Archives de catégorie : Morale

Isabelle Autissier as a wonderful boss

Rue89 a publié un article que plusieurs d’entre vous ont justement remarqué. Vous le trouverez en cliquant ici. En résumé, une forte majorité de salariés du WWF-France réclament la démission du directeur, Serge Orru, qu’ils accusent de quantité de choses. Je ne me prononce pas sur le fond, car je ne sais rien. En revanche, je suis en état de juger la qualité de la réponse faite aux mécontents par la présidente en titre du WWF-France, c’est-à-dire Isabelle Autissier. La navigatrice, oui.

Je vous mets le texte de son courrier ci-dessous, et m’empresse de vous dire un court commentaire. La madame est choquée. Choquée que des salariés d’une entreprise s’expriment. Car c’est tout de même de cela qu’il s’agit. Des salariés. D’une entreprise. Et qui ont peut-être – on verra bien – des raisons de ne pas s’exprimer publiquement. Je sais des boîtes où il vaut mieux ne pas trop s’opposer, et j’imagine que vous aussi. Mais la madame la présidente, avant toute interrogation, est choquée. Et je suis moi choqué qu’elle le soit.

Deuxième point : elle menace de considérer comme faute grave le fait de parler à la presse. Ah ! Mais n’est-ce pas exactement la manière classique d’étouffer tout examen public d’affaires intéressantes ? Ne voit-on pas cela chaque jour, pour des histoires de toute espèce, et parfois graves ? Le WWF ne réclame-t-il pas constamment de l’argent à ses sponsors et donateurs ? Cet argent ne repose-t-il pas sur une moralité supposée exemplaire ? La libre information vaudrait donc pour tous, sauf le WWF  ? Eh bien, voilà une nouveauté radicale.

Enfin, je n’oublie pas que madame Autissier est une navigatrice. Cette activité n’a visiblement rien de contradictoire avec l’exercice du pouvoir, avec le plein exercice du pouvoir. Lisez lentement cette lettre, et rapportez-vous à mon texte précédent sur l’état réel de l’océan mondial. Lisez lentement ces mots de manager : « Je vous demande de vous souvenir que le WWF France ne s’est jamais aussi bien porté ». Si même c’était la vérité, cela resterait ridicule. Le WWF se porterait bien, mais au milieu du tumulte et des décombres. Franchement, cette lettre ne passe pas.

WWF France
Bois de Boulogne
1, Carrefour de Longchamp
75016 Paris

iautissier@wwf.fr

Paris le 20 juin 2011

Mesdames et messieurs les membres du Conseils d’Administration de la Fondation du WWF France, Mesdames et messieurs les membres du Conseil des Amis du WWF France, Mesdames et messieurs les membres du Conseil scientifiques du WWF France, Mesdames et messieurs les membres du personnel du WWF France, Mes chers amis,

Je conçois le désarroi qui vous a saisi à la lecture du courrier non signé qui m’a été adressé et dont vous avez eu copie ainsi qu’un certain nombre de personnes extérieures à notre organisation, demandant la destitution du  Directeur Général.

Je suis profondément choquée que de telles accusations soient émises d’une façon publique, ce qui ne manquera pas de porter atteinte à notre travail auprès de nos donateurs, partenaires et institutions avec qui nous  travaillons en confiance pour faire évoluer les dysfonctionnement du rapport homme / nature. J’y apporterai, bien entendu, une réponse sur le fond en tant que Présidente.

Je tiendrais une réunion avec l’ensemble du personnel le 5 juillet entre 14 et 16 h au siège du WWF et, pour ce faire, je souhaite que  tout autre rendez-vous ou réunion soient différé. Les membres des CA et du Conseil Scientifique qui souhaiteraient y assister seront, évidemment, bienvenus.

Entre-temps, je demande à tous la plus extrême réserve vis à vis de l’extérieur tant que ce dossier est en cours de traitement. En particulier, je considérerai la communication sur ces questions à la presse comme une faute grave et vous voudrez bien me renvoyer toute demande vous parvenant.

Dans l’attente de nous voir, et malgré les difficultés en interne et en externe auxquelles cette situation vous expose, je vous demande de vous souvenir que le WWF France ne s’est jamais aussi bien porté. Notre audience, nos moyens, notre réputation, notre efficacité n’ont cessé de progresser grâce au travail de mes prédécesseurs et de toutes les équipes présentes et passées. Nous pouvons être fiers de ce travail et je m’attacherai avec toute mon énergie à le poursuivre.

Les difficultés sont inhérentes à notre combat et doivent nous servir à être plus fort.

Sincèrement à vous.

Isabelle Autissier

Le barrage brésilien qui fait pleurer Hulot (dans Charlie)

Peut-être finira-t-on par croire que je déteste Nicolas Hulot. Eh bien non, je ne le déteste pas. Il était à sa place – il en faut bien une, n’est-ce pas ? – sur TF1, dans son rôle de commandant Cousteau des années 2000 et 2010. Il n’est évidemment pas à la sienne dans cette élection présidentielle. Ce qui ne signifie surtout pas que je lui préfère Éva Joly. Comme j’ai pu le dire, comme je le répète, cette mise en scène est une perte de temps radicale, qui correspond fort bien, il est vrai, à la nature réelle d’Europe-Écologie-Les Verts.

Jusqu’ici, Hulot diffusait des images et portait des messages simples, mais clairs, à des millions de personnes. Et le voilà qui entend représenter ce qui le dépasse de cent coudées, et davantage même. Non qu’il soit plus bête qu’un autre. Simplement, il ne sait pas, et vraisemblablement ne saura jamais ce qu’est une société. De quoi elle est faite. De ce qui peut, très éventuellement, la faire changer. Comme, à cinquante-cinq ans, il n’a encore jamais pointé aucune cause structurelle du désordre général – par exemple, l’existence de transnationales plus puissantes que les États -, on peut penser, et craindre, qu’il ne le fera jamais. Pour ma part, il est évident que je ne lui donnerai jamais ma voix. Mais chacun fait ce qu’il veut, c’est entendu.

Je vous glisse ci-dessous l’article publié dans Charlie-Hebdo de cette semaine, en vente jusqu’à mardi. Oui, il est de moi, comme on peut s’en douter.

Le barrage brésilien qui fait pleurer Hulot

Si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main, Hulot serait vachement content, mais comme ils se foutent sur la gueule, ça le rend bien malheureux. Mettons-nous à sa place. Sur terre, la vie n’est pas gaie. D’autant qu’on ne sait jamais qui est responsable. Le capitalisme ? « Je ne suis pas quelqu’un qui juge », répond Hulot, qui ajoute gentiment : « Je parle sans haine, car je ne suis pas favorable à la lutte des classes (1) ». Sarkozy ? « Être antisarkozyste, ça ne m’intéresse pas, je ne le serai pas (2) ».

Mais comme c’est un grand cœur, quand il voit le chef indien du Brésil Raoni pleurer, il craque : « La construction de ce barrage, ça me rend fou (3) ». Quel barrage ? Mais celui qui fait chialer Raoni, celui qui va noyer les terres ancestrales de son peuple et détruire la forêt, celui de Belo Monte. On dira ce qu’on voudra de la technique, mais là, chapeau bas aux artistes. En pleine jungle infestée d’araignées, de serpents, de moustiques et d’Indiens cracheurs de curare, il faut le faire. La bête produira à terme 10 % de l’électricité du Brésil, et pourra du coup servir à extraire de la bauxite non loin de là, ce qui repoussera plus loin les Indiens au curare, et permettra de produire de l’aluminium grâce à quoi l’on pourra boire de la bière proprement dans des canettes. Mes aïeux, le progrès est une chose merveilleuse.

Bon, il est vrai qu’avec l’autre complexe Altamira-Babaquara, 6140 km2 seront inondés. Soit la moitié de l’Île-de-France, région qui abrite chez nous presque 12 millions d’habitants. Charlie espère vivement que l’on pourra faire du pédalo, de la voile et de la plongée, car ce serait trop bête de rater une occasion pareille. Sur ce plan-là, la France est bien placée, car figurez-vous que notre champion Alstom est dans le coup. La boîte de Belfort que défendait avec ses petits bras Chevènement est devenue un « leader mondial de l’hydroélectricité » et a signé en février dernier un contrat de 500 millions d’euros pour le chantier de Belo Monte. Alstom fournira une bonne part des turbines géantes, ce qui donnera tant de travail chez nous que c’en est un bonheur.

Mais revenons à Nicolas Hulot. Le barrage le rend fou. On s’apprête à le retenir – un geste violent est si vite arrivé -, mais notre écologiste planétaire est en vérité placide. « On doit se mobiliser, il en va du sort de l’humanité tout entière », insiste Hulot, sans rien proposer du tout. Le premier imbécile venu penserait aussitôt à une action contre Alstom, mais Hulot est plus malin, se contentant d’attaquer la méchanceté du monde. D’ailleurs, Alstom n’a-t-il pas un partenariat stratégique avec Bouygues, donc TF1, depuis 2006 ? Bouygues ne possède-t-il pas 21% du capital d’Alstom ?  TF1 n’est-elle pas, par hasard, l’entreprise reine de Nicolas ? Si.

Le Brésil de la présidente « de gauche » Dima Roussef est une sorte de Chine des Amériques, qui entend bien bouffer l’Amazonie entière, en attendant mieux. Ces dernières semaines, quatre paysans dans la tradition de Chico Mendes et de la sœur Dorothy Stang, dont Jose Claudio Ribeiro da Silva et sa femme, ont été butés pour avoir tenté de protéger la grande forêt. Pendant ce temps, le gouvernement de Brasilia modifiait le Code forestier de 1965, qui ouvre la voie à une déforestation massive.

Au Brésil encore, un autre barrage, celui de Jirau, est en construction sur la rivière Madeira, à la frontière du Pérou et de la Bolivie. Mauvais coucheurs, l’écrivain Le Clézio et le directeur de Survival France Jean-Patrick Razon estiment que le barrage : « menace non seulement la diversité biologique et socioculturelle de la région, (…) mais aussi la survie même de certaines des dernières tribus isolées du monde (4) ».

Or, incroyable mais vrai, notre GDF-Suez à nous est le grand constructeur du barrage. Comme indiqué sur son site internet, le groupe est « un acteur de référence eu Brésil », installé depuis cinquante ans, au point d’être le premier producteur privé d’électricité du pays. Et voilà que ces idiots d’Indiens protestent eux aussi contre la destruction de leurs cases à toit de paille et de leurs flèches.

Ce serait une excellente occasion pour le grand Nicolas Hulot de démontrer au monde entier la vigueur de son engagement altermondialiste. Mais il y a problème. Un, GDF partage encore de nombreux intérêts avec EDF, partenaire de longue date de Hulot. Et deux, l’État Français est actionnaire de GDF-Suez à hauteur de 35 %. Hulot fera-t-il de la peine à Sarkozy et à ses si nombreux amis de l’industrie ? La suite dans Charlie, sans faute.

(1) Terraeco, mai 2011

(2) Le Monde, 6 mai 2011

(3) Le JDD, 4 juin 2001

(4) Le Monde, 7 avril 2010

Hulot, Lhomme, Meirieu et tant d’autres (une fabuleuse attraction)

Si je pouvais exprimer combien je me fous de leurs primaires dites « écologistes » ! Mais mon Dieu, je serais alors le prince des mots, le roi du vocabulaire, et l’on me porterait en triomphe de ville en ville, sur les épaules de foules en délire. Par malheur, je ne sais le dire. Ce que je peux affirmer sans hésiter, c’est que leur stupéfiante mise en scène restera dans mes annales personnelles. Tel, qui affirmait pour l’avoir vécu de près : « Autrement dit, j’avoue l’échec, personnel et collectif : je ne souhaite plus m’épuiser à construire des passerelles alors que l’essentiel des préoccupations consiste à entretenir les suspicions ou à rêver d’en découdre pour affaiblir tel courant, détruire tel individu ou conquérir tel pouvoir. Je n’assumerai pas plus longtemps la fiction et l’imposture d’un rôle revenant à concilier l’inconciliable », tel a rejoint madame Duflot et les si nombreux militants écologistes tamouls de monsieur Gatignon (voir, pour mieux comprendre, ceci, ceci et cela). Une manière originale, assurément, de faire de la politique autrement, scie bien connue des Verts depuis leur origine. Tel autre, autoproclamé « numéro 2 » du parti, poste qui à ma connaissance n’existe pas, soutient désormais Éva Joly après l’avoir traitée de « vieille éthique ». Comme les deux camps se ressemblent ! Comme ils sont mignons !

Et tout cela, n’en doutons pas, fait d’excellents soldats, dont le nombre croît à mesure qu’on se rapproche des urnes. Oh quel spectacle ! Combien de votants ? Et parmi eux, combien de milliers qui ne présenteront pas même leur identité ? Et quelles sont les mesures publiques et vérifiables susceptibles de donner confiance dans un scrutin organisé par de si braves personnes ? Allons, cesser de persifler. La planète est en danger, savez-vous ? Il sera donc dit qu’au moment où une partie de l’Europe célèbre ses Indignés, qui tournent le dos aux mascarades, les vieux politicards auront dominé la scène d’un parti soi-disant « écologiste ». J’ai conscience de paraître déçu, voire énervé. Je me dois de jurer à nouveau ma vérité : n’attendant rien, depuis vingt ans au moins, d’un parti à mes yeux lamentable, je me contente de rire, à gorge bien déployée.

Dernier épisode en date, qui paraît si outré qu’on le dirait faux : le cas Philippe Meirieu. Ayant découvert sur le (fort) tard la question écologique, ce pédagogue se rattrape de belle manière. Ce soir du 16 juin 2011, Hulot était de passage à Lyon, ville de Meirieu, dans le cadre de sa campagne électorale interne. Je précise que Meirieu est présenté comme le grand sage de cette vaste pantomime, et qu’il est officiellement l’arbitre. Celui qui est censé calmer le jeu entre candidats, celui chargé de garantir la justice entre les quatre prétendants. Un arbitre, ce me semble, ne prend pas position. Sauf Meirieu, qui a violemment attaqué le pauvre Stéphane Lhomme, celui qui, ainsi que l’on commence à le savoir, attaque Hulot l’icône.

Qu’a dit Meirieu ? Selon L’Express (ici), ceci: « Dans ses professions de foi [celle de Lhomme], il y avait des passages délibérément insultants et mensongers à l’égard de Nicolas Hulot. Il a franchi la ligne rouge. Il n’a pas fait la totalité des modifications que nous lui avons demandé. Nous étions sur le point de ne pas les envoyer mais Nicolas Hulot a accepté qu’elles le soient. D’une certaine manière il ne participe au sprint final que parce que Nicolas l’a bien voulu ». Meirieu est-il en train de passer un concours international, et en ce cas, lequel ? Tout est grotesque, de la première à la dernière ligne. Lui, le pseudo-arbitre, transforme Hulot en un admirable héros magnanime, qui aurait consenti, par grandeur d’âme, à laisser parler un aboyeur. La réalité est un poil différente. J’ai pu lire la version non expurgée de la profession de foi de Lhomme, qui est une attaque politique du candidat Hulot. On en pense ce qu’on veut, mais elle ne contient pas de bassesse. D’ailleurs, vous pouvez la lire ici.

Pour comble, mais là, des records mondiaux sont pulvérisés au passage, Meirieu-l’arbitre-évidemment-impartial a conclu en assurant Hulot de toute son  « admiration », précisant pour les sourds et malentendants : « Je serais très heureux de faire sa campagne ». Mais que voilà une offre de services joliment tournée ! Ceux qui croient aux Verts sont ceux qui croyaient au PS en 1981. Les conséquences de cet aveuglement total risquent d’être un petit peu plus graves, car l’on parle désormais d’effondrement des écosystèmes, et plus seulement des postes à se partager dans l’appareil de l’État. Dites, un petit jeu : parmi ceux qui tiennent le manche dans ce parti délétère où triomphent les Meirieu, combien ont déjà obtenu des sinécures publiques ? Combien en attendent ? Combien rêvent d’une circonscription ? D’un ministère ? Et du reste ? Combien, dites-moi ?

L’incroyable crime des biocarburants (encore, encore et encore)

Vous lirez plus bas la traduction en français d’un article du Financial Times, que m’adresse l’ami Christian Berdot, que je salue fraternellement, une fois encore. Comme ils doivent avoir peur ! Comme les puissants doivent redouter de futures émeutes de la faim ! Prenant le contre-pied de l’épouvantable politique sarkozyenne sur le sujet, les grandes institutions libérales de ce monde libéral osent dire tout haut ce que tant savent depuis des années : il faut arrêter les subventions à l’industrie des biocarburants. Tout de suite !

J’en bous de rage impuissante. Si je pouvais exprimer ce que je ressens, il y aurait du dégât chez quelques salauds, je vous le jure. Âmes sensibles, ne lisez pas. Je rappelle – car bien des lecteurs de Planète sans visa l’ignorent, que j’ai publié en 2007 chez Fayard un livre dénonçant les biocarburants (La faim, la bagnole, le blé et nous). Je rappelle le principe de ce procédé : on change en carburant automobile des millions de tonnes de plantes alimentaires comme le maïs, la canne à sucre, le manioc, l’huile de palme, le blé, le colza, etc. Dans un monde où un milliard des nôtres souffrent d’une faim chronique, c’est un crime de masse.

Inutile de protester contre l’emploi du mot biocarburant, que j’assume pleinement. Je déteste – désolé pour vous tous – l’usage écologiquement correct du mot agrocarburant, qui permet à tant de cauteleux de se dédouaner à très bon compte. Je ne dis pas, et je ne crois pas que c’est votre cas. Je dis que j’ai rencontré nombre d’hypocrites qui, ne voulant pas agir, se réfugiaient dans le vocabulaire. Merde ! Le mot juste est bien entendu nécrocarburant, mais je préfère encore affronter la bête avec celui des marchands, qu’au reste tout le monde comprend. Avez-vous essayé, en dehors des cercles avertis, d’utiliser agrocarburant ? Soyez sincères.

Après ce livre de 2007, j’ai alerté toutes les grandes associations écologistes – WWF, Greenpeace, Hulot, notamment – et rien n’a été lancé, ce qui est un déshonneur complet à mes yeux. Le résultat de leur lamentable inertie – je mets de côté les valeureux Amis de la terre, qui ont agi -, c’est que le patron de la filière biocarburants en France, le céréalier Xavier Beulin, est devenu en décembre2010 le président du syndicat de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Shame on you !, vous les gens du WWF, de Greenpeace, de France Nature Environnement (FNE) et de l’ex-Fondation Hulot. Shame on you !

L’ARTICLE DU FINANCIAL TIMES (ici), TRADUIT PAR LES AMIS DE LA TERRE (j’y ai remplacé le mot agrocarburants par celui de biocarburants)

Un rapport demande instamment l’arrêt des subventions pour les biocarburants

Par  Joshua Chaffin à Bruxelles. Publié le 9 juin 2011 dans le Financial Times

Un groupe d’organisations de premier plan conclut, dans un rapport exposant les moyens de réduire la volatilité des cours mondiaux des produits alimentaires, que les subventions gouvernementales pour promouvoir l’utilisation des biocarburants devraient être éliminées. Le rapport a été préparé par 10 organismes dont la Banque Mondiale, l’Organisation Mondiale du Commerce et les Nations-Unies et sera présenté ce mois-ci aux ministres du G20 qui l’a commandité.

Nombreuses sont parmi ces organisations celles qui ont déjà exprimé des inquiétudes quant aux conséquences des biocarburants. Ce rapport se différencie toutefois des précédents par son fort caractère institutionnel et par son langage direct. On peut y lire que « Les gouvernement du G20 devraient supprimer les dispositions de leurs politiques nationales actuelles qui subventionnent (ou rendent obligatoire) la production ou la consommation des biocarburants ». Et un peu plus loin que si les gouvernements ne procèdent pas à un retrait pur et simple, ils devraient au moins développer des plans d’urgence pour suspendre temporairement leurs mécanismes de soutien lorsque les prix alimentaires sont élevés et que les ressources se font rares.

Le rapport confirme une hostilité grandissante à l’égard des biocarburants.  S’ils furent à une époque salués comme les sauveurs d’une économie basée sur les énergies fossiles, ils sont aujourd’hui de plus en plus tenus pour responsables de la poussée des prix alimentaires, car ils détournent du maïs et d’autres plantes alimentaires des assiettes vers les réservoirs.

D’après le rapport, les biocarburants ont consommé  en moyenne 30% des récoltes de canne à sucre entre 2007 et 2009 et 9% des oléagineux. « Il n’est pas surprenant que les cours mondiaux de ces produits (et de leur substituts) soient considérablement plus élevés qu’ils ne le seraient si aucun biocarburant n’était produit » peut-on lire dans ce rapport qui note une corrélation de plus en plus forte entre les prix alimentaires et les prix du pétrole. Ces conclusions vont soumettre l’Union européenne à une pression accrue afin de réviser un de ses règlements qui oblige à ce que 10% des carburants utilisés dans l’Union pour les transports proviennent de sources renouvelables – essentiellement des biocarburants – d’ici 2020.

Les états membres de l’Union des 27 ont arrosé de milliards d’euros les producteurs d’éthanol et d’agrodiesel, sous forme de subventions. Un groupe à but non-lucratif, le Global Subsidies Initiative, estimait que le total des subventions dépassait en 2008, les 3 milliards d’euros. Les Etats-Unis, le Brésil, la Chine et l’Australie lui ont emboité le pas. Les groupes écologistes et l’industrie des biocarburants attendent impatiemment l’examen à venir par la Commission européenne – l’Exécutif de l’Union européenne- des effets des changements d’affectation des sols indirects, causés par les biocarburants.

Bien que les biocarburants soient censés émettre moins de gaz à effet de serre que des carburants fossiles traditionnels, selon plusieurs analystes ils sont souvent plus polluants, si l’on tient compte du fait que des terres doivent être défrichées et replantées ailleurs pour compenser la perte de cultures alimentaires.

Copyright The Financial Times Limited 2011

Sur la sécheresse, sur la misère, sur le biocarburants, sur la tristesse

Je pense bien à vous, qui souffrez tant du manque d’eau. Je pense à toi, Petite Bergère – Anne -, pourtant installée près de la Grande Brière, supposée zone humide. Je souffre avec vous, incomparablement moins, mais sans hypocrisie, de cette terrible sécheresse. Vous ne le savez pas, mais quand l’eau vient à manquer dans mon petit pays du Sud, j’en suis malade. Toute l’année, je tanne mon ami Patrick au téléphone pour savoir s’il a plu. En septembre, en novembre, en mars, en mai. Il en rigole, il me moque. N’empêche : je ressens d’une manière inexplicable l’absence de ce qui nous constitue, à 70 % au cas où vous l’auriez oublié. Nous sommes avant tout de l’eau. Et c’est merveille.

Cette année maudite devrait, pourrait être l’occasion de repenser enfin nos rapports avec cette immense déesse toujours en mouvement. Il n’y a qu’une seule voie : dire et redire et convaincre et se convaincre que l’eau est sacrée. Qu’aucun droit humain ne peut autoriser à la souiller, à la polluer, à la fabriquer comme le font les marchands – Veolia, Suez -, la changeant en un grand malade perclus de molécules dangereuses. Mais nous n’en sommes pas là, n’est-ce pas ? Et il y a le Sud, n’est-ce pas ? Oui, il y a ce Sud où l’on rêve d’eau potable. Où un milliard d’affamés chroniques cherchent leur pitance jusqu’au milieu de l’immondice. Il est vrai. Je ne peux que vous conseiller la lecture d’un rapport parfait de l’association internationale Oxfam, que je salue bien volontiers (le rapport, en français, est ici).

Inutile de paraphraser. Oxfam présente ainsi ce travail intitulé Cultiver un avenir meilleur : « Ce rapport décrit une nouvelle période de crises : flambée des prix des denrées alimentaires et du pétrole, phénomènes météorologiques dévastateurs, récessions financières et contagion mondiale. Derrière chacun de ces chocs, des crises sous-jacentes continuent de couver : un changement climatique rampant et insidieux, des inégalités croissantes, une vulnérabilité et une faim chroniques, l’érosion de nos ressources naturelles ». Oh ! je ne prétends pas que c’est gai. C’est infiniment triste. Au passage, je précise qu’Oxfam s’en tient à des explications politiques que je juge bien au-dessous de la vérité. Car selon moi, ce qui se passe n’est rien d’autre qu’une guerre sociale d’une ampleur jamais vue dans l’histoire des hommes. Mais, oserai-je l’écrire ? En la circonstance, ce n’est pas le principal.

Voici un autre extrait de la présentation, qui cible des responsables :

  • En Inde : bien que la croissance économique indienne ait plus que doublé entre 1990 et 2005, le nombre de personnes souffrant de la faim dans ce pays a augmenté de 65 millions, soit plus que l’ensemble de la population française. Un développement économique et des systèmes de sécurité sociale excluant les populations pauvres en milieu rural en sont les principales causes. Aujourd’hui, une personne sur quatre souffrant de la faim dans le monde vit en Inde.
  • Aux États-Unis : les politiques menées par les États-Unis font que 15% des quantités mondiales de maïs sont utilisées comme carburant, même en période de forte crise alimentaire. La quantité de céréales nécessaire pour faire le plein d’un véhicule de type 4×4 ou SUV avec des agrocarburants permettrait de nourrir une personne pendant un an.
  • Les entreprises : quatre multinationales tiennent entre leurs mains le pouvoir de décisions relatives au système alimentaire mondial. Trois entreprises seulement – Archer Daniels Midland, Bunge et Cargill – contrôlent environ 90% du commerce mondial de céréales. Leurs activités entraînent la volatilité des prix alimentaires, ce dont elles profitent. Lors du premier trimestre de 2008, en pleine hausse mondiale des prix alimentaires, les profits de Cargill avaient augmenté de 86%. Et l’entreprise connaît des profits record cette année grâce à des ruptures d’approvisionnements au niveau mondial.

Je reprends le clavier pour vous rappeler que j’ai écrit voici quatre ans, en septembre 2007,  chez Fayard un pamphlet contre les biocarburants (je préfère ce terme immonde, qui est celui des marchands). Dans La faim, la bagnole, le blé et nous, j’annonçais sans disposer pour autant d’une boule de cristal l’imminence de famines, liées au boom sur les biocarburants, et elles se sont produites au printemps 2008. Elles menacent à nouveau, sur fond de déferlement croissant de cette infamie. Je dénonçais le lobby français qui pousse au développement d’une filière criminelle, financée sur fonds publics. Et il a prospéré. Aucune association écologiste, pourtant dûment informée par mes soins, ne m’a suivi. Cette inertie a beaucoup compté au moment où j’ai décidé d’écrire Qui a tué l’écologie ?, paru le 16 mars dernier.

Aujourd’hui, comme nul n’a bougé, les autres ont avancé et même cavalcadé. Le gros céréalier de Beauce Xavier Beulin est devenu en décembre dernier, dans l’indifférence générale, le président du syndicat de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Or Beulin est aussi le président de Sofiprotéol, un groupe agro-industriel spécialisé dans les biocarburants. Chiffre d’affaires 2009 : 5,5 milliards d’euros. Le lobby a donc gagné pendant que nous regardions je ne sais où, mais visiblement pas dans la bonne direction. Autre front actif en France, du côté de Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, où un notable « frêchiste » – ancien partisan de Georges Frêche – souhaite financer par notre propre argent une usine de biocarburants. J’ai signé avec d’autres une lettre ouverte à ce brave garçon (lire ici).

Dernier point, de nouveau pour toi, Petite Bergère. Crois-tu que les amis de Xavier Beulin, ces céréaliers gorgés de subventions, et qui vendent à prix d’or leur blé sur le marché international, aideront les éleveurs qui ne peuvent ou ne pourront bientôt plus payer leur foin et leur paille ? Je sais que tu connais la réponse tout comme moi. Oui, ce dimanche, je suis triste.