Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Un cadeau pour ceux qui traînent du côté du Vercors

Je n’ai pas une minute à consacrer à Planète sans visa, et j’en suis bien désolé. En passant, je vous signale deux journées d’éducation et de formation naturalistes, les 27 et 28 juillet. Sur le plateau du Vercors, qui est l’un des lieux les plus beaux que je connaisse. Ces deux journées sont organisées par Véronique Thiery et Jean-Marie Ouary, que je considère comme des amis, même si je ne les ai pas vus depuis des années.

Je puis vous assurer d’une chose : ces deux-là sont vrais. Vrais connaisseurs de la nature, vrais défenseurs de la vie, et au moins en ce qui concerne Jean-Marie, vrai baroudeur. Il est vrai que Jean-Marie, venu de Noisy-le-Sec, où j’ai moi-même habité, reste à sa façon une grande gueule de banlieusard. J’ajoute qu’il est l’un des plus grands défenseurs du Loup – présent sur le Vercors – en France.

Bref. Deux jours. L’un consacré aux ongulés, et l’autre aux carnivores. Le tarif est de 60 euros par jour, ce qui n’est pas rien, je le sais parfaitement. Mais je peux au moins vous assurer que ces deux-là ne volent personne. Si vous êtes dans le coin, et que vous avez décidé de casser votre tirelire, ma foi. Vous pouvez éventuellement vous recommander de moi.

L’association Mille Traces : http://www.mille-traces.org/

————————-
Les 27 et 28 juillet, mille traces organise deux journées de formation :

le 27 : les ongulés du Vercors
le 28 : les carnivores du Vercors

Ces journées se déroulent au départ de Saint-Agnan en Vercors (26420), elles s’adressent aux adultes uniquement. (Étudiants en biologie, passionnés de faune et flore etc.). Elle se déroulent en majeure partie sur le terrain, avec malgré tout un temps de présentation en salle. Prévoir un pique-nique.

Tarif : 60€/jour coût pédagogique.
Inscriptions sur réservation (formulaire-inscription-stage-2013.pdf)

Pour nos autres activités consultez notre site : http://www.mille-traces.org

Le Brésil a la tête pleine de merde

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 26 juin 2013

Le pays de Lula est devenu un repaire de beaufs et de bœufs, qui ne rêvent que de nucléaire, de barrages et d’avions de combat. L’écologiste Marina Silva sauve l’honneur et réclame un vrai changement.

Nul ne sait comment va tourner la mobilisation en cours au Brésil. Quand s’arrêteront les manifs ? Selon la version officielle, la merveilleuse croissance d’un pays devenu la septième « puissance économique mondiale » a créé des tensions, des contradictions, et de nouvelles exigences. Une partie des classes moyennes voudrait consommer davantage, à moindre prix. Le certain, c’est que derrière le rideau de scène se joue une tragédie.

Premier détour par Marina Silva, qui aura sa statue, aucun doute. Plus tard, quand elle aura été flinguée par des pistoleiros, cette joyeuse engeance au service du fric et des propriétaires terriens. En attendant, elle fait bien chier la présidente en titre, Dilma Roussef. Car Marina, longtemps membre du Parti des travailleurs (PT) de Lula et Roussef, n’a pas supporté la corruption massive de ses anciens copains et la destruction systématique des grands écosystèmes du pays, à commencer par les fleuves et la forêt amazonienne.

Ancienne très pauvre, proche du syndicaliste Chico Mendes, buté en 1988 par des tueurs à gage, elle est devenue écologiste, dans le genre sérieux, c’est-à-dire radical. Et populaire. Toute seule ou presque, elle a obtenu 19,33 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle du 16 mai 2010, contraignant Dilma Roussef, qui succédait à Lula, au ballottage. Ce qui ne s’oublie pas chez ces gens-là.

Si Marina Silva a tant cartonné, c’est parce qu’elle incarne une autre vision du Brésil. Ministre de l’Environnement de 2003 à 2008, elle s’est progressivement fâchée avec tous les apparatchiks du parti de Lula. Par exemple à propos du sort des Indiens, dont 500 ont été assassinés depuis 2003 selon les chiffres de l’Église catholique. Marina Silva n’a pas hésité à prendre position pour ceux qui s’opposent au barrage géant de Belo Monte sur le rio Xingu, en pleine Amazonie, dont le coût pourrait dépasser 20 milliards de dollars. Dans le Brésil d’aujourd’hui, c’est une déclaration de guerre à toutes les élites, à commencer par celles du Parti des travailleurs.

D’autant qu’elle s’oppose aussi au soja transgénique, dont les dizaines de millions d’hectares envahissent et trucident le cerrado, une savane d’une incroyable biodiversité, qui abriterait 160 000 espèces de plantes, de champignons et d’animaux. Selon les chiffres du gouvernement, la moitié du cerrado – environ 2 millions de km2 au total – aurait disparu en cinquante ans.

Pour faire bon poids, Silva critique aussi la transformation d’une part énorme de la canne à sucre en éthanol, un biocarburant destiné à la bagnole, et la déforestation de l’Amazonie, redevenue massive ces dernières années. On imagine la réaction des patrons, des bureaucrates et des politiques de toute couleur, qui misent tout sur le « développement », autre nom de la destruction.

On ne s’en rend pas compte en Europe, mais les rêves de grandeur de Lula et Dilma se paient au prix fort. Comme la Chine à une autre échelle, le Brésil dévaste ses territoires les plus beaux et bousille un à un ses équilibres les plus essentiels. Le maître-mot est : puissance. Dès 2008, le Brésil avait annoncé sa volonté de construire 60 centrales nucléaires au cours des cinquante prochaines années. Et de construire des dizaines de barrages sur les plus belles rivières du pays. Et d’exploiter au plus vite des gisements de pétrole off shore, au large de ses côtes. Et d’augmenter encore la production d’éthanol, qui représente déjà le quart de la consommation nationale de carburant.

Le Brésil est un pays devenu fou de son énergie et de ses réalisations. Et comme tout autre de sa taille, il entend désormais être un gendarme continental. En avril 2013, au moment du salon de l’armement de Rio de Janeiro, le gouvernement de Roussef a lancé cinq appels d’offres internationaux en vue d’acheter 15 milliards d’euros d’avions, de navires de guerre, de satellites. 15 milliards, à rapprocher des 11 milliards que pourraient coûter la coupe de foot des Confédérations – en cours – et le Mondial l’an prochain.

Le Brésil est un géant dont la tête est pleine de merde.

Sur Philippe Martin, ministre de l’Écologie (une suite)

Permettez-moi d’en avoir un peu marre. J’ai écrit ici un papier sur le nouveau ministre de l’Écologie Philippe Martin, et l’on me tombe dessus avec des arguments de plus en plus étranges. Voilà, d’après un dernier commentaire, que Martin serait mon « vieil ami », etc. C’est ridicule, et si je prends le soin d’écrire ici, c’est dans l’espoir fou d’éviter ce genre de malentendus. Peine perdue.

Je vous prie donc de relire ce que j’ai écrit et dont je ne retire pas un mot. J’ai eu l’occasion de voir une personne – Philippe Martin -,  œuvrer, et j’en ai tiré la conclusion qu’il était une bonne personne. Et pour le reste, j’ai indiqué qu’il avait le choix entre une mission ministérielle ordinaire, qui le conduirait à l’oubli le plus rapide, et une voie infiniment plus étroite qui ferait de lui « l’un des quelques lumignons au milieu de la grande nuit où nous sommes ». Le tout est bardé de conditionnels, pour la raison simple que « le seul sujet qui intéresse est de savoir ce qu’il fera ». Oui, pardonnez mon pédantisme, mais c’est du futur. Du futur accolé à des conditionnels. Je souhaite donc qu’on me lâche la grappe.

Pour le reste, quoi ? J’aime les animaux, je n’aime pas la chasse, je déteste la corrida. L’agriculture industrielle me semble un désastre d’une nature si complexe, et si complète que je sais ne pas être capable d’en faire le tour. Elle marque sans l’ombre d’un doute l’affaissement d’une civilisation, la nôtre. Quand je pense à l’arrivée des tracteurs et des pesticides, il me vient souvent l’image du formidable historien que fut Fernand Braudel. Dans L’identité de la France, il note ceci : « Le chambardement de la France paysanne est, à mes yeux, le spectacle qui l’emporte sur tous les autres, dans la France d’hier et, plus encore, d’aujourd’hui », ajoutant : « La population a lâché pied, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l’on ne peut plus tenir ».

Tels sont mes sentiments personnels. Ceux qui me lisent le savent bien. Ceux qui me découvrent ne devraient pas avoir grand mal à l’apprendre. Mais je crois que l’on a tort de remplacer la raison par l’émotion. On peut très bien être contre la corrida et le foie gras et être un gros con. Non ? Je sais des fascistes bon teint qui se feraient tuer pour leur toutou, leur âne ou leur perroquet. Je sais également d’authentiques militants de la vie, des écologistes donc, qui n’ont aucune relation personnelle à la nature. Notez que cela me stupéfie, mais cela existe.

Je ne crois évidemment pas que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, tellement chargé de suffisance et de sottise, se transformera sous nos yeux en une unité de combat écologiste. Mais je pense, mais j’espère qu’une personne authentique peut entrouvrir une lucarne. Écrivant cela, j’ignore évidemment si Philippe Martin sera cette personne, comme j’ignore quelle serait la taille de cette très éventuelle lucarne. Je suggère simplement d’attendre un peu, ce que nous ferons de toute façon.

Philippe Martin, nouveau ministre (de l’Écologie)

Juste un mot concernant Philippe Martin, notre nouveau ministre de l’Écologie, en remplacement de Delphine Batho, qui a cru pouvoir faire joujou avec ses vieux amis*.

Si je parle de lui ce soir, c’est que je le connais. Bien assez pour avoir une excellente opinion de l’être humain qu’il est. Eh oui ! tout arrive sur Planète sans visa. Je sais la valeur de l’homme, et je le salue donc ici, sans la moindre hésitation. Seulement, la question n’est pas exactement de savoir si j’apprécie la personne nommée Philippe Martin. Le seul sujet qui intéresse est de savoir ce qu’il fera.

Deux obstacles majeurs sont sur sa route. Un, l’administration centrale du ministère de l’Écologie est entre les mains des grands corps techniques de l’État, et singulièrement ceux des Ponts et Chaussées, qui ont eu la malignité de fusionner avec les Ingénieurs du génie rural et des eaux et forêts (Igref) pour former le corps des Ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (Ipef). Même si certains individus gardent toute leur valeur, le corps, lui, est l’ennemi de l’écologie et de ses équilibres profonds. Et comme il est né en 1716 et qu’il est depuis enkysté dans l’appareil d’État, je crois pouvoir écrire qu’il est d’un autre poids que Philippe Martin.

L’autre obstacle s’appelle le parti socialiste, à commencer par le président en titre, François Hollande. La presque totalité de ces gens sont d’une inculture qui réussit encore à m’impressionner. Hollande lit L’Équipe tous les matins – vrai -, mais il ne sait rien de l’extrême gravité de la crise écologique. La nature n’existe pas. Les animaux non plus. La vie, à peine davantage. Son parti ne vaut pas mieux, qui est fait de baronnies et de vassaux, tous obsédés par le dérisoire pouvoir politique, ses avantages et ses chausse-trapes. Il n’y a rien à attendre de ce côté-ci. Mais rien.

Alors, que peut faire Philippe Martin ? C’est un grand garçon, et il n’a pas besoin de mes conseils. Mon avis en tout cas, qui s’adresse à tous, est qu’il peut entrer à sa façon dans l’histoire en se dissociant. Je ne parle pas de cogner contre chaque porte, ce qui ne sert à rien. Je me moque du montant du budget alloué à l’Écologie, qui n’a pas le moindre sens. Serait-il multiplié par trois que cela ne changerait rien aux tendances lourdes de ce pays, voué comme les autres à la destruction des écosystèmes. En revanche, sans s’enliser dans des combats sans intérêt, un homme conscient peut jouer un grand rôle d’éveilleur public.

Oui, je crois que Martin, qui n’a pas grand-chose à perdre – à mes yeux, en tout cas -, pourrait être un formidable messager. Il pourrait être le premier politicien français à prendre au sérieux la crise écologique. Il pourrait parler, faire circuler les paroles vraies, et assumer d’être différent de ses collègues du gouvernement. Il est social-démocrate – qui l’ignore ? – et nul ne songe à lui demander de devenir un autre. Il est social-démocrate, mais cela ne lui interdit pas d’aider, depuis son poste, à la formulation publique de quelques grandes urgences de notre temps. Le climat. La biodiversité. L’eau. Ce ne sont que trois exemples, mais ils disent assez l’ampleur de la tâche.

Philippe Martin peut n’être qu’un énième ministre, qui sera oublié dès qu’il aura tourné le dos. Ou bien l’un des quelques lumignons au milieu de la grande nuit où nous sommes.

* Par pitié, ici au moins ! Delphine Batho a démontré 100 fois qu’elle ne savait rien de l’écologie, et qu’elle s’en battait l’œil et le flanc gauche. Le fait qu’elle se fasse lourder ne signifie qu’une chose : elle n’a pas évalué le risque politicien qu’elle prenait. Et elle en paie le prix. Politicien. Qu’a-t-elle fait depuis un an ? Strictement rien. Probablement pensait-elle pouvoir jouer une carte personnelle dans ce gouvernement impuissant autant que baroque. On l’aura mal informée.

L’écologie est un sport de combat (en Turquie et ailleurs)

Paru dans Charlie-Hebdo le 19 juin 2013

Les fleurs dans les cheveux, c’est fini. En Turquie, en Corée, en Colombie, au Nigeria, en Chine, les écologistes ouvrent la voie à des batailles au couteau contre l’industrialisation du monde.

Faut pas trop faire chier les écologistes turcs. On commence à le savoir, mais la grande protestation en cours a été déclenchée par un petit groupe décidé, qui ne voulait pas voir une place et ses 600 arbres devenir un énième centre commercial avec mosquée. Ce qu’on ignore en revanche, c’est qu’un mouvement de fond traverse la société turque, ivre de ses taux de croissance et des pacotilles dont nous faisons notre quotidien.

Tout projet d’industrialisation massif exige des quantités géantes d’énergie, et la Turquie des généraux, puis celle de l’AKP d’Erdogan, a misé très lourd sur les barrages hydroélectriques. Toutes les rivières, tous les fleuves, toutes les vallées, tous les hauts-plateaux sont barrés de toute part, détruisant au passage d’immenses territoires.

On parle de milliers de barrages au total, et même si l’on ne prend en compte que les plus grands, y a de quoi trembler. Le Güneydo?u Anadolu Projesi, ou projet d’Anatolie du sud-est, représente à lui seul un complexe de 22 barrages sur le Tigre et l’Euphrate, juste à l’amont de deux pays tranquilles, la Syrie et l’Irak. Depuis vingt ans, la tension ne cesse de monter et provoquera tôt ou tard, à moins d’une improbable solution, une guerre. La Turquie a promis d’irriguer 1,7 million d’hectares de l’Anatolie, nom officiel du Kurdistan turc, mais en ce cas, les riverains syriens et irakiens de l’aval boiront des clous.

Les écologistes, nettement moins cons que d’autres, ont organisé en 2011, à partir d’avril, une marche géante dont personne n’a entendu parler ici. Dommage. Les gueulards, venus de toutes les régions de Turquie, avaient décidé de rejoindre Ankara depuis l’Anatolie. Pacifiquement, mais accompagnés d’un propos qu’on qualifiera de limpide : « Au cours des dix dernières années, l’industrie de l’énergie s’est emparée de toutes nos rivières et de tous nos fleuves. Des milliers de barrages et d’usines hydro-électriques ont été construits. Nos montagnes ont été achetées par des entreprises minières. Nos vies ont été mises en danger par des centrales nucléaires. Et personne n’écoute nos voix (1) ».

Il va de soi que les marcheurs n’ont jamais pu entrer dans Ankara. Les flics de l’AKP ont barré les routes d’accès, et balancé sur la foule des lacrymos. Oui, cela ressemble furieusement à la place Taksim. Il est temps d’admettre que les écologistes n’ont plus des plumes dans le cul et un sourire niais aux lèvres. Partout dans le Sud, la grande bagarre sociale s’appuie sur des luttes de terrain dont le centre est la nature et l’équilibre des écosystèmes.

Le Coréen Choi Yul se bat depuis quarante ans contre l’État, les militaires et la destruction du pays par l’industrialisation. Après avoir passé six ans en taule, après 1975, il crée en 1982 une association écologiste, KPRI, et plus tard la Fédération coréenne des mouvements écologistes (KFEM), adhérente des Amis de la Terre. Il vient de se prendre à nouveau un an de cabane pour avoir protesté contre le saccage de quatre rivières.

Idem en Colombie, où l’écologiste Miguel Ángel Pabón Pabón, fondateur du Mouvement social pour la défense de Rio-Sogamoso, est porté disparu depuis sept mois. Ce couillon aidait des pêcheurs et des paysans expulsés pour laisser place à un barrage. Au Nigeria, Odey Oyama, directeur du Rainforest Resource Development Centre (RRDC), est obligé de se planquer pour échapper à des tueurs. Son grand tort est de soutenir des paysans lourdés de leurs terres pour faire plaisir à Wilmar, l’une des plus grandes transnationales de l’huile de palme, qui veut planter partout ses arbres industriels.

En Chine enfin, mais la liste est interminable, les activistes se comptent par milliers et les batailles par centaines. Le journaliste Deng Fei avait réalisé en 2009 une « carte des cancers », superposable à celle des installations industrielles les plus pourries. Il vient de recevoir des milliers de photos d’internautes chinois, qui montrent l’état réel des rivières.

L’écologie, sport de riches devenu sport de combat.

(1) Today’s Zaman, 29 mai 2011