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Ce barrage qui arrose les amis

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 24 septembre 2014

À dix kilomètres de Gaillac (Tarn), l’infernal barrage de Sivens entend claquer 9 millions d’euros d’argent public en faveur de 22 irrigants. Les opposants, qui défendent au passage la vie des papillons, des grenouilles et des genettes, se ramassent plein de coups dans la gueule.

Charlie arrive après la bataille, et quelle bataille ! On résume pour ceux qui ne seraient pas au courant : une vallée doit disparaître sous les eaux d’un barrage appelé tantôt Sivens, tantôt Testet, deux lieux-dits. Où ? À Lisle-sur-Tarn (Tarn), à dix kilomètres de Gaillac et trente d’Albi. Ce vieux projet pourave date des années 60, à l’époque où le maïs intensif faisait la loi, toute la loi. Il a certes subi quantité de modifications, mais le fond reste le même : il s’agit de dorloter une poignée de paysans intensifs du coin en leur offrant une eau d’irrigation, payée sur fonds publics.

Après des années d’atermoiements, tout s’est emballé. Le projet, enfin dévoilé, est encore pire que tout ce qui avait été imaginé. Il s’agit de stocker 1,5 million de mètres cubes derrière un mur de 13 mètres de hauteur et de plus de 300 mètres de longueur. Les 45 hectares noieraient au passage l’une des plus belles zones humides de la région, et flingueraient les 94 espèces protégées vivant sur place. Soit des papillons et autres insectes aussi beaux que l’Azuré du serpolet, la cordulie à corps fin – une libellule -, le Grand Capricorne. Et la grenouille de Graaf. Et le campagnol amphibie. Et la lamproie de Planer, qu’on rapproche des poissons.

On s’en fout ? Exact, tout le monde s’en tape, sauf les opposants au délire. D’innombrables pleurnicheries officielles ont lieu chaque année en souvenir des zones humides défuntes. En France, plus de la moitié de ces terres si riches sur le plan biologique – marais, fagnes, tourbières, prairies mouillées – ont été drainées en cinquante ans. Le ministère de l’Écologie s’est fait une spécialité de colloques où l’on compte une à une les surfaces mortes. En résumé express, du béton, beaucoup de béton au profit d’un maïs assoiffé, subventionné, bourré de pesticides, au détriment des genettes, des martins pêcheurs et des milans noirs.

Combien ça coûte ? Un bras, un bras de près de neuf millions d’euros au total, qui ne profiterait qu’à 22 irrigants. Ce qui fait cher du pedzouille, et d’autant plus que le fric claqué sera à 100 % public : conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne – 10 % chacun -, Agence de l’eau Adour Garonne – 50 % – et l’Europe enfin, à hauteur de 30 %. Ne pas se fier aux apparences : même s’il ne paie que 10 %, le grand Manitou de l’opération est le conseil général du Tarn.

Le Tarn, comme l’Ariège de Bel, comme les Bouches-du-Rhône de Guérini, comme le Nord-Pas-de-Calais de Dalongeville, est un fief socialo. Depuis 1945, la SFIO puis le PS règnent sans partage, mais sont tombés sur un os avec cette invraisemblable histoire de barrage, qui pourrait bien – rire préenregistré – être la goutte d’eau de trop. L’inamovible président du Conseil général, Thierry Carcenac, au pouvoir depuis 1991, comme un président azerbaïdjanais, s’entête d’une façon étonnante. Ce mystère doit bien avoir une explication.

En attendant, sur place, c’est baston et grèves de la faim. Un formidable collectif fédère les énergies, qui sont nombreuses (http://www.collectif-testet.org). À l’heure où vous lirez ces lignes, il est probable que le défrichement, préalable aux travaux du barrage eux-mêmes, sera terminé, sous haute protection policière. Les heurts violents, les jets de cocktails Molotov, les coups de matraque, les barricades n’ont pas cessé depuis des semaines. Comme à Notre-Dame-des-Landes, où un autre socialo déjà oublié – Ayrault – fantasme encore de construire un aéroport.

Qu’est-ce qu’on peut dire depuis Paris ? Qu’il ne faut pas lâcher, bien sûr. Qu’il faut tenir autant qu’il sera possible. Charlie, avec ses moyens dérisoires, soutient et soutiendra les énervés et enragés de Sivens, et toutes les plantes et animaux menacés de mort. Une mention pour notre excellent Premier ministre, Manuel Valls. Ignorant tout du dossier, qu’il découvrait, il a finalement osé (1) il y a quelques jours ces mots d’anthologie : « Mobiliser la ressource en eau est un élément décisif pour l’installation des jeunes agriculteurs, c’est pour cela que nous avons tenu bon à Sivens ». On te croit, grand socialiste.

(1) http://www.reporterre.net/spip.php?article6274

Ces si braves gens d’Alerte Environnement

Donc, ainsi que je vous en rebats les oreilles et les yeux, je viens de publier Un empoisonnement universel (comment les produits chimiques ont envahi la planète), aux éditions Les liens qui libèrent (LLL). Le livre n’est qu’une vaste mise en accusation de l’industrie chimique, qu’aucune autorité n’est plus en mesure de seulement contrôler. Ivre d’elle-même, tourneboulée par sa toute-puissance, elle « invente » entre 20 000 et 30 000 substances nouvelles chaque jour. Chaque.

Mon livre est tout de même embêtant, car il est sérieux, documenté, et j’ose l’écrire, à peu près indiscutable. D’où la stratégie suivie vaillamment par l’industrie chimique, qui n’est pas née de la dernière pluie. C’est celle de l’étouffement. Ne rien dire, ne surtout rien dire qui pourrait amener de nouveaux lecteurs vers mon travail. Je me suis laissé dire – mais je dois reconnaître qu’une source unique n’est pas suffisante – que le silence était coordonné, organisé, conscient. Et j’ajouterai : lucide. Car en effet, dans cette histoire, il n’y a que des coups à prendre. Dans diverses virées médiatiques, ces derniers jours, j’ai dit ce que je pense sérieusement : pourquoi pas un débat entre le prix Nobel de chimie Jean-Marie Lehn, et moi ? J’en serais ravi, et l’on verrait bien ce qu’il y a à voir et à comprendre. M.Lehn, quand vous voulez.

Autre dimension, anecdotique à la vérité, mais plaisante. Un groupe d’amis fervents de l’industrie chimique – ceux d’Alerte Environnement – est épinglé dans mon livre, sous la forme simple d’un encadré, car ces amis-là ne méritent pas davantage. Ils disposent d’un site internet qui serait – conditionnel de rigueur – fréquenté : http://alerte-environnement.fr/. Qui sont-ils ? Vous lirez plus bas – cadeau – les quelques pages que je leur consacre dans mon livre, ainsi que le chapitre que René Monzat leur a accordé dans son livre Enquêtes sur la droite extrême. Je crois que vous en conviendrez, cela vaut la peine de savoir. Très présents dans nombre de structures, ils conduisent des personnes aussi estimables que Stéphane Lhomme, de l’Observatoire du nucléaire, à dialoguer sans cesse, via des listes de discussions sur le net, avec un Emmanuel Grenier, lui assurant ainsi, à terme, une légitimité à laquelle il n’a évidemment aucun droit.

Pour l’heure, ces excellentes personnes larouchistes se taisent, en accord avec leurs soutiens les plus chers de l’industrie chimique. On verra demain. On verra s’ils parlent de mon livre ou pas. Dans les deux cas, ce sera instructif. D’ordinaire, ils dégainent plus vite que leur ombre. Un dernier mot : j’ai toujours besoin de vous. Le bouche-à-oreille peut changer le destin d’un livre. Si vous me faites l’honneur d’en parler autour de vous, il y a toutes chances pour qu’un succès se transforme en triomphe. À l’avance, merci, et souvenez-vous qu’un mot peut faire basculer un être.

En attendant, l’encadré sur Alerte Environnement paru dans mon livre, suivi du chapitre que consacre Monzat aux larouchistes en 1992. À vous lire, chers amis.

DANS MON LIVRE :

Ces étranges amis de Jacques Cheminade

Il peut sembler exagéré d’aborder ce dossier, mais le petit groupe des larouchistes français joue un rôle important, bien que discret, dans la défense et illustration de l’industrie chimique mondiale. On ne parle d’eux qu’à vois basse, on craint leurs réactions, on suppute leurs moyens, qui semblent grands en effet. Mais qui sont-ils ?

L’industrie peut compter en France sur un singulier lobby, sorte de glu qui porte plusieurs noms, ce n’est pas simple à décrire. Le labyrinthe est volontaire, et disons qu’il faut bien tenir en main un fil d’Ariane. On commencera par deux sites internet, très lus, y compris par des naïfs, qui paraissent n’y voir que du feu. Par ordre d’apparition, Alerte Environnement et Agriculture et Environnement.

Le jeudi 5 avril 2007, un billet prévient de la naissance d’un « tout nouveau blog, Alerte Environnement ». Nous sommes sur le site « La Recherche du bonheur », tenu par Emmanuel Grenier, l’un des personnages principaux de cette sulfureuse histoire. Grenier feint l’heureuse surprise, notant : « Tenu par une journaliste indépendante, Gwen Le Gac, ce blog expose avec un certain courage et beaucoup de pertinence les mensonges écolos du moment ». La fable précise que la « journaliste indépendante » se serait entourée d’agriculteurs de terrain. On trouve sur ce site des attaques ad hominem innombrables, qui n’ont qu’un seul but : disqualifier et au moins rendre suspects les écologistes combatifs, les scientifiques critiques, en particulier ceux qui s’attaquent aux intérêts de l’industrie chimique.

Les Larouchistes d’Alerte Environnement
Cicolella serait ainsi un grand « manipulateur ». Jean-Paul Jaud, auteur d’un documentaire choc sur les pesticides – « Nos enfants nous accuseront » – serait un « fanatique », et son film de « propagande ». François Veillerette a droit à des dizaines d’articles aux limites du délire, mettant en cause son intégrité, son intelligence, ses « mensonges ». Nadine Lauverjat n’est pas épargnée, de même que Marie-Monique Robin, Gilles-Éric Séralini, Corinne Lepage, Christian Vélot, Philippe Desbrosses, Dominique Belpomme, tant d’autres, dont l’auteur de ce livre. Les « enquêtes », souvent longues et remplies de détails, peuvent faire penser à un travail policier, aussi imprécis et trompeur que le sont de nombreuses fiches conservées dans les ordinateurs du ministère de l’Intérieur.

Impossible de savoir qui travaille à coup sûr pour Alerte Environnement, mais il s’agit d’un réseau. Sur le deuxième site, Agriculture et Environnement,
le leitmotiv est voisin : défense véhémente, militante, outrée des pesticides, des OGM, du « progrès technologique », attaques en piqué contre tout ce qui critique la chimie industrielle. Dans ce contexte, et comme sur Alerte Environnement, le DDT, interdit en France depuis 1972, est l’objet d’une réhabilitation constante.

Pour comprendre, il faut remonter à une structure apparue au début des années 70. L’essayiste René Monzat y a consacré un chapitre dans un livre publié en 1992 (Enquêtes sur la droite extrême, le Monde éditions). En voici le début : « Le Parti ouvrier européen, POE, est apparu, entre 1974 et 1975, simultanément dans une dizaine de pays européens, éditant en autant de langues des journaux techniquement soignés, maquettés de façon identique. La ligne ? Extrême-gauche : “Nous ferons ce que Karl Marx, Rosa Luxembourg et Lénine auraient fait aujourd’hui”. Les militants du POE distribuent leurs tracts durant les manifestations syndicales, du part communiste et de l’extrême-gauche ». On notera que ce POE-là évoque les bienfaits de la fusion thermonucléaire, nullement incompatible, il est vrai, avec le soutien aux vieux staliniens.

Olof Palme était-il un « archidémon » ?
Brutalement et sans explication, le POE évolue vers la droite. Une droite folklorique, qui prend position, à nouveau, pour la fusion thermonucléaire et la « guerre des étoiles », programme d’armement spatial défendu par le président américain nouvellement élu – à la fin 1980 -, Ronald Reagan. Le délire n’est pas loin. Aldo Moro, le chef politique italien tué par les Brigades rouges, est un agent de Rockefeller, Kissinger prépare un coup d’État communiste, le Premier ministre suédois Olof Palme – qui finira assassiné – est « un archidémon », Michel Foucault, la direction du quotidien Libération, André Gorz sont des agents de la CIA.

Monzat, s’appuyant sur des sources solides – il n’a d’ailleurs pas été poursuivi -, pense que les zigzags ont un sens. Le POE serait proche des services de renseignements militaires américains, en guerre permanente contre la CIA, organisme civil. Tout viendrait d’une personnalité hors-normes, bien connue aux Etats-Unis, Lyndon LaRouche. En France, les larouchistes, sont réunis de longue date autour de Jacques Cheminade – qui se présentera aux élections présidentielles de 1995 et 2012 -, et forment une nébuleuse qui ne cesse d’effacer ses traces. Dans les années 80 et 90, les larouchistes français ont dirigé à Paris l’Institut Schiller et les éditions Alcuin, publiant des livres très anti-écologistes, dont l’un sur la couche d’ozone (Ozone, un trou pour rien, 1992).
La revue Fusion attire davantage le regard, car elle sera publiée pendant près d’un quart de siècle, entre 1982 et 2006. On ne s’étonnera pas de son obsession pour la fusion thermonucléaire, l’un des rares points fixes de cette histoire mouvante. Ouvrons le premier numéro disponible, soit le 47. Le rédacteur-en-chef n’est autre qu’Emmanuel Grenier, celui qui prétendait découvrir en 2007 l’existence du blog « Alerte Environnement ». Pendant 24 années, cette revue sera portée à bout de bras par quatre personnes : Jacques Cheminade, Emmanuel Grenier, Gil Rivière-Weckstein ; et aux Etats-Unis Lyndon LaRouche, leur maître.

Les étonnantes amitiés de la revue Fusion
De quoi parle Fusion ? De l’intérêt des phosphates, des bienfaits des nitrates, de l’inexistence d’un réchauffement climatique provoqué par les activités humaines. Mais c’est dans le nucléaire que Fusion s’est le mieux illustré. Dans un éditorial du numéro 67 (septembre octobre 1997), Grenier écrit : « Le nucléaire n’est donc pas un “mal nécessaire”, comme le pensent la majorité des Français qui y sont favorables. C’est un “bien indispensable”, qui marque une étape de l’histoire de l’humanité ».  Dans le numéro 65, on trouve une tribune « libre » d’un certain André Maïsseu, ingénieur à la Cogema (Compagnie générale des matières atomiques) – ancien nom d’Areva -, fondateur du « syndicat » Wonuc, ou  Conseil Mondial des Travailleurs du Nucléaire.
Dans le numéro 72 (1998), l’ancien responsable du CEA Jacques Pradel, ancien président de la Société Française de Radioprotection, évoque la radioactivité naturelle, bien plus élevée dans les profondeurs de la terre que dans les quelques centrales en surface. Dans ce même numéro, deux ingénieurs de premier plan de Framatome – fondu dans Areva – envisagent la fabrication d’un nouveau réacteur, qui pourrait incinérer le plutonium militaire russe. Dans le numéro 74  (1999), le chef du département « Fusion contrôlée » au CEA, Jérôme Pamela, fait le point sur le projet stratégique Iter. Du pain bénit pour les larouchistes, qui tiennent l’opération pour un chef-d’œuvre.

La fine fleur de la nucléocratie française n’aura cessé d’intervenir dans un journal créé par Jacques Cheminade, sans qu’aucune explication ait jamais été demandée. On notera les mots d’Emmanuel Grenier au moment de l’arrêt de sa revue : « S’il serait exagéré de dire que « Lauvergeon m’a tuer », pour reprendre une inscription célèbre, il est certain que les bonnes relations que Fusion entretenait avec Framatome ont immédiatement cessé lorsque Mme Lauvergeon a pris en main AREVA, réunissant en ses mains tous les pouvoirs en matière de communication ». Rappelons qu’Anne Lauvergeon, ancienne « sherpa » de François Mitterrand, a été nommée à la tête d’Areva en 1999.

Emmanuel Grenier est sur tous les fronts
Que sont-ils devenus ? Bien que dissimulant leur passé, les larouchistes sont toujours en activité. Emmanuel Grenier est de tous les forums sur internet, où il ferraille par exemple avec le créateur de l’Observatoire du nucléaire Stéphane Lhomme, ce qui lui donne, année après année, une légitimité accrue. Il se présente de la sorte : « Je suis journaliste scientifique, spécialisé en santé, environnement et énergie. De formation initiale ingénieur électronicien j’ai passé dix ans dans une ONG internationale l’Institut Schiller [la place-forte larouchiste précitée NDA] où je suis devenu journaliste. J’ai été ensuite pendant dix ans le rédacteur en chef de la revue scientifique Fusion. (…) En 2003, j’ai animé le débat organisé par l’Académie de médecine dans le cadre du grand débat national sur l’énergie ».

Un débat, organisé par l’Académie de médecine ? Cela n’a rien d’anecdotique, car Grenier a réussi d’autres beaux coups de même espèce, sans jamais évoquer Cheminade ou LaRouche. Il a été ainsi l’une des chevilles ouvrières de l’« Institut de l’Environnement », créé en 1999 pour réhabiliter les nitrates. À l’initiative d’amis de la nature comme le Pôle européen de plasturgie ou des fleurons de l’agro-industrie bretonne, comme Doux, Gourvennec ou Bernard Salaison. Cet « Institut » a même organisé au Sénat un colloque – les 13 et 14 novembre 2000 – placé sous le parrainage du ministère de l’Éducation. On trouve dans les Actes la signature de sénateurs, du cancérologue Maurice Tubiana et du cardiologue Christian Cabrol, de quelques scientifiques actifs dans le lourd dossier de l’amiante. Tous sont de grands contempteurs de l’écologie. Parmi les contributeurs, Emmanuel Grenier, qui signe une intervention mêlant dans un vaste fouillis l’interdiction du DDT, le plomb, la couche d’ozone, l’arrêt de Superphénix.

Emmanuel Grenier n’a rien d’un proscrit : il est depuis des années le trésorier d’une association ayant pignon sur rue, l’Association des journalistes de l’Environnement (AJE). Et il est surtout, cela n’étonnera pas, un pilier du site « Alerte Environnement », tout comme son vieil ami Gil Rivière-Weckstein dirige le site jumeau Agriculture et Environnement.

À l’abri des associations de journalistes
Ainsi que Grenier, Rivière-Weckstein omet de parler de son appartenance larouchiste. On peut comprendre. Sur le site d’ « Agriculture et Environnement », la vie de Rivière-Weckstein est vaporeuse à souhait, passant du Danemark à la France et d’articles sans objet à des recherches imprécises. Sa grande réussite est de faire croire qu’il est l’auteur sérieux de deux livres, l’un en défense des pesticides tueurs d’abeilles et le second contre l’agriculture bio. Il n’est en tout cas plus un marginal et son implication dans l’Association française des journalistes agricoles (AFJA) le rend même fréquentable.

Certains ne s’en laissent pas conter aussi facilement. Pour le biologiste Jacques Testart, Rivière-Weckstein est « un lobbyiste authentique rémunéré par l’industrie pour contre-attaquer systématiquement toute critique de l’agriculture productiviste ». De son côté, la sénatrice Marie Blandin, qui en vu d’autres, écrit : « Sur tous les thèmes, [Agriculture et Environnement] attaque violemment ceux qui mettent en doute l’agriculture intensive et évoquent le réchauffement climatique. On y trouve des calomnies, des diffamations sur le professeur Belpomme, Greenpeace, Nicolas Hulot, le WWF ou l’association Kokopelli. Souvent des attaques sordides ».
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Le chapitre du livre de Monzat, qui date de 1992 :

Je reviens une seconde à mon livre

Pour les sourds et malentendants – graves -, pour les aveugles et malvoyants – nombreux -, je rappelle que je sors ces jours-ci un livre sur la contamination chimique généralisée, Un empoisonnement universel (comment les produits chimiques ont envahi la planète), aux éditions Les liens qui libèrent (LLL). J’y reviens pour commenter une émission de France Inter à laquelle j’ai participé tout à l’heure (ici). Je précise que je ne me suis pas réécouté : je n’ai pas le temps, et en outre, je déteste m’écouter. J’espère que mon cas n’est pas désespéré.

Mon commentaire : misère ! Miserere mei, Deus ! Aie pitié de moi, mon Dieu ! Grâce à la bienveillance de Mathieu Vidard et de Lucie Sarfaty, j’ai pu correctement présenter mon livre dans La tête au carré, et qu’ils en soient remerciés. Quant au reste, je trouve simplement fou que le député Gérard Bapt ait fait les réponses qu’il a faites. Je précise pour ceux qui l’ignorent que Bapt, ancien médecin,  est en pointe sur les questions de santé publique en relation avec l’environnement. Il a aidé à rendre publique la triste affaire dite du Médiator (ici) et on aurait pu espérer de cet homme respectable ou qu’il conteste mon livre, ou qu’il trace des perspectives pour sortir du drame dans lequel nous sommes plongés.

Mais ni l’un ni l’autre. Il a fait l’éloge de mon travail, et il n’a pas énoncé le moindre début d’idée sur la manière d’avancer ensemble. Il n’en sait rien. Et d’ailleurs, disons-le sans détour, il ne sait à peu près rien du sujet évoqué. À plusieurs de mes questions précises, il s’est contenté de se réfugier dans ces détestables généralités de la novlangue politique, sans se rendre compte du mal qu’il fait au passage à sa fonction. Le pire : j’ai évoqué le vote de l’Assemblée nationale le 3 mai 2011, qui interdisait à la stupéfaction générale phtalates, parabènes et alkylphénols. Une telle décision, dérisoire au regard des enjeux, était pourtant spectaculaire dans le monde réel. La France aurait été la seule à prendre des mesures contre ces grands poisons.

Sauf que rien. Voté en première lecture par une Assemblée de droite – Sarkozy règne -, la loi est oubliée dans un placard et n’arrivera jamais au Sénat. J’ai déploré ce coup de force lobbyiste auprès de Bapt, mais surtout, je lui ai dit : « Mais vous, qu’avez-vous donc fait de ce projet quand votre famille politique l’a emporté à la suite de l’élection de Hollande à l’élection présidentielle ? » Bapt a évidemment botté en touche, car la terrible morale de l’histoire, ainsi que je le détaille dans mon livre, est que personne ne fait rien. Pour de multiples raisons qui aboutissent à l’inertie et à la tétanie. Étonnez-vous après cela du discrédit total des classes politiques !

Ce matin, interrogé sur l’antenne de Radio France Internationale pour une émission à venir, j’ai dû répondre à la question d’une excellente journaliste polonaise, Anna Rzeczycka-Piekarec. Comme elle me demandait : « Avez-vous le sentiment d’avoir écrit un livre important », je lui ai aussitôt dit oui. La forme peut être jugée mauvaise, cela va de soi. Mais sur le fond, sans aucun doute possible, c’est important. Très. michael kors pochette michael kors pochette

Marina Silva entre les mains d’un criminel

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 17 septembre 2014

Ancienne syndicaliste et ministre, écologiste de choc, la Brésilienne Marina Silva peut gagner la présidentielle d’octobre. Seul menu problème : elle copine de très près avec le criminel Schmidheiny, roi de l’amiante condamné à 18 ans de prison.

Cette histoire a un côté pile et un côté face. Et elle contient une authentique révélation. Mais commençons par la lumière. Le Brésil, puissance ô combien montante, élit en octobre son président de la République, qui sera une présidente. Soit Dilma Roussef, héritière très contestée du vieux chef Lula. Soit peut-être Marina Silva, qui représente le parti socialiste du Brésil depuis la mort accidentelle du candidat prévu, Eduardo Campos.

Marina Silva est un cas stupéfiant. Née dans une famille de gueux – des seringueiros surexploités dans les plantations d’hévéas -, elle n’a été alphabétisée qu’à l’âge de 16 ans, avant de devenir une syndicaliste de choc. Défendant avec ferveur la grande forêt amazonienne et ses habitants, elle a milité pendant des années avec Chico Mendes, écologiste assassiné par des tueurs au service des fazendeiros, les gros propriétaires terriens. Adhérant ensuite au Parti des travailleurs (PT), elle a été ministre de l’Environnement de Lula,  jusqu’à sa démission en 2008.

Elle reprochait alors au pouvoir de favoriser les intérêts des l’agro-industrie, notamment autour de trois questions essentielles : les OGM, les biocarburants et les barrages hydro-électriques géants, qui chassent de leurs terres des milliers d’Indiens d’Amazonie.
Depuis, elle n’a cessé de marquer des points, obtenant à la surprise générale près de 20 % des voix à la présidentielle de 2010. Tous les sondages la donnent pour le moment gagnante en cas de duel au deuxième tour avec Dilma Roussef, contestée de tous côtés. Une victoire de Silva aurait à l’évidence un impact colossal dans toute l’Amérique latine.

Mais le côté face fait flipper. Car dans l’ombre de Marina Silva se profilent de très étranges pousses. On va essayer de résumer, ce qui n’a rien de facile. Un, le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny a fait sa grande fortune grâce au groupe Éternit, propriété de sa famille. Éternit, c’est l’amiante, et la mort. En 2013, après un procès historique de plusieurs années, Schmidheiny a été définitivement condamné à 18 ans de prison par le tribunal de Turin. Le cher ange a été jugé coupable de la mort de 3000 prolos italiens exposés à l’amiante dans les usines de grand-papa, papa et fiston.

N’importe qui serait en taule, mais Schmidheiny n’est pas même recherché. Il a refait sa vie en Amérique latine, où il a créé Avina (http://www.avina.net) une fondation « philanthropique » qui « aide » les mouvements sociaux et écologistes dans tout le sous-continent. Ce Janus (au moins) biface a parallèlement créé le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), dont il est aujourd’hui le président honoraire. Or ce WBCSD regroupe les pires transnationales de la planète, dont Monsanto, Bayer, BASF, DuPont, BP, Shell, etc. À quoi sert ce bastringue ? À blanchir, en l’occurrence à verdir – on appelle ça du greenwashing – l’image des grands pollueurs à coup de propagande publicitaire. L’affaire se complique encore, car Schmidheiny a joué un rôle central, auprès de l’ONU, dans l’organisation des fameux sommets de la Terre, dont celui de Rio en 1992. Impossible ? Certain.

Quel rapport avec Marina Silva ? L’ancienne syndicaliste, ainsi que peut le révéler Charlie, est en cheville avec Avina, la fondation de Schmidheiny. Elle a ainsi participé à plusieurs réunions très importantes d’Avina, comme à Durban (Afrique du Sud), le 14 décembre 2011 et en juin 2012. Plus compromettant encore, Marina Silva était la vedette d’une conférence d’Avina à Santiago (Chili) le 14 mai 2014, il y a donc quatre mois, organisée dans le cadre d’une série de rencontres qui ont eu lieu dans toute la région, de Lima à Quito, passant par Bogotá, La Paz, Buenos Aires et Montevideo.

Ce n’est pas fâcheux, c’est désastreux. À ce stade, deux hypothèses. Ou Silva ne sait rien de Schmidheiny, ce qui serait comme un aveu d’ignorance crasse, très inquiétant. Ou elle sait, et croit pouvoir le manœuvrer, ce qui serait d’une naïveté confondante. On n’ose imaginer qu’elle a changé de camp. Schmidheiny, en tout cas, non. C’est un salaud.

Dessine-moi une planète et demie

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 27 août 2014, sous un autre titre.

Faut que ça saigne. Depuis le 19 août, « Jour du dépassement », nous tapons jusque fin décembre dans le stock en perdition des ressources naturelles. Pour vivre comme les Américains, l’humanité aurait besoin de cinq planètes. Ça va être coton.

Rions, c’est encore le mois d’août. Nos excellentes gazettes titrent –dans les coins – sur une nouvelle qui intrigue tout de même un peu : « la planète », comme ces gens écrivent, aurait tout bouffé, cette goinfresse, en seulement huit mois d’activités humaines. On appelle cela, en français approximatif, le « Jour du dépassement ». L’ONG Global Footprint Network, publie chaque année un document sur l’état des ressources disponibles. Les écosystèmes – disons les grands éléments vivants, comme les sols agricoles, les fleuves et rivières, les arbres et forêts, les océans sont capables de produire chaque année qui passe une certaine montagne de biens naturels. Justement ceux qui nous permettent de manger, de nous vêtir, d’habiter, de nous soigner, etc. Sans eux, rien, ballepeau.

Mais dans le même temps, les humains boulottent de plus en plus et détruisent à qui mieux, jusqu’à ce fameux « dépassement », qui tombe cette année le 19 août. Au-delà, ils attaquent le dur, c’est-à-dire la structure, les stocks en apparence infinis de champs, de prairies, de pêcheries. Essayant de se rendre intelligibles, les commentateurs parlent de « vie à crédit ».

Pour filer cette si lamentable métaphore, peut-on taper sans fin dans un capital qui diminue chaque saison un peu plus ? Peut-on se vautrer dans une dette écologique comme on le ferait au bistrot du coin ? Sur le papier, l’affaire ne dépasse pas un problème de cours élémentaire deuxième année. La quasi-totalité des responsables de tout bord, y compris nombre d’écologistes officiels, s’en cognent d’autant plus qu’à leurs yeux flapis, cela ne signifie rien. Mais ainsi qu’on se doute, ils ont tort.

En 1992, sur fond de sommet de la Terre de Rio – le premier -, paraît un article pionnier signé par le professeur américain William Ree (1). Commence une série d’études sur l’empreinte écologique des individus, des pays, puis de l’humanité entière. Souvent critiquée, « l’empreinte écologique » a l’immense mérite de rappeler quelques évidences. La première de toutes est qu’il existe des limites physiques infranchissables, quelle que soit la politique suivie. Et c’est d’autant plus chiant que c’est vrai. Très grossièrement, on calcule cet indice en estimant la surface biologiquement productive dont un individu ou un groupe ont besoin. Laquelle inclut des sols fertiles, des bois, de l’eau, sous la forme théorique d’un hectare global (hag).

Global Footprint Network est parvenu à affiner ces calculs et à proposer des résultats précis, censés « informer » les aveugles qui nous gouvernent, comme cet Atlas mondial, pays par pays. Le « Jour du dépassement » – Earth Overshoot Day – n’est jamais qu’une continuation logique, mais qui fout le trouillomètre à zéro, car chaque année, il intervient un peu plus tôt. En 1986 – première année de calcul -, le dépassement avait eu lieu le 31 décembre. Et le 20 novembre en 1995. Et le 20 octobre en 2005. Et le 23 septembre en 2008. Et le 22 août en 2012.

Si l’on se saisit d’une loupe, la leçon devient limpide. La Chine a d’autant moins d’avenir qu’elle consomme 2,2 fois ce que son territoire peut lui offrir en une année. Les Émirats arabes unis 12,3 fois. La France, 1,6. La croissance, c’est donc du vol, comme la propriété. Ceux qui ont les moyens d’extorquer arrachent aux autres de quoi maintenir un niveau de gaspillage « acceptable », sur fond de téléphones portables et d’écrans plasma. En espérant contre l’évidence que cela pourra durer.

Rappelons aux ramollos du bulbe qu’il faudrait cinq planètes pour que les 7 milliards de Terriens s’empiffrent comme les Amerloques. Et encore trois pour faire comme chez nous. Selon Global Footprint Network, « en 1961, l’humanité utilisait juste trois quarts de la capacité de la Terre à produire de la nourriture, des fibres, du bois » et même à absorber les gaz à effet de serre. Actuellement, au-delà d’inégalités de plus en plus foldingues, elle épuise une planète et demie pour la satisfaction de ses besoins.

Nous allons donc gaiement vers le krach écologique à côté duquel la crise de 1929 paraîtra un friselis de roses. Encore un peu de croissance, les tarés ?

(1) http://eau.sagepub.com/content/4/2/121.short?rss=1&ssource=mfc