Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Mais qui nous sauvera de ceux qui nous perdent ?

Je lis comme vous les informations du monde. Elles sont mauvaises. Le Nordeste brésilien s’enfonce dans une série d’affreuses sécheresses, qui transforme massivement la pauvreté en misère (ici). En Californie, on est en passe de battre un épouvantable record, vieux de cinq siècles (ici) : l’eau semble avoir disparu de l’un des greniers agricoles des États-Unis. En Australie, la température a localement dépassé 50 degrés et s’est maintenue au-dessus de 45 degrés dans des régions entières, pendant des semaines (ici). Des millions d’animaux, domestiques et sauvages, sont simplement morts de soif. On peut sans exagération parler d’Apocalypse.

Dans le même temps, inondations bibliques en Grande-Bretagne, tempêtes sans fin en Bretagne, chutes de neige dantesques au Japon, etc, etc. Bien qu’aucune preuve directe ne puisse – évidemment ! – être apportée, tout indique que le dérèglement climatique commence à faire sentir ses effets. Ce sera probablement pire demain, mais c’est déjà impressionnant. De manière cohérente, cohérente par rapport aux prévisions concernant le désastre, les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient. Ce qui menace à l’horizon, et je suis désolé de devoir l’écrire, c’est la dislocation. La dislocation de toutes les digues sociales, morales, politiques.

Que dire dans ce cadre de nos élites politiques ? Pour une fois, je ne tenterai pas de nous accabler, nous gli uomini qualunqui, nous les hommes ordinaires. J’ai assez dit, et je maintiens, par Dieu !, que nous avons une immense responsabilité dans le lamentable état des lieux. Qui d’autre que nous s’est rué sur la télé à écran plat, la bagnole électronique, l’ordinateur, le téléphone portable ? Mais aujourd’hui, je n’entends parler que de nos dirigeants.

Pour dire les choses simplement, leur médiocrité fait peur. Celle d’Hollande est évidente, celle de Sarkozy également. Pas plus, également. Dignes héritiers tous deux de cet individualisme fou, qui confond toujours plus, depuis deux siècles, droits de l’Homme et fun personnel. Ils veulent, comme les sots accomplis qu’ils sont, le beurre et l’argent du beurre. Le pouvoir, les femmes, la reconnaissance, l’amour même. Crétins ! On serait en droit d’attendre d’eux transcendance, sacrifice, exaltation des qualités les meilleures, et l’on ne rencontre que banalité, train-train et pour tout dire imbécillité. Comment qualifier, dites-moi, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou les bouffées délirantes répétées sur les gaz de schiste ?

Peu de personnalités atteignent aux dimensions de l’Histoire des humains. Encore moins sans doute seraient à l’échelle plus bouleversante de la crise en cours, qui touche la vie elle-même. Et le tout laisse peu d’espoir d’en voir surgir. Pourtant, il en suffit d’un. Voyez plutôt De Gaulle, officier supérieur de 50 ans en 1940, ayant baigné toute sa vie dans des milieux de droite souvent monarchistes et antisémites. Quand il se lève de toute sa hauteur à Londres, en juin de cette année de débâcle, il est seul. Non, il n’est pas seul : il est entouré de militants fascistes (ici). Il va pourtant sauver la République, avec des militants de gauche.

Est-ce à dire que j’attends De Gaulle ? Non pas, mais un sursaut, certainement. Je ne saurais en décrire les contours, je ne saurais dire qui sera la poule – nous ? lui ? elle ? – et que seront les œufs. Mais nous avons d’évidence besoin d’une rupture. D’une cassure du temps politique si morne dans lequel nous sommes si mal. Ma certitude, tant de fois répétée : il n’y a rien à attendre d’eux, qui nous gouvernent. Il faut chercher ailleurs, et vite.

Et pourquoi pas 250 ours (dans les Pyrénées) ?

Il est des lectures heureuses. Seulement, il ne faut pas les louper. Or j’ai failli passer à côté du rapport (ici) nommé « Expertise collective scientifique “l’Ours brun dans les Pyrénées” du Muséum National d’Histoire Naturelle ». Je dois reconnaître que le titre n’est pas engageant, mais si l’on se plonge dedans, cela devient passionnant. Si. Avant de commencer, deux mots sur l’Ours. Cet animal grandiose a été le vrai roi du territoire qu’on appelle la France pendant des centaines de milliers d’années. Et même quand les hommes ont commencé à défricher et à piéger, il demeurait une sorte de dieu sylvestre auquel les peuples présents ici rendaient d’innombrables cultes. Je renvoie à l’admirable livre de Michel Pastoureau, L’Ours, histoire d’un roi déchu (Le Seuil, 2007).

Le monde de la vitesse et de la machine pouvait-il cohabiter avec la Bête ? En tout cas, il ne l’a pas fait. Le XXe siècle a marqué la fin du monde de l’Ours. Le dernier des Alpes a été aperçu en 1937, alors qu’il en restait une grosse centaine dans nos vastes Pyrénées. Et puis probablement 70 en 1954, et puis trente, et puis quelques-uns, et puis un seul, cantonné dans l’Ouest béarnais, entre vallées d’Aspe et d’Ossau. Il ne reste donc qu’un mâle héritier de cette prodigieuse histoire, que les hommes appellent Cannelito, né en 2004. Il poursuit sa vie au Béarn, sans pour le moment rencontrer âme sœur. Côté Béarn, c’est râpé, car en tout état de cause, il n’y aura plus jamais d’ours né d’un père et d’une mère pyrénéens. Précisons que Cannelito lui-même a pour père un ours « slovène ».

Slovène ? Oui, car parallèlement, et pardonnez si je survole, l’État a accepté sous la pression de quelques braves, parmi lesquels je souhaite citer Roland Guichard et Jean-François Breittmayer – il y en a d’autres, évidemment ! -,  une timide réintroduction. À partir de 1996, quelques ours ont été prélevés en Slovénie – un pays presque 30 fois plus petit que la France qui abrite…400 ours – puis relâchés dans les Pyrénées centrales, où il n’y en avait plus aucun. Vous avez sûrement entendu parler de Ziva, Melba, Pyros. Au total, huit ours ont été relâchés et compte tenu des naissances depuis, les Pyrénées comptent au moins 22 ours en liberté.

C’est dans ce contexte que paraît en septembre l’expertise du Muséum, rédigée par des spécialistes indiscutables, dont Luigi Boitani, un biologiste de réputation mondiale que j’ai eu l’honneur de rencontrer à Rome il y a une douzaine d’années. Que dit le texte ? Des choses limpides : dès demain, nos splendides Pyrénées pourraient abriter 110 ours, car sur le plan biologique, les ressources sont là. Et même 250 si l’on prend en compte un territoire plus vaste où les ours circulent sans s’y installer. Mais la situation actuelle conduit au dépérissement et à la consanguinité. Non seulement les deux populations – Béarn et Pyrénées centrales – ne sont plus connectées, mais le pool génétique des ours « slovènes » est trop restreint. Dans le jargon des spécialistes, le statut des ours est jugé « défavorable inadéquat ».

En fait, sans réintroduction rapide dans le noyau central, la consanguinité menace à dix-quinze ans, et peut-être avant. Il faut donc agir, et la meilleure façon de le faire est de renforcer simultanément les deux populations, celle du Béarn et celle des Pyrénées centrales. C’est « de loin le meilleur plan en ce qui concerne la viabilité de l’Ours brun dans les Pyrénées ». En résumé, et pour seulement préserver les chances d’un avenir viable, il faudrait vite relâcher entre 7 et 17 ours. Pour les ennemis de la nature et de la vie sauvage, cette perspective est comme un chiffon rouge agité sous leur nez. Je crois que beaucoup d’entre vous n’imaginent pas la bassesse, l’imbécillité et la violence verbale de ceux qui réclament la mort des ours. Il faudra songer à faire un florilège de leurs délires, mais ce n’est pas le jour.

Ce jour est de gloire, car il n’y a aucun doute, et tous sont placés au pied du mur. Ou l’on trouve le courage d’avancer, sur un chemin certes difficile. Ou on laisse mourir une nouvelle fois les ours vivant dans les Pyrénées. Ce qu’on appelle une alternative. J’aimerais être sûr que tous les protecteurs de l’animal sont conscients que nous disposons d’une chance historique. Nous pouvons en effet entraîner toute une coalition en faveur de l’ours, soutenue par les plus hautes autorités scientifiques qui soient. Je sais le débat à l’intérieur du petit monde des associations, et je ne veux en la circonstance froisser personne. Chacun peut avoir son point de vue, mais je redoute une trop grande proximité avec les services officiels de l’État, peureux comme à leur habitude, et bien incapables de prendre en charge la lutte en faveur de la biodiversité. Je redoute un accord au rabais entre associations « raisonnables » et défenseurs intransigeants, dont j’estime faire partie. Pour une fois, au-delà de divergences bien réelles, et qui ne sauraient disparaître, dites-moi, vous tous amis de l’ours, ne pouvons-nous pas nous entendre ? Ne pouvons-nous pas exiger unanimement que l’impeccable avis scientifique du Muséum serve de base à toute signature et tout engagement ? Est-ce trop demander que de réclamer 17 ours de plus ?

Je rêve, je sais. Mais je rêve réellement de 250 ours dans les chênaies-hêtraies du pays magique.

Contre l’agroécologie à la sauce Le Foll

Enfin ! Enfin ! Je vous ai déjà raconté (ici) la farce sinistre inventée par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et ses services. Par un hold-up sur les mots, nos productivistes de toujours tentent de faire avaler ce qu’ils osent nommer l’agroécologie. Qui deviendrait dans leurs mains un simple avatar de l’agriculture industrielle, avec les mêmes acteurs bien sûr, dont la FNSEA au premier rang. Je vous signale d’ailleurs que Xavier Beulin – patron à la fois de la FNSEA et du géant industriel Sofiprotéol – prépare pour le 21 février un grand raout appelé États généraux de l’agriculture (ici). Quatre, peut-être cinq ministres iront comme de juste se prosterner.

Dans ce climat écœurant, il est donc heureux de voir, comme vous lirez ci-dessous, que des associations chères à mon cœur et un syndicat paysan itou commencent à relever la tête. Il était temps. Mais il n’est pas trop tard pour se battre sous notre bannière. Car c’est de cela qu’il s’agit : d’un combat. Et notre drapeau est le plus beau.

Collectif agroécologie


Les organisations signataires de ce communiqué* ont décidé de se constituer en « collectif pour une agroécolgie paysanne ». Ce texte de position est un premier pas. Après l’agriculture biologique, le commerce équitable, l’éco-construction, le projet de société dont est porteur l’agroécologie est lui aussi en train d’ être détourné. Notre collectif ne croit pas que la fuite en avant technicienne puisse répondre aux problématiques environnementales et politiques. Il entend défendre les valeurs et promouvoir les initiatives portées par les paysans, les citoyens, et tout acteur du mouvement social
et dénoncer les fausses solutions. Le présent communiqué marque l’amorce d’un travail de rapprochement, de convergence et d’organisation collective. Le collectif est ouvert à toutes les organisations qui se retrouvent dans cette démarche.

– Pour une agroécologie paysanne –
Nous, mouvements sociaux organisés, associatifs, syndicaux et professionnels, affirmons qu’une agroécologie paysanne existe aujourd’hui en France. Nous sommes obligés de la qualifier d’ « agroécologie paysanne » pour la distinguer de la campagne de communication du Ministère de l’Agriculture qui brandit le drapeau de l’agroécologie dans le seul but de mieux camoufler la fuite en avant de l’agriculture industrielle vers la marchandisation du vivant et la bioéconomie.
En effet, les méthaniseurs industriels qui détournent la production alimentaire au profit de la poursuite du gaspillage énergétique, les semis directs avec l’herbicide Round Up® et les technologies génétiques destinées à breveter les semences sont des supercheries qui sont scandaleusement inscrites sous le vocable agroécologie par ce ministère. Par ailleurs, celui-ci, tout en élaborant la loi d’orientation agricole et en se réclamant de l’agroécologie , est en train de valider une loi sur les propriétés intellectuelles qui élargit, par les brevets sur les marqueurs biochimiques, moléculaires ou génétiques, le pouvoir des transnationales sur tous les domaines du vivant, et interdit les semences paysannes et reproductibles !
L’agroécologie paysanne est avant tout un corpus de pratiques vivantes et de mouvements sociaux avec un objectif politique commun : une agriculture sociale et écologique ancrée dans les territoires.
Elle s’inclut dans un mouvement de transformation sociétale global qui touche tous les secteurs d’activité (énergie, transformation, commerce, transport, habitat, éducation, santé, etc). Nous critiquons l’idéologie productiviste, le modèle agro-industriel et même le concept de développement agricole. Le terme de développement est assimilé à la notion de croissance économique illimitée. Cette notion est antinomique avec le vivant dont le développement n’est pas fait que de croissance, mais est contenu par des équilibres dynamiques complexes à tous les niveaux d’organisation.
Appliqué à l’agriculture, le développement est un mirage entretenu par les intrants pétrochimiques et les subventions. Le projet du ministère français perpétue un modèle agricole industriel où le travail humain est taxé, l’emploi est détruit et les intérêts du capital préservés. L’énergie fossile est subventionnée, les impacts négatifs sont à la charge de la collectivité et les bénéfices sont privatisés. Actuellement, nous avons en France 5 millions de chômeurs, dont des paysans sans terre, et 500 000 agriculteurs.

C’est une situation aberrante dans un contexte de réchauffement climatique qui nécessite une réduction de la consommation des énergies fossiles et une augmentation significative de la population agricole. Or depuis les années 80, il n’y a plus d’augmentation du rendement des cultures mais seulement une augmentation de la consommation des énergies fossiles qui remplacent le travail humain par la mécanisation, l’utilisation croissante des intrants chimiques et l’agrandissement des surfaces des exploitations. Seule aujourd’hui une réinstallation paysanne massive est capable de relever les défis
écologiques, alimentaires et sociaux auxquels nous sommes toutes et tous confrontés.
L’effondrement du modèle agro-industriel breton nous invite à regarder la réalité en face : plutôt que de se mettre la tête dans le sable en attendant le retour d’une croissance inaccessible, face à la crise et à la précarité administrée, nous sommes aujourd’hui arrivés à l’heure des choix fondamentaux. La généralisation d’une agriculture écologique n’est pas hors de portée mais constitue un véritable choix politique allant plus loin que de simples évolutions techniques. L’agroécologie renverse la hiérarchie des savoirs, en remettant en cause un académisme qui oppose savoir-faire et connaissance théorique. Les savoirs scientifiques et techniques ne peuvent être dissociés des savoirs et des pratiques populaires ; ils en sont même l’émanation. Les premiers savoirs agronomiques ont été les savoirs et savoir-faire paysans qui n’ont cessé de s’adapter à leur environnement et aux sociétés. Les pratiques qui se revendiquent de l’agroécologie sont vivantes et au coeur des processus créatifs, culturels et sociaux. En s’opposant à la privatisation du vivant, en revendiquant la réalisation concrète des droits collectifs d’usage des communs, elles combattent un modèle économique dominant fondé sur la primauté du droit de propriété.

L’agroécologie paysanne est avant tout un outil de transformation sociale. Cette conception est partagée avec d’autres organisations paysannes et de la société civile dans le monde et notamment la Via Campesina, dans un projet de société nécessairement basé sur la paysannerie. Nous avançons avec une main tendue vers toutes les personnes qui par leur travail salarié, indépendant ou domestique participent à l’économie réelle. L’objectif est de replacer l’humain et la nature au centre des préoccupations sociétales, de sortir de la dictature de l’argent et de la finance.
Nous continuerons à nous retrouver pour construire les bases de nos actions, pour faire poids contre les tentatives d’encadrer, par le travestissement des mots ou la contrainte réglementaire, les initiatives populaires à finalités sociales et écologiques.

*Organisations membres du collectif :

Logos collectif agroecologie

Comment simplifier les coups de bâton

Publié par Charlie Hebdo le 29 janvier 2014

Les socialos veulent abattre au nom de la simplification des normes des pans entiers de la protection par la loi. Dans le viseur, les (vrais) écolos et le code du travail. Vivement la gauche !

Ami lecteur, peut-être auras-tu entendu parler de la grande entreprise nationale connue sous le nom de simplification. Elle a été confiée au député Thierry Mandon, qui suivra la réalisation de 200 mesures, dont la disparition de certaines régions. Mais ça, c’est l’écume. Reste la vague, et par précaution, sache qu’une calculette te sera utile pour lire la suite. Nous prendrons aujourd’hui le cas du porc, qui est un animal très chieur. Or la Bretagne en « fabrique » 14 millions par an, soit 57 % du total national sur 5 % du territoire. Oui, ça pue.

Sachant que les pollutions provoquées par un seul animal équivalent à celles de trois humains, sachant que le caca des cochons produit chaque jour au moins 133 millions de milliards de bactéries E.coli (1), et que pour le moment on balance tout dans les champs et donc dans les rivières, sauras-tu aider François Hollande à libérer l’entreprise entravée ?

Jean-Marc Ayrault, qu’on prenait pour une simple andouille, est en fait un grand travailleur. Pendant que l’on festoyait d’huîtres et de champagne, le Premier ministre faisait passer en loudecé (JO du 28 décembre 2013) un décret qui permet d’ouvrir une porcherie de 2 000 têtes  sans enquête publique ni étude d’impact. La veille au soir, il ne fallait pas dépasser 450 porcs.

Voilà un exemple de grand progrès explicitement présenté comme une réussite exemplaire de « simplification » des procédures. Mais avant d’entrer dans le détail, signalons de suite que le projet n’est pas né des dernières emmerdes de Hollande avec son scooter. Première sortie en public de ces messieurs avec le rapport Boulard-Lambert. Dès décembre 2012, Hollande demande à Jean-Claude Boulard, maire socialo du Mans, et à Alain Lambert, ancien ministre divers droite du budget, un beau texte sur « l’inflation normative ».

À première vue, il s’agit d’enfoncer une porte ouverte, car il y a vraiment trop de normes inutiles, confuses, contradictoires. Comme on en parle depuis Balzac et peut-être même Homère, personne ne prête attention à ce qui est, d’évidence, un plan. Le rapport Boulard-Lambert laisse entrevoir sa vérité profonde en racontant « l’histoire édifiante du scarabée pique-prune, de l’hélianthème faux alyson et de l’escargot de Quimper ». Pour ne rappeler que le premier, la présence du scarabée a retardé un chantier d’autoroute pendant dix ans. Nos deux compères s’en prennent directement à « l’intégrisme normatif » des associations écolos, soutenus par les Dreal, c’est-à-dire l’administration d’État. Aux chiottes l’État !

Depuis cette date, pas une semaine ne passe sans une déclaration martiale. Le 2 janvier, loi sur la « simplification et la sécurisation des entreprises », qui crée des « zones d’intérêt économique et écologique » sous l’autorité des préfets. Il s’agit de réduire et si possible interdire tout recours contre une installation industrielle en confiant au passage à l’entreprise le soin de faire le plan d’aménagement. Avis sans frais à ceux de Notre-Dame-des-Landes ou de la Ferme des 1000 vaches.

Et puis Mandon. Personne n’a trop fait gaffe, mais dans sa conférence de presse du 14 janvier, Hollande a commencé par citer Ayrault, puis très vite derrière Thierry Mandon, jusqu’ici obscur député de l’Essonne. Ce dernier est chargé de piloter des ateliers de simplification en compagnie d’un certain Guillaume Poitrinal, patron bon teint. Ce n’est pas insulter Poitrinal que de rappeler sa belle carrière entrepreneuriale chez Morgan Stanley, une banque d’affaires américaine poursuivie en justice pour son comportement dans la crise des subprimes.

Rien à voir ? Évidemment ! Mais pour se rassurer complètement, on conseillera le visionnage d’un petit film où l’on voit les deux amis sur le plateau de BFM Business (2). Comme la journaliste, enthousiasmée par ses invités, demande à Poitrinal s’il compte s’en prendre au code du travail, celui-ci répond avec une prudence très méditée : « On cherche tous les points de complexité ».

L’association patronale Entreprise et Progrès – 120 membres, dont l’Oréal -, les a déjà trouvés. Elle organisait le 18 novembre passé un petit-déjeuner de presse sur le sujet. Commentaire du président, Denis Terrien, piqué à l’hebdo Challenges : « Le code du travail, c’est 4 000 articles illisibles et impraticables ». On croirait du Thierry Mandon dans le texte.

(1) Les chiffres sont officiels : http://www.bretagne-environnement.org/Eau/Les-pollutions-et-menaces/Origines-des-pollutions/Les-pollutions-agricoles

(2) http://www.bfmtv.com/video/bfmbusiness/grand-journal/thierry-mandon-guillaume-poitrinal-grand-journal-09-01-3-4-169292/

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Un traité qui arrange bien François Hollande

Cet excellent M.Hollande est au moins raccord avec l’Amérique. Et comme il doit rencontrer Barack Obama à la Maison-Blanche le 11 février, cela tombe bien. Car il se négocie en ce moment, dans une opacité complète, la zone de libre-échange transatlantique (transatlantic Free Trade Area, TAFTA), désormais connue sous le nom de Traité transatlantique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la philosophie de la « simplification » rejoint étrangement celle du traité.

De quoi s’agit-il ? D’un accord commercial entre les Etats-Unis et l’Europe qui, s’il était signé, comprendrait dans un premier temps 46 % du PIB mondial. Dans un article du Monde Diplomatique (http://www.monde-diplomatique.fr/2013/11/WALLACH/49803) qu’il faut lire et faire lire, l’Américaine Lori Wallach, combattante historique depuis les lointaines négociations du Gatt, détaille le menu, qui craint comme jamais.

Il ne s’agit pas d’un simple cri, mais d’une déconstruction argumentée de cette immense opération politico-commerciale. Si ces gens gagnent, des transnationales pourront traîner en justice des États qui ne respecteraient pas les normes définies par elles-mêmes. Aussi stupéfiant que cela paraisse, des lobbies à l’américaine, sans aucun complexe, mènent le bal, dans un secret imposé par eux. Wallach cite parmi d’autres la Chambre américaine de commerce et BusinessEurope, d’une puissance inconnue de ce côté de l’Atlantique.

Que cherchent-ils ? Abaisser ou détruire des normes essentielles dans la sécurité alimentaire, l’écologie, le droit du travail. Que promettent-ils ? De la croissance, un peu plus de croissance, de télés, de bagnoles, de cancers. Hollande est pour. La croissance. Mais vouloir l’une, c’est avoir les autres. Il est pour.

Poutine au paradis de la neige artificielle (sur les JO de Sotchi)

Publié par Charlie Hebdo du 22 janvier 2014

Les Jeux Olympiques de Sotchi commencent le 6 février, dans une ambiance délirante, faite de canons à neige et de flicages tous azimuts. Question : les Tchétchènes mangent-ils dans la main de Poutine ?

Applaudissements debout. Le 6 février prochain commencent les Jeux olympiques d’hiver 2014, à Sotchi (Russie). La cérémonie est splendide de bout en bout, Vladimir Poutine et notre grand camarade Joseph Staline saluent la foule à leurs pieds d’un langoureux baiser pleine bouche, à la russe. La vodka et la tête des traîtres à la patrie volent dans l’air refroidi des cimes. La neige fabriquée à coup de canons s’approche tout près des pistes.

La magie Sotchi dure depuis qu’on a découvert à la fin du IXe siècle des sources d’eaux thermales à Matsesta, village tout proche. Sotchi est une station balnéaire, fleurie dès le printemps d’hibiscus et de lauriers roses. Le tsar Nicolas II, avant ses ennuis de 1917, y descendait volontiers en famille. Staline y avait ses habitudes dès 1930, puis Khrouchtchev, puis Poutine soi-même. Maurice Thorez, défunt chef stalinien français, y barbotait avec madame Jeannette, et une plage sur la mer Noire porte toujours son nom, preuve qu’il est utile d’être une serpillière.

Mais ne nous égarons pas. Sotchi. Pourquoi Poutine a-t-il décidé d’organiser un événement mondial en ce point-là de la carte ? À priori, il n’y a pas pire. Un, les archives climatiques donnent une moyenne de 6 degrés au mois de février, ce qui n’est guère favorable aux frimas. Et de fait, les stations dédiées au ski, à 600 mètres d’altitude seulement,  sont et seront alimentées par une neige artificielle. Compter environ 1 m3 d’eau pour obtenir 2 m3 de neige.

Deux, le Caucase, ce gigantesque bobinard partagé entre Russie, Géorgie, Arménie, Turquie, Azerbaïdjan. Si par hasard tu prends ta bagnole depuis Sotchi et que tu longes la mer Noire, tu comprendras mieux. D’abord, il faut entrer en Abkhazie, une crotte de mouche de 240 000 habitants, peut-être bien russe, peut-être bien géorgienne, dont l’indépendance fantoche de 1992 est reconnue par cinq pays, dont la Russie, Nauru et Tuvalu. On ne rit pas.

Si tu arrives à sortir de là, bienvenue en Géorgie. Ce pays compte en son sein une autre entité, l’Ossétie du Sud, qu’elle considère lui appartenir, tandis que la Russie la juge indépendante depuis 2008. Vu ? Mais il y a aussi une Ossétie du Nord, semblant d’État faisant partie de la fédération de Russie. Avec comme charmants  voisins la République de Kabardino-Balkarie, la République de Karatchaevo-Tcherkessie, le Daguestan, l’Ingouchie, sans oublier la Tchétchénie, rattachés eux aussi à la Russie. On laisse tomber le kraï de Stavropol.

Revenons à nos moutons dérangés : pourquoi ce lieu cinglé ? On en restera à une hypothèse, qui tient le coup : Poutine aura voulu montrer qu’il en a de bien grosses. Depuis le début de sa carrière d’ancien kaguébiste (flic du KGB), il n’a cessé d’instrumentaliser les indépendantistes du Caucase, Tchétchènes en tête. On se souvient que, dès le début du massacre des Tchétchènes, en 1999, il avait promis de « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Outre les innombrables morts sur place – le bilan russe officiel parle de 160 000 tués -, il a multiplié des opérations tordues. Par exemple, l’empoisonnement par le gaz et le flingue de 170 personnes en 2002, au Théâtre de Moscou. Par exemple la très étrange attaque contre l’école de Beslan, en 2004, au cours de laquelle 344 civils, dont 186 mioches, ont été butés par les forces spéciales du régime.

Sotchi pourrait bien être une très grande opération de propagande, davantage destinée à l’opinion intérieure qu’à TF1 et ses clones du monde entier. Et en tout cas, comme par enchantement, les vilains et ténébreux islamistes ont réapparu. En juillet dernier, on a pu voir une vidéo de l’islamiste tchétchène Dokou Oumarov, proclamé ennemi public numéro 1 – façon Emmanuel Goldstein, personnage de 1984 -, qui menaçait de tout casser à Sotchi, où se trouvent « les ossements de nombreux musulmans enterrés le long de la mer Noire ».

C’est dans ce cadre, fictionnel ou non, qu’ont eu lieu les 29 et 30 décembre 2013 les attentats de Volgograd, l’ancien Stalingrad, avec des dizaines de morts à la clé. S’il s’agit d’un montage, on comprend pourquoi : Poutine a le plus grand intérêt à montrer sa force dans une région où les « terroristes » frappent sans répit depuis la disparition de l’Union soviétique en 1991. Il a du reste déclaré que les JO de Sotchi sont « le plus grand événement de l’histoire postsoviétique », ce qui prend tout son sens sur fond de contestation croissante de son pouvoir.

Le spectacle des JO, entre le 6 et le 23 février, a  été soigneusement mitonné par les maîtres-queux du FSB, qui a pris la suite du KGB. Témoin, s’il en était besoin, l’incroyable système de surveillance des communications mis au point par Poutine. Le quotidien britannique The Guardian (1) publiait en octobre une belle enquête de deux journalistes russes, Irina Borogan et Andrei Soldatov. Prenant les risques que l’on imagine, les deux kamikazes révélaient l’usage à Sotchi d’une technologie dite SORM (pour System for Operative Investigative Activities), sans cesse améliorée depuis 1990.

Tous les échanges, qu’ils passent par le Net ou le téléphone, seront moulinés, éventuellement enregistrés par le FSB, grâce à un système peut-être plus complet que celui de la NSA, ce Prism dévoilé par Edward Snowden. Tel est en tout cas l’avis d’un connaisseur, le Canadien Ron Deibert, le directeur de Citizen Lab (http://citizenlab.org), pour qui le système installé à Sotchi est « un Prism boosté aux stéroïdes ».

On s’en fout ? Pardi, on s’en fout bien. Loin de toute idée de boycott, mais gêné quand même aux entournures, Hollande a décidé de ne pas se rendre à Sotchi pour la cérémonie d’ouverture. Mais Valérie Fourneyron, cette ministre des Sports que personne ne connaît,  en sera, elle. En bon soldat de l’olympisme-sous-le-knout, elle assure que les JO sont l’occasion « d’obtenir des avancées politiques. Cela s’est produit en Chine et, on l’a encore vu en Russie ces dernières semaines avec des libérations d’opposants au régime ». Poutine en fait déjà dans sa culotte.

(1) http://www.theguardian.com/world/2013/oct/06/russia-monitor-communications-sochi-winter-olympics

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50 milliards d’euros pour buter la panthère de Perse

Les comptes sont délirants. Bien qu’aucun chiffre vérifiable ne soit disponible, les JO d’hiver de Sotchi seront sûrement les plus coûteux – de loin – de l’Histoire. Le régime Poutine reconnaît, pour les seules dépenses d’infrastructures directement liées aux compétitions, 5 milliards d’euros d’investissements. Et au total, une facture de 50 milliards d’euros – les Jeux d’été de Pékin ont coûté 32 milliards -, qui sera peut-être pulvérisée.

Peut-être, car au passage, Poutine et ses potes auraient déjà siphonné 23 milliards d’euros selon l’opposant Boris Nemtsov. Des centaines de kilomètres de routes et de chemins de fer, des stations de ski ex nihilo, 77 ponts et bien entendu le village olympique sont au programme final. Le désastre écologique est aux dimensions du projet. Des forêts entières ont été détruites, des centaines de millions de tonnes de déchets balancés au ravin ou enfouis à la va-vite dans l’une des dizaines de décharges illégales de la région.

Des espèces emblématiques de la région, comme la panthère de Perse, risquent de disparaître, mais les JO ont été proclamés « verts » par Poutine en personne, et la panthère, mascotte officielle, figurera quand même sur les sacs et les colifichets, ce qui est bien l’essentiel.

Les écologistes locaux sont au premier rang de la contestation. Et les plus lourdement frappés. Evegueni Vitichko, par exemple, vient de se prendre trois ans de camp au moment où il s’apprêtait à rendre public un rapport. De son côté, l’ONG Human Rights Watch accuse les principaux sponsors de regarder ailleurs. Parmi eux, Atos, Coca-Cola, Dow Chemical, General Electric, McDonald’s, Omega, Panasonic, Procter et Gamble, Samsung et Visa. Comme c’est étonnant.