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Un mot de plus pour Nicolas Hulot

Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut rien entendre. J’ai écrit ici même, samedi dernier, une lettre destinée à Nicolas Hulot, auteur d’une sortie épouvantable sur les biocarburants (et les OGM, d’ailleurs). Je lui envoie un complément, tiré d’un site internet, Carfree, qui résume une enquête implacable, irréfutable, sur ce que sont pour de vrai les biocarburants. Il est aussi destiné à ces lecteurs qui semblent considérer qu’Hulot n’a rien dit de si révoltant que cela. Eh bien, si : les mots de notre écologiste national sont révoltants. Car les biocarburants sont une réalité simple autant que tragique. Je ne sais pas quoi ajouter, car j’ai le coeur au bord des lèvres.

Les Amis de la Terre International, plus grande fédération écologiste mondiale, publient aujourd’hui le rapport « Alimenter la destruction en Amérique latine » (1) sur l’impact réel des agrocarburants sur ce continent. Basé sur des études menées dans 7 pays, il met en évidence l’aggravation des conflits fonciers, l’éviction des populations pauvres, les conditions de travail désastreuses et l’augmentation de la déforestation liées au développement des agrocarburants. Les agrocarburants bénéficient aux multinationales, investisseurs, spéculateurs et grands propriétaires terriens, mais pas aux populations locales. La cause principale est l’exportation d’agrocarburants vers l’Europe et les Etats-Unis : pour stopper la destruction, l’Union européenne doit rejeter tout objectif contraignant d’incorporation dans les transports.

Le nouveau rapport « Alimenter la destruction en Amérique latine » (1) montre que l’explosion des plantations d’agrocarburants dans les 7 pays étudiés (2) se fait par des monocultures intensives, qui nécessitent de grandes quantités de terres, de produits chimiques et d’eau. Elles poussent les autres types d’agricultures vers les forêts et les savanes, aggravant la déforestation et la destruction de la biodiversité.

Lucia Ortiz, des Amis de la Terre Brésil, explique : « Les conditions de travail sont extrêmement faibles, parfois proches de l’esclavage. Le travail forcé des enfants existe dans plusieurs pays. En outre, les superficies de terres exigées par les agrocarburants entraînent des déplacements forcés de communautés locales, avec des conflits sur le droit à la terre dans tous les pays étudiés, aggravés par la spéculation foncière et l’usage de la violence dans certains cas ».

Adrian Bebb, des Amis de la Terre Europe, ajoute : « Les gouvernements introduisent des dispositions extrêmement favorables à l’agrobusiness (exemptions fiscales, droits de propriété, infrastructures). L’absence de planification de l’usage des terres et l’opacité dans le secteur nourrissent la corruption et les conflits d’intérêts, les gouvernements fermant souvent les yeux face à des activités illégales des producteurs et des propriétaires. Les principaux bénéficiaires sont les gros producteurs, traders et investisseurs, aux dépens des populations locales et de l’environnement ».

Sébastien Godinot, coordinateur des campagnes aux Amis de la Terre France, conclut : « Le rapport met en évidence que les agrocarburants menacent le modèle d’agriculture familiale indispensable dans ces pays pour la production vivrière. L’Union européenne est une des causes majeures de cette catastrophe (avec les Etats-Unis) : elle doit stopper ses importations d’agrocarburants venant des pays du Sud. Pour répondre à ses enjeux climatiques et énergétiques, elle doit lutter contre la surconsommation de carburants plutôt que d’aggraver les inégalités et les destructions dans d’autres régions du monde. Nous lancerons début octobre avec le CCFD et Oxfam une campagne dans ce sens, ciblant la Présidence française de l’Union européenne ».

Source: www.amisdelaterre.org

Notes :

(1) Le rapport est disponible sur : http://www.foei.org/en/publications/pdfs/biofuels-fuelling-destruction-latinamerica

(2) Brésil, Argentine, Uruguay, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Salvador

Une lettre pour Nicolas Hulot

Bonjour,

Nous nous connaissons un peu, c’est-à-dire pas beaucoup. J’ai eu l’occasion de t’interroger deux ou peut-être trois fois dans le cadre de mon travail, nous nous sommes croisés par ailleurs. Si je m’autorise à t’envoyer ce mot public, c’est pour la raison que tu incarnes l’écologie en France, aux yeux de millions de personnes.

Il se trouve que j’ai souvent, et depuis longtemps, salué ta démarche. Quand je dis longtemps, je parle de dix ans environ. J’ai soutenu ta personne et tes actes à une époque où tu n’étais pas la personnalité incontestable d’aujourd’hui. Et je l’ai fait jusques et y compris dans des journaux – Politis, par exemple – où ta réputation était exécrable. La presse comme le public oublient vite, mais il fut de bon ton, pendant des années, de vilipender l’homme lié l’industrie la plus vile – toi -, du moins dans les milieux où j’avais mes habitudes.

Je n’ai pas le moindre mérite, et je crois ce que j’écris. Je voyais en toi une sincérité, un mouvement réel qui me plaisaient sans détour. J’appréciais et j’apprécie toujours la liberté intérieure qui t’a permis de rompre avec un passé tout autre que ton présent. Ce préambule pour te dire que je t’en veux, pour la première fois depuis de longues années.

Et j’ajouterai que je t’en veux beaucoup. Je viens en effet de découvrir ta présence au Salon international de l’élevage – le Space – de Rennes, grande foire productiviste, ô combien ! Cela ne serait rien, car je crois bien sûr qu’il faut dialoguer avec des adversaires, cela ne serait rien, donc, si tu n’avais prononcé là-bas des mots qui ne passeront pas ((ici). Ainsi, face à ceux qui ont changé ce pays en un désert peuplé de pesticides, tu as déclaré sans état d’âme : « Dans tous les cas, Ogm et agrocarburants sont des sujets trop compliqués pour être simplifiés. Ce sont des sujets et des problèmes à traiter avec raison et rationalité ».

Eh bien, je te le dis franchement et (presque) en face : j’ai honte pour nous tous et d’abord pour toi. Laissons de côté la question des OGM, qui m’éloignerait de mon propos d’aujourd’hui. Et restons-en à celle des biocarburants, dont l’industrie – planétaire, et nullement française – est purement et simplement criminelle. Je ne vais pas radoter sur ce thème que j’ai traité tant de fois, notamment dans un livre qui t’a été envoyé.

Les biocarburants affament les plus pauvres de ce monde, par dizaines de millions supplémentaires. Et fatalement, dans ce monde malade, conduisent à des milliers d’exactions, dont les preuves directes abondent. Des dizaines de dossiers documentés existent, avec des centaines de noms de gens tués, violés, chassés à coups de trique. Est-il si étrange que les communautés paysannes du bassin amazonien, de celui du Congo, d’Asie du sud-est refusent d’être chassées pour faire place nette à cette saloperie appelée par antithèse biocarburants ?

Les carburants végétaux ravagent aussi la biodiversité unique de ce qui reste de forêts tropicales, sur des dizaines de millions d’hectares. Ne me dis pas, Nicolas Hulot, que tu ignores tout du sort actuel des orangs-outans d’Indonésie ! Ou de la reprise massive de la déforestation au Brésil. Ou de la vente de portions entières de pays africains, du Mali à la République démocratique du Congo.

Pour comble, les biocarburants aggravent la crise climatique dans des proportions considérables. Cela, ce n’est pas moi, Fabrice Nicolino, qui le clame sur la place publique. Mais des scientifiques de réputation mondiale, comme le Néerlandais Paul Crutzen. Ne me dis pas, Nicolas Hulot, que tu n’as jamais entendu parler de tout ça ! Cette industrie criminelle n’a jamais pu – pour cause – produire la moindre étude sérieuse en faveur de ses thèses purement commerciales, et voilà que tu voles à son secours. Comment est-ce possible ?

Comment est-il possible que ton Comité de veille écologique, où siègent des gens indiscutables, où siège mon ami Jean-Paul Besset, ne t’ait pas au moins mis en garde ? Je suis peut-être naïf, mais je ne le comprends pas. De toute façon, cette question va bien au-delà. Quand on prend les responsabilités que tu as acceptées, on doit se tenir. On doit tenir une position morale. En l’occurrence, et sans l’ombre d’un doute pour moi, tu as franchi une ligne rouge sang qui sépare deux mondes. Une frontière. Celle qui oppose les gueux, les pauvres, les humiliés de cette planète implacable d’un côté, et ceux qui profitent du désordre et de l’injustice de l’autre.

Et moi en tout cas, Fabrice Nicolino, je sais où je suis. Ta déclaration de Rennes nous éloigne. Jusqu’où ? Et pour combien de temps ? Peut-être t’en moques-tu, mais sache que je suis blessé, meurtri, déçu.

Totalement nano (la voiture Tata)

Je radote, oui je radote, mais pas plus que ce monde malade. Pas davantage, j’en suis (presque) sûr. Il y a quelques mois, je vous entretenais (ici-même) du cas tragi-comique de Pierre Radanne, expert écologiste devant l’Éternel et grand admirateur de la voiture indienne à 1700 euros, la Nano de l’entreprise Tata. Un pays en proie aux pires affres de son histoire, pourtant si troublée, se lance dans l’aventure folle de la bagnole individuelle. Cela donnerait presque envie de rejoindre la guérilla naxalite (ici). Presque, car ces gens se réclament du marxisme-léninisme-maoïsme le plus cinglé qui soit !

Pas grand chose à ajouter sur le cas Radanne, passablement désespéré à mes yeux. Si je reprends la plume, c’est que, vous le savez peut-être déjà, des paysans de cette Inde si lointaine sont entrés dans un conflit caricatural avec l’empire Tata. Car il s’agit d’un empire que tous les journaux (officiels) de la péninsule indienne traitent comme une déesse. Tata, c’est aussi bien l’acier que le thé, sorte de champion de la mondialisation libérale qui a racheté cette année, pardonnez du peu, Jaguar et Land-Rover à Ford.

En face, des cul-terreux, nombreux certes. Par dizaines de milliers, ils manifestent sur le site de la chaîne de montage de la Nano, à Singur, près de Calcutta. Tête du gouverneur  – officiellement « communiste » – de la région, le Bengale occidental, qui apprend que Tata envisage de délocaliser tout le projet, le privant de taxes considérées comme acquises. Gopalkrishna Gandhi vient d’écrire piteusement au patron, pour tenter de le dissuader de son projet de départ (ici, mais en anglais).

Je vous avoue que j’ignore ce qu’il y a dans la tête des manifestants. Faire monter les enchères ? Sauver réellement, comme ils le disent, 161 hectares de précieuses terres agricoles ? Ce que je vois, avec l’affreuse distance qui est la mienne, c’est que deux pays s’affrontent, quoi qu’il en soit. D’un côté, celui qui n’a pas une chance, malgré les apparences. Qui mise sur le grand mirage de l’occidentalisation du monde, voiture individuelle en sus. Et de l’autre, une antique nation paysanne, qui se demande comment sauver les pauvres meubles d’une maison en torchis, sous les pluies torrentielles de la mousson.

Moi, c’est simple. Oui, comme c’est simple pour moi. Mais comme c’est vrai aussi : je suis avec les gueux.

Une réponse de Fabrice Nicolino (à Jean-Paul Besset)

(Ce texte ne se comprend sans celui qui le précède, et qui est une lettre publique adressée à l’auteur de ce blog par Jean-Paul Besset. En somme, il faut lire les deux, et même un troisième, à l’origine du tout. Si on veut. Si on peut. On a le droit de passer son tour).

Cher Jean-Paul,

Évacuons pour commencer les quelques piques que tu m’adresses, cela permettra de mieux parler du reste. Dans le texte critique que j’ai écrit sur votre initiative électorale, j’ai pris soin de ne pas viser ta personne. Je ne le regrette évidemment pas, mais je dois constater que tel n’est pas ton cas. Sous les éloges, l’allusion. Et je n’aime pas cela, je l’avoue.

Je reconnais ne pas être sûr que tu parles de moi à propos de cette « odeur des croisades et du sang » qui t’irrite tant. Mais si tel devait être le cas, tu m’auras mal lu. Très mal lu. Je me bats précisément pour éviter les croisades et le sang. Ou en limiter les horribles impacts. Et je serais étonné que tu l’ignores encore après les dizaines ou peut-être centaines d’heures d’échanges que nous avons eues ensemble.

Je pourrai continuer, car ta lettre, pardonne-moi, me paraît pleine de dépit, en partie tourné contre moi. Je ne prends qu’un exemple, un seul, car j’ai d’autres choses plus cruciales à te dire. Je serais homme à « seulement vitupérer l’époque, à dénoncer sans combattre » ? Car là, Jean-Paul, il n’y a plus de doute : c’est bien moi qui suis la cible. Eh bien, je te réponds. Deux choses. La première, c’est qu’il n’y a rien de plus urgent que de tenter de comprendre ce qui nous arrive. L’activité intellectuelle n’est pas nécessaire : elle est proprement vitale au point où nous sommes rendus. Cette activité, je la mène, publiquement et sans concessions il est vrai. Je donne des coups, il m’arrive d’en recevoir, tout est en ordre. Encore faut-il ne pas sombrer dans la ridicule opposition de pacotille entre ceux qui mettraient les mains dans le cambouis et ceux qui conserveraient leurs gants beurre frais.

J’éprouve une certaine gêne à le dire, à te le dire, mais je n’ai jamais distingué la parole de l’action. Il se trouve que je l’ai prouvé non pas une, mais cent fois et plus dans ma vie. Depuis les origines. Et même aujourd’hui, sache pour ton information visiblement défaillante que je mène des actions autres qu’intellectuelles dans les domaines qui ont de l’importance pour moi. Mais dois-je monter sur les toits avec un mégaphone pour le clamer ? Mais dois-je demander la médaille ? Mais dois-je souhaiter des applaudissements ?

Jean-Paul, je change ici de registre. Et reviens au fond de la querelle. Franchement ! Franchement, c’est tout ? Il y aurait donc des vilains qui reprocheraient aux courageux leur engagement concret ? Qui se draperaient dans leur pureté révolutionnaire pour mieux cacher leur impuissance ? Mais Jean-Paul, ta montre retarde de quelques décennies, au moins ! Nous ne sommes pas en train de revivre le schisme entre mencheviki et bolcheviki de 1903 ! Je sais, et je sais que tu le sais, qu’il n’y a pas de projet révolutionnaire existant. Aucun. Mais je sais, et tu sais que nous sommes dans une situation sans aucun précédent répertorié depuis que l’homme a commencé son aventure sur cette terre. Ce que vous proposez, avec Cohn-Bendit et Bové, c’est précisément de détourner l’énergie commune, pendant un temps immensément long – compte-tenu de l’état du monde – vers un pur et simple radotage électoral. N’y aurait-il pas, caché dans le paysage, comme l’ombre d’un problème ?

Je l’ai écrit (ici-même) : nous avons, tous, la pesante habitude de voir le présent comme l’avenir avec les yeux du passé. Les guerres sont souvent perdues parce qu’elles ne sont pas pensées d’une manière neuve et audacieuse. Or en la circonstance, nous avons le besoin foudroyant de penser le neuf, de mesurer le sens du moindre de nos actes, de relier entre eux les fils invisibles d’une crise infernale, globale, angoissante. Peut-être l’issue sera-t-elle tragique. Comme je ne suis pas devin, je ne tranche pas. Mais en tout cas, il est certain que nous devons rompre avec nos paresseuses habitudes. Et quoi de plus absurde que de rééditer – des élections européennes ! – ce qui, à l’évidence, n’aura servi à rien dans le passé ?

Vous êtes, tu es Jean-Paul, dans un remake de tout ce qui a déjà été mené depuis quarante ans. Et tu ne supportes pas qu’on vienne te le dire sans détour. Mais c’est un fait : vous avez fait un hold-up sur l’écologie en vous auto-instituant les représentants de la société au pénible Grenelle de l’automne dernier. Ce n’est pas un hasard si tu n’y consacres que de très vagues commentaires. Car en effet, après vous être emparé des chaises disponibles, vous avez transformé Borloo and co en partenaires d’une farce complète dont il n’est rien sorti. Dont il ne sortira rien, et non pas pour la raison que Borloo est ce qu’il est – il l’est, certes -, mais parce qu’on n’inverse pas des tendances historiques planétaires en se réunissant à Paris avec des gens sans aucun pouvoir sur la marche réelle du monde. Vous vous êtes copieusement assis sur ce que pourtant, en d’autres occasions, vous appelez volontiers la démocratie.

Rien n’a été discuté réellement avant. Et nul n’a osé affronter la critique après. Votre club existe parce que la pensée vraie est (presque) inexistante. Mais de grâce, Jean-Paul, ne fais pas semblant de croire que vous seriez des réformistes sincères et entreprenants. En 1928, l’écrivain roumain Panaït Istrati est en Russie soviétique, et à la différence des aveugles du moment, il voit et comprend tout. Sur place, il se plaint à ses interprètes, signale le nombre des mendiants, souvent des enfants. Alors, on lui fait cette remarque : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs ! ». Et Istrati, magnifique comme si souvent dans sa courte vie : « Bon, je vois bien les oeufs cassés, mais où est l’omelette ? ».

Eh bien moi, Fabrice Nicolino ton ami, je te le demande : où sont les réformes ? Qu’avez-vous gagné à ces belles discussions de salon avec Borloo and co ? Et qu’avons-nous tous perdu, alors qu’il reste si peu de temps utile ? Je vais te dire une chose que je juge grave. Mais grave pour de vrai. J’ai honte de ce que vous n’avez pas fait. Oui, honte. Il y avait au moins un dossier où je vous attendais, où je vous espérais de toutes mes forces. C’est celui des biocarburants. Il était facile, il eût été facile de lancer l’Alliance pour la planète, Hulot et tous autres dans une bataille claire et publique, une dénonciation de ce crime contre les hommes, le climat, les forêts.

Il eût été facile de réclamer au moins, pour le moins, la fin des subventions publiques françaises à cette monstruosité. J’en aurais été fier pour notre famille écologiste. J’en ai affreusement honte, aujourd’hui que meurent des êtres, tout là-bas, où jamais les députés européens n’iront traîner leur téléphone portable. Tu vois bien, malgré cette colère qui me noue le coeur, combien je suis prêt dès maintenant et sans condition à toute action digne de ce nom. Sans attendre je ne sais quelle élucubration sur la fin du monde, dont tu sembles penser que je me délecte à l’avance.

Non, Jean-Paul, non ! Je crois les choses plus simples que cela. L’opposition, qui existe, est entre qui regarde les vieux films et qui cherche de nouvelles images. Malgré ma véhémence, que j’assume bien sûr, je sais ou crois savoir qui tu es. Un homme honnête. Un excellent homme qui croit ce qu’il dit et ce qu’il fait. Laisse-moi t’écrire que tu te trompes. Et que votre initiative malheureuse nous fait perdre du temps et de l’énergie. Quelle tristesse !

PS 1 : Je réponds rapidement à l’ajout qui figure à la fin de ta lettre. Cohn-Bendit. L’homme m’est sympathique, à la vérité. Mais le responsable politique a en effet montré un nombre incalculable de fois qu’au fond il soutenait ce monde et ses objectifs. À la marge, certes, il lui arrive de critiquer tel ou tel aspect dérisoire de la destruction de la vie sur terre. Il n’y a pas lieu, je le maintiens, de chercher parmi 10 000 propos de même nature pour confirmer une telle évidence. Et ce serait injuste ? Je préfère en rire, car j’ai besoin de détente.

PS 2 : Quant à la cantine des députés, tu m’auras une fois de plus mal compris. Mais c’est de ma faute, j’en  conviens. J’ai voulu dire, et je le redis, que tant qu’à se ridiculiser à Strasbourg, il serait préférable qu’au moins les repas y soient bons. Si tu as cru que je sous-entendais autre chose, tu t’es trompé. Je n’accuse personne d’aller à la soupe. En tout état de cause, pas toi.

PS 3 : Enfin, où as-tu pris que je considérais la politique comme une « déviation catastrophique » ? Dans ta seule tête, je le crains. La politique a un sens, qui peut être extrêmement positif, mais elle n’est qu’une petite activité des hommes. Et à elle seule, contrairement à ce que toi et d’autres semblez croire, elle ne peut en aucun cas nous permettre de faire face à une tragédie aussi multiforme que celle dans laquelle nous sommes plongés. Voilà.

Une réponse à Fabrice Nicolino (par Jean-Paul Besset)

La lettre qui suit m’a été adressée le 1er septembre à la suite d’un texte paru le 24 août 2008 sur ce blog (ici). J’y attaquais un homme qui demeure un ami, Jean-Paul Besset, devenu « bras doit » de Nicolas Hulot, et qui se présente aux prochaines élections européennes de 2009 en compagnie de Dany Cohn-Bendit, José Bové et probablement des Verts et des militants associatifs. Je publie sans problème le courrier de Jean-Paul, auquel je réponds dans la foulée (dans un article séparé), car je le crois nécessaire. Voici.

Fabrice,

Contrairement aux affidés des chapelles nombrilistes, je n’ai que peu de goût pour les déchirures ivres d’outrances et de sentences, surtout quand elles s’appliquent aux gens que je respecte pour leurs parcours et leurs convictions, et que j’aime pour ce qu’ils sont, même s’ils ne sont pas moi. Non, décidément, je n’aime pas du tout l’odeur des croisades et du sang dont parfois des plumes alertes se laissent aller à tracer le chemin.

Il y a manifestement désaccord entre nous, Fabrice, et ce n’est pas la fin du monde. Identifions-le calmement si tu veux bien, comme une différence plutôt que de l’ériger en frontière du bien et du mal.

Le désaccord tient à la chose « politique » et, comme nous le savons tous les deux, il ne date pas d’aujourd’hui.

Tu considères « cette petite activité des humains que l’on appelle la politique » comme une déviation catastrophique. Pourquoi ? Parce que la politique, ses stupres et ses lucres, détournerait les peuples de la prise de conscience et, pardi, de la révolte. C’est un point de vue que les grands nihilistes de l’histoire ont brillamment exprimé du fond douillet de leur cabinet.

Je pense exactement le contraire: malgré les faiblesses et les ridicules qui s’attachent à toute entreprise humaine, l’action politique constitue la meilleure forme que la civilisation a su mettre en oeuvre pour s’arracher collectivement aux diktats du malheur. Qu’elle produise parfois des monstres et qu’elle conduise souvent à des impasses, je te le concède aisément mais, à ma connaissance, on n’a pas mieux en magasin: elle demeure une voie incontournable de cheminement et de décision démocratique.

C’est un chemin inconfortable, difficile, instable, qui s’applique à une réalité non rectiligne, faite d’aspérités, et qui, de surcroît, se parcourt avec des gens réellement existant, donc imparfaits. C’est à ce fil du rasoir auquel, petits pas après petits pas, je me consacre depuis quelques temps, auprès de Hulot, des associations, des négociateurs du Grenelle de l’environnement, et maintenant auprès des promoteurs d’un rassemblement des écologistes pour les élections européennes, espérant que celui-ci produira un sursaut bénéfique dans les consciences. On peut s’en gausser et trouver que ça manque de panache révolutionnaire mais j’ai la « naïveté » de croire que ces récentes actions – éminemment politiques même si elles sont non affiliées -, dont je ne suis qu’un modeste artisan, ont permis quelque peu de faire bouger les lignes au sein de la société. Et qu’il est temps de traduire politiquement cette avancée, de l’introduire électoralement dans le champ des rapports de force idéologiques et sociaux.

Car vois-tu Fabrice, je suis comme toi obsédé par la menace d’effondrement qui pèse sur notre communauté humaine. Alors je cherche, avec d’autres, avec des milliers d’autres qui se retroussent les manches et qui vont au cambouis (je sais que tu en connais plusieurs et que tu ne les méprises pas), à ouvrir des pistes, à créer des issues, à rassembler des énergies. Je ne suis sûr de rien, peut-être tout cela est-il vain, mais, en conscience, je ne peux me résoudre à seulement vitupérer l’époque, à dénoncer sans combattre.

Sinon quoi ? Attendre avec gourmandise le chaos final ? Déconsidérer systématiquement toute démarche transitoire, réformiste, au nom du grand tout qui n’aura jamais lieu ? Espérer la révolte massive qui balaiera miraculeusement le vieux monde ? Et, pour patienter et s’occuper un peu, trier les bons des méchants, dresser la liste des traîtres et des renégats ?

Tu as choisi la voie de la vigilance critique et tu l’exerces avec force. Tes deux derniers ouvrages sur les pesticides et les agro carburants sont d’une formidable utilité publique. Nous avons besoin de gens comme toi, de leur intelligence de la vie, de leur sensibilité aux autres, de leur talent acide. Il faut écrire des livres, ouvrir des blogs, mener la bataille intellectuelle. Sans doute l’action politique est-elle moins flamboyante et plus perturbante, avec ses compromis face à la complexité des choses, en prise aux heurts du réel. Mais est-ce seulement avec le Verbe que l’on « renversera la table » ?

Fabrice, je te le dis très amicalement: de la vigilance critique à la posture de l’imprécateur, il n’y a qu’un pas qu’il me serait insupportable de te voir franchir. Même si tu nous malmènes, ta place est parmi nous, dans le corps à corps avec la société, pas au tribunal dans le rôle autoproclamé du procureur.

Jean-Paul Besset

Deux remarques subsidiaires qui devraient t’alerter: primo, ta charge contre Daniel Cohn-Bendit est injuste, comment peut-on exécuter qui que ce soit avec cette phrase stupéfiante: « les preuves en sont si massives que je ne les cherche pas ». Secundo, le sous-entendu sur la bonne soupe des cantines bruxelloises vers laquelle se précipiteraient les (potentiels) élus écolos est indigne de toi.