Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Ratonnade anticampagnol à Notre-Dame-des-Landes

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 7 janvier 2014

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Grande manif à Nantes le 22 février, juste avant les municipales. De part et d’autre de la barricade, on graisse l’artillerie. Les travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes vont-ils commencer cette année ?

C’est donc reparti. Comme en 14. Flamberge au vent, comme il se doit, le père Ayrault s’apprête à fondre sur le camp retranché de Notre-Dame-des-Landes. On se souvient sûrement que c’est là, dans ce petit bourg du bocage, près de Nantes, que le Premier ministre veut déposer sa crotte, sous la forme d’un vaste aéroport international. Que se passe-t-il à l’entrée dans 2014 ?

Pas mal de choses, à commencer par les arrêtés concernant l’eau et la biodiversité, pris le 20 décembre par le préfet de Loire-Atlantique. En résumé approximatif, les textes comportent une dérogation à la Loi sur l’eau, ainsi que le « déplacement » d’espèces protégées par la loi, et qu’il est en principe interdit de buter purement et simplement. Parmi elles, le triton marbré – noir, tacheté de somptueuses peintures vertes -, dont Ayrault, Vinci-le-bétonneur et tous leurs chers amis se contrefoutent. L’emmerde, c’est qu’il est classé parmi les espèces vulnérables dans le Livre rouge des vertébrés de France. Il faut donc mettre les gants, et concrètement les choper dans les mares du très éventuel futur chantier, puis les déposer dans d’autres mares, ailleurs.

Bien entendu, c’est une fumisterie de première, mais elle est en tout cas légale. Et de même pour quantité d’autres espèces animales et végétales, qu’il faut faire semblant de sauver du béton par la grâce de « mesures compensatoires ». Selon le réseau des Naturalistes en lutte, auteur collectif d’une impeccable étude de terrain (http://naturalistesenlutte.overblog.com), les petits rigolos des arrêtés préfectoraux ont purement et simplement oublié en route « 13 espèces nouvelles pour la Loire-Atlantique », qui ne sont connues que sur le territoire visé par Vinci, ainsi que « 6 espèces supplémentaires, rares et protégées par la Loi ».

Dernière ligne droite dans ce domaine : le campagnol amphibie. Vivant près des mares et des cours d’eau, la bestiole nage, plonge et n’emmerde jamais personne, discrète au point que peu de gens connaissent son existence. Pour lui régler son compte, il faudra quand même attendre une réunion du (consultatif) Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), qui devrait donner un avis le 16 janvier. Commentaire général des Naturalistes en lutte : « Il n’y a pas qu’en Amazonie où des espèces sont massacrées, à Notre-Dame-des-Landes aussi grâce à l’aval de l’État français ! ».

À bien regarder la situation générale, il n’y a pas de doute : tout est en place pour un vaste drame. Côté bouffons, Ayrault pense qu’il ne peut pas reculer. Il a trop promis au complexe industriel, et sa défaite ici marquerait le déclin certain de sa carrière politique. Du côté des opposants, c’est plus grave. Les 200 (jeunes) occupants du chantier virtuel, installés dans des cabanes au fond des bois (http://zad.nadir.org) estiment à juste titre être des habitants légitimes. La plupart ne sont pas du genre à tendre la joue gauche après avoir pris un pain sur la droite. Quant aux indigènes – habitants des hameaux ou paysans de la Confédération paysanne -, une bonne partie est fortement engagée dans la bagarre contre l’aéroport.

Nul doute que Hollande a plutôt intérêt à une issue de secours, faute de quoi tout indique des violences d’un niveau rarement vu. Sur le plan politique, les paris sont ouverts. Le parti écologiste (EELV) pourrait-il rester au gouvernement en cas de début des travaux à Notre-Dame-des-Landes ? Un vieux routier de l’écologie, impliqué dans l’opération Europe Écologie de 2009, lâche à Charlie : « En principe, nos ministres quitteraient aussitôt le gouvernement, car nous n’avons jamais cessé de soutenir les opposants. Mais nous sommes quelques-uns à redouter une énième manœuvre de Placé. En restant au gouvernement, son clan provoquerait une scission, mais qui le débarrasserait d’une bonne partie de ses critiques internes. Ce serait pain béni ».

En attendant, action. On prépare à Nantes une manifestation géante. Ce sera le 22 février, juste avant les municipales. 100 000 personnes ? 200 000 ? On sera là pour compter.

1000 vaches, 1000 prisonnières, un jackpot

Ci-dessous, un article que j’ai écrit, publié le 31 décembre 2013 par Charlie Hebdo. Sur le même sujet, toujours sous ma signature, une série de six articles sur le site de Reporterre, dont celui-ci.

Le papier de Charlie

La France n’avait encore jamais vu ça. Un industriel du BTP, qui a fait fortune grâce à des contrats publics,  veut ouvrir de force une usine à vaches de 1000 bêtes, sans compter 750 veaux et génisses. Le camp produirait à la fois du lait et de l’électricité, grâce à une méthaniseur. Mais dans la Somme, on sort les fourches.

Attention, c’est difficile à imaginer, surtout après les rots du repas de Noël. Soit un hangar de 234 mètres de long ouvert sur d’immenses champs de betteraves et de pommes de terre, à perte de vue. Pas un arbre. Dedans, 1000 vaches, sans compter 750 génisses et veaux. La plus grande ferme de toute l’histoire agricole française, plantée entre les villages de Buigny-Saint-Maclou et Drucat (Somme). Abbeville est à 6 kilomètres, Amiens à 40, Paris à 180 au sud.

Le promoteur de ce vaste camp de travail s’appelle Michel Ramery, un garçon qui ne plaisante pas avec les chiffres. Né en 1949, il a créé sa première boîte minuscule avec deux frangins en 1972. Le groupe est aujourd’hui le géant du BTP dans le Nord-Pas-de-Calais voisin, et après avoir racheté une soixantaine de sociétés, compte 3550 salariés. Comment a-t-il fait ? Ben, on ne sait pas trop. Ce qui est certain, c’est que les socialos, au pouvoir dans cette région depuis des décennies, n’ont pas été trop durs avec papa Ramery, qui remporte tous les marchés publics qu’il veut, très loin devant des groupes pourtant bien plus puissants que lui, comme Vinci ou Bouygues.

Le 23 février 2011, une des sociétés de Ramery  demande l’ouverture de la dite « Ferme des 1000 vaches », qui sera ramenée – provisoirement en tout cas – à 500 par un arrêté préfectoral de 2013.  Le progrès en marche : avec une poignée de salariés pour faire tourner l’usine, la production de lait ne saurait être que rentable. Pour lui, Ramery. D’autant plus que la belle fusée multicolore compte un autre étage : le méthaniseur.

Ami lecteur, le méthaniseur est une fée qui change la merde en électricité. Ramery compte récupérer des milliers de tonnes de fumier et de lisier par an, avant de les faire gaiement fermenter dans une cuve géante, le temps que le ragoût donne du méthane. Lequel, car ce n’est pas fini, serait transformé en une électricité rachetée au prix fort (au moins deux fois celui du marché) par EDF. Avec une garantie de notre électricien chéri portant sur 15 ans. Ce système, authentique jackpot, a les grandes faveurs du gouvernement, qui a lancé en mars 2013 un plan Energie méthanisation autonomie azote (EMAA).

On est prié de ne pas ricaner, car ces nobles actions visent à sauver de la misère les petits paysans. Réfléchissons ensemble. N’est-il pas génial de vendre de l’électricité provenant de la merde de vaches donnant du lait ? Les fâcheux notent que Ramery n’a rien d’un paysan, et encore moins d’un paysan besogneux. L’affaire pourrait lui rapporter, en net, plusieurs millions d’euros par an. Et la « Ferme des 1000 » vaches pourrait au passage devenir le prototype, clés en mains, d’un nouvel élevage définitivement débarrassé de tout lien avec le métier de paysan.

Au fait, et les résidus ? Ami lecteur, bonne question, car le système Ramery récupère le méthane, mais laisse en plan une sorte de matière organique, qu’il faut bien balancer quelque part. Une bagatelle : 40 000 tonnes par an. Or le méthaniseur ne tutute pas seulement du pissat et de la bouse. Il a également besoin d’autres déchets – au moins 15 000 tonnes par an -, sans que personne ne sache encore d’où ils pourraient venir. Des déchets verts, ménagers, hospitaliers, pharmaceutiques ? Rien n’est vraiment impossible.

Revenons-en à la saine bouillie restant au fond de l’appareil. La seule solution est d’épandre sur des champs, en faisant passer cela pour un excellent engrais. C’est d’ailleurs ce qu’on fait en Bretagne, avec le si beau résultat qu’on connaît, dont la floraison saisonnière de marées vertes. Pas une seule molécule d’azote, précurseur des nitrates, ne saurait être éliminée par la méthanisation. La boue du méthaniseur, s’il ouvre un jour, contiendra donc fatalement des nitrates, mais aussi des restes d’antibiotiques, anthelminthiques, ?anticoccidiens, douvicides, hormones, tous produits vétérinaires légalement et massivement utilisés. Et des pesticides.

Arrivé à ce point, osons l’audace : percolant au travers du sol de craie, ces saloperies ne risquent-elles pas d’atteindre la nappe phréatique ? Est-ce si grave ? De toute façon, les 1 000 vaches boiront cette même eau, puisée grâce à un forage dans la nappe. Compter 40 000 mètres cubes d’eau par an. Ce qui ne veut pas dire que Ramery n’aura pas besoin du circuit d’eau potable. En effet, le brave homme pompera aussi sur le réseau, mais seulement pour nettoyer les installations et abreuver la poignée d’ouvriers. Quelle eau ? Pas celle, pourtant toute proche, de Drucat, pour la raison simple que son captage est fermé à cause d’une pollution aux pesticides. Il faudra donc se rabattre sur celle de Nouvion.

Et ce n’est pas tout, car pour se débarrasser de ce bon bouillon des familles, il faut disposer d’environ 3000 hectares. Pour l’heure, Ramery n’en aurait trouvé que la moitié, ce qui laisse présager de nouvelles surprises. C’est dans ce contexte revigorant qu’est née une formidable association locale, Novissen (http://www.novissen.com). Presque toute la population de Drucat – 900 habitants, où doit s’installer le méthaniseur, a rejoint un groupe emmené par un médecin-urgentiste de l’hôpital d’Abbeville, Michel Kfoury.

Un petit miracle s’est produit. Lancé pour la défense des intérêts locaux, ce qu’on peut facilement comprendre, le combat est devenu une vaste réflexion sur la souffrance animale, le modèle agricole, la pollution chimique, la corruption, la démocratie. On ne peut résumer ici la flopée de manifs, de tracts, de happenings imaginés depuis deux ans que dure la mobilisation. Une mention tout de même  pour la Ronde des indignés, inaugurée le 2 juin 2012 sur une place d’Abbeville, dont le maire socialiste Nicolas Dumont soutient sans oser l’assumer le projet Ramery.

De son côté, la Confédération paysanne, emmenée par un jeune type punchy, Pierre-Alain Prévost, et son porte-parole Laurent Pinatel, est entrée dans la danse en 2013, fortissimo. Avec notamment le démontage d’une partie du chantier dans la nuit du 11 au 12 septembre 2013, qui a conduit à une plainte de Ramery et à la garde à vue de six opposants.

Mais ce n’était qu’un début : la Conf’ lance dès le 6 janvier de nouvelles opérations, cette fois dans toute la France.

De quel droit ? (José Bové et le Loup)

Merci à Raymond Faure

Les lecteurs les plus réguliers de Planète sans visa me pardonneront ce qui leur apparaîtra un pur radotage : j’apprécie José Bové. Je le connais – un peu – depuis une vingtaine d’années, et je le vois régulièrement. Pour dire toute la vérité, j’ai pour lui une affection qui ne m’a jamais empêché de le critiquer, et parfois vivement, notamment sur la question du Loup (ici). Je ne vais pas recommencer tout mon argument. Bové est tout ce qu’on voudra, mais pas un écologiste au sens où je l’entends en tout cas. Disons que c’est un environnementaliste, ce qui n’est pas du tout la même chose. Et ajoutons qu’il vient de s’illustrer une fois encore au sujet de la Bête, cette fois en faisant preuve de ce que j’appellerai gentiment de l’irresponsabilité.

C’est une reprise d’un journal suisse par Le Dauphiné Libéré (ici), remplie de consternantes sornettes. Sans qu’il ait daigné mener le moindre débat – je lui ai proposé -, Bové se présente comme le meilleur ennemi de l’animal, prétendant contre l’évidence même qu’il faut choisir entre lui et l’Homme. Pis, il appelle les socialistes au pouvoir à remettre en cause la directive européenne Habitats et la Convention de Berne, qui sont les ultimes remparts contre le retour de la barbarie. Car l’éradication du Loup en France, à peu près complète à la fin des années 20 du siècle passé, a été une barbarie de plus, dans une liste qui en contient tant.

Abattre les protections, et jeter en pâture le Loup, en attendant les autres, qui viendront fatalement derrière. Bové ne comprend-il pas qu’il ouvre la boîte de Pandore, et que bien d’autres monstres en surgiront ? Sincèrement, je suis indigné. Puis, un mot sur le sens politicien de ces propos. Bové est en campagne électorale pour les Européennes, et caresser dans le sens du poil sa base sociale d’origine ne saurait lui nuire. Le clientélisme, c’est toujours l’autre. Ben non. Parfois, c’est juste devant la porte.

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L’article

  José Bové : « Il faut éliminer le loup »

José Bové persiste et signe. Dans un entretien avec nos confères suisses du Nouvelliste , il assurait cette semaine qu’« il y a trop de loups dans nos montagnes ».Joint hier au téléphone, il a confirmé et même amplifié ses propos. « Oui, je le dis : le loup n’est pas une espèce en voie de disparition. La preuve, l’extension de son territoire est constante. On en a même repéré à moins de 200 km de Paris. » De quoi faire frémir dans les chaumières.

Mais au-delà de la symbolique, c’est surtout en montagne qu’il faut, selon l’élu européen, s’inquiéter. « La cohabitation entre le loup et l’élevage n’est pas possible », martèle-t-il.

Et lorsqu’on lui fait observer que beaucoup de ses amis écologistes sont pro-loup, il balaye l’argument. « Bien sûr, les associations environnementalistes défendent l’animal. C’est leur droit. Mais elles n’ont pas de vision du monde rural. La question qu’il faut se poser, c’est celle de la place des éleveurs en montagne. Doivent-ils continuer d’être présents pour entretenir le territoire ? Je pense que oui. »

Pour José Bové, soixante années d’absence de l’animal en France (NDLR : jusqu’en 1992) ont contribué à lui donner une image idéalisée.

« On a écrit de belles histoires, façon Kevin Costner. Mais ici, nous ne sommes ni dans le Grand nord, ni dans les plaines de l’Ouest américain. Il n’y a pas assez de place pour le loup ».

José Bové entend donc réclamer une augmentation des autorisations d’abattage en France.

Et surtout, une révision urgente de la directive européenne Habitat, qui, avec la Convention de Berne, protège la bête : « Je lance un appel solennel aux ministres de l’Écologie et de l’Agriculture, Philippe Martin et Stéphane Le Foll, pour qu’ils entament au plus vite des discussions en ce sens avec la Commission européenne. »

Le si grand méchant loup (vu par le Nouvel Observateur)

 Il n’est pas bien de boire, mais Dieu que c’est bon. Les vapeurs obscurcissant encore ma vue, je vous livre pour réflexion un article publié dans le  « grand journal de la gauche intellectuelle et morale », c’est-à-dire Le Nouvel Observateur. J’ai mis d’autorité des guillemets, car tout de même, on conserve le droit de se moquer des Précieuses ridicules. Et ce droit, je l’exerce sans demander l’autorisation. Donc, Le Nouvel Obs.

Dans le papier qui suit, un François [rectification du 2 janvier] Caviglioli enfile les perles les plus usées par tripotage qui soient. Son propos est tellement imbécile, à ce point éloigné des réalités qu’il en devient une cible trop facile. Bien entendu – mais comment faire face à un sourd professionnel ? -, le Loup n’a pas été réintroduit. Il est revenu de façon naturelle depuis ses refuges italiens des monts Apennins, ainsi que des biologistes de réputation mondiale, comme Luigi Boitani, l’avaient annoncé dix années avant sa réapparition officielle, en 1992. Et s’il a été exterminé une première fois, ce n’est nullement grâce aux lieutenants de louveterie, mais aux primes d’État, à la strychnine et aux pétoires des villageois.

Évidemment, la rumeur visant Manfred Reinartz, opportunément Allemand, n’est que resucée des pires légendes du passé. Tout le reste est de la même eau empoisonnée. Le Loup est cruel, le berger est bien à plaindre. L’animal est même une « vache sacrée », façon Inde de pacotille, le paysan est méprisé, etc. Or, il faut s’attendre à tout de la part de ce monstre, qui ne pense qu’à une chose, le soir autour du feu : pénétrer « au cœur des villes pour y déchiqueter des enfants ».

Le sommet est peut-être atteint – mais comment être sûr, de la part d’un tel grand journaliste ? – avec cette présentation loufoque de la pensée supposément profonde de mes chers amis de l’Association pour la Protection des Animaux sauvages (Aspas). Pour cet excellent monsieur Caviglioli, l’Aspas et les « durs de l’environnement », dont je suis fatalement,  estiment que « le monde est trop policé, l’homme a souillé, domestiqué et dévasté la nature, alors que le loup incarne la liberté ». Notre grand reporter aura peut-être abusé de la lecture de Tintin et Milou, mâtinée comme il se doit d’un soupçon de Luc Ferry.

Une telle stupidité, une telle absence de la moindre recherche, une telle suffisance sont-elles graves ? Ma foi, je ne sais pas trop. Ce que démontre une fois de plus le texte de Caviglioli, c’est qu’un abîme sépare les petits marquis de son genre, soutenus par les grands féodaux de la « gauche intellectuelle et morale » et ceux qui cherchent des réponses à la crise de la vie sur Terre. Ils sont fats. Nous sommes peu.

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L’article du Nouvel Obs

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Le gentil petit loup et le grand méchant berger

 

Par 

Par un incroyable retournement de situation, les carnassiers sont devenus une espèce protégée, tandis que paysans et bergers sont en voie de disparition

Dans le Mercantour, il y a toujours un loup à l'origine de nos peurs. (Patrice Lapoirie-Maxppp)

(photo Patrice Lapoirie-Maxppp)

On croyait que le loup, exterminé par les lieutenants de louveterie, puis par l’urbanisation, avait disparu pour toujours. Il avait si longtemps fait régner la terreur. C’était la bête cruelle, aux techniques de prédation et de combat infaillibles, qui ne se contentait pas d’attaquer les troupeaux et leurs gardiens, mais qui entrait dans les villages, les années de grand froid, de guerre et de famine, pour y dévorer des enfants. Elle traquait aussi bien les humbles serfs que les grands de ce monde comme Charles Quint, harcelé par une meute de loups affamés sur une route de son immense empire. Mais on se trompait.

Les loups vont-ils entrer dans Paris comme dans la chanson de Serge Reggiani ? La capitale va-t-elle ressembler à la vision qu’en donne Péguy, « la plus énorme horde où le loup et l’agneau aient jamais confondu leur commune misère » ? »Le loup est revenu ». Ainsi l’affirme Anne Vallaeys dans son livre (1). Tout a commencé dans le Mercantour. En 1977, on découvre douze dépouilles de mouton. Le cauchemar n’est pas fini. Il y a toujours un loup à l’origine de nos peurs. Au début, on a peine à y croire dans ce parc naturel de châtaigneraies et déjà peuplé de lynx, de sangliers, de chamois, de mouflons et de lagopèdes. On parle d’un drôle d’animal au pelage gris jaunâtre. Mais il faut se rendre à l’évidence : il s’agit bien d’un loup. Le Mercantour a beau être presque inhabité, il n’en bruisse pas moins de rumeurs. On évoque une vieille légende, celle du maître des loups, ce personnage inquiétant qui élève des loups, parle leur langage et les dresse à lui obéir au doigt et à l’oeil avant de les lâcher dans la nature pour le plaisir de terroriser les humains. Tous les regards se tournent vers un industriel allemand, Manfred Reinartz, qui a clôturé son domaine de hauts murs dans la forêt.

Les solitudes du Mercantour

L’été dernier, Didier Trigance, un éleveur d’ovins exaspéré par trois loups qui lui ont tué deux agneaux, trois brebis et six de ses chiens, frappe avec un manche de pioche deux agents du parc national venus faire un « constat loup ». Il avait entendu ou cru entendre l’un d’eux lui dire avec mépris : »Ici, on n’a plus besoin de vous. » On ne saura jamais ce qui s’est exactement dit dans les solitudes du Mercantour, ce massif qui s’étend, au sud des Alpes, sur près de 70.000 hectares et s’étage de 490 à 3.143 mètres. Toujours est-il que Didier Trigance, dont les ancêtres ont toujours mené leur troupeau sur cette estive, le prend très mal. Il est véritablement endeuillé par la mort de ses chiens. Il ne lui reste plus qu’une chienne un peu craintive, et les chiens de berger sont de plus en plus rares et de plus en plus chers. Il a un coup de sang, et déclenche une jacquerie à lui tout seul. Le tribunal de Nice lui infligera trois mois de prison avec sursis, une clémence qui traduit l’embarras et la culpabilité de l’Etat.

Cette affaire survient à un moment critique : la fin de l’ère agricole où le paysan était intouchable et l’avènement d’une nouvelle ère furieusement écologiste où les derniers paysans sont des ennemis qui s’opposent au retour à la vraie nature dans la pureté de ses origines. Aujourd’hui, c’est le loup qui est intouchable. La convention de Berne de 1979 et la directive Habitats Faune Flore de 1992 lui assurent un statut de protection et ont fait des éleveurs et des bergers une espèce en voie de disparition dont personne ne se soucie. Les éleveurs sont des survivants abandonnés à leur sort. On n’a plus besoin d’eux, comme l’a peut-être dit le garde du parc national.

Un animal domestique comme les agneaux qu’il dévore

Les pouvoirs publics se sont peu à peu rendus aux raisons de l’Association pour la Protection des Animaux sauvages (Aspas) et des durs de l’environnement : en gros, le monde est trop policé, l’homme a souillé, domestiqué et dévasté la nature, alors que le loup incarne la liberté. Le méchant, aujourd’hui, c’est le berger. Le croquant. Mais ce loup réintroduit n’est plus un animal sauvage puisqu’il est protégé. C’est un animal domestique, comme les agneaux qu’il dévore.
A l’abri d’une législation qui fait d’eux des animaux sacrés, comme les vaches en Inde, les loups sont de plus en plus nombreux, ils agrandissent leur territoire et s’aventurent maintenant dans les plaines. Ils peuvent parcourir 50 kilomètres par nuit. Leurs attaques sont de plus en plus fréquentes dans les élevages ovins de la Haute-Marne et de l’Aube où se réveillent les grandes colères paysannes du passé.

Le loup a un solide appétit. Il consomme 2 ou 3 kilos de viande par jour. Ce sont les éleveurs qui régalent : les animaux domestiques constituent de 10% à 25% de son régime alimentaire. Le loup est partout chez lui, dans les montagnes, les grandes plaines agricoles. Il s’est affranchi de la forêt. Il est encore rebuté par les villes parce qu’il a peur de l’homme. Mais pour combien de temps ?

Les loups se risqueront-ils bientôt au coeur des villes pour y déchiqueter des enfants, comme le font parfois les chiens qui ont pourtant la faveur du public ? Méfions-nous de « nos amies les bêtes ». Les croisés de l’écologie dure, les partisans d’un retour à une virginité édénique devraient méditer ce qu’Alfred de Vigny fait dire à la nature : « On me dit une mère et je suis une tombe. »

(1) « Le loup est revenu », par Anne Vallaeys, Editions Fayard, 300 pages.

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20131220.OBS0335/le-gentil-petit-loup-et-le-grand-mechant-berger.html nike air max trainers nike air max trainers

L’état réel du monde (l’enfumage de l’entreprise Wilmar)

Ce papier ne concerne pas notre quotidien. Mais un écologiste sincère peut-il détourner son regard de ce qui se passe ailleurs, au loin, qui touche les hommes, les bêtes, les arbres ? Vous avez comme moi la réponse, et c’est pourquoi je souhaite que vous lisiez ce qui suit avec l’intérêt que cela mérite. Mais commençons par planter le décor : Wilmar.

Wilmar est une énorme entreprise asiatique, qui fait son chiffre d’affaires – près de 45 milliards de dollars en 2011 – dans l’agriculture industrielle. Et plus précisément encore grâce au palmier à huile, dont on tire non seulement des matières grasses à bon marché, mais aussi des biocarburants, autrement appelés nécrocarburants. La si précieuse Emmanuelle Grundmann a écrit il y a peu un livre bourré d’informations rares sur le sujet (Un fléau si rentable, Calmann-Lévy, 262 pages, 16,90 euros, 2013). Je ne me souviens pas d’y avoir lu mention des surfaces plantées en palmier à huile, mais le chiffre doit y être. Celui qui me tombe sous la main, qui date de 2009, parle de 15 millions d’hectares dans le monde. Nous devons en ce cas avoir dépassé les 20 millions, car cette culture industrielle est une peste qui se répand comme telle.

Inutile de m’appesantir : le palmier à huile n’est comparable, dans les temps présents, qu’au désastre total engendré par le soja transgénique, qui a changé la structure physique de pays comme le Paraguay, l’Argentine (au nord), le Brésil (au sud). Et comme lui, il détruit tout : les cultures paysannes locales, les animaux, les forêts bien sûr. Parler de crime paraît modéré, compte tenu de l’extrême violence des destructions. Mais si l’on doit s’accorder sur le mot, disons alors qu’il s’agit d’un crime majeur.

Wilmar, donc. Le 9 décembre dernier, je reçois un message des Amis de la Terre, association pour laquelle j’ai une sympathie mesurée, mais réelle. Son titre est un cri de triomphe : Huile de palme : la multinationale Wilmar cède sous la pression de la société civile et de ses financeurs. Une telle annonce est si inattendue qu’immédiatement, et contre l’évidence, j’espère une vraie bonne nouvelle. Ce que dit le communiqué, c’est que « les Amis de la Terre ont interpellé BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole et Axa. Seule la BNP Paribas a réellement pris au sérieux la gravité des pratiques dénoncées et reconnu sa responsabilité en tant que financeur de Wilmar. Alertée, la banque française a à son tour fait pression sur Wilmar pour leur demander de rendre des comptes ».

Wilmar, rendre des comptes, et sous la pression des Amis de la Terre ? Dès la lecture de cette phrase, je savais qu’on se trouvait en pleine fantasmagorie, celle qui préside aux communiqués triomphants d’autres associations, comme Greenpeace ou le WWF, qui ont un besoin vital de prouver à leurs chers donateurs que l’argent est bien employé. Oui, une complète fantasmagorie. Et le reste était pire encore : « Lucie Pinson, chargée de campagne Finance privée pour les Amis de la Terre conclut : “L’annonce de Wilmar montre que notre stratégie de pressions sur les banques peut être très efficace et entraîner des changements au sein des entreprises. Nous avons pu le constater lors des différents entretiens avec BNP Paribas. Il est donc plus que jamais utile que les citoyens se mobilisent pour interpeller leur banque” ».

Oh ! des changements au sein des entreprises ? Wilmar la vertueuse aurait décidé de ne plus s’approvisionner auprès de fournisseurs d’huile travaillant dans l’illégalité. Fantastique ! Je profite de l’occasion pour dire aux Amis de la Terre qu’en Indonésie et en Malaisie, terrains privilégiés de profits pour Wilmar, la loi, c’est eux, représentée sur place par leurs amis. Inverser un tel rapport de forces nécessite un peu plus qu’agiter ses petits bras. Croyez-en un vieux cheval fourbu comme moi.

Ce n’est pas tout, car j’ai reçu dans le même temps que ce communiqué une information accablante de l’association Grain, l’une des plus chères à mon âme (c’est ici). Vous lirez, je l’espère, mais je dois en faire un commentaire, qui conclura mon propos. Nous sommes cette fois au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec ses 170 millions d’habitants. Je ne sais évidemment pas ce que cette poudrière va devenir, mais il faudrait être bien sot pour espérer qu’elle n’explosera pas. Les affrontements entre chrétiens, animistes et musulmans ne sont que l’une des faces d’une dislocation générale, sur fond de folie écologique.

Dans ce pays ne subsistent que des confetti de forêts tropicales, et ces confetti se changent en poussière rouge latérite. Le village d’Ekong Anaku, dans le sud-est du pays, conserve – conservait ? – l’usage d’un lambeau de quelques milliers d’hectares. Et puis les corrompus de Lagos, la capitale, se sont emparés de ce que les villageois avaient accepté de transformer en réserve. 10 000 hectares d’un seul tenant. Un vol pur et simple dans ce pays dirigé par des kleptocrates. En 2011, le voleur, qui n’avait pas payé un centime son butin, décide de le revendre à une opportune société étrangère, empochant un nombre indéterminé de millions de dollars. Et cette entreprise, c’est Wilmar International, celle qui s’achète une belle conscience auprès des naïfs des Amis de la Terre.

Le point de vue d’un chef villageois : « Obajanso [le voleur] n’avait absolument pas le droit de vendre ces terres. Si vous achetez un bien volé, vous ne pouvez pas dire qu’il vous appartient. » Si. Au Nigeria comme en Malaisie, c’est possible, et c’est même certain. Wilmar a commencé de planter des palmiers et on voit mal cette transnationale rendre le bien si mal acquis à ses légitimes propriétaires.

Quelle morale à tout ce qui précède ? J’en vois une : faire semblant d’agir et d’obtenir des résultats est encore pire que de ne rien faire du tout. Cela détourne, cela assoupit, cela trompe. J’en vois une autre : qui n’a pas envie d’affronter les monstres doit rester à la maison. La bataille contre la destruction du monde fait partie d’une guerre de tranchées dans laquelle nous avons le grand privilège d’être à l’arrière, buvant du champagne et festoyant, tandis que d’autres meurent. Je n’ai aucune envie de mourir, mais il serait temps de se mettre d’accord sur les enjeux du combat et les risques que nous décidons en conscience de courir. En attendant, qu’on nous foute la paix avec les bluettes. Les activités d’une transnationale sont par définition amorales. Et quand elles s’attaquent ainsi, frontalement, aux être vivants, à tous les êtres vivants, arbres compris, il faut avoir le courage élémentaire de désigner un ennemi. Pas un adversaire. Un ennemi.

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