Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Deux gauches sont dans un bateau

Cet article a paru dans Charlie Hebdo

Au Brésil, c’est le bobinard. Alors que les manifs reprennent, contre la Coupe du monde de foot et le reste, deux gauche s’affrontent. Le parti de Lula contre une certaine Marina Silva.

Ça merdoie pour Dilma Rousseff, présidente du Brésil, mais grave. On se souvient des manifs monstres commencées en mars à Porto Alegre : après avoir gueulé contre le prix des tickets de bus, des millions de gens ont déferlé dans tout le pays en insultant dame Rousseff, notamment à cause des dépenses délirantes engagées pour la Coupe du monde de foot, qui devraient dépasser 10 milliards d’euros.

À distance, les Brésiliens paraissent bien moins cons que nous. Ce printemps, ils défilaient aux cris de «  Brésil réveille-toi, un professeur vaut plus que Neymar [héros du foot national] ! », et voilà qu’ils remettent le couvert. Les enseignants des écoles publiques sont en grève depuis plus de deux mois, et les manifs de soutien prennent de vives couleurs. 50 000 personnes ont défilé dans les rues de Rio le 7 octobre, relayées en fin de cortège par des servants du drapeau noir – on les nomme Black Block -, qui ont brûlé de la banque et heurté pas mal de flics.

On résume la situation générale pour les oublieux : le Brésil est depuis 2011 la sixième puissance économique mondiale, derrière nous, devant le Royaume-Uni. Si l’on s’en tient aux mesures de richesse classiques, bien sûr, qui ne veulent rien dire de vrai. N’empêche qu’une page est tournée, et que les 200 millions de Brésiliens commencent à compter autrement que pour du beurre ou de la canne à sucre.

On le sait, le pays est tenu par le Parti des travailleurs (PT) de Lula, qui a laissé sa place de président à Dilma Rousseff en 2010. Cette dernière, une ancienne de la guérilla, est une caricature de la gauche « développementiste », pour laquelle il faut des barrages hydro-électriques partout en Amazonie, et ailleurs des forages pétroliers, des centrales nucléaires, des sous-marins d’attaque, de vastes monocultures de canne à sucre – pour les biocarburants – et de soja transgénique pour doper les exportations. Sans compter de nouveaux stades de foot.

Justement, le foot. Le 8 octobre, notre Français à nous, le numéro 2 de la Fifa Jérôme Valcke, s’est fait insulter au cours d’une visite dans un stade brésilien en construction, par quelques enseignants teigneux. On aurait voulu être là, d’autant que ce Valcke est un grand homme. N’a-t-il pas déclaré en avril : « Un moindre niveau démocratique est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde » ?

C’est dans ce contexte détendu que Marina Silva vient de décider un coup politique qui enflamme toute la presse brésilienne. Silva a été ministre de l’Environnement de Lula avant de lui claquer entre les doigts en 2008, et de faire près de 20 % des voix à l’élection présidentielle de 2010, empêchant Rousseff, qu’elle déteste, de passer au premier tour.

Silva est une vraie pauvre, née dans une famille de seringueiros, ces gueux qui récoltent le caoutchouc des hévéas. Pour comble, elle est écologiste, et s’oppose sans cesse aux grands projets industriels de Rousseff. Elle soutient par exemple les Indiens d’Amazonie qui protestent contre le méga barrage de Belo Monte et tempête contre les connivences de Rousseff avec l’agro-industrie, puissance colossale au Brésil. Le pouvoir de Brasilia a tenté toutes sortes de manœuvres pour lui interdire une nouvelle candidature à l’élection présidentielle de 2014, refusant notamment d’enregistrer officiellement son parti – Rede Sustentabilidade -, condition sine qua non d’une participation électorale. Mais Silva, qui n’est pas née de la dernière pluie, a trouvé une parade, en rejoignant à la stupéfaction générale, le petit Parti socialiste brésilien (PSB), ancien allié de Lula.

Le PSB a déjà son candidat pour la présidentielle, mais contrairement à ce qu’ont pu penser les journalistes pressés, Silva entend bien lui contester l’investiture de son parti. Ce qui veut dire très simplement que l’élection de 2014 est désormais ouverte en grand. Dans les sondages, Rousseff a vingt points d’avance sur Silva, mais vu le bordel ambiant et la gnaque de Marina Silva (1), le Parti des Travailleurs de Lula-Rousseff a très chaud au cul.

(1)  Elle est aussi évangéliste – protestante, donc – et réclame un référendum sur l’avortement, après avoir longtemps défendu son interdiction. Mais ceci est une autre histoire.

Une botte de poireaux, trois kilos d’oiseaux (la nature monétarisée)

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 9 octobre 2013

La nature a-t-elle un prix ? Peut-elle être vendue sur les marchés ? Oui, jure le Conseil économique, social et environnemental, où siègent des « écologistes » bien propres sur eux.

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Belles moquettes, beaux salons, superbes breloques. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont tout le monde se fout, entretient 233 conseillers : des patrons, des syndicalistes, des pedzouilles, et depuis Sarkozy des écolos dûment estampillés, qui savent rester gentiment à leur place. Compter 3800 euros par mois d’indemnités, et jusqu’à 7500 euros pour le président. Le tout siégeant quatre après-midi par mois au charmant palais d’Iéna, à Paris.

Le CESE, purement consultatif, donne des avis au Sénat, à l’Assemblée, au gouvernement, et pond d’ébouriffants rapports. Par exemple, et parmi les tout derniers : « La coopération franco-allemande au cœur du projet européen », « Pour un renforcement de la coopération des Outre-mer », « Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ? ». On ne rit pas, c’est sérieux.

On s’arrêterait volontiers là si une vilaine opération n’était en cours, façon ballon d’essai. Pour bien comprendre la suite, un mot sur les « mesures compensatoires » en cas de destruction d’un milieu naturel. Un aménageur ne peut aujourd’hui tout bousiller que s’il dispose d’un plan  destiné à compenser ailleurs. En remplaçant par exemple un bout de marais ou de forêt, plus ou moins comparables au plan biologique.

C’est con, mais en plus, ça coince. Les mesures proposées en remplacement des 2 000 hectares où Ayrault veut foutre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont contestées de toute part. Par les naturalistes de terrain, mais aussi par plusieurs commissions officielles. Or le même Ayrault, s’appuyant sur le rapport Boulard-Lambert (Charlie du 24 avril 2013), ne rêve que d’une chose : contourner les rares lois de protection de la nature, et combattre « l’intégrisme normatif dans le domaine de l’environnement ». La croissance, à tout prix.

Chaussons ces lunettes et lisons le dernier Avis du CESE sur la biodiversité (http://www.lecese.fr). Au détour d’une phrase, on s’attaque sans préavis à près de quarante ans de lois censées protéger la nature. Citation : « Dans le cas où les espaces consommés ne peuvent pas être compensés en surfaces », eh bien, il faudra bien trouver autre chose. C’est le bon sens qui parle. Et le CESE d’ajouter : « Il doit être envisagé, dans les cas où la compensation écologique en surface de terrains est contre-productive, voire impossible, que celle-ci soit monétarisée ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est une révolution. En clair, l’adoption du langage de l’économie et de la finance : tu détruis, mais tu paies. Derrière les mots, des dizaines, des centaines de banques et d’agences, dans le monde entier, se voient en « instruments financiers innovants », veillant aux « paiements pour services écosystémiques ». Commentaire de Maxime Combes, d’Attac (http://bastamag.net), à propos d’une tendance mondiale au « capitalisme vert » : « Niant la complexité, l’unicité et l’incommensurabilité des écosystèmes, cette approche transforme les écosystèmes et les services qu’ils rendent en actifs financiers comparables, quantifiables et échangeables sur des marchés ».

Bien entendu, on n’en est pas là en France, et l’Avis du CESE pourrait n’être qu’un feu de paille. Mais il provoque des secousses dans le milieu associatif. À commencer par les Amis de la Terre, dont la présidente actuelle, Martine Laplante, membre du CESE, a voté sans état d’âme le texte. Plusieurs adhérents, parmi les plus anciens, ne rêvent que de la lourder au plus vite, rappelant l’une des dernières grandes campagnes internationales des Amis de la Terre : « La nature n’est pas à vendre ».

De leur côté, les dirigeants de France Nature Environnement (FNE) – 3 000 associations revendiquées – membres du CESE ont voté l’Avis en bloc. Commentaire d’un responsable, opposant de longue date à la ligne majoritaire : « Sans débat interne, sans égard pour les luttes en cours, voilà nos cadors du CESE qui se lancent dans la financiarisation de la nature ». Sans débat, c’est vite dit, car ils en ont forcément parlé entre eux.

Badinter, Chevènement, Juppé et Rocard au service du scientisme

Le texte qui suit est tiré du quotidien Libération de ce matin, le 15 octobre 2013. C’est une perle, et c’est pourquoi je le publie de nouveau sur Planète sans visa. De quoi parle-t-il ? De la peur. De la peur et du désarroi que ressentent une poignée de vieux scientistes – Badinter, 85 ans; Chevènement, 74 ans; Juppé, 68 ans; Rocard, 83 ans – face à une réalité fantasmatique. Ne nous attardons pas sur le grotesque, si évident. Parlant de science, ces gens n’expriment que des émotions et des impressions. La critique de la science serait inquiétante, et les scientifiques seraient attaqués de plus en plus souvent. Où sont les faits ? Nulle part.

 Non, passons sur ce qui n’est que détail. En revanche, et sur le fond, il faut s’attarder. Car ces grands idiots ne voient pas même cette évidence que la science n’a jamais connu pareille « liberté ». Les pouvoirs politiques, à mesure que se renforce l’industrialisation du monde, lâchent toujours plus la bride aux chercheurs, pensant avec une naïveté grandissante qu’ils finiront bien par trouver des solutions aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, notons que les chercheurs et applicateurs techniques nous ont apporté sans que nous n’ayons rien demandé l’atome et la possibilité d’en finir avec l’espèce ; l’industrie chimique de la synthèse et les pesticides, accompagnés d’un empoisonnement désormais planétaire ; les nanotechnologies ; les abatteuses d’arbres, capables de couper, ébrancher et billonner un tronc en moins d’une minute ; des filets dérivants en nylon de 100 kilomètres de long, etc. Et quand j’écris etc., je veux réellement dire et cætera, sûr que vous complèterez jusqu’à demain matin cette liste sans fin.

Non, vraiment, ce sont des idiots. Et il m’est plaisant de compter parmi eux Robert Badinter, désastreuse icône de la gauche bien-élevée, au motif qu’il aura incarné l’abolition de la peine de mort chez nous en 1981, mesure décidée au Venezuela dès 1863, 120 ans plus tôt. La mémoire est une folle dame. Qui sait ou se souvient que Robert Badinter passa une bonne part de sa vie professionnelle à défendre des patrons ? Et notamment dans la sinistre affaire du talc Morhange (ici) ? Quant aux autres, faut-il insister ? Chevènement, grand homme miniature qui voulait rompre avec le capitalisme en 100 jours, entre mai et juillet 1981, et qui termine aujourd’hui sénateur. Juppé, qui a rêvé toute sa vie d’être président, et qui n’aura fait que Premier ministre droit dans ses bottes. Rocard, 100 fois humilié et ridiculisé par Mitterrand, incapable de construire autre chose que des châteaux de cartes. Bah !

 La bande des Quatre nous raconte une histoire totalement imaginaire à laquelle elle croit sans nul doute. Le débat sur la science et la technique est truqué et rendu inutile par les chefferies administratives qui l’organisent. Mais cela ne suffit pas à nos maîtres. Ils voudraient que cessent la mise en cause et la critique. Ils voudraient pouvoir continuer sans limite aucune, jusqu’à la fin des fins, qui semble s’approcher de plus en plus. Ils ne voient pas même qu’ils réclament la dictature, l’effacement du dissensus par l’intervention de l’État. Vu d’ici, cela fait furieusement penser à un paratotalitarisme.

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La tribune de Libération

La France a, plus que jamais, besoin de scientifiques et techniciens

Nous assistons à une évolution  inquiétante des relations entre la société française et les  sciences et  techniques. Des minorités constituées autour d’un rejet de celles-ci tentent d’imposer peu à peu leur loi et  d’interdire progressivement tout débat sérieux et toute expression publique des scientifiques qui ne partagent pas leurs opinions. L’impossibilité de tenir un débat public libre sur le site de stockage des déchets de la CIGEO (Le site souterrain de stockage des déchets hautement radioactifs proposé par l’ANDRA) est l’exemple le plus récent de cette atmosphère et de ces pratiques d’intimidation, qui spéculent sur la faiblesse des pouvoirs publics et des élus.

De plus en plus de scientifiques sont pris à partie personnellement s’ils osent aborder publiquement et de façon non idéologique, des questions portant sur les OGM, les ondes électromagnétiques, les nanotechnologies, le nucléaire, le gaz de schistes….Il devient difficile de recruter des étudiants dans les disciplines  concernées (physique, biologie, chimie, géologie). Les organismes de recherche ont ainsi été conduits à donner une forte priorité aux études portant sur les risques, même ténus, de telle ou telle technique, mettant ainsi à mal leur potentiel de compréhension et d’innovation. Or  c’est bien la science et la technologie qui, à travers la mise au point de nouveaux procédés et dispositifs, sontde nature à améliorer les conditions de vie des hommes et de protéger l’environnement.

La France est dans une situation difficile du fait de sa perte de compétitivité au niveau européen comme mondial. Comment  imaginer que nous puissions remonter la pente sans innover? Comment innover si la liberté de créer est constamment remise en cause et si la méfiance envers les chercheurs et les inventeurs est  généralisée, alors que l’on pourrait, au contraire, s’attendre à voir encourager nos champions ? Il ne s’agit pas de donner le pouvoir aux scientifiques mais de donner aux pouvoirs publics et à nos concitoyens les éléments nécessaires à la prise de décision.

Nous appelons donc solennellement les médias et les femmes et hommes politiques à exiger  que les débats publics vraiment ouverts et contradictoires puissent avoir lieu sans être entravés par des minorités bruyantes et, parfois provocantes, voire violentes. Il est indispensable que les scientifiques et ingénieurs puissent s’exprimer et être écoutés  dans leur rôle d’expertise. L’existence même de la démocratie est menacée si elle n’est plus capable d’entendre des expertises, même  contraires à la pensée dominante.

 Robert Badinter, ancien Ministre, ancien Président du Conseil Constitutionnel

Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre de la Recherche et de la Technologie, ancien Ministre de la Recherche et de  l’Industrie, ancien Ministre de l’Education Nationale

Alain Juppé, ancien Premier Ministre

Michel Rocard, ancien Premier Ministre

Victoire au bois de Tronçay !

Je vous remets ci-dessous un papier de Planète sans visa. Et si je le fais, c’est la joie au cœur. Les bonnes nouvelles sont rares, mais elles existent. Par une décision du 9 octobre, le Conseil d’Etat a confirmé l’annulation du projet de méga-scierie dans le bois de Tronçay (Nièvre), prononcée par le tribunal administratif de Dijon le 27 février 2013. Que les valeureux qui se sont opposés, sur le terrain, aux bulldozers, savent qu’ils sont à mes yeux, des héros. Les héros modestes d’un combat planétaire. Sans réserve aucune, champagne !

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Massacre au bois de Tronçay (un autre Notre-Dame-des-Landes)

Une putain d’affaire. Vraiment, on ne voit pas un pareil désastre tous les matins. Je résume, et prie les acteurs locaux d’excuser d’éventuelles erreurs. Comme souvent, les choses sont un peu compliquées. Je commence par le lieu, qui est une forêt de 110 hectares bordée par l’Yonne d’un côté, la rivière Sardy et le canal du Nivernais de l’autre. Nous sommes tout près du du parc naturel régional du Morvan, dans l’arrondissement de Clamecy et le département de la Nièvre. Un château fort connu des historiens, celui de Marcilly, domine les environs.

Pascal Jacob, président du Medef

Le coin est paumé, c’est-à-dire en réalité préservé comme bien peu. Les élus locaux, aussi malins qu’ailleurs, décident voici une poignée d’années de « créer de l’emploi » et achètent à prix d’or, dans des conditions d’ailleurs discutées, le bois de Tronçay, avant de le refiler à une scierie industrielle belge, Fruytier. Laquelle, après mûre réflexion, décide d’aller installer ailleurs en Bourgogne ses activités. Tête des élus, qui ont emprunté et se retrouvent lourdement endettés. Heureusement pour eux arrive Pascal Jacob, président du Medef en Bourgogne. Comme le gars a fait une école du Bois, il a de grandes idées sur le sujet, et depuis une bonne dizaine d’années, il est lobbyiste en chef de l’industrie du sciage. Il a fait le siège de tous les politiques possibles pour leur vendre son idée fixe, qui est de « réindustrialiser les campagnes » par l’installation de scieries. Bon, après le lâchage des Belges de Fruytier, les élus locaux tombent dans les bras de Jacob, dont on lira pour se marrer le blog, chef-d’œuvre on ne peut plus involontaire (ici).

Jacob se lance dans un nouveau projet, toutes voiles dehors (ici, la localisation sur Google Map). À la tête de l’entreprise Erscia, lancée tout spécialement, il entend créer ex nihilo un géant du bois : 300 000, puis 500 000 m3 de grumes sciés sur place chaque année. Sont également prévues une centrale électrothermique et une unité de pelletisation, c’est-à-dire de fabrication de granulés de bois. À quoi on ajoutera pour faire bon poids de la cogénération, cette tarte à la crème désormais dans tous les projets dégueulasses, et de la production d’électricité, ainsi que 120 emplois créés, et 148 millions d’euros d’investissement, etc. Notons ensemble qu’il ne s’agit là que de promesses, qui n’engagent jamais que ceux qui les croient. Mais passons, non sans avoir ajouté que Pascal Jacob est un as de la novlangue qui présente son beau projet comme « exemplaire en matière d’énergie verte »,  qui se substituera pour sûr « aux énergies fossiles et à l’énergie nucléaire ».

Au pays des pique-prunes

Or donc, un fier capitaine d’industrie veut s’emparer, pour le bien de la planète, d’un bois de 110 hectares. En août 2011, les pelleteuses et les bulls sont là. Suis-je bête ! J’avais oublié de préciser que le projet incluait la dévastation du lieu, par défrichement quasi-total. Jacob ayant oublié un détail – une telle destruction est tout de même soumise à autorisation -, les travaux sont stoppés. Je résume encore, bien obligé. Une enquête publique a lieu, et un premier avis du consultatif Conseil national de protection de la nature (CNPN) est donné. Il est défavorable pour la raison évidente que le bois de Tronçay est une merveille de biodiversité. On y trouve, au milieu de quantité d’autres beautés, des insectes très protégés, comme le Grand capricorne, la lucane cerf-volant, et ce pique-prune qui, jadis, stoppa à lui seul une autoroute (ici). En bref, les promoteurs de cette scierie sont des barbares, espèce qui semble ne jamais devoir être menacée.

Je survole à nouveau. La population locale se mobilise grandement (ici), le CNPN donne au total trois avis défavorables – ce doit être un record -, mais le projet avance à tous petits pas, sans réellement s’arrêter. C’est qu’il est soutenu d’une manière épouvantable par la préfète de la Nièvre, Michèle Kirry, qui doit tout à la gauche gouvernementale, et singulièrement au ministre de la police, Manuel Valls. Ancienne élève de l’Ena, elle a occupé diverses fonctions dans plusieurs ministères avant d’être nommée préfète en novembre 2012. Sitôt arrivée, elle marque le territoire, et de quelle manière ! Le 4 février 2013, madame Kirry pond un arrêté scélérat, qui malgré diverses décisions judiciaires et administratives, ouvre la voie au grand massacre. Une grosse heure après, les les machines sont là, et les arbres tombent.

Christian Paul et Arnaud Montebourg

Question de simple bon sens : pour quelle raison une préfète si récemment arrivée prend-elle une décision aussi grave ? Outre le fait que les élites, en totalité, se contrefoutent de la nature, il faut y ajouter le poids de Christian Paul. Comme on n’a pas le droit d’insulter un noble élu de la République, je m’en garderai bien. Paul est socialo, ancien élève de l’Ena bien sûr, insignifiant secrétaire d’État sous Jospin, entre 2000 et 2002, et il a occupé diverses fonctions locales, parmi lesquelles maire de Lormes, conseiller général, conseiller régional. Il est en ce moment député de la Nièvre. Et bien sûr, il défend de toutes ses forces d’apparatchik le projet de destruction du bois de Tronçay. Quand on n’a pas la moindre idée de l’avenir, pourquoi ne pas faire semblant ? Il a, au reste, rencontré hier notre si formidable ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui l’a assuré de son indéfectible soutien au projet Erscia. On comprend mieux l’engagement si intense de madame la préfète de la Nièvre.

Mais où en sommes-nous ce 7 février à 22 heures ? Sur place, de valeureux combattants, que je salue ici, occupent comme ils peuvent le bois. Sans pour l’instant parvenir à empêcher le passage des engins. Cela donne à peu près cela :

Seulement, la messe est loin d’être dite, et les défenseurs de la forêt appellent maintenant à la création sur place d’une Zone à défendre (ZAD), sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes. Ils attendent de tous ceux qui peuvent un soutien, un coup de main, une visite, plus si c’est possible. J’en profite pour passer le message aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, et leur suggère d’envoyer sur place, au plus vite, une délégation. Ceux de Sardy ont un besoin immédiat de tam-tam, et de mobilisation. Je précise enfin que je n’aurai pas écrit ce texte sans la sollicitation de trois sources différentes :

1/ Mon ami Thierry Grosjean, de l’association Capen 71. Un mail : thierry.grosjean5@wanadoo.fr. Thierry est un véritable combattant de l’écologie.

2/ Une chère lectrice de ce blog, Sylvie Cardona, responsable de l’association Aves, http://www.aves.asso.fr/

3/ Enfin Anne Lhostis, de l’association Adret Morvan.

Un tout dernier mot. De nombreuses associations sont sur le pont, et elles m’excuseront de ne pas les citer toutes. Je me contenterai de donner ici le contact d’Adret Morvan. D’abord un site internet  : http://adretmorvan.org/. Ensuite une adresse électronique : contact@adretmorvant.org. Je (ne) suis (pas) payé pour le savoir, on ne peut se multiplier. Mais le combat pour le bois de Tronçais est un grand combat. Tous ceux qui iront là-bas pourront légitimement être fiers d’eux.

La grosse truanderie des barrages coréens

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 2 octobre 2013

Au pays du matin calme, on se paie des journées agitées. Derrière un gigantesque programme de barrages – terminé -, des flots de fric détournés au profit des nobles entreprises du pays.

Le « Projet des Quatre fleuves ». Sans aucun doute, l’une des plus belles arnaques des temps modernes. Et elle profite – Dieu quelle surprise ! – aux principales transnationales d’origine coréenne, soit Hyundai, Samsung et Daewoo, au travers de leurs filiales dans le secteur de la construction. Faut-il le rappeler ? Hyundai, c’est la bagnole, l’électronique, l’armée. Samsung, l’électronique aussi, la bagnole aussi, le téléphone portable. Daewoo, l’électronique encore, l’armée encore, la bagnole encore. Les trois tiennent la Corée, plus un paquet de politiciens locaux, ce qui peut toujours servir.

L’excellent Lee Myung-bak, président de février 2008 à février 2013, a bossé toute sa vie chez Hyundai, où il a gagné le surnom de « bulldozer », mais cela n’a rien à voir, car autrement, ce serait grave. En 2009, il lance un plan qui vise à changer la géographie physique de la Corée, assise depuis toujours sur les bassins versants des fleuves Han, Nakdong, Geum et à un degré moindre de celui du Yeongsan. Les quatre doivent être redécoupés par les ingénieurs et les machines, endigués par 16 grands barrages et quantité d’aménagements en béton brut, celui que préfèrent les aménageurs.

Pourquoi ? La question est vilaine. Et la réponse officielle est impeccable. Il s’agit de « restaurer » les rives abîmées des si jolis fleuves, prévenir les crues, favoriser le tourisme, assurer la production d’eau potable, etc. On en oublie, car la liste est longue. De 2009 à 2011, travaux, lourds engins, vastes profits. 80 % du programme se voit terminé en seulement deux ans. De multiples sondages montrent que 70 % de la population est contre les travaux, des centaines de comités se mobilisent, l’Église catho, puissante localement, et d’autres mouvements chrétiens hurlent à la mort. M. Bulldozer s’en tape, avance, et finit dans les temps.

Dès les premières semaines, des dizaines de milliers de riverains sont privés d’eau potable. Un mois plus tard, on apprend que près de 13 000 tonnes de déchets ont été abandonnées sur place. C’est le début d’une série d’épouvante. Malgré les barrages, ou plutôt à cause d’eux, des marées vertes se forment au long du fleuve Nakdong, corseté de barrages et privé ainsi de toute dynamique naturelle. On relève en août 2013 jusqu’à 15 000 cellules d’algues vertes par millilitre d’eau.

Parallèlement,  les bouches commencent à s’ouvrir, comme disait l’autre, et une commission d’enquête est lancée en mai de cette année. Les chiffres tombent. Le chantier de M. Bulldozer, qui devait coûter 10 milliards d’euros, dépasse 15,4 milliards. Les 960 000 emplois promis au départ ne dépassent pas 10 000. 15 des 16 barrages construits sont en très mauvais état, victimes de graves malfaçons. Et c’est alors, le 12 septembre, qu’éclate l’invraisemblable affaire Chang Sung-pil.

Il apparaît que ce dernier, nommé à la tête de la Commission d’enquête par quelque facétieux, est en réalité en cheville avec les constructeurs. Pensez ! il a bossé discrètement, de 2007 à 2009, pour Yooshin Engineering, groupe soupçonné d’entente illégale dans l’attribution des marchés liés aux barrages. Coincé comme il n’est pas permis, Chang démissionne, déclarant avec un flegme qu’on lui envie : « Je ne crois pas que je puisse continuer à occuper ce poste ».

Un autre Coréen, Choi Yul, est en taule depuis mars 2013 pour avoir protesté contre la construction des barrages. Écologiste d’une autre trempe que les zozos d’ici, il a créé la Fédération coréenne des mouvements écologistes (KFEM), adhérente des Amis de la Terre. De sa prison, il a envoyé une lettre dont Charlie extrait ces quelques mots : « Si être membre du mouvement écologiste me rend coupable, alors j’accepte avec joie ma condamnation. Je laisse à l’environnement, qui est le tribunal du futur, le soin de me juger ».

De leur côté, Hyundai, Samsung, Daewoo et leur ancien président d’ami font la gueule. Car le « Projet des 4 fleuves » devait être vendu clés en main à l’Algérie, à la Thaïlande, au Paraguay, au Maroc. Faudrait voir à mieux truander.