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Enfin d’accord avec Dominique Guillet (de Kokopelli)

Il y a quelques jours, je me suis heurté au créateur de l’association Kokopelli (ici), Dominique Guillet. Je ne plaisante pas beaucoup sur l’affaire du climat, comme peut en témoigner Hacène, fidèle parmi les fidèles de Planète sans visa. Mais le hasard de la vie me permet de retrouver Dominique sur un autre terrain, où nous sommes parfaitement d’accord.

Ce terrain s’appelle Carson. Non, pas Kit. Rachel. Rachel Carson. Cette zoologiste, née en 1907, a écrit un livre stupéfiant, renversant, pionnier, fondateur, sur les ravages de la chimie de synthèse. Plus exactement sur les pesticides. Plus précisément encore sur le DDT, mis au point en 1939, et longtemps tenu pour un miracle. Rachel était une femme curieuse de tout, dans le domaine de la nature en tout cas. Elle s’intéressa aux océans, écrivit des scripts pour des émissions de radio, quantité d’articles sur l’histoire naturelle.

En 1958, alors qu’elle est en retraite – anticipée – depuis des années, un ami lui signale une mortalité très élevée d’oiseaux dans la région du cap Cod (Massachusetts), à la suite d’épandages de DDT. C’est le début d’une aventure inouïe, qui la conduira à publier en 1962 son chef-d’œuvre, Silent Spring. Ce Printemps silencieux a été traduit en français aussitôt, et mis en vente chez nous dès 1963. J’en ai un exemplaire devant moi, que je ne cèderais pour rien au monde. Je vous passe tous les affreux détails. Aux États-Unis, l’industrie des pesticides traite cette femme admirable de vieille cinglée. Ou d’agent de Moscou. Ou des deux. Et lance des campagnes de calomnie qui seront relayées par des scientifiques stipendiés ou crétins – voire les deux – en France même.

Il faut dire que Carson écrit ceci : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’homme vit au contact de produits toxiques, depuis sa conception jusqu’à sa mort. Au cours de leurs vingt ans d’existence, les pesticides synthétiques ont été si généreusement répandus dans les règnes animal et végétal qu’il s’en trouve virtuellement partout ». Nous sommes en 1962, et Roger Heim lance, dans la préface française, des mots qui fouettent encore la conscience : « On arrête les “gangsters”, on tire sur les auteurs de “hold-up”, on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels –, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? ».

Qui est Heim ? Un homme qui est à cette époque à la fois président de l’Académie de sciences et directeur du Muséum national d’histoire naturelle. Où l’on voit l’incroyable régression dans laquelle nous sommes plongés. L’Académie des sciences est devenue une place-forte du scientisme. Et le Muséum applique sans broncher les méthodes du libéralisme à la conservation des merveilles qu’il abrite. En 1962, qu’on se le dise, un homme rassemblait la science française à lui seul, sans ces séparations qui font le bonheur des réductionnistes et des marchands. Et cet homme était un écologiste.

Bon, et Guillet, alors ? Dominique a écrit sur le blog de Kokopelli (ici) un article que je contresigne immédiatement. Une maison d’édition, Wildproject (ici), publie en français, à nouveau, Printemps silencieux. Mais la préface de Heim a été éliminée, et remplacée par une fadaise d’Al Gore, l’ancien vice-président américain. Et là, non ! Et là, merde ! Dominique écrit fort justement : « L’Association Kokopelli s’était fait un plaisir de distribuer la réédition de l’ouvrage de Rachel Carson, Le Printemps Silencieux, lorsque nous nous sommes aperçus que la préface avait été rédigée par Mr Al Gore. La préface originelle de Roger Heim a été supprimée de cette édition. L’éditeur interrogé à ce sujet a répondu: Nous avons décidé que la préface de Roger Heim, outre son intérêt historique, n’était pas pertinente pour présenter Rachel Carson et la signification de Printemps silencieux. Celle d’Al Gore nous semblait beaucoup plus fine, plus juste, plus renseignée, et d’une teneur intellectuelle bien supérieure”».

Du coup, Kokopelli, qui avait commandé 100 exemplaires, les a rendus. Et j’aurais fait pareil. Gore, l’homme du système, de ce système qui a conchié Carson et provoqué les désastres dénoncés dans son livre, n’a tout simplement pas le droit moral de préfacer Carson. Certains d’entre vous trouveront cela sévère pour l’homme qui a réalisé Une vérité qui dérange, et qui s’agite beaucoup autour de la crise du climat. Je n’oublie moi, ni n’oublierai qu’il écrivit dès 1992 un livre posant pourtant de bonnes questions (Earth in the Balance, 1992, La terre dans la balance), avant de s’installer dans le néant de huit années de vice-présidence des États-Unis.

Oui, Gore fut vice-président de 1993 à 2001. Au milieu, la conférence de Kyoto. Et rien. Et rien. Non, Al Gore n’avait pas le droit moral de préfacer Rachel Carson.

PS : En vérité, non, je ne contresigne pas les développements de Dominique sur Gore et ses liens supposés. Cela, je lui laisse volontiers. Mais sur Carson, mille fois d’accord.

Un appel contre un certain Berlusconi

Cette fois, je ne cherche pas à raccrocher vaille que vaille ce qui suit à la crise écologique, qui me poursuit pourtant jour et nuit. Ce qui vient n’est qu’un cri, que vous pouvez ou non partager avec moi. Un cri de colère et de dégoût contre l’un des pires hommes politiques que j’ai pu observer. Cet homme, bien entendu, c’est Berlusconi. Le quotidien La Repubblica a lancé un appel que je me suis empressé de signer, moi qui ne signe (presque) jamais rien (ici).

Que dit l’appel ? Que Berlusconi tente de museler ce qui reste de la presse italienne en réclamant devant la justice 1 million d’euros au quotidien. Que cette manœuvre porte atteinte à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Qu’elle vise, au passage, à anesthésier l’opinion publique. Moi, en vérité, je ne vois guère ce qui reste à anesthésier dans ce pays, mais bon, ne finassons pas. De même, sachez tout de même que La Repubblica ne me plaît pas davantage que Le Monde ici. Mais baste ! l’heure n’est pas aux ergoteries.

Je pourrais, sans me vanter, remplir des pages et des pages sur ce bouffon-là. Qui n’en est pas un. Qui l’est, d’une certaine manière, mais qui en tout cas ne l’a pas toujours été. Le savez-vous ? Fin 2000 est sorti en Italie le livre L’odore dei soldi. Origini e misteri delle fortune di Silvio Berlusconi. Il n’est guère besoin de traduire. Oui, d’où vient réellement l’argent par lequel Berlusconi a bâti son empire industriel et médiatique ? À l’heure où j’écris, nul ne le sait. Il y a des indices, comme on dit. Convergents, même. Qui mènent droit en direction du sud de la péninsule italienne. Mais pour l’heure, aucune réponse.

Berlusconi a été un ami proche de Bettino Craxi, archiponte du Parti socialiste italien (PSI) et maître de la corruption, ce qui l’obligea à terminer sa vie en Tunisie, fuyant la justice de son pays, qui n’aurait pas manqué d’embastiller cet ancien président du Conseil. Les deux étaient si proches, au mitan des années 80, que Craxi présenta Berlusconi à son grand ami Mitterrand, qui lui offrit en retour une chaîne de télé inoubliable, la Cinq. Mais Berlusconi n’était pas, et n’a jamais été seulement ce qu’il paraissait être. On sait depuis 1981 qu’il a appartenu à la loge maçonnique dite P2, où il détenait la carte 1816.

Il l’a nié, comme il a toujours tout nié, mais la chose est désormais certaine. Officielle. Publique. Il appartenait bien à cet incroyable écheveau secret, qui a fait la loi réelle dans les coulisses de l’Italie après la Seconde guerre mondiale. De très nombreux responsables d’État – ministres, chefs des services secrets, parlementaires -, de très nombreux entrepreneurs publics et privés de premier plan avaient juré serment à Licio Gelli, chef de la Loge et homme d’extrême-droite.

Dont Berlusconi. La P2 a joué un rôle clé, central, dans ce qu’on a appelé la stratégie de la tension, qui s’est soldée par une flopée d’attentats, dont le plus grave, à Bologne, à l’été 1980, a fait plus de 100 morts. Je sens bien que cela fleure la science-fiction, mais il n’y a aucun doute que des services d’État ont permis, parfois organisé le massacre de citoyens parfaitement innocents. L’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, qui avait été président du Conseil, comme le seraient Craxi puis Berlusconi, restent parmi les mystères les mieux gardés de l’Italie contemporaine. Les faits se sont produits en 1978, et des chefs de la P2 y ont tenu une place que je qualifierais de nodale.

Pourquoi revenir en arrière ? Mais parce que tout est là. C’est parce que l’Italie n’a pas su regarder en face son visage, hier, qu’elle porte aujourd’hui celui du monstre. En refusant de purger le vrai bilan des années de plomb et du terrorisme manipulé, les Italiens ont ouvert un boulevard à Berlusconi, qui ne pouvait que s’y pavaner en empereur romain de pacotille. Nous en sommes là. Des femmes ministres sont soupçonnées de papoter entre elles sur la meilleure manière de faire jouir le vieux monsieur, qui les aurait choisies en fonction de considérations, disons physiques. Lequel vieux monsieur – 72 ans, mais une série de malaises derrière lui – se fait injecter des produits dans le sexe, pour l’usage qu’on devine, séduit ou croit séduire des jeunesses de 18 ans, etc.

Pathétique ? Non pas. Fou. Ignoble. Insupportable. Le monde de Berlusconi est de paillettes, de stupre, de dope, de fric. Un raccomodage de liftings, de putes et de champagne. Une scène que Pasolini aurait su – peut-être – changer en une esthétique de fin du monde. Je suis bien navré de vous l’écrire, mais Berlusconi me semble étonnamment moderne. Il signale comme aucun autre la fin d’un modèle, la fin d’une conception du pouvoir où le verbe dominait encore l’image. Où la raison pouvait l’emporter sur les tombolas et les concours de chansons. 93 % des Italiens ne s’informeraient plus qu’au travers de la télévision, et ceux-là ne savent rien des menues embrouilles de leur hominicule providentiel.

En sommes-nous si loin ? Je vous laisse juges, au moment où s’ouvre le procès Clearstream. Je vous rappelle que Sarkozy, faraud comme il sait être, a annoncé que son rêve était de pendre le responsable des fameux (faux) listings bancaires où son nom apparaît, « à un croc de boucher ». Et ce responsable est pour lui l’ancien Premier ministre de notre pauvre République, Villepin. Je vous signale au passage que la constitution d’un président en exercice comme partie civile à un procès le concernant est une première. Vous rendez-vous compte ? Il est intouchable légalement pendant son mandat, mais poursuit néanmoins, espérant pendre à un croc le supposé coupable, comme d’autres, que je préfère oublier, mais qui le firent pour de vrai. On aura même vu un procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, déclarer il y a un mois, avant tout procès donc, que Villepin a été l’un « des bénéficiaires collatéraux, mais parfaitement conscient » de cette sombre affaire.

Alors ? Alors, malgré ma promesse du début, un mot sur l’écologie. L’écologie qui est la mienne est morale. Elle est sursaut, résistance, résilience bien sûr. Elle demande du sang-froid quand il en faut, de la sainte colère lorsqu’elle est nécessaire. Elle exige de la révolte, des idées neuves, des perspectives inédites, elle réclame du calme et du vacarme. Et avant tout cela, l’examen véritable de la situation, sans fioriture aucune. En ce 22 septembre 2009, il me paraît limpide que la démocratie, telle qu’elle fut pratiquée pendant deux bons gros siècles, cahin-caha, est morte. Ce n’est pas une formule. Nous ne pourrons affronter la crise écologique avec les mots et les systèmes qui nous ont conduits au gouffre. Nous devons donc inventer la liberté, cette idée neuve. En plus du reste. Il ne va pas rester beaucoup de temps pour profiter de septembre.

Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 2)

Pour bien comprendre cet article-ci, et j’en suis navré, il faut lire le précédent. Le Liberia vient de vendre pour 25 ans des droits d’exploitation forestière, dans des conditions troubles. À au moins deux prête-noms de la transnationale Samling, accusée dans le monde entier d’exploitation illégale de bois et de violation du droit des peuples forestiers. Tapez sur Google : Samling illegal log, et vous serez édifié si vous parlez anglais. Mais vous pouvez essayer également avec : Samling exploitation illégale de bois. Je vous recommande pour ma part un document (1) qui décrit la lutte du peuple Penan contre la Samling et la certification MTTC, qui lui permet de vendre son bois comme s’il était exploité de manière durable.

MTTC, c’est un label malaisien dont j’ai déjà parlé (ici). Le Malaysian Timber Council Certi?cation (MTTC, ou Conseil malaisien de certi?cation du bois) est un organisme aux ambitions immenses. Qui entend être « recognised as the leading timber certification organisation for tropical forests ». C’est-à-dire reconnue comme l’organisation-phare dans le domaine de la certification du bois tropical. Je pense qu’ils y arriveront, car ces messieurs-dames ont l’esprit large, réellement très large. Preuve en est qu’ils ont accordé en 2005 un quitus général à l’entreprise Samling en lui donnant un label très précieux sur le plan commercial. Je vous invite à consulter le document en français appelé Certification d’une concession privée en Malaisie (2), qui vous fera mieux comprendre les formidables enjeux cachés de la certification.

Résumons : MTTC offre un cadeau royal à la Samling, qui dévaste les forêts du monde, et s’attaque aujourd’hui à celles du Liberia. Mais que serait MTCC sans PEFC ? Rien. Pardonnez-moi ce jargon, qui ne vient pas de moi. PEFC est LE grand certificateur de bois dit durable dans le monde. Qui dispose du tampon est le roi des affaires. Or PEFC a certifié MTTC, opérateur « régional », lui donnant ainsi sa caution planétaire. L’affaire s’est conclue le 1er mai 2009 (ici), tranquillement, discrètement. Une poupée russe, telle est l’image qui s’impose. La Samling. Puis MTTC. Puis PEFC. Et enfin Sébastien Genest.

Ne l’oublions pas. Genest, qui ne sait rien, RIEN, RIEN, RIEN, des forêts tropicales, a accepté, malgré de nombreux avertissements, de siéger au bureau international de PEFC, lui donnant ainsi une caution «écologiste» inespérée. France Nature Environnement est la seule association AU MONDE à accepter de siéger dans ce machin (ici). Scandaleux ? Le mot est faible. Comme je veux malgré tour détendre l’atmosphère, je vous invite à aller ricaner sur le site de PEFC France (ici). Vous y lirez un morceau d’anthologie concernant l’Australie, où des entreprises certifiées PEFC se sont attaquées à des forêts primaires au napalm, au moins jusqu’en 2007. Commentaire désopilant de PEFC France : « Pour FNE, deux points doivent encore être améliorés : la conversion des petites surfaces et les coupes rases sur les forêts primaires ». Oui, pour FNE, il faut améliorer les coupes rases sur les forêts primaires. J’allais le suggérer.

Que répondent Genest et le petit groupe autour de lui ? Là encore, faute de mieux, rions. Dans le bulletin de mai 2009 de FNE, qui s’appelle La lettre du hérisson, on trouve cette grandiose introduction : « Le schéma australien reconnu par PEFC a été l’objet de critiques virulentes de la part de nombreuses ONG, quant aux pratiques sylvicoles controversées qu’il présentait. Même si des progrès ont été constatées ces dernières années, FNE a voulu profiter de l’assemblée générale de PEFC à Canberra (Australie) pour aller sur le terrain et statuer par elle-même. La situation complexe mérite d’être prise avec nuance ».

Grand, réellement. Genest part à Canberra faire la leçon aux autochtones. Car ce n’est bien entendu pas fini. « Les représentants des entreprises rencontrées nous ont fait part de manière insistante de leur volonté de rencontrer the Wilderness Society et Australia Conservation qui sont des ONG importantes en Australie. FNE considère que ces ONG devraient saisir l’opportunité de peser de tout leur poids dans la révision des standards australiens afin de pouvoir faire évoluer les pratiques sylvicoles ». C’est diplomatique, mais c’est net. FNE ose reprocher aux écologistes australiens de ne pas participer au lancer de napalm. Officiellement, il est vrai, cette bombe incendiaire amie des hommes et des bois n’est plus utilisée. Mais il reste le monofluoroacetate de sodium, un épouvantable toxique. Sublime, FNE constate : « Aux dires de Forestry Tasmania, le monofluoroacétate de sodium (ou 1080) n’est plus utilisé depuis décembre 2005. S’il l’est toujours sur les domaines privés, son utilisation globale a chuté de 15kg/ha en 1999 à moins de 0.7 kg/ha en 2007 ». Notez avec moi, je vous prie. Forestry Tasmania est l’organisme gouvernemental en charge des forêts de cette île si belle. L’organisme qui a couvert la destruction d’au moins 140 000 hectares de forêts primaires depuis 1997. Et cet excellent témoin affirme donc que le poison appelé 1080 est moins, je répète, moins utilisé. Et FNE le croit.

Mais comme elle a un sens critique inouï, FNE n’a pas voté en faveur du renouvellement du label PEFC en faveur des exploitants forestiers australiens. Na ! Tout en restant bien entendu au bureau international. Ce qui est quand même réconfortant, c’est que les amis français de Genest, ceux de PEFC-France, admirent ses contorsions. Commentant le refus de vote de FNE, ils notent sur leur site : « PEFC accueille ces remarques avec bienveillance et salue l’implication de FNE dans PEFC depuis sa création en 1999 ». Défense de se moquer de Genest. Dans le même bulletin, FNE s’explique avec autant de grâce sur la Malaisie. Ô pauvre mère ! Je vous jure, avec la meilleure volonté du monde, que c’est incompréhensible. Tant pis, j’essaie.

FNE reconnaît que la Samling est, je cite « responsable de la destruction de 80% de la réserve de biosphère sur le territoire du peuple Penang, de mauvais traitements sur ce peuple ainsi que de crimes ciblés ». Ce n’est pas tout à fait rien. Il y aurait deux types de certification. Ceux de 2001, accordés à la Samling. Et ceux de 2002, qui lui seraient, en tout cas pour le moment, refusés. Et du coup, fier comme Artaban, FNE clame : « Nous sommes intervenus auprès du consultant externe chargé d’évaluer les standards et les processus d’élaboration (…) Nous nous sommes de plus assurés qu’aucune pratique controversées n’étaient en cours sous la houlette des nouveaux standards MC&I (2002). Une fois toutes ces assurances obtenues, nous avons accepté la reconnaissance du schéma malaisien ».

Je vous avais prévenu. Ce n’est pas du malais, c’est du chinois. Reste une chose fondamentale dont ne peut guère se vanter Genest, pour cause. La Samling, cette entreprise coupable de « crimes ciblés », dispose bel et bien d’un label MTTC, et MTTC a bel et bien été labellisé par PEFC, où siège le président de France Nature Environnement. En toute légalité, la Samling peut donc vendre son bois en prouvant qu’il est certifié durable. On reparlera du Liberia. Et de la Samling. Pesant le sens des mots, je prétends que la présence de Sébastien Genest au bureau international de PEFC est un déshonneur. Je sais que ce mot n’a plus guère de sens. Moi, j’y vois l’essentiel.

PS : Pourquoi, oui pourquoi les associations fédérées à FNE se taisent-elles ? Et toutes les autres ? Il est visiblement plus facile de voir la paille que la poutre. Je pense que vous connaissez la parabole.

(1) www.bmf.ch/en/pdf/selaan-linaureport.pdf 

(2) www.itto.int/direct/topics/topics_pdf_download/topics_id=9330000&no=2

Avis à une armée de connards (sur le Jatropha)

Il y a deux ans, j’ai publié un pamphlet contre les biocarburants, La faim, la bagnole, le blé et nous, chez Fayard. Je crois avoir pensé que le mouvement écologiste s’emparerait d’une question que je juge ontologique, sacrée. On sait le principe général : faire rouler des engins mécaniques en transformant des plantes alimentaires. Dans un monde qui compte un milliard d’affamés chroniques. Quelques salopards de toujours avaient donc lancé cette nouvelle industrie criminelle, utilisant pour leur seul profit des dizaines de millions d’hectares de terres agricoles ou arrachées aux forêts tropicales.

Le mouvement écologiste s’est totalement désintéressé du sujet, malgré tous les éléments que moi et quelques autres avions pu réunir. Pendant des mois, à la radio, dans des journaux, au cours de conférences, j’ai dû batailler contre tantôt des imbéciles et des dupes, tantôt de vrais cyniques, pour faire admettre l’évidence qu’on ne peut en aucun cas détourner un centimètre carré de terre cultivable au profit de la bagnole.

Parmi mes contradicteurs, certains n’hésitaient pas à me lancer à la face l’exemple merveilleux du Jatropha, une plante originaire d’Amérique latine, et qui allait révolutionner le monde de l’énergie. Habituée des zones arides, acclimatée déjà en Asie  et en Afrique, elle allait permettre à des communautés locales d’utiliser des surfaces impropres à toute culture, puis de gagner beaucoup d’argent grâce à l’exportation de cet or vert. Car, vous l’aviez compris, le Jatropha peut servir à fabriquer un carburant automobile.

Moi, dans mon livre, je disais qu’on ne tarderait pas à reparler du Jatropha, et cela n’a pas manqué. Mais j’ajoutais ce détail qui n’en est pas un. Au Brésil, le petit nom de Jatropha phyllacantha n’est autre que favela. Oui, la plante miraculeuse des margoulins porte le nom des bidonvilles locaux. Intéressant, n’est-ce pas ? La grande association humanitaire Swissaid, créée en 1948, a eu la fâcheuse idée d’aller voir au Mozambique ce que donnait la culture du Jatropha (ici)

Tout le papier – en français – vaut d’être lu. Mais voici quelques citations de l’une des responsables de Swissaid, Tina Goethe, qui n’appellent pas le moindre commentaire. « Contrairement à ce qui avait été affirmé au départ, la plante du Jatropha est sujette à des maladies phytosanitaires et partant, sa culture requiert d’importantes quantités d’eau, d’engrais et de pesticides ». « Les défenseurs de la culture de cette noix soutiennent que la plante peut être cultivée en terres semi-arides. Mais en réalité, le Jatropha se développe de préférence sur des surfaces cultivables. Ce transfert se fait au détriment des ressources alimentaires ». Et la conclusion du rapport de Swissaid note sans précaution inutile : « Il est démontré qu’au Mozambique, le Jatropha entrave le développement agricole durable ».

Si vous saviez pourtant combien de gens m’ont jeté à la face, depuis deux ans, le nom de cette plante  ! Parmi eux, une flopée de journalistes. Je ne sais que trop qu’ils sont déjà passés à d’autres imbécillités. Il n’empêche. Ma rage impuissante contre l’infamie des biocarburants est intacte. Et honte sur tous ceux qui continuent à se taire.

L’industrie du mensonge est notre reine à tous

L’industrie du mensonge, mes aïeux, c’est la publicité. Elle est la reine, celle sans laquelle la presse disparaît, à quelques titres près. Les journalistes et la plupart de ceux qui les lisent n’imaginent même plus des magazines ou des quotidiens qui n’inciteraient pas à acheter la dernière merde disponible. Je dois dire que la connerie universelle semble s’être concentrée en ce point. Et quelques autres, d’accord.

La pub ment en substance. Le mensonge lui est respiration. Elle ne peut pas dire le vrai, qui d’ailleurs, dans l’univers industriel, n’existe pas. En quoi, et pourquoi un yaourt de fabrique serait-il meilleur qu’un autre ? Ce qui compte, c’est la force de frappe, la force brutale et financière de qui vient déposer sa valise de billets sur la table du patron de journal. J’évoque cette image désuète de la valise, car dans l’entre-deux guerres, quand l’Italie fasciste – ce n’est qu’un exemple – voulait acheter la « ligne » éditoriale d’un grand journal parisien, elle envoyait un sbire, avec valise. Et la messe était dite : pendant six mois, dix ou douze, en fonction du tas de billets, ce grand journal parisien dirait du bien de la diplomatie mussolinienne. Ou de l’assèchement des marais pontins.

Aujourd’hui, qui est moderne, la valise ne se fait plus. On achète, fort cher, des pages de pub sans lesquelles la « presse libre » meurt. C’est charmant. J’imagine un roman de Zola raconter cela, ce moment du monde où bascule un univers au profit d’un autre, façon Au bonheur des dames, que je tiens pour un monument documentaire. Selon une étude toute récente (ici), qui porte sur l’ensemble de la presse française, la pub représente près de 44 % du chiffre d’affaires global. Encore, et mystérieusement, ce travail ne rend-il pas compte des innombrables aides publiques à la presse. Si j’ajoute ceci, c’est simplement pour écrire que l’acte d’achat du lecteur lambda est devenu second. Ce n’est plus la lecture qui fait le journal, c’est le reste. On a le droit d’appeler cela une révolution. Ou bien une gigantesque involution, comme on voudra.

Quoi qu’il en soit, je suis le témoin direct de pratiques communes et même banales. Attention ! Je me suis toujours tenu fort loin de cet univers infâme. Mais je mentirais grossièrement en assurant que je n’ai rien vu, rien su. Tu parles ! C’est le secret le moins bien gardé du monde. Jadis, dans un journal féminin, les rédactrices se faisaient envoyer les cadeaux des entreprises à leur domicile, avec l’accord de la rédaction-en-chef, car cet amas quotidien aurait asphyxié en une demi-heure l’accueil du journal. Et donné une mauvaise image des pages pratiques à ceux, dont moi, qui n’en croquaient pas.

La vérité globale de ce système ne peut être connue, car ceux qui pourraient et devraient nous en informer sont les premiers à en profiter. Vous vous souvenez sans doute du récent scandale qui s’est abattu sur les parlementaires britanniques. Eh bien, je gage qu’on en apprendrait autant sur les habitudes journalistiques françaises si de vraies enquêtes avaient lieu. Les spécialistes de la bagnole roulent gratis dans de gros engins offerts à l’année par les constructeurs. Les journalistes en charge du tourisme ne paient pas un billet d’avion. Ceux qui suivent les affaires de santé se retrouvent par miracle dans des colloques à Hawaii. Et une infinité d’accords et de partenariats gangrènent les rapports entre information et commerce. Je dis bien : une infinité.

Aucun sociologue ne semble avoir écrit le grand livre que cette situation de corruption imposerait. Je parle de corruption de l’esprit avant tout, de biais constants dans l’analyse, qui doivent échapper souvent au commettant, d’autocensure permanente. La vraie censure directe, que j’ai eu l’honneur de connaître plus d’une fois, est rare, et rarement nécessaire. Le journaliste ordinaire est un bon soldat de l’ordre commercial.

Tout cela ne serait encore (presque) rien. Oui, vous avez bien lu. Ce ne serait rien sans la formidable contradiction entre la promotion publicitaire de millions d’objets inutiles et la si vitale critique du monde existant. Il ne peut y avoir cohabitation des deux sans soumission totale de l’une à l’autre. Qui dépend pour vivre de la défense et illustration du nucléaire, des Porsche, des montres Chauvet, des biocarburants, des meubles Ikéa, des voyages en Papouasie Nouvelle-Guinée ne peut ni ne pourra jamais donner les clés qui permettraient de comprendre la destruction en cours.

Je prétends que les journaux, du plus banal au plus exigeant, ne peuvent que logiquement défendre  ce qui leur permet de vivre. Et j’ajoute aussitôt que cela est INÉVITABLE. Inutile de tirer sur le pianiste, car ce n’est pas lui qui a écrit le morceau. Sauf à imaginer des êtres totalement schizophrènes, on ne peut attendre des journalistes qu’ils recherchent sérieusement la cause de ce qui ruine tout, mais les nourrit. Autrement dit, il n’y a rien à faire.

Ou plutôt, il faut se convaincre une fois pour toutes que la publicité et l’information s’excluent l’une l’autre. Définitivement. Et que l’objectif est bien de créer, dès que cela sera possible, des journaux sans aucune publicité. Je sais Le Canard Enchaîné et Charlie, sur lesquels je réserve mes commentaires. Mais de toute façon, je parle de la presse en général, de ce système qui permet, ou non, de savoir comment tourne le monde. Et ce système est totalement vérolé, au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Par force.

Moi, je plaide pour une Constitution qui reconnaîtrait aux membres de notre société le droit d’être informés librement. Qui interdirait toute intrusion du capital industriel dans celui des journaux. Qui proscrirait à tout jamais l’immonde affichage commercial dans la presse, et qui la dénature en profondeur. Écrivant cela, suis-je un doux rêveur ? Oui et non. Oui, car le présent comme l’avenir prévisible appartiennent à ces innombrables ruffians. Non, car je sais qu’une secousse historique, comme celle qui permit la rédaction des ordonnances de 1944 est toujours possible (ici ).

En cette année 1944, tandis que les infinies crapules de la presse de Vichy se terraient en France ou partaient se planquer à Sigmaringen, Albert Bayet, président de la Fédération nationale de la presse française déclarait sans faire éclater de rire quiconque qu’il fallait « éliminer définitivement la presse pourrie et instituer un nouveau régime grâce auquel la presse patriote, affranchie de la puissance de l’État et de l’argent, pourrait se vouer exclusivement au service désintéressé des idées ». Vous me direz certainement ce que vous en pensez. Moi, j’y crois (en enlevant ce mot de patriote, qui sent la naphtaline). Mais il faudra que cela secoue, et beaucoup.