Archives de catégorie : Morale

Une halte à propos de Victor Serge (en défense)

Attention, et je suis sérieux : ce qui suit risque de ne pas intéresser une bonne part des lecteurs habituels de Planète sans visa. J’insiste : rien à voir avec la crise écologique, sujet presque unique de ce rendez-vous. Et pour une fois, je ne vais pas m’emberlificoter dans d’improbables excuses. J’assume : ce qui vient nécessite de connaître un peu l’histoire d’un des hommes les plus estimables que je connaisse : Victor Serge. Né le 30 décembre 1890 à Ixelles, Belgique. Mort Viktor Lvovitch Kibaltchitch à Mexico (Mexique), le 17 novembre 1947. Ou l’inverse, peut-être.

J’aime profondément cet homme et tout ce que j’écrirai sur son compte pourra et devra être retenu contre moi. Voici une quinzaine de jours, j’ai reçu un livre adressé par son auteur, Jean-Luc Sahagian, dont le titre est : Victor Serge, l’homme double (Libertalia, 13 euros). Sahagian s’occupe dans les Cévennes d’une bibliothèque libertaire – gloire ! – et la personne de Serge lui est à ce point présente qu’il lui a donc consacré un ouvrage de 230 pages.

Comment expliquer ? Le mieux est de dire tout d’abord le bien. Même pour un supposé connaisseur de la vie de Serge et de ses nombreux arrières-plans  – l’anarchisme individualiste et la bande à Bonnot, la CNT barcelonaise de 1917, la Russie bolchevique de 1919 et ses épouvantables suites, l’Espagne en guerre civile de 1936, la guerre au fascisme -, ce que je crois être, le livre de Sahagian apporte des informations nouvelles. Pas fracassantes, mais nouvelles.

J’ai pris du plaisir à lire ce livre, et ma foi, ce serait déjà bien suffisant pour en conseiller la lecture à qui s’intéresse à ces passionnantes vieilleries. Mais à la vérité, mon éloge s’arrête à peu près à ce point. Au-delà commence, à mes yeux en tout cas, une très étrange mise en cause de Serge. Étrange, car me paraissant procéder d’un point de vue a priori bien arrêté. Serge, « anarchiste individualiste » à Paris entre 1909 et 1912, aurait abandonné cette cause au profit du bolchevisme – il rejoint la Russie d’Octobre en 1919 – avant que de passer le restant de sa vie à tenter, sans succès, de justifier son reniement.

Qu’étaient donc les « anarchistes individualistes » de cette lointaine époque ? Des « en-dehors » de la société, des révoltés parfois flamboyants qui, découragés de voir les « masses » de leur temps soutenir l’Autorité et la règle sociale, voulaient créer leur propre espace, pour ne pas dire leur propre (contre-)société. Où l’on voit que cette tension politique n’est ni d’aujourd’hui, ni d’hier. La tentation du repli et de l’immédiat – il n’y a là rien de honteux – sont de toute éternité.

En tout cas, ces individualistes-là, parmi lesquels certains deviendraient des membres de la bande à Bonnot – braquages en automobile, tirs sur les caissiers et les flics, arrestations, mort par abattage ou guillotine -, étaient également de formidables inventeurs. On leur doit, même si l’origine est évidemment bien plus ancienne, la pratique de « l’amour libre », de la vie communautaire, du végétarisme, du naturisme, de l’amour des animaux, de l’art consommé du vol en tant que  « récupération ». La plupart des idées neuves d’une partie de l’après-68 viennent de là, en ligne directe.

Bon. Encore bravo, sincèrement. Et puis après ? Le malheur de Sahagian est qu’il veut prouver dès le départ sans bien savoir quoi. Que Serge a trahi ? Qu’il a rejoint l’armée de la hiérarchie et de l’écrasement de l’homme ? Mais cela, tout le monde le sait. Il est indiscutable que Victor Serge s’est fourvoyé, pendant près de quinze ans – disons avec arbitraire de 1919 à 1933 – dans l’accompagnement d’un bolchevisme sans excuse, passant sans solution de continuité d’un fantasme de complète révolution à une réalité de total asservissement.

Il a eu tort ? Ô combien. Encore aurait-il fallu suivre autrement, avec la sympathie qu’il mérite, l’homme. Je sais dès l’avance que Sahagian se récriera, clamant qu’il déborde de compréhension pour Victor Serge. Et peut-être est-ce vrai, après tout. Mais tel n’est pas mon sentiment. Je ne peux bien sûr passer en revue tout ce qui m’a spontanément arrêté, mais il est bien rare que je laisse tant de cornes aux pages d’un livre.

Concentrons-nous. Je n’aime guère, et c’est un euphémisme, les incursions que s’autorise l’auteur dans la supposée vie privée de Serge. Car elles commencent par une phrase bien connue de certaine génération politique :  « Je me demande parfois si Victor Serge n’a pas dans la bouche un cadavre ». Qui commence ainsi un chapitre doit aller au bout. Or l’auteur en reste à de plates banalités sur les trois amours féminines qu’il répertorie dans la vie de Serge. L’étonnante Rirette Maitrejean, de l’époque Bande à Bonnot. L’envoûtante Liouba Roussakov, mère de ses deux fils, qui deviendra folle. La spectrale Laurette Séjourné, au moment du grand exil.

Mais que diable veut donc nous dire Sahagian, s’appuyant sur des sources qui feraient se détourner le moindre historien ? Que Serge est, sinon dépourvu de sentiments, du moins incapable de les vivre. Eh bien, ce n’est tout simplement pas juste. L’auteur a-t-il seulement entendu parler de l’extrême pudeur présente chez tant d’auteurs et même d’individus contemporains de Serge ? Je crains que non.

Concernant la terrible période soviétique de Serge – il devient en effet un militant important de l’Internationale communiste, après avoir rompu avec son anarchisme de jeunesse – Sahagian s’appuie là encore sur des bribes. Et sur des témoignages de seconde main auxquels il accorde une bien curieuse bienveillance – tout paraît faire ventre, pourvu que cela soit contre Serge -, sans s’attarder sur deux éléments clés. Qui éclairent sans excuser les choix de Serge. Le premier, c’est l’effroyable, l’inconcevable boucherie de 1914, au cours de laquelle l’Europe se noie, corps et âme.

Il est tout de même splendide, dans cette ruine qui envahit alors les cœurs les plus purs, que Victor Serge ne se rallie pas à l’affreuse et patriotarde Union sacrée. Il est tout de même admirable que Serge refuse, au procès des rescapés de la bande à Bonnot, en 1912, d’accabler des hommes qu’il connaît bien, certes, mais dont il a publiquement critiqué la dérive sanglante. C’est admirable, car Serge fera cinq ans de dure forteresse en France, alors qu’il n’a pas joué le moindre rôle dans les attaques des fameux « bandits en auto ».

Pourquoi Sahagian ose-t-il écrire ces mots : « Victor Serge (…) paiera assez cher (cinq années d’emprisonnement et une interdiction du territoire) son soutien public, en tout cas son non-désaveu des « hommes perdus » de la bande à Bonnot ». Cinq ans pour rien, est-ce seulement assez cher ? Je préfère penser que Sahagian ne se sera pas bien relu. La messe est déjà pleinement dite lorsque ce dernier entend rendre compte du ralliement de Serge à la cause bolchevique. Je le cite : « Il faut dire qu’il travaillera, quasiment dès son arrivée, au service de la propagande de l’IC, se transformant ainsi, et à quelle vitesse, en menteur professionnel ».

Même pour vous qui m’aurez suivi jusqu’ici, je dois une courte explication. Expulsé vers la Russie révolutionnaire en janvier 1919 – après avoir fait ses cinq années de prison en France, il est allé s’insurger dans la Barcelone du printemps 1917, avant de revenir clandestinement chez nous -, il adhère, lui l’ancien anarchiste, au parti communiste dès mai. Et commence une carrière de journaliste militant à l’IC, citée plus haut, c’est-à-dire à l’Internationale communiste. Et à ce point, j’enrage, oui.

J’enrage, car Sahagian se moque d’une histoire qu’il reconstitue pour les seuls besoins de sa démonstration. En ce début 1919, dans cette Russie assiégée par les Blancs et les armées européennes – dont la nôtre -, rien n’est encore dit, rien n’est réellement joué. Accuser Serge de s’être mis au service du mensonge est un pur anachronisme. Bien entendu, pour nous qui connaissons la suite, dont le stalinisme, il est aisé de condamner en se bouchant le nez. Mais nous sommes alors à la fin d’une guerre folle qui a éventré l’idée européenne et celle de liberté. À ce point de l’histoire, il est d’autant plus facile de croire dans la griserie bolchevique – à laquelle succombent tant de libertaires russes – que nul ne peut alors comprendre le mécanisme totalitaire qui va tout emporter.

Malgré l’écrasement des armées paysannes de Makhno en Ukraine ? Malgré l’immonde massacre des révoltés de Kronstadt par l’Armée rouge de Trotski ? Évidemment, et pour une raison qui tombe sous le sens : ces événements n’ont pas encore eu lieu ! L’histoire demeure ouverte, disons entrouverte. Mais cela, Sahagian ne veut le voir, car cela ruinerait sa thèse. Il faut donc que Serge soit devenu, dès la mi-1919, lui le combattant intrépide de la liberté, un « menteur professionnel ». Eh bien, désolé, mais cela ne passe pas.

De même, et fort logiquement, l’auteur renvoie à l’extrême fin de son livre, loin du nœud gordien de l’affrontement intime entre le libertaire et l’autoritaire, l’épisode de la Commune de Lagoda. C’est pourtant la preuve certaine que Serge – il tente une expérience communautaire à la campagne, loin des bureaucraties urbaines, à la fin de 1921 – souffre les mille morts de la répression de Cronstadt, qui vient de déshonorer l’armée bolchevique.

J’arrête ici, car je n’en finirais plus. Si je prends la défense de Serge, c’est bien entendu qu’il n’est plus là pour se défendre. Et parce qu’il le mérite bien. Sahagian, par une série de procédés que je déplore, entend reconstruire l’image simpliste d’un homme qui aurait renié sa vaillance et son amour de la vérité. Or tout au contraire, la vie entière de Victor Serge est celle d’un combattant qui ne peut renoncer à ses principes essentiels, fût-ce au prix de sa liberté et de celle des siens. En quoi il est, sous mon regard, définitivement grand. En quoi le livre de Sahagian, qu’il faut lire pourtant, attaque sans rien démontrer de convaincant l’honneur d’un homme qui resta debout au-delà des limites communes.

Pour ceux qui souhaiteraient encore lire Serge, je signale, outres ses romans, publiés ici ou là – certains sont de vrais grands romans -, son fabuleux Mémoires d’un révolutionnaire (Bouquins, chez Laffont). Il s’agit à mon avis d’un des plus beaux ouvrages politiques jamais écrits.

Hubert Reeves, patron du café du Commerce (sur l’ours)

Bon, voilà que j’en suis réduit à m’autociter. Je vous rassure, c’est pour la bonne cause. L’excellent site La buvette des alpages (ici) m’a demandé mon opinion sur des propos de l’astrophysicien Hubert Reeves. Et je l’ai donc donnée, sans hésitation. Face à une cause aussi majeure que la défense de l’ours sauvage, il n’est à mes yeux aucun Intouchable. Ni Reeves ni aucun autre. Fatalement, ça saigne un peu. Je plaide innocent.

Fabrice Nicolino a accepté de répondre pour la Buvette aux propos que Hubert Reeves a tenus sur l’ours à l’AFP et qui ont été publiés par Romandie News.

Par Fabrice Nicolino.

La position d’Hubert Reeves est à pleurer. Elle n’est ni plus ni moins qu’un coup de poignard dans le dos de ceux qui se battent réellement pour la biodiversité, dans les Pyrénées ou ailleurs.

Fabrice Nicolino: La position d’Hubert Reeves est à pleurer. Elle n’est ni plus ni moins qu’un coup de poignard dans le dos de ceux qui se battent réellement pour la biodiversité, dans les Pyrénées ou ailleurs.Et si j’écris le mot réellement en italique, c’est bien pour signaler que monsieur Reeves n’est plus que dans le faux-semblant, après avoir pris le contrôle d’une association jadis vigoureuse, le défunt Rassemblement des opposants à la chasse (ROC).

Car Hubert Reeves n’est pas que le sympathique astrophysicien qui montre les étoiles aux enfants que nous sommes. En 2000, sollicité il est vrai, il a pris la tête du ROC, qu’avait si magnifiquement incarné Théodore Monod. Et avec l’aide de Nelly Boutinot et Christophe Aubel, il l’a transformé en une invraisemblable Ligue pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non-chasseurs.

La mort du ROC

Le ROC était mort, et bientôt enterré. J’ai écrit ailleurs la façon scandaleuse dont cette prise de pouvoir a eu lieu. Dans une lettre ouverte cinglante, cinq administrateurs de l’association en démissionnent avec fracas en novembre 2009. Il s’agit de :

  • Michèle Barberousse, adhérente depuis 1977;
  • Francis de Frescheville, adhérent depuis 1988;
  • Pierre Jouventin, démissionnaire depuis février 2009;
  • Viviane Laurier, adhérente depuis la création en 1976;
  • Jean-Paul Péronnet, adhérent depuis 2000.

Que disent-ils ? De véritables horreurs dont je n’extrais que quelques morceaux :

Le premier : « À la demande d’Hubert Reeves, la Ligue Roc ne s’oppose plus. Elle sert de caution aux ministères. Malgré les revers et les affronts subis, elle persiste à rencontrer autour d’une table ronde les représentants des chasseurs, de plus en plus favorisés par les pouvoirs publics. Il a été impossible aux administrateurs signataires d’obtenir qu’apparaissent sur son site toutes sortes d’informations sur les réalités de la chasse, indispensables à la formation objective de l’opinion publique ».

Le second : « L’opacité des pratiques, le non-respect des statuts, la dissimulation et le mensonge, obligent à des vérifications constantes. Lors de la dernière Assemblée Générale, le jeu des pouvoirs a permis à dix personnes, dont les deux salariés, d’exprimer plus des deux tiers des votes, et cela pour des candidats dont les noms n’ont été révélés qu’en séance ».

Inutile de poursuivre, car nous avons tous compris. J’ajoute que le pseudo-ROC fait réaliser des documents d’importance à un nouvel adhérent appelé Gilles Pipien. Chef de cabinet de Roselyne Bachelot en 2003, quand celle-ci, ministre de l’Écologie, vantait les mérites du nucléaire, cet homme est devenu un pilier du ROC-Reeves. Ma foi, tout le monde a bien le droit de changer, n’est-il pas ?

Sauf que Gilles Pipien n’a pas changé. Citation du bulletin Action Nature de juillet 2005, rédigé lui par de vrais défenseurs de la nature : « Bien sûr, on peut croire aux miracles, ou aux conversions tardives. Mais un tel retournement de veste n‘est tout de même pas près de passer pour crédible ! Ainsi, en région Rhône-Alpes, Gilles Pipien est l‘objet depuis le 7 mars 2003 d‘une tendresse toute particulière. C‘est lui en effet qui s‘est rendu sur le col de l‘Escrinet, haut lieu du braconnage de masse, pour y soutenir et y encourager cette pratique totalement illégale ! Les braconniers ardéchois en rient encore… ». Pipien, pilier du soi-disant ROC ? Oui, hélas.

Reeves au secours des ennemis de l’ours

Telle est bien la situation d’un ROC devenu poussière de sable, et que tout le monde piétine désormais. Il est à croire que cela ne suffit pas, que cela ne suffira jamais. Voici qu’Hubert Reeves entend donner des leçons à ceux qui se battent pour la sauvegarde de l’ours dans ces Pyrénées où il est chez lui, n’en déplaise à l’astrophysicien.

De quel droit un homme qui ne sait rien de la situation ose-t-il mettre en cause ce magnifique combat de civilisation ? De quel droit, vraiment ? Ne vous y trompez pas : Reeves n’a pas la moindre idée du climat de haine et de violence que font régner les ennemis de l’ours et de la vie sauvage. Et il se moque visiblement du coup de main inespéré que les quelques paroles accordées à l’AFP donneront aux extrémistes locaux. On appelle cela, lorsqu’on veut rester aimable, de l’irresponsabilité.

Bien entendu, il faut aller au-delà. L’absurdité des propos de Reeves ne saurait échapper aux défenseurs authentiques de la biodiversité. Car s’il est une chose évidente à qui est allé sur le terrain, ici ou ailleurs, c’est que la biodiversité est globalement une gêne pour les activités humaines. L’humanité continue son expansion et pénètre chaque jour un peu plus dans les derniers réservoirs de richesse biologique encore intacte. L’affaire est terriblement complexe, puisqu’elle nous condamne à respecter les droits humains tout en sauvant les formes de vie que ces derniers menacent fatalement.

Et c’est bien parce que la situation commande intelligence, détermination et acceptation du conflit que les mots de Reeves me sont insupportables. Car ils sont d’abandon, car ils sont de désertion, car ils mènent droit au désastre le plus complet. Reprenons en deux mots. Il existe dans les Pyrénées un magnifique espace largement vide d’hommes. La déprise agricole a en effet conduit les paysans à descendre de plusieurs centaines de mètres dans les vallées. Certes, les pasteurs et les troupeaux doivent être défendus, mais ils peuvent l’être, par miracle, en laissant une part à l’autre, à ce grand sauvage qui est l’âme profonde des lieux.

Notre responsabilité dans les Pyrénées

Les Pyrénées sont justement une place extraordinaire pour démontrer notre engagement sincère en faveur du vivant. Notre responsabilité est précisément de montrer qu’un pays riche, croulant même sous les richesses matérielles, peut consentir de menus sacrifices au service d’une cause supérieure et sacrée. De cela, Hubert Reeves ne veut pas même entendre parler. Pharisien, il renvoie dos à dos les deux points de vue, et récuse la perspective d’une opposition qui est pourtant au cœur de toute entreprise humaine. On se croirait, comme je l’ai dit plus haut, au café du Commerce. Ou chez les Normands de caricature : « P’t’être ben qu’oui, p’t’être ben qu’non ».

Ajoutons qu’avec les arguments – leur absence, en vérité – avancés par Reeves, nous n’avons plus qu’à rentrer tous nous coucher. Tous, c’est-à-dire tous les humains encore debout. Car franchement, comment espérer sauver l’éléphant d’Afrique, le tigre de l’Inde, le lynx ibérique, les hippopotames du Niger et les requins de toutes les mers dans ces conditions ? Les éléphants, pour ne prendre que cet exemple, entrent en conflit croissant avec les activités de paysans pauvres, qui ont bien entendu droit à la vie. Mais est-ce une raison pour accepter la disparition à terme de ces racines du ciel ? Il est vrai que Reeves n’a désormais d’yeux que pour les vaches et brebis de « races locales ». Grandeur et décadence.

Bis repetita chez les puissants (DSK, Aubry, Lagarde)

Le Fonds monétaire international (FMI) est l’une des structures de base de ce monde à la dérive. Il intervient sans cesse dans la politique des États. Contre les peuples et des services publics souvent en déroute. Pour le marché, pour la liberté du renard libre dans le poulailler libre [avec mes excuses pour le renard, que j’adore dans la réalité]. Une morale plus proche du sens commun nous ferait voir le FMI pour ce qu’il est : une structure criminelle au service des maîtres de la planète.

Mais ce serait trop simple. DSK en a été le directeur général jusqu’aux menus désagréments que l’on sait, grâce à Nicolas Sarkozy, qui avait mis tout le poids de la France officielle à la fin de l’été 2007 pour que le poste échût au grand socialiste. Par la faute d’une petite femme de chambre venue des hauts plateaux de Guinée, un malheureux traîne désormais sa richesse entre quatre murs, lestée d’un collier électronique.

La farce est-elle terminée ? Elle ne fait que commencer. Notre grande socialiste nationale – amie des patrons, comme DSK, amie d’Alain Minc, comme DSK – Martine Aubry se déclare en faveur d’une candidature de madame Lagarde, actuelle ministre de l’Économie, au poste de directrice générale du FMI, comme vous verrez plus bas. Le miroir inversé de 2007. C’est splendide, cela dit tout de la réalité des relations entre  « opposants » politiques.

Rappelons trois choses. La première, c’est que la politique de Sarkozy, c’est tout de même bien un peu Lagarde. On suggère donc qu’elle aille faire de même à Washington. La deuxième, c’est que madame Lagarde a joué un rôle confus, et très contesté, dans le règlement du litige financier opposant Tapie au défunt Crédit Lyonnais dans le cadre de la vente Adidas. La France a filé 285 millions d’euros à Nanard, qui n’iront ni aux banlieues, ni à la biodiversité. Madame Lagarde a-t-elle été coupable « d’abus d’autorité »,  comme certains l’en accusent ? Ce serait grave. On verra. La troisième en tout cas mérite de sortir de la naphtaline.

Nous sommes le 10 juillet 2007, et tandis que Nicolas Sarkozy s’active dans les coulisses au grand bénéfice de DSK, madame Lagarde est à la tribune de l’Assemblée nationale. Voici un extrait de ce qu’elle y déclare : « Que de détours pour dire une chose au fond si simple : il faut que le travail paye. Mais c’est une vieille habitude nationale : la France est un pays qui pense. Il n’y a guère une idéologie dont nous n’avons fait la théorie. Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles à venir. C’est pourquoi j’aimerais vous dire : assez pensé maintenant. Retroussons nos manches ».

C’est cette brave personne qu’Aubry, bientôt candidate à l’élection présidentielle, veut voir à la tête du FMI. Je pense pour ma part aux milliers de jeunes et moins jeunes de la place Puerta del Sol, à Madrid (ici), qui envoient se faire foutre le (très) grand socialiste espagnol José Luis Rodríguez Zapatero. Je pense, je pense vraiment et sincèrement à Nafissatou Diallo, retrouvée tremblante, terrorisée et vomissante dans les couloirs de l’hôtel Sofitel de New York. L’innombrable légion des salauds n’est pas près de rendre des comptes. Ou si ?

 

AUBRY SE PRONONCE EN FAVEUR D’UNE CANDIDATURE DE LAGARDE AU FMI

PARIS (Reuters) – Plusieurs responsables français, y compris la socialiste Martine Aubry, se sont prononcés dimanche en faveur d’une candidature de Christine Lagarde à la direction générale du Fonds monétaire international.

Londres et Berlin ont, entre autres, déjà apporté leur soutien à la ministre française de l’Economie et des Finances pour prendre le poste laissé vacant par Dominique Strauss-Kahn, accusé d’agression sexuelle aux Etats-Unis. Le premier secrétaire du PS, Martine Aubry, a salué en Christine Lagarde « une femme respectable » bien que membre d’un gouvernement dont elle désapprouve la politique économique.

« Ce serait bien que ce soit la France qui ait ce poste et je crois que madame Lagarde, au-delà des divergences que l’on peut avoir (…), est une femme respectable », a-t-elle déclaré sur France 2. « Si l’Europe peut avoir ce poste et si une Française peut l’obtenir, je crois que ce serait une très bonne chose pour notre pays et pour l’Europe », a-t-elle ajouté.

Pour le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, la politique menée par le FMI est le plus important. « J’ai beaucoup de respect pour Christine Lagarde (mais) la politique que l’on mènera au FMI m’intéresse plus que la personnalité qui la mettra en oeuvre », a-t-il déclaré sur Canal+. Le ministre de l’Intérieur et ancien secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, a quant à lui apporté un soutien appuyé à la ministre de l’Economie.

« Christine Lagarde a, à l’évidence, toutes les qualités pour être un excellent directeur général du FMI et je note que beaucoup de pays la soutiennent publiquement », a-t-il déclaré au Grand Rendez-Vous Europe 1-Le Parisien/Aujourd’hui en France. Ni l’Elysée, ni le ministère de l’Economie n’ont pour l’instant commenté une éventuelle candidature de Christine Lagarde à la tête du FMI.

Très grande décroissance de l’amitié autour de Vincent Cheynet

À LIRE :

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=892

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=911

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=913

Je vous avoue que je n’en aurais pas parlé spontanément. Vincent Cheynet, patron de choc du journal La Décroissance m’attaque dans la dernière livraison avec une haine qui m’a fait balancer entre la stupéfaction et le rire. Oui, croyez-moi, et pour des raisons profondes, je sais rire des choses tristes. Par chance. Je ne lis pas La Décroissance, mais une amie m’a transmis le texte au format PDF, empli jusqu’à la gueule de sornettes, d’inventions, de mensonges divers, sans être variés.

Ma foi, je vous jure que j’en serais resté là, car je sais trop bien que les Cheynet prennent un immense plaisir dès que l’on prononce leur nom. Mais cette fois, par extraordinaire, il semble être allé trop loin. Et je reçois à l’instant une lettre que je considère comme de soutien, signée comme vous le verrez par des gens longtemps proches – pas tous – de Cheynet. Paul Ariès lui-même prend parti, et j’en suis fort content. À tous, merci.

Lettre ouverte à Vincent Cheynet et au journal La Décroissance”

Un journal appartient aussi à ses lecteurs et à ses auteurs. Surtout lorsque le titre a choisi de porter le nom générique d’un mouvement d’idées ambitieux. Nous pouvons avoir des différends politiques entre nous et avec des représentants d’autres sensibilités proches, mais les anathèmes entre objecteurs de croissance nous desservent collectivement. Cette forme de violence n’appartient pas à la culture de la décroissance.

Nous nous déclarons donc solidaires des compagnons de route de la décroissance qualifiés d’écotartuffes. Non, Patrick Viveret et Fabrice Nicolino ne sont pas des écotartuffes. Ces deux dernières affaires ne sont pas isolées. Combien reste-t-il des fondateurs initiaux de La Décroissance ? Le mensuel la décroissance, qui peut apporter encore beaucoup, ne doit plus
confondre la nécessité de faire dissensus avec le capitalisme et le productivisme, ou la nécessité de critiquer, comme il sait le  faire, les adorateurs de la croissance, et la pratique du sectarisme.

Il doit accepter le débat avec et entre toutes les sensibilités de l’objection de croissance et de l’écologie anti-productiviste. Nous sommes convaincus que ce n’est qu’au prix de cette mutation que le journal La Décroissance pourra regagner de l¹influence, ce que nous souhaitons.

Liste des signataires :

Paul Ariès
Geneviève Azam
Jean-Claude Besson-Girard
Agnès Sinaï
Jacques Testart
Jean Gadrey
Serge latouche
Bertrand Méheust

La caste se rebiffe (au sujet de DSK)

Badinter ! Silence dans les rangs. Total respect. Abolition de la peine de mort. Bon, je ne joue pas le jeu une seule seconde. Sur Inter ce matin, Robert Badinter se dit « bouleversé et indigné » par cette « mise à mort médiatique volontaire » de DSK, qui est son ami. Et il ajoute : « Pourquoi n’a-t-il pas été mis en liberté sous caution? Parce qu’il est Français ? Parce qu’il dirige le FMI? ». Je me contenterai d’un mot : Badinter n’est pas que l’icône que l’on sait. Il aura consacré une bonne part de sa vie professionnelle à défendre, comme avocat d’affaires, de grands ou plus petits capitalistes. Pas de malentendu ! Je défends évidemment le principe que tout homme, fût-il le pire, doit pouvoir se défendre dans des conditions dignes, et choisir pour cela un avocat de qualité.

Simplement, il faut raconter les histoires jusqu’au bout. Badinter a défendu des hommes comme Marcel Boussac, le baron Empain, l’Aga Khan, ou encore Hubert Flahaut, directeur de la société Givaudan, productrice du talc Morhange (200 enfants morts, plongés dans le coma ou victimes de séquelles neurologiques). Encore une fois, un tel métier est nécessaire, essentiel même. Mais ne rapproche-t-il pas spontanément d’un DSK, lui-même avocat d’affaires une vingtaine d’années plus tard ? Et que dire à ce compte de l’épouse féministe de Robert Badinter, Élisabeth, grand héritière de l’empire Publicis et présidente de son conseil de surveillance ? Ne semble-t-elle pas très proche, socialement, culturellement – et politiquement – d’Anne Sinclair, épouse de DSK et grande fortune elle-même ?

Autre élément que vous connaissez aujourd’hui forcément : l’affaire Banon. Dans l’émission « 93, Faubourg Saint-Honoré », diffusée en 2007 sur Paris Première (ici), Tristane Banon raconte comment DSK l’aurait agressée sexuellement. À l’heure où j’écris, il n’y a aucune plainte, et nul ne peut en toute certitude se prononcer sur le fond. Mais. Mais il y a le reste, qui est considérable. Regardez si vous avez le temps ce bout de film. Autour de la table de Thierry Ardisson, il y a Jacques Séguéla, Thierry Saussez, Jean-Michel Aphatie, Roger Hanin, Gérald Dahan, Claude Askolovitch et Hedwige Chevrillon. Je n’ai pas même le goût de tous vous les présenter. Notez cependant qu’il y a là deux des plus « grands » pubeux de Paris, qui tutoient tous les grands chefs de la politique. Ils appartiennent aujourd’hui à la Sarkozie, corps, âme et porte-monnaie inclus.Il y a là également le beauf de Mitterrand, qui connaît la moitié du microcosme. Il y a là deux des principaux journalistes politiques de la place. Le très ambitieux Claude Askolovitch d’une part, et Jean-Michel Aphatie de l’autre.

Réunis, ces êtres peuvent en une heure ou moins sonner le tocsin d’une manière telle que toute la France sorte sur le pas de sa porte. Or, rien. Ou plutôt, écoutez la réaction dominante. Nul ne vole au secours de DSK. Ardisson confirme qu’il sait, et les autres, en ne s’indignant de rien, démontrent qu’ils en ont aussi entendu parler. Mais surtout, je pense aux rires gras qui se font entendre. Je n’ai pas souhaité regarder de près, et je n’accuserai personne en particulier. Le seul qui se marre ouvertement, c’est Ardisson. Pour les autres et dans le détail, je ne sais. Tel ou tel s’est peut-être tu, accablé. Cela reste possible. Ce qui est certain, c’est qu’aucun n’a bougé ensuite. Aucun. Pas la moindre enquête, pas la moindre suite.

Réfléchissons ensemble, car c’est réellement dramatique. Ou Tristane Banon ment, et il faut organiser la défense démocratique d’un homme politique injustement accusé. Ou elle dit vrai, et la responsabilité morale de ces grands personnages devrait les mener plus loin, ne serait-ce que pour informer la nation qu’elle pourrait, un jour, avoir comme président de la République un prédateur sexuel. Mais rien de tout cela. On se marre un bon coup. Et on passe au rendez-vous suivant. C’était la rubrique « Un pour tous, tous pour un ». Une histoire d’Ancien Régime. Une histoire de caste, qui sera détruite tôt ou tard, de gré ou de force. Tel est en tout cas mon espoir le plus véridique.