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Nos loups sont leurs éléphants

Je suis toujours à l’hosto. Bien sûr. Une kiné formidable – Hélène – a eu ce jour une idée purement magique. Grâce à un appareillage très simple, elle a immensément amélioré ma vie quotidienne. Il s’agit d’un équipement que j’installe sur mon pied droit pour compenser des pertes occasionnées par les balles du 7 janvier. Et en plus, j’ai vu le soleil.

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Vous trouverez ci-dessous un papier de Sciences et Avenir, basé sur un reportage de l’AFP au Botswana, pays africain comparable au nôtre par la taille. On se doute que les ressemblances s’arrêtent vite, mais il n’est pas interdit de faire un rapprochement. On verra – vous verrez peut-être – comme il est dur de cohabiter des éléphants capables de ravager un champ de maïs en un quart d’heure.

Quand on est pauvre, il est inconcevable de préférer la liberté des éléphants à la pitance de ses gamins. Sûr. Pourtant, si l’on veut sauver au moins une partie de la si grandiose diversité des espèces vivantes, il faudra bien trouver quelque chose. D’autant que l’éléphant est une espèce parapluie. Cette expression est utilisée en écologie scientifique pour désigner des animaux dont la protection entraîne peu ou prou celle de beaucoup d’autres qui vivent sur leur territoire. Sauver l’éléphant, c’est certainement protéger des milliers d’autres formes vivantes, y compris d’ailleurs végétales.

Donc, aucun doute : il faut se battre avec les paysans pauvres, ceux que le marché mondial pulvérise chaque jour un peu plus, et pour les éléphants. Le rapprochement – un simple rapprochement, j’y insiste – avec la France permet de se poser des questions bien plus proches de nos existences. Pourquoi un pays riche, qui possèdes des millions d’hectares de forêts et de friches, est-il incapable de supporter la présence de 300 loups ? Je ne vous en parle pas – j’ai tort -, mais une sorte de petite guerre – malsaine et sordide – est en train de s’emparer des Alpes et de l’Est, et bientôt des Cévennes, voire de Fontainebleau.

Indiscutablement, le Loup progresse chez nous, après 70 ans d’absence. Pas un politique n’est capable de dire que les envolées lyriques au sujet de la biodiversité – celles des tribunes de l’Unesco, par exemple – doivent s’appliquer, en priorité, au Loup. Le Loup, cet éternel mal-aimé qui réunit contre lui la droite, la gauche et une partie notable du mouvement dit altermondialiste.

C’est tragiquement simple : si nous reculons à propos de 300 loups, il ne se trouvera aucun raison de se battre pour les requins, les phoques, les tigres, les éléphants bien sûr. Et ne parlons pas de ces sales bêtes de vipères et de guêpes.

PS : Défendre le Loup comme je le fais depuis tant d’années est d’une facilité totale. Je ne risque rien. Sauf quelques vrais désagréments. Ainsi, une journaliste radio que je tenais pour une amie depuis plus de quinze ans, et qui m’invitait pour la sortie de mes livres, a-t-elle décidé que je n’existais plus. Ma foi, c’est comme cela.

Éléphants du Botswana : quand intérêts humains et conservation s’affrontent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’interdiction de chasser l’éléphant d’Afrique ne met pas tout le monde d’accord. Et ses premiers opposants sont les Botswanais eux-mêmes, qui dénoncent ses conséquences désastreuses sur l’économie et l’agriculture.

Les pachydermes du Botswana, au sud de l'Afrique, représentent plus d'un tiers de la population totale d'éléphants d'Afrique (Loxodonta africana). © Alexander Joe/AFP

Les pachydermes du Botswana, au sud de l’Afrique, représentent plus d’un tiers de la population totale d’éléphants d’Afrique (Loxodonta africana). © Alexander Joe/AFP

DISPARITÉS. La population des éléphants d’Afrique connaît une situation paradoxale. Au centre et à l’est du continent, les troupeaux deviennent de plus en plus petits, victimes d’un braconnage intense. Au sud et à l’ouest, ils grandissent, à raison de 4% par an. Au sud, pour poursuivre cet effort de conservation jusque-là payant, le Botswana a adopté une mesure radicale. L’état qui abrite plus d’un tiers des pachydermes africains, a interdit en janvier 2014 la chasse de ces animaux. Problème : les conséquences économiques sur la population rendent la mesure très impopulaire tout en faisant des locaux des ennemis de la conservation de l’espèce.

Des conséquences économiques terribles

Le village de Mabele est l’un des plus impactés par l’interdiction. Situé entre plusieurs réserves ouvertes, il est souvent la cible des incursions des pachydermes. Debout au milieu de son champ de maïs ravagé par les éléphants, Minsozie, mère de sept enfants, témoigne de sa lassitude auprès de l’AFP : « Quand on pouvait chasser les éléphants, ça n’arrivait pas. Les éléphants ont tout mangé, nous n’aurons pas de récolteJe ne sais pas ce que nous allons faire. L’argent que gagne mon mari, ça ne suffit pas. Et l’État compense trop peu. » Avant l’interdiction, les villages regroupés en communautés disposaient d’un quota d’éléphants qu’ils pouvaient abattre, principalement des vieux mâles. Ces permis de tuer étaient rachetés par des agences de safari spécialisées, générant des revenus substantiels pour les habitants et les fonds de conservation. « La chasse nous rapportait plus de 400.000 euros par an. Nous avions investi dans des services pour la population, (en achetant) notamment six tracteurs pour l’agriculture » raconte Amos Mabuku, président du fonds de conservation de l’Enclave de Chobe, qui administre Mabele et quatre autres villages.

Les safaris photographiques apportent un revenu aux habitants. Malheureusement, il n’est pas encore suffisant pour égaler celui découlant de la chasse.© Tim Sloan/AFP

Trouver un compromis

Le gouvernement, qui a déjà mis en place des aides financières, souhaite avant tout trouver un accord. Pour lui, l’écotourisme est la solution. Il souhaiterait en effet voir se développer dans des villages jouxtant les réserves comme Mabele des lodges, des safaris photographiques et autres services touristiques. « La chasse ne fournit des emplois que pendant la saison désignée, c’est une forme de revenus fondée sur la consommation« , explique Tshekedi Khama, ministre de l’Environnement. « Nous préférons des formes de revenus durables, qui permettent de préserver les espèces. » Malheureusement, si plusieurs villageois sont déjà employés dans le secteur du tourisme, leurs revenus sont loin encore de compenser ceux apportés par la chasse. Et les habitants attendent du gouvernement une solution immédiate. Ce que promet justement la ré-autorisation de la chasse, contrôlée par des quotas promet des retombées immédiates, bien plus perceptibles que les bénéfices lents mais durables d’un écotourisme, qui a pourtant fait ses preuves ailleurs.  « L’attitude des gens a changé. Avant, on leur disait ‘protégez, et vous en tirerez un profit’. Aujourd’hui, ils nous demandent : « Protéger ? Pour quoi faire ? » Le message est brouillé« , déplore Amos Mabuku.

 

Des nouvelles du front intérieur

Beaucoup d’entre vous le savent : j’ai reçu plusieurs balles au cours de la Grande Tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier passé. Plus le temps passe, et plus mon énergie diminue. Cela me semble étrange, mais je n’y peux rien. En fait, le blues recouvre mon quotidien, fait de bien peu de choses. Je ne réponds que sporadiquement à ceux qui me souhaitent pourtant le meilleur, et j’attends. D’ici quelques jours, je serai hospitalisé une nouvelle fois, pour subir deux opérations, dont l’une conditionne ma capacité à marcher normalement. Entendons-nous : je ne pleure pas, je suis seulement d’une pesante tristesse. Je pense évidemment aux miens, morts dans l’attaque. Je pense aux blessés, dont Simon, à qui je reviens si souvent.

Je ne suis pas en état pour alimenter Planète sans visa. Je vous remets ci-dessous une chronique parue le 4 novembre 1999 dans l’hebdomadaire Politis. Il y a plus de quinze ans. Quelques mois avant la fumeuse Conférence de Paris sur le climat, cela fait réfléchir. Non ?

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(In Politis, 4 novembre 1999)

Bonn, mais franchement mauvaise

L’écologie contre la démocratie ? Peut-être. Il devient chaque jour plus manifeste que notre système politique usuel ne permet pas d’affronter les menaces globales qui pèsent sur les grands équilibres naturels. En témoigne de façon caricaturale la conférence de Bonn  sur le changement climatique. À l’heure où cette chronique est écrite, elle est loin d’être terminée, mais on peut déjà en parler sans grand risque d’être démenti.

Les États-Unis et l’Europe s’y opposent dans un pesant jeu de ruse médiatique et de faux-semblants. À main gauche, les Américains, qui refusent toute mesure contraignante, notamment contre la sainte-bagnole, et entendent tout régler par le marché, la Bourse, l’argent. À main droite, une Union européenne qui profite de cet épouvantail pour nous faire croire qu’elle au moins est décidée à tenir les engagements pris à Kyoto voici deux ans, soit une diminution de 8 % des émissions de gaz à effet de serre en 2010 par rapport à 1990.

La vérité est tout autre : selon l’Onu elle-même, l’augmentation des émissions continue et pourrait atteindre 18 % en 2010 par rapport à 1990. Dans ces conditions, le sabotage américain et l’inertie européenne se rejoignent dans ce qu’il faudra bien un jour appeler un crime contre l’humanité.

La démocratie dans tout cela ? Le protocole signé à Kyoto n’est toujours pas appliqué pour une raison simple : seule une poignée de pays a voté sa ratification. Aux États-Unis, le congrès bloque et bloquera tant que ses dispositions “dures” n’auront pas été au moins tournées. Puis, comme on est entré en période électorale, chacun sait ce que cela veut dire : il faudra attendre, pour que le dossier soit seulement considéré, le printemps 2001.

L’Europe ne vaut guère mieux : imagine-t-on un Jospin – ne parlons pas de Chirac ! – prendre la tête d’une croisade contre la croissance et ses inévitables corollaires, alors que 2002 se profile à l’horizon ? Il faudra bien que le débat sur les impasses tragiques de nos modèles dits démocratiques voie le jour. Et il serait plus sage qu’il soit lancé par des démocrates et des amis de l’homme plutôt que par quelque brute dopée par les malheurs à venir, désormais si probables.

Ô triste, triste était mon âme (Vallini, Hollande et consorts)

On connaît peut-être ces vers splendides de Verlaine, qui commencent par « Ô triste, triste était mon âme ». Son petit poème est somptueux, qui parle du chagrin d’amour, de la perte d’une aimée. J’ai pensé à lui ce matin en écoutant notre pauvre président de la République sur France Inter. Absurdement, je dois en convenir. Car je n’ai jamais eu ni amour ni simple affection pour François Hollande. Je le tiens pour un exceptionnel médiocre, et ses mots dérisoires à la radio ne peuvent que renforcer un sentiment déjà ancien.

Qu-a-t-il dit à propos de la tragédie écologique ? Les stupidités coutumières. Une taxe sur les transactions financières « pour le climat » d’ici 2017, quand la fameuse taxe Tobin est évoquée depuis 1972. Mais il est vrai que le PS promet le droit de vote des étrangers depuis 1980. Hollande est cet homme capable de transformer le dérèglement climatique en un simple enjeu politicien dans sa course électorale de troisième zone. C’est affreux. En ce qui concerne Notre-Dame-des-Landes, où je suis passé le 1er janvier, il a annoncé, faussement martial comme à l’accoutumée, que l’aéroport se ferait une fois les recours juridiques épuisés.

Sivens à la puissance 10 ?

Que penser ? Voici mon sentiment. Il y a au moins deux lignes au sommet de ce qui nous reste d’État. Hollande, rad-soc dans l’âme perdu au milieu des tempêtes et des drames, voudrait que l’affaire se règle toute seule. Comme il a horreur de trancher, comme il a évidemment peur d’un Sivens à la puissance 10, il aimerait bien, au fond, que les recours durent au-delà de la prochaine élection présidentielle de 2017. Ainsi, il n’aurait pas à agir. Seulement, il n’est pas seul à bord, de loin.

D’abord, il y a sa base, ce parti socialiste qui sociologiquement est aux antipodes de la France réelle. Un parti de vieux, de cadres, d’enseignants, de Blancs, qui ont tant profité des Trente Glorieuses qu’ils refusent tout vrai changement. Remettre en cause la doxa de la croissance, du BTP, de la publicité, des appareils et des objets, cela reviendrait à dire la vérité sur ce qu’ils sont. Et ce qu’ils sont, qui l’ignore ? Des gens aveugles et indifférents, qui auront soutenu de toutes leurs forces arthritiques la destruction par la bagnole et les ronds-points, les villes nouvelles et les Disneyland, l’amiante et les pesticides, le bétonnage des côtes et les canons à neige, la laideur et la puanteur. J’exagère ?

Qui dépassera jamais un André Vallini ? Président du conseil général de l’Isère, ce distrayant personnage rêvait de devenir Garde des Sceaux, mais la place étant prise, il doit se contenter d’un secrétariat d’État chargé de la réforme territoriale. Entre deux bâillements, il s’enflamme, mais pour quelle cause ? Celle de l’eau, de l’air, des sols, de la forêt, des océans, du climat ? Non, celle bien plus sacrée du BTP. Dans un bref entretien au quotidien régional Le Dauphiné Libéré (ici), il apporte son soutien empressé au projet de Centers Park de Roybon, et se plaint amèrement des lois qu’il se serait fait un plaisir d’appliquer ès qualités, déplorant « des réglementations trop lourdes et des procédures trop longues qui permettent d’entraver des projets portés par des élus du suffrage universel ».

Une France des autoroutes et des barrages

C’est déjà impressionnant, mais la suite l’est davantage, car Vallini déclare même : « Pour que la France reste la France, nous devons continuer à construire des aéroports, des barrages, des autoroutes, des lignes de TGV, des équipements de tourisme ». Nous touchons cette fois au cœur de l’imaginaire de pacotille des gens qui nous gouvernent. La France, leur France doit être détruite. Gallia delenda est ! À ce stade inouï, la tristesse radicale l’emporte sur le fou rire, et c’est un bien mauvais moment à passer. Que révèlent les mots de Vallini, que reprendraient à leur compte presque tous les socialos ? Qu’aucun accord n’est possible. Qu’une frontière infranchissable sépare les défenseurs de la vie et ces imbéciles qui ne savent pas regarder un ciel sans qu’il soit sponsorisé par l’armée de l’air, EDF ou Total.

Est-ce tout ? Pas encore. Le parti socialiste, sous les fesses de Hollande, veut la poursuite du programme si bien entamé, c’est l’évidence. Mais notre président préfèrerait, lui, que les choses s’accumulent discrètement sous le tapis. Et qu’on parle d’autres sujets plus anodins. Reste Manuel Valls. Il n’y a pas de doute que le Premier ministre souhaite l’affrontement autour de Notre-Dame-des-Landes. Il sait, tout comme moi, qu’un passage en force conduirait probablement à des morts, car les zadistes et ceux qui les soutiennent – j’en suis – n’entendent pas reculer. Ne pas croire que Valls s’en moque, tout au contraire. Il veut un choc majeur autour du chantier, suivi d’une évacuation générale. Car cela lui permettrait d’asseoir dans l’opinion l’image après laquelle il court depuis des années : celle de Clemenceau.

L’empereur des mouchards

En deux mots, Clemenceau, venu de la gauche, gagnera dans les premières années du siècle passé les surnoms de Césarion, Bête rouge, Sinistre de l’intérieur, Monstre, Empereur des mouchards. Ministre de l’Intérieur dès 1906, « premier flic de France », il envoie la troupe contre les mineurs en grève, fait arrêter des responsables syndicaux, installe pour finir 60 000 soldats – 60 000 ! – dans Paris, jusque sur les quais du métro naissant, pour mater les prolos révoltés. Il gagne, et sera plus tard président du Conseil en 1917 et décrété « Père la Victoire », installé sur les millions de cadavres de la guerre de 14-18.

Ce que veut Valls aujourd’hui, c’est le même destin. Venu de la gauche – d’une certaine gauche en tout cas -, il veut montrer à la droite qu’il ne cèdera pas à la populace, encore moins quand celle-ci a le visage plein de piercings et vit dans des cabanes au fond des bois. Il veut imposer l’ordre, avec ce si vague fumet social qui l’entoure encore. En somme, il entend incarner l’idée d’une unité nationale, comme Clemenceau l’a fait entre 1917 et 1920. Je gage qu’il parie sur une aggravation de la situation telle qu’il pourrait jouer sa carte en 2022, ou peut-être avant. Son calendrier n’est pas celui de Hollande, car un peu plus jeune, il sait devoir sauter la case 2017. En attendant, il lui faut, pour avancer sur le chemin de son grand remake, du sang et des larmes.

En aura-t-il ? Je ne suis pas devin, et Hollande n’a pas envie d’entrer dans le souvenir national sous le nom de « Boucher de l’aéroport ». Le jeu reste ouvert, et au moment où j’écris, je pense que le pouvoir préférera tergiverser et gagner du temps plutôt que de chasser les zadistes par la violence. Mais si cela devait se produire, regardez de près le comportement de Valls. Lui, il sait ce qu’il veut. Et ce qu’il veut, c’est que ça cogne.

L’Espagne en pleine movida politique

Ces deux articles ont été publiés par Charlie Hebdo le 11 décembre 2014


Incroyable mais vrai. En Espagne, où les politiciens peuplent les prisons par dizaines, un nouveau parti,
Podemos, menace aussi bien la droite que la gauche. Surprise : c’est un mouvement antiraciste, féministe, écologiste, antifasciste. ¡ Y que viva !

Ce n’est peut-être qu’un feu de paille, mais il réchauffe le cœur, ce qui n’est pas si mal. L’Europe crève de nationalistes et de fascistes plus ou moins bien déguisés, mais pendant ce temps, l’Espagne respire un tout autre air. Podemos – « Nous pouvons » – mouvement né en janvier 2014, a envoyé cinq députés européens à Bruxelles dès mai. C’était déjà retentissant, mais les derniers sondages présentent aujourd’hui Podemos comme le premier parti d’Espagne, avec près de 30 % d’intentions de vote. Un parti antiraciste, antifasciste, féministe, écologiste au moins dans le discours.

Les plus foldingues imaginent un gouvernement Podemos après les élections générales de l’an prochain. D’ores et déjà, les deux partis qui se partagent les postes, le Partido Popular – la droite affairiste, au pouvoir – et le Partido Socialista Obrero Español – la gauche affairiste, en mal d’alternance – flippent leur mère, espérant que Podemos ne résistera pas à ses divisions internes, à l’évidence fortes.

D’où vient l’alien ? De la rue, ainsi que l’explique Pablo Echenique dans l’entretien qu’il a accordé à Charlie. L’Espagne a ses traditions, qui ne sont pas les nôtres. Il y a près de 80 ans, quand ce vieux salaud de Franco se révoltait contre la République – le 17 juillet 1936 -, la Confederación Nacional del Trabajo, cette fameuse CNT anarchiste, regroupait plus d’1 500 000 membres. À comparer avec les 30 000 encartés du parti communiste stalinien. Ceux de Podemos ne revendiquent pas ouvertement  cette glorieuse filiation, mais les grandes idées ne meurent (peut-être) pas.

Où va l’Espagne ? Elle paraît s’éloigner en tout cas des lamentables expériences politiques passées. On n’a pas idée en France du degré de corruption atteint sur place. Une économie basée sur une pyramide de Ponzi a fait pousser comme champignons des centaines de programmes immobiliers fantômes, qui ne seront jamais habités. Au bord du littoral massacré, les lotissements pourrissent, sans être même raccordés au système de distribution d’eau. L’aéroport de Ciudad Real, au sud de Madrid, a englouti 1 milliard d’euros avant d’être mis aux enchères en 2013 faute de passagers. Dans quelles poches sera passé l’argent public ainsi gaspillé ?

À Madrid, la presse titre depuis des mois sur des scandales à répétition qui touchent aussi bien la droite que la gauche. Le dernier en date, sans doute le plus vaste, s’appelle « Operación Púnica » depuis que la justice a commencé d’envoyer en taule des dizaines de politiciens. Au cœur de l’affaire, Cofely, filiale de GDF-Suez. Son directeur-général a été arrêté, et notre presse française adorée se tait.

Podemos, la meilleure surprise de ces dernières années.

ENTRETIEN

« Avant le mouvement des Indignés, j’étais un idiot politique »

On rencontre le nouveau député européen Pablo Echenique-Robba dans un bar où il siffle une deuxième bière, aidé par une assistante. Cette figure de Podemos ne peut pas boire tout seul, car il circule à bord d’un pesant fauteuil roulant de 110 kilos. Il est né avec une énorme saloperie appelée Amyotrophie spinale, sorte de faiblesse des muscles. Mais le cerveau paraît en excellent état. Chercheur au CSIC – équivalent espagnol de notre CNRS -, physicien de haut niveau, il a soudain basculé dans la politique. À part cela, il est drôle, déconneur, entouré d’une nuée de jeunes qui font plaisir à voir. Parmi eux, Adrian Pacin, qui lui glisse à l’oreille : « Charlie, c’est le meilleur des journaux ». On y va.

Charlie : Quel âge as-tu et d’où viens-tu, politiquement parlant ?

Pablo Echenique : J’ai 36 ans, et je viens d’une sorte de néant. Comme bien des gens en Espagne et dans le monde, et jusqu’à ces dernières années, j’étais un idiot politique. J’aspirais à une vie normale, sans problèmes. Et puis est arrivé le M15.

Charlie : Je précise pour les lecteurs. Le M15, c’est le mouvement du 15 mai (2011), celui qu’on appelé en France Los Indignados.

P. E-R : Je dois te dire que cela a été très spectaculaire, car à la vérité, tout est parti d’une toute manif de jeunes – 200 personnes peut-être – sur la place Puerta del Sol, dans la nuit du dimanche 15 mai. Ils ne demandaient que des choses banales, comme un toit, un revenu pour vivre, un travail, des écoles. Mais la police du gouvernement socialiste en place a tenté de les virer de la place, et alors a commencé une Assemblée de rue improvisée, qui a décidé de rester et de dormir là. Quelques jours plus tard, il y avait des foules immenses sur toutes les places d’Espagne, ou presque. Moi, je suis descendu aussi sur la place de ma ville, Saragosse, mais avec mon fauteuil roulant, je ne pouvais pas entrer dans les tentes pour y dormir (rire important). Alors les gens ont  commencé à se parler, à critiquer le système de consommation, le capitalisme, et comme l’occupation a duré des mois, les discussions aussi.

Charlie : Un mouvement de jeunes ?

Oui, au départ, certainement. Mais il a vite compté des gens plus vieux, et au bout d’un temps assez bref, les sondages ont indiqué que 80 % de la population espagnole comprenait et approuvait le M15. Entre nous, heureusement que le moi de mai espagnol ne ressemble pas au moi de mai finlandais. Il s’est agi d’une fête en plein air, avec beaucoup de musique, de danses, de rire. Ce qui a tous réunis, c’est ce slogan repris des millions de fois : « No somos mercancía en manos de políticos y banqueros ». Nous ne sommes pas des marchandises entre les mais des politiciens et des banquiers. Nous revendiquions le droit d’être des gens normaux en face de dirigeants de multinationales qui passent d’un avion privé à un hôtel de Monte-Carlo, en passant par un yacht. Ça peut te paraître naïf, mais n’oublie pas que le M15 a mis en mouvement des tas de gens qui n’étaient pas politisés.

Charlie : Pourquoi ça a marché ? Tu as une idée ?

Je crois qu’Internet a joué un grand rôle. Je sais que le monde n’a pas commencé avec ce réseau, et qu’il y a toujours eu des luttes, mais Internet a permis de ne pas s’adresser seulement à une petite élite éduquée, mais directement à de larges couches de la population. Le monopole de la parole publique a explosé. Toutes sortes de choses qui ne pouvaient être dites par les moyens d’expression traditionnels, dominés par des groupes de presse, ont enfin pu circuler. Nous avons ainsi pu unir des fronts qui restaient séparer : les luttes de femmes, le combat des handicapés, les bagarres ouvrières, les revendications de santé publique…

Charlie : Je vois que tu ne cites pas l’écologie…

Oh que si ! Je suis très écologiste moi-même, et sur le long terme, je suis pour la décroissance. On ne peut pas continuer ainsi sur une planète aux ressources finies. Mais à court terme, je crois nécessaire de se battre pour ce qui nous unit tous. Comme le dit le philosophe Carlos Fernández Liria en résumant le programme de Podemos, « que se cumpla la ley ». Il faut faire respecter la loi. Pour tous les Espagnols, il y a la question clé de la fraude fiscale, dont on dit qu’elle pourrait atteindre 250 milliards d’euros par an. On attaque les garagistes et les plombiers, alors que 80 % vient des grandes fortunes espagnoles, contre lesquelles rien n’est fait.

Charlie : Il reste pour toi une différence entre la droite – le PP – et la gauche – le PSOE ?

Sur le plan des réformes de société, ce n’est pas la même chose. Mais pour ce qui concerne l’économie, c’est pareil. À titre personnel, je refuse toute alliance électorale. Aux élections générale de 2015, ou nous formons le gouvernement, sans eux, ou nous devons incarner une opposition sans état d’âme.

Pourquoi on ne peut pas s’entendre avec eux

La rupture ne saurait être plus totale. En ce qui me concerne, jamais je ne pourrais plus faire un pas dans la direction de ces gens-là. Eux, les socialistes. Je sais que bien des événements peuvent surgir, qui modifieront peut-être cette fière sentence. Peut-être. Ou pas. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que leur imaginaire de pacotille, leurs lamentables positions morales et politiques les placent dans un territoire mental où je n’ai jamais posé le moindre orteil.

Dans le papier de l’AFP que je vous mets ci-dessous, on voit donc Valls lancer un chantier Pierre et Vacances, sur le modèle, à très peu de choses près, des Center Parks. Oui, comme celui de Roybon, en Isère, dont le chantier est occupé par une poignée de zadistes que je salue évidemment. Dans ce texte, tout est perverti, à commencer par cet affichage « éco-touristique » que reprend sans rien y comprendre la journaliste. Nous en sommes bel et bien là : les mots ne veulent plus rien dire. Le Pen est écologiste. Valls est écologiste. Mélenchon, qui veut industrialiser la mer, est écologiste. Le parti communiste, qui a toujours soutenu le programme électro-nucléaire français, notamment via son emprise sur EDF, est écologiste. Les Verts, obsédés par le moindre poste, la moindre place, sont écologistes.

J’ai connu par le plus grand hasard le lieu où Fabius, alors Premier ministre, a imposé cette grande misère humaine appelée Disneyland. Ces plaines briardes étaient certes aux mains de l’agriculture industrielle, mais elles représentaient en tout cas une prodigieuse promesse d’avenir. Des milliers d’hectares d’une des terres les plus riches au monde ont été sacrifiés sur l’autel du néant. Je me souviens encore de Fabius, il y a trente ans, vanter le projet, parler des emplois, justifier les colossales aides publiques de l’époque, dont la création d’une station de RER dédiée. Voilà que cela continue, et que 60 millions d’euros d’argent public iront rejoindre les fouilles sans fond de Gérard Brémond, patron de Pierre et Vacances, 77 ans aux prunes. Ce pauvre garçon entend détruire jusqu’à la dernière minute de sa vie.

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Valls lance le grand chantier « éco-touristique » des Villages Nature

Villeneuve-le-Comte (France) (AFP) – 12.12.2014 17:59 – Par Audrey KAUFFMANN

Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des « Villages Nature »

voir le zoom : Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des Villages Nature

Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des « Villages Nature » (afp.com – Miguel Medina)

voir le zoom : Un appartement témoin des Villages Natures à Bailly-Romainvilliers, près de Disneyland Paris, le 11 décembre 2014

Un appartement témoin des Villages Natures à Bailly-Romainvilliers, près de Disneyland Paris, le 11 décembre 2014
(afp.com – Miguel Medina)

voir le zoom : Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des Villages Nature

Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des « Villages Nature » (afp.com – Miguel Medina)

Manuel Valls a posé jeudi la première pierre du chantier des « Villages Nature », apportant son soutien à ce gigantesque concept de destination « éco-touristique » qui doit ouvrir en juillet 2016 à côté de Disneyland Paris, au sud-est de la capitale française.

Le chantier, installé entre deux forêts domaniales de Seine-et-Marne, est censé créer un lieu de loisirs conçu en forme de « cité végétale » et centré sur la nature, avec hébergements en cottages et appartements, parc aquatique, lagon extérieur, jardins suspendus, immeubles à l’architecture végétale, ferme bio, forêt « sportive », commerces…

La première phase de ce programme commun des groupes Pierre et Vacances et Euro Disney, qui brandit la thématique du développement durable, concerne 175 hectares et un investissement d’environ 500 millions d’euros. Si la phase ultime se concrétise, d’ici une décennie, le site pourrait couvrir au final jusqu’à 500 hectares et représenter deux milliards d’euros d’investissements.

C’est le plus grand projet de « resort » touristique en Europe. Il cible d’ailleurs largement la clientèle européenne, et espère un demi-million de visiteurs dès sa première année d’exploitation.

Pour M. Valls, qui s’exprimait sur le chantier du site à Villeneuve-le-Comte en Seine-et-Marne, ce projet classé Opération d’intérêt national (OIN) est « un exemple de ce qui doit être fait pour concilier l’économie et l’écologie, le développement de nouvelles activités et la protection de la nature ».

Dominique Cocquet, directeur général de Villages Nature, explique qu’il s’agit là d' »écrire une nouvelle page en matière de tourisme, qui prenne en compte les grands défis environnementaux du XXIe ».

« On est dans la modernité. Ce n’est pas la campagne ou un bout de safari », dit-il.

Aux yeux du Premier ministre, « cette offre de loisirs plus en retrait, plus proche de la nature, correspond bien aux aspirations de notre époque ». M. Valls a salué le fait qu’il y ait eu un « premier grand débat national pour un projet touristique », estimant que, « de ce point de vue là, ce projet est également exemplaire ».

Dix ans de gestation, sept enquêtes publiques et « aucun recours » malgré certains bémols écologistes: les élus locaux et régionaux et les promoteurs présents jeudi se congratulaient.

Au moment où plusieurs autres grands projets en France sont contestés, parfois violemment — aéroport de Notre-Dame-des-Landes, barrage de Sivens, Center Parcs en Isère… — Manuel Valls en a profité pour dénoncer la « prise en otage » pratiquée selon lui par des opposants à certains de ces chantiers en France, qualifiés par Europe Ecologie-les Verts (EELV) de « grands projets inutiles ».

Pour développer le projet Villages Nature, environ 60 millions d’euros d’argent public doivent être injectés, dans la voirie et les infrastructures en priorité.

Un engagement conséquent, justifié selon les élus par l’argument économique de l’emploi et de « l’attractivité » de la destination, qui va attirer des devises.

La première phase de Villages Nature, à elle seule, doit permettre la création de 2.000 emplois dans le bâtiment et 1.600 emplois directs pour l’exploitation touristique, a souligné Gérard Brémond, le président de Pierre et Vacances/Center Parcs.

Pour Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile-de-France, « ce projet est un peu du trois en un: bon pour l’emploi, bon pour l’environnement et bon pour l’égalité des territoires », a-t-il dit.

Le député de Seine-et-Marne Christian Jacob a pour sa part interpellé le Premier ministre sur le fait que certains aménagements promis pour améliorer des infrastructures à proximité du site se font attendre.

Dans un premier temps, un millier de cottages seront implantés autour d’un « Aqualagon » qui devrait devenir l’un des parcs aquatiques couverts les plus grands d’Europe avec ses 11.500 m2.

A l’extérieur, un lagon extérieur de 3.500 m2 sera chauffé en certains endroits par géothermie à plus de 30 degrés. Un projet qui suscite certaines critiques. « Faire de la géothermie pour chauffer un lac, c’est stupide », juge le président des élus écologistes d’EELV d’Ile-de-France, Mounir Satouri.

La géothermie alimentera aussi le chauffage et l’eau des logements, « sans émission de CO2 », selon les promoteurs. Villages Nature sera « une destination absolument unique », a promis Tom Wolber, le patron d’Euro Disney.

© 2014 AFP