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Sur Obama (en réponse aux adorateurs)

Je savais ce que je faisais en écrivant deux articles à rebrousse-poil sur l’élection triomphale de Barack Obama à la tête des États-Unis. Je n’aurai pas l’hypocrisie d’écrire autre chose. Et comme de juste, des lecteurs réguliers de ce blog m’ont fait part, directement ou non, de leur désaccord. Mieux ou pire, de leur énervement à mon encontre.

Ma foi, ils ont bien le droit. Ce territoire virtuel se veut de liberté, même s’il a comme tout autre ses limites. Mais enfin, je ne recule pas d’un millimètre. Car nous voilà plongés dans le malentendu, une fois encore. C’est une question de fond, une fois encore. Je vais tâcher d’être simple. Nous vivons dans un paradigme – au sens de cadre général de la pensée, admis par tous sans vraie discussion – issu de l’histoire politique que nous avons faite ensemble.

Pour aller au plus vite : le 18ème siècle, les Lumières, la Raison alliée à la Science, le Progrès, la Gauche et la Droite. Bon, il n’y a pas de quoi rougir ou s’évanouir de bonheur. C’est ainsi. Ce paradigme du progrès a structuré la pensée et les attentes pendant deux siècles, et donné les résultats – contrastés – que l’on sait. L’univers atroce du stalinisme à main gauche. Le monde fou de la marchandise à main droite.

Bien. L’écologie commande une révolution morale et intellectuelle complète. Radicale et complète. Parce qu’elle nous montre pour la première fois en deux millions d’années d’existence de l’homme les limites certaines de son action. Elle est un butoir que nous ne franchirons pas, ni vous ni moi. Tout ce processus est d’arrachement. De douleur vraie, car il faut renoncer. Car il faut bannir. Car il faut bâtir. Et c’est difficile.

Obama est sans nul doute un brave garçon. Et un Noir comme lui, après huit ans d’infâme crétinerie, c’est bien entendu un bain de Jouvence. Mais merde, MERDE et MERDE ! ressaisissez-vous ! Obama ressortit corps et âme au paradigme du progrès. Et il mènera dans ce cadre, fatalement, bagarre pour le rétablissement des intérêts américains dans le monde. Lesquels passent par la défense de l’industrie et de la consommation de masse.

Libre à vous de fantasmer. Quand les yeux se seront ouverts, quand ils seront dessillés, il va de soi que ceux qui exultent ce jour diront, pour la plupart, qu’ils n’ont jamais cru dans cet homme. Croyez-le ou pas, cela ne me rend pas amer une seconde. Je sais assez bien, ce me semble, comment marche le monde réel. Mais je suis un homme, moi aussi. Et je dis à ceux qui me reprochent de gâcher leur fête électorale : lâchez-moi. Oui, laissez-moi en paix. Admettez le dissensus. Admettez le refus. Admettez la solitude (relative). Voilà. Admettez.

Così ho fatto (un vrai drame italien)

Prenez-le comme vous pourrez : la Campanie vit un drame complet, historique, apocalyptique même. Désolé, je ne suis que le messager. Je vous ai déjà raconté il y a quelques mois (ici) ce que fut, aux temps sombres des barbares, cette région de l’Italie. La Campanie était alors un jardin prodigieux, un avant-goût du paradis. Et je n’invente rien, je cite l’historien d’il y a 1 900 ans, Florus, un Berbère devenu  Romain. Découvrant la baie de Naples et ses environs, il rapportait ceci, où l’on peut ressentir comme de l’enthousiasme, encore et toujours : « Omnium non modo Italiae, sed toto orbe terrarum pulcherrima Campaniae plaga est. Nihil mollius caelo : denique bis floribus vernat ». Pour lui, la Campanie n’était pas seulement la plus belle région de l’Italie, mais du monde. Car son ciel y était le plus doux. Car son printemps y fleurissait deux fois.

Florus est un veinard, car il n’est plus là. Ce qui n’est pas le cas de la Campanie. Que se passe-t-il là-bas ? Une folie continue, celle de la Camorra, a changé le pays en un centre d’accueil européen pour les déchets industriels les plus immondes. Ceux que l’on refuse ailleurs. Ceux dont on ne sait pas quoi faire. Ceux qu’il faut bien cacher à la vue des citoyens que nous sommes. Que nous sommes, inutile de nier l’évidence.

Ce qui se passe en Campanie a notre accord secret autant que honteux. La mafia locale agit pour le compte de nos intérêts souterrains, comme La Gloïre, personnage-clé de l’Arrache-coeur, roman de Vian. En échange de pièces d’or, La Gloïre ramasse tous les péchés de la communauté. Au sens propre ou presque, puisque son « travail » consiste à reprendre au fleuve – rouge sang – les pires saloperies produites au village.

Et ce village, c’est la Campanie. Et le monde. Et notre monde. Il existe à Naples une journaliste formidable à qui je souhaite rendre hommage, ce qui ne m’arrive pas si souvent avec des confrères. Rosaria Capacchione (ici, un texte sur elle, avec photo, en italien) travaille pour le journal Il Mattino (ici). Depuis Caserte, où le dramaturge Naevius aurait vécu une partie de sa vie, avant même Jésus-Christ. Je dirai que cela ne m’étonne pas. La présence d’un dramaturge dans cette histoire ne saurait surprendre.

Capacchione se bat avec ses mots contre la Camorra depuis vingt ans. Or elle en a 44. Elle a commencé tôt, et dénoncé dès 1989 le trafic de déchets toxiques qui a fini par détruire l’agriculture de toute la région. Les mafieux n’ont pas, n’ont pas encore eu sa peau, mais cette dernière est constamment menacée. Vivra-t-elle ? Speriamolo. Espérons.

En tout cas, tout a été dit depuis longtemps, sans que rien ne change jamais. Si vous lisez avec autant de plaisir que moi la langue italienne, je vous renvoie à un passionnant article paru dans l’hebdomadaire L’Espresso (ici) en septembre, dont le titre est : Così ho avvelenato Napoli. En français : Comment j’ai empoisonné Naples. On y lit les confessions d’un salopard, devant les flics, Gaetano Vassallo. Ce ponte du clan des Casalesi – que Capacchione combat sans trève – a mené pendant vingt ans les trafics d’épouvante, et ruiné la vie entre Naples et Caserte. C’est fou, démesuré, presque impossible à croire.

Dans l’extrait qui suit, Vassallo décrit comment il a acheté ceux qui étaient chargés par l’État de la protection de ce bout de planète. Comment des fonctionnaires, cités par leur nom, touchaient une belle rente mensuelle pour tuer les gens : « Nel corso degli anni, quanto meno fino al 2002, ho proseguito nella sfruttamento della ex discarica di Giugliano, insieme ai miei fratelli, corrompendo l’architetto Bovier del Commissariato di governo e l’ingegner Avallone dell’Arpac (l’agenzia regionale dell’ambiente). Il primo è stato remunerato continuativamente perché consentiva, falsificando i certificati o i verbali di accertamento, di far apparire conforme al materiale di bonifica i rifiuti che venivano smaltiti illecitamente. Ha ricevuto in tutto somme prossime ai 70 milioni di lire. L’ingegner Avallone era praticamente ‘stipendiato’ con tre milioni di lire al mese, essendo lo stesso incaricato anche di predisporre il progetto di bonifica della nostra discarica, progetto che ci consentiva la copertura formale per poter smaltire illecitamente i rifiuti ».

Répugnant, de bout en bout, malgré cette sonorité que j’aime tant. Résultat des courses ? Courrier International de la semaine passée (n° 939) raconte ce qui se passe en Campanie tandis que d’autres regardent le CAC 40 faire des sauts de cabri. La crise, économique, écologique aussi, bien sûr, lève les pauvres de ce sud mafieux contre les pauvres de l’autre Sud, le vrai, celui de la grande misère. Laissés pour compte italiens contre Noirs d’Afrique et Tsiganes venus grapiller ce qui peut l’être encore. Le 18 septembre 2008, sept personnes, dont six Africains, ont été butées dans le village de Castel Volturno, près de Naples. La Camorra, bien sûr. Pour l’exemple. Pour continuer à dominer. Pour que les petits blancs locaux se persuadent qu’ils sont encore défendus contre la grande invasion.

Y a-t-il pire ? Peut-être. Dans cette banlieue sordide de Naples qui s’appelle Ponticelli, une armée de gueux d’Italie ont attaqué et chassé à coups de pierre des familles tsiganes. Avec à l’arrière-plan des montagnes de déchets. Je sais bien que c’est crépusculaire, et que votre patience a des limites. Je le sais, mais je n’arrive pas à me contrôler. Car je vois, car je sais que la course-poursuite entre la barbarie et l’humanité élémentaire est en route. La crise écologique est et sera toujours plus le révélateur de nos vérités les plus essentielles. Désolé. Croyez-le bien, désolé.

Obama et cette si vieille histoire d’un si vieux continent

Je vous glisse ces trois mots avant un long article sur l’Italie. Obama. Cette étrange unanimité à laquelle je participe malgré que j’en aie. Un Noir, au pouvoir dans le pays de l’esclavage. Chez nous, tous sont évidemment d’accord, de Sarkozy à Hollande, en passant par Bayrou et tant d’autres. Il paraît que l’élection ravit jusqu’au Front national, mais je n’ai pas le cœur à vérifier.

Tout le monde sur un petit nuage, donc. Pourquoi faut-il que je pense, moi, à l’atterrissage de Neville Chamberlain  sur l’aéroport de Londres, en septembre 1938 ? Il vient alors de signer les accords de Munich, qui ont donné l’indépendance de la Tchécoslovaquie à Hitler. Une foule entoure le petit avion du Premier ministre britannique, qui redoute d’être lynché. Il est acclamé, tout au contraire, par une foule en délire. La Paix ! La Paix est sauvée ! Le 21 novembre suivant, un certain Winston Churchill déclare dans l’indifférence générale : « Le partage de la Tchécoslovaquie, sous la pression de l’Angleterre et de la France, équivaut à une capitulation totale des démocraties occidentales devant la menace des nazis (…) Un tel écroulement n’apportera ni la paix ni la sécurité (…) Au contraire, il place ces deux nations dans une situation encore plus faible et plus dangereuse. Le simple fait que la Tchécoslovaquie soit neutralisée entraîne la libération de 25 divisions allemandes qui pèseront sur le front occidental (…). Croire qu’on peut obtenir la sécurité en jetant un petit État en pâture aux loups est une illusion fatale ».

Oui, pourquoi faut-il que je pense à cela, quand tout le monde applaudit le triomphe du héros ?

Bienvenue au pays des paysans (Chewa, Chichewa, Malawi)

Avant de vous raconter ce qui est peut-être une formidable nouvelle, je dois évoquer en quelques mots le Chewa. Je vois que cela ne vous dit rien – pardonnez, je devine à distance – et je vais donc m’expliquer plus avant. Le Chewa, autrement appelé le Chichewa, c’est le Malawi. Et tout le monde se contrefout de ce pays d’Afrique, je vous l’accorde.

Pour commencer, il est impossible. On dirait une crotte de nez jetée entre Zambie, Tanzanie et Mozambique. On appelle cela un territoire enclavé, sans aucun accès à la mer. Pour comble, il figure un serpent long de 900 km, effilé, dont la largeur varie entre 80 et 150 km. Quelle surface ? Aux dimensions de l’Afrique, mieux vaut en rire : 118 484 km2, soit un gros cinquième de notre douce France. Et j’ajoute que le quart du territoire est constitué de lacs prodigieux, mais où il est difficile de planter sa houe. Le lac Malawi, qui court sur une grande partie de la frontière Est du Chewa, fait 580 km de long.

Sera-ce tout pour ces messieurs-dames ? Non pas. Au Malawi, on claque des dents depuis bien longtemps. Trop de gens y habitent – 11 millions en 2001, peut-être 13 aujourd’hui – et trop d’infernales sécheresses ruinent chaque fois un peu plus son agriculture. En 2005, l’eau a manqué comme jamais, et le gouvernement a été contraint d’importer en urgence 400 000 tonnes de maïs. Un coût géant pour un si petit pays.

La suite nous est racontée par une journaliste locale, Catherine Riungu (lire ici, mais en anglais). Je dois préciser, par précaution, que je n’ai aucun moyen de vérifier. Et que le Malawi est un pays étrange où la langue officielle, celle du Parlement comme celle de la justice, est l’anglais, que ne parlent qu’une partie des politiciens et des juges, et pas le peuple. Le premier président du pays, Hastings Kamuzu Banda – au pouvoir de 1966 à 1994… – ne parlait que la langue du colonisateur, et devait utiliser les services d’un interprète pour parler à ses « sujets ».

Bon, assez dénigré. Riungu. Elle raconte qu’après la sécheresse de 2005, le gouvernement local a envoyé promener ceux qu’on appelle les « bailleurs de fonds », ces institutions financières qui imposent leur loi aux pauvres, avec les résultats prodigieux qu’on commence à entrevoir. Une mention pour le FMI, dirigé par notre grand ami socialiste DSK ( pour rappel, ici).

Donc, aux pelotes. Le gouvernement de Lilongwe  – la capitale – décide de subventionner ses paysans. Une folie dans un monde où il ne faut surtout pas aider l’agriculture vivrière, qui rapporte si peu aux truands d’ici et de là-bas. N’importe : des subventions massives. Soit 53 millions d’euros sur une année, distribués, officiellement du moins, à 1,5 million de paysans sous forme d’engrais et de semences. La production de maïs double. Double. Peut-on imaginer ?

Depuis, les aides sont passées à 106 millions d’euros par an. Et 14 % du budget national seraient consacrés à l’agriculure. Si tel est le cas, le Malawi est unique en Afrique, et mérite le premier prix Nobel de la paix jamais décerné à un pays. Le président en place serait derrière ce stupéfiant défi à l’ordre du monde. Je vous donne son nom, à tout hasard : Mbingu wa Mutharika. Selon Catherine Riungu, cet homme est fier du travail accompli, et se laisse aller à des phrases dont nous ne savons plus la signification. Il a ainsi déclaré, tout récemment :  « You cannot be proud if you cannot feed your family; everybody looks at you with pity ». Et, oui, c’est l’évidence même : si l’on ne peut nourrir sa famille, on ne peut pas être fier. Et les autres vous regardent avec commisération.

J’y insiste, je ne garantis pas la teneur des informations sur cette révolution agricole. Mais une chose est certaine : des délégations venues du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Swaziland se sont succédé sur place, pour essayer de percer le mystère. Mais est-ce un mystère ? Ne sommes-nous pas en face de l’oeuf de Christophe Colomb, tout simplement ?

Gandhi, sa vie, son oeuvre (défense et illustration)

Se révolter ? Il n’y a désormais aucune autre voie possible. Se révolter, donc, mais comment ? La crise écologique globale nous place tous, nous les humains, devant une situation qui n’a jamais eu lieu. Jamais, au cours des deux millions d’années de la présence sur terre de notre espèce, la vie n’a été menacée de la sorte. Directement, complètement, en son principe même.

Autant dire que les exemples tirés de l’histoire politique des hommes – qui n’a que quelques milliers d’années d’âge -, sont par obligation dérisoires. Mais ce sont les seuls dont nous disposons. Voyons donc du côté de Gandhi, cette icône apparemment incomparable. ??????? ?????? ?????, c’est-à-dire Mohandas Karamchand Gandhi, est assurément un de nos très grands hommes.

Qu’a-t-il fait, en quelques mots ? L’impossible avant tout. Il a été le coeur même d’un mouvement d’émancipation gigantesque. Quand il revient en Inde, en 1915, l’Empire britannique est au sommet de sa puissance. Nul ne peut imaginer, sauf lui, qu’il sera vaincu et devra accepter l’indépendance du pays colonisé.

Gandhi, né en 1869, avait mis beau temps avant de devenir lui-même. Timide, longtemps incapable de parler en public, mauvais élève à certains moments de sa scolarité, indifférent dans sa jeunesse à la chose publique, il ne semble pas, pas du tout, prédestiné. Dans les grandes lignes, chacun sait son destin. À Londres, il devient avocat. En Afrique du Sud, il découvre l’injustice faite aux Indiens émigrés là-bas et enclenche les mécanismes de sa révolution intérieure.

Revenu en Inde, il parcourt le pays qu’il ne connaît pas. Et il organise un formidable mouvement paysan, levé déjà contre les cultures d’exportation – l’indigo – qui empêchent le développement de l’agriculture vivrière. Tout ce que nous connaissons est déjà en place : l’extrême violence des milices patronales contre les pauvres, l’atroce discrimination contre certaines castes, dont les fameux Intouchables, la famine, la misère bien sûr. Dans ces années-là, autour de 1920, Gandhi devient à la fois Bapu (père) et Mahatma (Grande âme). Il le restera.

Il le restera car il montrera par sa vie, son oeuvre, le moindre de ses gestes, qu’il est cohérent, sincère, respectueux, moral. Oui, Gandhi était un être profondément moral, attaché comme peu l’ont été dans l’histoire humaine à l’étreinte de la vérité. Cette traduction du sanskrit ????????? – ou satyagraha – n’est pas de moi, vous vous en doutez bien. Cette notion est en tout cas centrale dans la vie du Mahatma. C’est une philosophie, faite de non-violence et de désobéissance civile. À la fois une proclamation de la révolte et une manière de ne pas affronter l’autre sur le terrain qu’il a choisi, en l’occurrence la violence déchaînée.

L’histoire n’est jamais franchement rigolote. Pas même celle de ce grand héros. Les suites de la seule Marche du sel de 1930 – sommet de la geste gandhienne – mènent 60 000 personnes en prison. Et les Anglais étaient alors des chiens méchants, avec crocs. Des milliers, peut-être des dizaines de milliers de combattants de l’indépendance, auront été tués avant que les Britanniques ne plient bagage. Mais ils l’ont fait.

Le rapport avec la crise écologique ? N’insistons pas sur le fait évident – pour moi – que Gandhi serait aujourd’hui, s’il vivait, un combattant écologiste essentiel. Tout le démontre dans sa vie. Tout le clame. Non, laissons cela de côté. Et réfléchissons ensemble à notre situation. Il nous faut nous révolter, je me répète. Vite, et d’une manière encore jamais vue.

Je ne dis pas cela par goût de la distinction. Si je pensais devoir reproduire telle rébellion passée, en l’adaptant un peu, je le ferais sans hésiter, et j’en serais d’ailleurs soulagé. Mais tel ne peut être le cas. Car nous sommes en face d’un phénomène inédit, global, planétaire, qui a la singularité de jeter tous les humains dans une guerre effroyable contre eux-mêmes et les autres formes de la vie.

En comparaison, j’ose l’écrire, le Mahatma Gandhi était un petit chanceux, qui pouvait aisément désigner l’adversaire honni, l’Empire et ses nombreux servants, et ses flics innombrables. Nous devons, nous, abattre un système sans savoir quoi mettre à la place. Et nous devons admettre que les plus purs d’entre nous renforcent les fondations du tout en même temps qu’ils les minent. C’est étrange, c’est même bouleversant.

Néanmoins, je crois que nous trouverons. Nous ne pouvons plus éviter des crises d’une ampleur inégalée. Cela, non, ne rêvons pas, nous n’y échapperons plus. Mais nous pouvons peut-être – et je jure que je le pense – tenir sur le fil du funambule jusqu’à atteindre l’autre bord. Peut-être.

Seulement, ce fil est très haut perché. Pour y poser le pied, nous devrons gravir, et accepter d’être longtemps des Sisyphe, poussant un rocher qui sans trêve roule à nouveau au bas de la pente. Et trouver ensemble, puisqu’il n’y a pas d’autre voie, un chemin réellement neuf. Pas totalement, bien sûr, car nous ne saurions pas. On ne crée jamais qu’à partir de ce qui est. Et dans le domaine de l’insurrection de l’âme, il ne fait aucun doute que Gandhi est un repère, une flamme vive, un modèle.

J’ai l’impression que quelque chose va se produire, pour la raison profonde qu’elle doit se produire. Nous ne pouvons pas être éloignés à ce point de l’acte premier, fondateur, inspirateur d’un temps neuf de la conscience humaine. Qui sera le premier à marquer sa défiance complète et radicale ? Par quel geste, au moyen de quelle entreprise ? Quels sont donc les signes d’une désobéissance civile sans retour ni compromis ?

On verra. Je n’attends pas le Messie, je le jure. J’attends l’homme.