Archives de catégorie : Morale

Soleil noir suivi d’une éclaircie (sur les biocarburants)

Névrose et psychose, les deux pour le même prix. La crise financière actuelle est au passage une honte pour l’esprit humain. Nous ne sommes plus très loin d’un appel au Sauveur suprême. À celui qui rachètera, au moins ravaudera notre bas de laine. À celui qui permettra à l’infernale machine de repartir et d’accélérer encore la fin de tout ce qui compte vraiment.

Complices ? Certes. Tous ? Évidemment, bien que nous ne soyons pas placés, et de loin, au même point. Il faudrait trouver des moyens inédits de marquer notre refus, et je crois que nous sommes quelques uns à réellement chercher une voie. Nous verrons la suite.

Je veux vous signaler ce matin deux faits. L’un brille de tous ses feux noirs. La FAO – agence de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture – vient de mettre en garde contre les biocarburants. Ce qui devrait être une bonne nouvelle n’en est pas une à mes yeux (lire ici). D’abord, la FAO l’a déjà fait, et plusieurs fois. Que ne hurle-t-elle cette fois ?

Elle ne hurle pas parce qu’elle est au fond d’accord. Créée en 1945, la FAO est l’un des bras articulés de l’agriculture industrielle. Elle a accompagné, quand elle n’a pas provoqué, la ruine de l’agriculture réelle, paysanne et populaire, vivrière, celle qui nourrit les peuples et structure leur esprit. Ses innombrables bureaucrates, ses innombrables technocrates empilent depuis soixante ans les rapports qui disent que tout va de mieux en mieux. Ils ont applaudi aux pesticides, aux OGM, à l’irrigation, aux grands barrages, à l’aquaculture intensive, à la surpêche.

Si ce n’était à ce point triste, il faudrait au moins en sourire. Car l’objectif de la FAO, perpétuellement mis en avant, est celui-ci : « Aider à construire un monde libéré de la faim ». Quant à sa devise latine, inscrite sur nombre de documents, elle proclame fièrement : Fiat panis ! On la traduit généralement par Qu’il y ait du pain pour tous !

Il n’y en a pas, tristes sires. Selon vos propres chiffres, ceux qui souffrent de la faim sont passés en quelques mois de 854 millions à 925. Voilà ce que j’appelle un bilan de faillite. Une telle institution devrait, pour cause, être dissoute. Mais elle prospère, sur les ruines du monde réel, qui n’a jamais rien eu à voir avec le Dow Jones ou le Cac 40.

Il faut bien dire quelque chose, néanmoins. D’où ce communiqué évoqué plus haut, où la FAO concède, par la voix de son inamovible directeur Jacques Diouf, que l’irruption des biocarburants a été « l’un des facteurs de la hausse des prix agricoles et de la crise alimentaire mondiale ». Ajoutant même que « les modifications de l’affectation des terres et la déforestation, représentent une grave menace pour la qualité des sols, la biodiversité, et les émissions de gaz à effet de serre ».

La simple logique voudrait donc que la FAO se lève contre cette criminelle industrie, mais ce serait la révolte contre les maîtres, et on ne la verra pas de sitôt. Diouf affirme donc, et en l’occurrence il a raison – pour les corrompus du Sud -, que les biocarburants représentent des « opportunités ».  Pouah !

Par bonheur, il est une bonne nouvelle. Pour la première fois, le mouvement associatif se lance dans une action claire et coordonnée. Je veux citer tous les héros du jour, qui ne sont pas seulement français, comme on va voir. Outre les Amis de la Terre – je m’incline, vous êtes les meilleurs -, le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), Oxfam France – Agir ici; l’Institut Dayakologi (il aide les Dayaks d’Indonésie), Synergie paysanne (syndicat agricole du Bénin), FASE (Fédération d’organisations pour l’assistance sociale et l’éducation, brésilienne), le CINEP  et l’ASCOBA, deux associations colombiennes.

J’imagine que vous avez compris. Le Nord et le Sud ensemble contre le crime. C’est beau, c’est poignant, et je vous invite à visiter (merci, Bernard) le site Internet de la campagne internationale qui vient d’être lancée (ici). Enfin ! un chat y est appelé un chat. Enfin ! on y réclame par pétition – cliquez, pour une fois, cliquez – la fin des subventions aux biocarburants et un changement de fond de la politique européenne.

Où sont les autres associations françaises ? Où est le WWF ? Greenpeace ? La Fondation Hulot ? France Nature Environnement ? Probablement en train de préparer l’anniversaire du Grenelle de l’Environnement. Déjà un an ! Rappelez-vous : tout sourire, nos belles ONG nous annonçaient, en compagnie de Borloo et Kosciusko-Morizet, que nous vivions une « révolution écologique ». Je ne blague pas. Eux, si. Mais ils ne me font pas rire.

Blé, artiche, flouze, pognon, oseille, radis, fric et connerie(s)

Banquer pour ça ? Mettre ses picaillons sur ces comptes-là ? Faire confiance à la BNP-Paribas, à la Société Générale, au Crédit Agricole ? Bien entendu, vous faites ce que vous voulez de votre argent. Mais il me semble préférable de savoir deux ou trois choses qui peuvent faire la différence. L’association écologiste Les Amis de la Terre – s’ils continuent sur cette même route droite, gaffe ! je vais adhérer – vient de publier l’édition 2008/2009 de son guide intitulé « Environnement : comment choisir ma banque ? » (lire ici).

Je vous avoue que je n’avais pas vu passer la première livraison, celle de 2007. Quelle erreur funeste ! Car franchement, ce travail permet de visualiser simplement ce que nous savons tous : le fric est le moteur de la destruction du monde. À ce jeu terrible, trois banques méritent le pompon que leurs décernent les Amis de la Terre. Il s’agit de celles déjà citées plus haut. Mais voyons donc de plus près le travail.

Au risque de vous souffler par ma clairvoyance, je rappelle qu’une banque, c’est un circuit. À Paris ou Chinon, des petits messieurs encravatés, des filles propres sur elles derrière un bureau. Ils tendent les mains et prennent des nôtres des billets, valeur fictive certes, mais agissante ô combien. L’argent récolté file à la vitesse de l’électron à 5 000, 10 000, 15 000 km, où il se reproduira à l’abri du regard. La progéniture, pardon, fait penser à celle de Frankenstein.

Prenons des exemples, ceux évoqués par le document écologiste. Il y en a beaucoup, comme par exemple ce cauchemar documenté depuis des années, connu sous le nom de Grasberg, la plus grande mine d’or au monde. Elle se trouve dans la partie occidentale de la Nouvelle-Guinée, annexée par l’Indonésie, à près de 4 000 m d’altitude. Inutile de détailler plus avant le désastre écologique que l’exploitation entraîne : chaque année, la mine produit autour de 700 000 tonnes de déchets. L’armée veille au grain et à l’occasion tape sur les Papous, seuls vrais habitants des lieux. Ou les tue, selon. Nos trois fleurons de la banque française financent. Joli.

Les Amis de la Terre donnent des détails sur la centrale nucléaire de Belene, en Bulgarie. BNP-Paribas a prêté 250 millions d’euros pour ce projet en 2007. Vieille lubie datant de vingt ans, Belene est basée sur une technologie russe qui pourrait bien se révéler un tantinet dépassée. Et un tremblement de terre s’est produit à 12 km du chantier en 1977. Pas une petite secousse, mais une vraie catastrophe tuant 120 personnes. Alertée, BNP avait promis d’arrêter son concours, puis s’est ravisée. Encore bravo.

En Russie, c’est tout aussi magnifique. Les charmants personnages qui tiennent Moscou veulent exploiter des gisements pétroliers et gaziers géants au large de l’île de Sakhaline, dans la mer d’Okhotsk, Far East du grand pays. D’importantes données ont été purement et simplement truandées, mais qu’importe ? Les ultimes populations de baleines grises occidentales du monde sont menacées de mort au passage ? Bah. La Société Générale a filé un milliard de dollars au gentil Gazprom, né sur les ruines staliniennes, devenu le plus grand exportateur de gaz mondial. La BNP a suivi le mouvement.

Et les autres banques françaises ? Le classement des Amis de la Terre place la Banque Postale, la Banque Populaire, la Caisse d’Épargne et le Crédit Mutuel-CIC dans une zone grise où l’impact négatif des investissements serait de « faible à modéré », malgré la malfaisance évidente de Natixis, filiale de la Caisse d’Épargne et de la Banque populaire. Les seuls à être (justement) félicités sont la Nef et le Crédit Coopératif. Où je ne suis pas.

Pour ce qui me concerne, j’ai longtemps eu un compte à la BNP. Au temps où cette banque était nationale, ce qui ne changeait d’ailleurs rien. Et puis je l’ai quittée, précisément parce qu’elle investissait dans le massacre de la vie sur terre. Et je suis allé à La Poste, pour la raison qu’elle était le havre tout relatif des pauvres et des immigrés. Je n’avais jamais, alors, entendu parler du Crédit coopératif, dont je sais aujourd’hui qu’il est une exception dans l’univers si particulier de la banque (lire ici). Et la Nef, qu’on appelait encore Nouvelle économie fraternelle, avait l’affreuse réputation d’être une secte.

Je vous le dis, je l’ai cru. Sans savoir, sans réfléchir, répandant autour de moi cette rumeur épouvantable. Eh bien, j’avais sacrément tort. Vers 1994, j’ai appris qu’Olivier Mugler cherchait de l’argent. Sans être un ami, Olivier est davantage qu’une relation. Disons un bon copain. Et il s’ennuyait alors, affreusement, tiens, à La Poste. Après avoir fait de sérieuses études d’agronomie. Olivier était et demeure un écologiste concret, pragmatique, et songeait ouvrir une grande surface bio à Paris. Sans avoir le moindre sou, hélas. En 1994, aucun magasin de ce type n’existait dans la région parisienne. Pas un.

Olivier a fait ses comptes et calculé qu’il lui faudrait emprunter 700 000 francs de l’époque. Était-ce beaucoup ? Même alors, non, ce n’était rien. Le projet était sérieux, charpenté, et je crois me souvenir qu’Olivier avait quelques garanties. Et si je me trompe sur des détails, qu’on me pardonne, car l’essentiel est ailleurs. Après avoir fait le tour de la place, et constaté que les banques financent sans problème la mort des baleines, mais pas la nourriture qu’il faut aux humains, Olivier a failli abandonner. Et puis, s’est tourné vers la Nef, qui lui a ouvert son petit porte-monnaie. Canal Bio (quai de la Loire, métro Jaurès) est né en 1995 me semble-t-il, et a aussitôt triomphé. Non pas réussi, mais triomphé. Grâce à cette vilaine secte connue sous le nom de Nef (lire ici).

Moi, je suis toujours à La Poste, que les financiers veulent faire entrer en Bourse vers 2011. Mais à cette date, et depuis des années à coup certain, j’aurai abandonné le navire. À une coque qui prend l’eau de cette manière, on est en droit de préférer un vrai navire prêt à affronter les tempêtes qu’on entrevoit au loin, et qui approchent si vite. Qu’on me pardonne ce pauvre jeu de mots, mais une nef ferait très bien l’affaire.

Le grand collisionneur et la banque (fabliau du dimanche)

Ici même, en septembre, j’ai vaillamment plaisanté autour d’une perspective certes convenue, mais qui reste intéressante : la fin du monde (lire ici). L’idée générale était la suivante : le grand show organisé par le laboratoire du Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire, de son vrai nom) à la frontière franco-suisse faisait courir le risque infime – mais réel – de l’apparition d’un trou noir aspirant la terre dans sa totalité, nous compris bien entendu.

Les braves gens qui tiennent le manche là-bas et ailleurs se sont abondamment moqués de ceux qui prenaient cette affaire au sérieux. N’insistons pas. Ce qui est sûr, c’est que le Grand collisionneur de hadrons (LHC selon son acronyme anglais) est en panne. Et je découvre, un sourire niais aux lèvres, que personne ne sait pourquoi ni comment (lire ici). J’apprécie au plus haut point ce qui suit, tiré du journal Le Monde : « “Une chose est sûre : le LHC n’a pas été victime d’un trou noir”. Robert Aymar, directeur général du CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire de Genève, garde le sens de l’humour. Avant la mise en route de la machine, un groupe de citoyens et de chercheurs européens s’était ému du risque de formation, lors des collisions de particules, de mini-trous noirs susceptibles d’engloutir la Terre. Une crainte balayée par un comité d’experts internationaux ».

J’adore positivement et l’humour du monsieur – si fin – et celui du journaliste, que je crois hélas involontaire. Une « crainte balayée par un comité d’experts internationaux ». Un comité. Des experts. Internationaux. Le monde est assurément en de très bonnes mains. Demandez donc à ceux de la banque Lehman Brothers, créée en 1850, et qui avait résisté au tremblement de terre de 1929. Une telle banque ne pouvait simplement pas disparaître. Et pourtant si.

Vive le Mondial de l’auto ! (attention, antiphrase)

Eh oui, mesdames et messieurs, très chers, le Mondial. À Paris, tout près de chez moi. Le Mondial de l’automobile ouvre ses portes aujourd’hui. Vous dire ce que j’en pense ? Vous le savez déjà si vous avez déjà lu deux ou trois bricoles de moi, mais pour plus de sûreté, je vous suggère de multiplier ce que vous imaginez par un facteur dix. Non, cent. Je vomis cette merde dans sa totalité.

Oui, la sacro-sainte bagnole, qui fait bandouiller cette partie de l’humanité dans laquelle je ne vois que ténèbres. Privilège de journaliste, j’ai reçu en service de presse – gratuitement, donc – un livre d’exception. Son problème, c’est le prix : 59 euros. Et je ne peux pas même vous recommander de le voler, car il est encombrant. Mais à part cela, quelle vision ! Le photographe Alex MacLean a survolé les États-Unis pendant des décennies, et nous montre ce qu’est devenue l’Amérique des pionniers, deux siècles seulement après la première grande traversée du continent par les capitaines Clark et Lewis.

Ces photographies procurent une poussée hallucinatoire qui n’est pas si loin des effets (désastreux) du LSD. Ainsi, nous en sommes là ! Dans Over (Visions aériennes de l’American Way of Life : une absurdité écologique, La Découverte/Dominique Carré Éditeur), MacLean ne nous épargne rien. Nous y voyons les mailles d’anciens projets de lotissements dans le désert. Des banlieues dantesques s’étendant à l’infini. Des centrales électriques qui tuent toute perspective. Des étendues de champs au cordeau comme la Beauce elle-même n’ose les penser. Des villages de mobile-home. Des villes entières de mobile-home. Des immensités sans borne de rocades, routes, autoroutes, idoles dédiées au monstre qui nous tue tous peu à peu.

Car le héros central du livre de MacLean est la voiture individuelle, qui a changé jusqu’à l’organisation des villes, bouleversé l’apparence de la nature et de la vie dans ses moindres détails. La bagnole est la mort de l’homme. Sur roues. (Je vous signale un très bon article sur le livre dans Le Monde, signé Hervé Kempf, lire ici).

Ma hargne n’étant pas épuisée par si peu, je vous invite à prendre connaissance du numéro d’octobre de 60 millions de consommateurs. Une enquête y révèle que les constructeurs automobiles font ce qu’ils veulent. Ce n’est pas une révélation. Non, il est vrai, et je me reprends. Une confirmation, donc, mais quelle ! Le magazine a testé la consommation de carburant de trois véhicules : la Citroën C1, la Renault Mégane, et le Volkswagen Touran. Le résultat est que la consommation réelle est comprise entre 20 % et 60 % de plus que ce que prétendent les marchands.

Et l’explication est d’une simplicité rafraîchissante : l’industrie réalise elle-même ses tests – en labo, jamais sur la route – et les confie ensuite gentiment à l’administration. Or donc, tout est bidon, à commencer par les émissions de gaz carbonique annoncées, bien entendu proportionnelles à la consommation d’essence. Ce système hautement moral semble être né en 1980, et cette date me rappelle une étude américaine dont je n’arrive pas, pour l’heure, à retrouver la trace. Sandro Minimo aurait-il une idée ? Cette étude, de 2 000 à peu près, concluait qu’en vingt ans, depuis 1980 précisément, la consommation moyenne des véhicules automobiles américains n’avait pas baissé, contrairement à ce que claironnait la publicité.

Et pourquoi ? Mais à cause des gadgets de tous ordres, et de l’explosion des ventes de 4X4, qu’on appelle là-bas des SUV. Aux lecteurs de ce blog âgés d’au moins 10 ans, je rappelle qu’ils ont vécu, douloureusement certes, dans un pays sans clim’ dans les autos. Je vous jure. Il y a six ou sept ans – plus ? -, nul en France ne parlait de climatiser les bagnoles. Et puis une campagne obsédante, digne réellement d’autres régimes et d’autres latitudes, a clamé brusquement qu’il nous fallait la clim’ partout. PARTOUT. Et que, bientôt, ceux qui n’en disposeraient pas à bord de leurs jolies totos seraient des zozos, moqués par le voisinage. Je crois – je ne vais jamais regarder de près – que toutes les voitures neuves sont désormais équipées. Détail sans conséquence autre que l’aggravation du désastre climatique : quand la clim’ marche, la consommation d’essence augmente en moyenne de 15 %. Relisez, réalisez : 15 %.

Bon, je me dois de finir sur une bonne nouvelle, et remercie Philippe pour son commentaire (lire ici) sur le combat des paysans indiens du Bengale contre l’ogre Tata, qui souhaitait bâtir une usine automobile (les fameuses Nano) sur des terres agricoles. Je trouve Philippe un chouïa optimiste, mais en effet, il semble que Tata, cher au coeur du grand écologiste français Pierre Radanne, ait pris un pain en pleine gueule (lire ici). Si cela se confirme, je jure ici, solennellement, que je me saoulerai au champagne (bio).

PS : Je me rends compte, me relisant, qu’il a pu m’arriver dans ce papier d’être grossier, ce que j’évite généralement. Mettons cela sur le compte de la détestation du monde des moteurs et de la vitesse. Je ferai attention.

Ce qu’est un chef d’oeuvre (Roselyne Bachelot impératrice)

Je ne vois pas qu’on puisse mieux faire. Montrer avec autant de (bonne) grâce et de force qu’on se fout du monde. Non, vrai, je crois que madame Bachelot donne à tous ses amis – qui ne ne sont pas les miens, je le confesse – une leçon d’efficacité indépassable.

D’abord, qui est madame Bachelot ? On ne sait plus très bien. Notons qu’elle est docteure en pharmacie et qu’elle fut ministre de l’Environnement, déclarant alors, un jour, que le « le nucléaire est l’industrie la moins polluante ». Le mot est connu, davantage que cet autre, qui n’est pourtant pas si mauvais : « Garer sa voiture à l’ombre évite d’avoir à mettre la clim trop fort ». Madame Bachelot est en ce moment ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. Je vous assure que ce titre existe, et j’ai dans l’idée qu’il vaut mieux s’en souvenir quand on est en face de madame. Malgré ses rires et ses tailleurs, malgré sa fantaisie, peut-être un tantinet surjouée.

Ministre en tout cas. De la santé. Dans un pays où l’obésité est devenue un drame. Les chiffres sont à peu près fiables : chez nous, en France, un adulte sur deux pèse trop lourd et un sur six est obèse. Avec un peu de chance, 30 % des Français seront obèses en 2020. 8 % des dépenses de santé publique seraient liées au phénomène. Faut-il insister ? Il est peu de sujets qui lient aussi clairement la santé, l’alimentation, l’avenir, la joie de vivre et même, sans se forcer, les grands équilibres écologiques. Car évidemment, la manière de s’alimenter d’un peuple riche comme le nôtre a des conséquences planétaires. La viande industrielle, pour ne prendre que ce seul exemple, oblige d’importer massivement du soja, devenue nourriture de base de notre bétail, au détriment des forêts et des cultures vivrières.

En bref, pour une docteure en pharmacie consciente de ses responsabilités publiques, la lutte contre l’obésité a quelque chose d’obligatoire et de gratifiant. Appelons cela du nanan. Sauf que la dame s’en moque, vu qu’elle est aussi une responsable de l’UMP. Pensez, lecteurs, le monde n’est-il pas à feu et à sang à cause de la crise financière ? Voudrions-nous risquer la splendide carrière de SAS (Son Altesse Sérénissime) Nicolas Sarkozy en adoptant des mesures pour une fois efficaces ? Voyons, ne déconnons pas avec les choses sérieuses.

Je résume. Le 30 septembre 2008,  la «Mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité » présente 80 propositions pour lutter contre le fléau. Valérie Boyer (UMP), présidente de cette mission, explique dans la foulée qu’ « une pomme devrait être moins taxée » que des produits agro-industriels. Dingue. D’autant qu’elle ajoute, façon Al-Qaïda : « Il faudrait augmenter la TVA sur certains produits comme les barres chocolatées et la faire baisser sur d’autres, comme les fruits et légumes ».

À cet instant surgissent sur la scène des comiques-troupiers d’une telle qualité qu’ils ne seront jamais au chômage. Jamais. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand : « Je n’y suis pas favorable, parce que vous savez ce qui se passerait ? Cela augmenterait les prix, et je ne suis pas sûr que ça change les comportements ». Ah, ah ! Xavier, as-tu déjà pensé à faire de la scène ? Roselyne arrive à la suite – c’est moins drôle, nous sommes dans le comique de répétition -, la main sur le coeur, le nez dans les sels qui l’empêchent de s’effondrer à la renverse. Qu’entends-je ? Une TVA ? Des taxes ? Mes sels, mes sels, vous dis-je.

La ministre, ayant retrouvé ses esprits, lance sur la radio Europe 1 – je ne peux, hélas, vous offrir son ton navré d’apprentie tragédienne – cette phrase sublime : « La démarche est intéressante [mais] nous sommes dans une période difficile sur le plan économique et taxer un certain nombre de produits reviendrait à taxer les plus faibles ».

Voilà. Flagrant délit. Flagrant délire indiscutable. L’industrie agroalimentaire ayant actionné les circuits d’influence qui ont fait son succès et sa renommée, le pouvoir politique se couche et meurt. Le choeur des pleureuses, ayant été retardé sur l’autoroute par une opération des routiers en colère, n’est même pas là. On aperçoit Carla Bruni, en ombre chinoise, qui soutient son pauvre petit mari. On ne sait plus trop s’il faut rire ou pleurer, cela devient gênant. Heureusement, cela sera bientôt terminé. Il me semble, en tout cas.