé les coûts de transports de la branche argentine du WWF qui fut longtemps dirigée par un homme aux liens très étroits avec l’ancienne junte militaire et lui même industriel agricole (Martinez de Hoz, aujourd’hui poursuivi pour crime contre l’humanité – note du traducteur). Autour de la table personne ne s’est intéressé au fait que le WWF avait, longtemps avant, déjà publié avec des négociants suisses des normes plus strictes pour le soja.

S’affaiblir soi-même

Il semble que le WWF soit devenu spécialiste de l’affaiblissement de ses propres normes. En fait, c’est cette souplesse qui lui apporte les donations de l’industrie, et leurs millions de dollars ou d’euros. Dans le cas du soja, le groupe participant à la Table ronde négocia et renégocia. Il adoucit certaines normes, fit certaines concessions et finalement les premières tonnes (85 000) de soja certifié arrivèrent dans le port de Rotterdam, en juin dernier. Pour la biologiste, Mme Fleckenstein, « Ce fut un succès », soulignant que le WWF avait soigneusement contrôlé le soja. « Nous étions particulièrement satisfaits que ce produit ne soit pas modifié génétiquement ». Le soja provenait de deux fermes géantes appartenant à la famille Maggi du Brésil.

Ce conglomérat familial est considéré comme le plus grand producteur mondial de soja, avec ses plantations couvrant de larges parties de l’état du Mato Grosso, dans la zone centre-ouest du Brésil. Dans les années 80, les Maggi qui venaient du sud du Brésil, vinrent s’installer là et amenèrent leurs ouvriers avec eux. Ils défrichèrent de grandes étendues de forêts humides de savane et plantèrent du soja.

Blairo Maggi est devenu le gouverneur de l’Etat et en 2005 Greenpeace lui accorda le prix de la « Tronçonneuse  d’or ». Dans aucun autre état du Brésil, autant de forêt vierge n’a été détruit que dans la République du soja de Maggi. Les zones occupées maintenant par les fermes modèles de la Table Ronde pour un Soja Responsable ont été défrichées il n’y a que peu d’années. D’après la Table ronde, ces deux fermes sont les deux seuls fournisseurs des 85 000 tonnes de soja certifié arrivé en juin à Rotterdam. Le seul problème, c’est qu’il n’y a rien dans les fermes des Maggi qui ne soit pas modifié génétiquement.

Satisfaire la demande européenne

Un réservoir blanc de 10 mètres de haut et d’une capacité de plusieurs milliers de litres se dresse à l’ombre d’un hangar dans la ferme de Tucunaré. Sur le réservoir, on peut lire « glifosato », le nom portugais de l’herbicide bien connu. Les bâtiments qui abritent les ouvriers ne sont éloignés que de quelques centaines de mètres. Derrière le grillage, il y a des fossés remplis d’une eau nauséabonde avec des reflets verts à la surface. Près des fossés, il y a un dépôt avec des symboles à tête de mort pour prévenir : « Attention, hautement toxique ! ».

Le glyphosate est un herbicide couramment utilisé pour le soja modifié génétiquement, car la plante est tolérante à cet agent toxique qui tue les mauvaises herbes. Bien que des études critiques, toujours plus nombreuses, montrent que cet agent cause par exemple, des problèmes de reproduction chez les animaux, la Table Ronde pour un Soja Responsable autorise son utilisation.

Le responsable « durabilité » du groupe Maggi, João Shimada nous explique que d’autres pesticides ne posent pas, non plus, de problèmes particuliers à la Table Ronde qui demande simplement qu’ils soient « utilisés raisonnablement ». Il ajoute qu’il n’est pas facile d’expliquer ce qui s’est passé avec les 85 000 tonnes de soja. « En vérité, nous avons fourni ce soja pour satisfaire la demande européenne ». Depuis des compagnies comme Unilever se glorifient d’utiliser du soja durable. En réalité, il n’y a pas plus de 8 000 tonnes qui proviennent de ces deux fermes. Il conclue « Je ne sais pas non plus d’où viennent les autres 77 000 tonnes ».

Coopération avec les Chinois

Cette multiplication magique de produits de base supposément durables est connue dans l’industrie sous le terme de « book and claim » (réserver et prétendre). C’est le résultat de ce supposé contrôle à toute épreuve que le jeune expert du WWF, Andrew Murphy nous a vanté. Quelques 300 000 tonnes de ces produits prétendument durables existent déjà.

A Gland, le soleil se lève sur le lac de Genève et Murphy est pressé. Il est en route pour la Chine pour sauver la nature là-bas. Bien que le WWF ne soit pas autorisé à recruter des membres en Chine, des accords de coopération avec des responsables du parti pourraient certainement profiter à l’environnement.