Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Il faut aider Marie-Monique Robin

Bonjour à tous. Ce qui se trouve sous le trait est un communiqué que je relaie avec un grand plaisir. Certains d’entre vous, et je partage pour sûr leur sentiment, se demandent ce qu’on peut faire. À la vérité, plein de choses que la plupart d’entre vous font d’ores et déjà. Aider en outre Marie-Monique à faire son film, s’est s’aider soi-même, non ? Faut-il insister ? Pas auprès de vous.

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Marie-Monique Robin prépare un nouveau film et livre, baptisés provisoirement Sacrée croissance! Cette nouvelle investigation (sur ARTE en octobre 2014) interrogera le dogme de la croissance illimitée et présentera des alternatives dans le domaine de la production alimentaire (agriculture urbaine) de l’argent et de la richesse (monnaies sociales et nouveaux indicateurs de richesse) et de l’énergie (villes en transition). Comme pour son précédent film Les moissons du futur, Marie-Monique a lancé une souscription pour soutenir la production: préachat du DVD , en tirage limité avec des bonus et accès à des pages réservées sur son site internet pour suivre la progression de la production. Vous pouvez souscrire à l’adresse suivante:
http://www.m2rfilms.com
Cette opération de financement participatif  (« crowdfunding » en anglais) représentera 15% du budget du film , en assurant sa trésorerie et en permettant d’éviter le recours aux banques ».

Comment bien cramer le Châtaignier des Cévennes

Paru dans Charlie Hebdo le 12 juin 2013

La future « centrale biomasse » de Gardanne, près de Marseille, risque de dévaster les forêts cévenoles. Pour le plus grand profit de la transnationale E.ON, et sous les applaudissements du gouvernement.

Il faut avouer que l’histoire commence mal, car elle a été lancée en fanfare par cette vieille cloche qu’on ne présente plus, Éric Besson. L’alors ministre de l’Industrie annonce en septembre 2011 la création à Gardanne (Bouches-du-Rhône) d’une énorme centrale électrique fonctionnant au bois. Précisons : la transformation en « centrale biomasse » de la tranche 4 d’une ancienne centrale au charbon.

En théorie, rien de mieux que cramer du bois plutôt que du charbon. Le premier a bon « un bilan carbone », car le CO2 qu’il relâche est normalement stocké dans les mêmes proportions quand les arbres poussent à la suite de ceux qui ont été brûlés. Grosso modo. Le charbon, lui, contribue massivement à l’effet de serre, point barre, car il lui faut un peu de temps pour se reconstituer. Disons des millions d’années. Puissance promise : 150 MW contre 1500 MW pour une centrale nucléaire en service.

Bref. Une bonne idée, sauf qu’elle est très mauvaise. D’abord à cause du monstre énergétique qui est derrière, la transnationale E.ON. Personne ne connaît, mais il s’agit d’un géant mondial dont le chiffre d’affaires dépasse les 157 milliards de dollars en 2011. Que fait E.ON ? Du gaz, du charbon, du pétrole, du nucléaire et donc, bien sûr, de l’électricité. On ne calomniera pas ces excellents industriels en écrivant que seul le fric compte, comme en attestent trois exemples piochés dans la masse.

En tête, le nucléaire. E.ON n’a pas digéré l’abandon de l’atome par l’Allemagne, et lui réclame la bagatelle de 8 milliards d’euros de dédommagement. Ensuite la tambouille et l’embrouille : en 2009, E.ON s’est mangé une amende de 553 millions d’euros, décidée par la Commission européenne. L’Allemand s’était entendu avec GDF-Suez pour se partager le marché du gaz russe, maintenant artificiellement des prix élevés de vente. Enfin, E.ON était, en 2008, le deuxième plus gros émetteur de CO2 en Europe.

De tout cela, notre bon gouvernement se fout, car E.ON promet la Lune, sous la forme de centaines d’emplois et d’un investissement de 230 millions d’euros. Il suffit de croire au Père Noël. Car dans le même temps, E.ON ferme une à une les centrales au charbon qu’elle exploite en France et essaie de lourder 215 personnes pour commencer. Le rapprochement est intéressant.

Et c’est là que de foutus écolos-anarchistes (1) surgissent dans le paysage. Ceux du réseau cévenol Iacam (Infos Anti-autoritaires en Cévennes à l’Assaut des Montagnes) viennent de publier un document qui fait réfléchir et prépare certainement quelques surprises. Les Cévennes sont, rappelons-le, un territoire à l’histoire mouvementée, et ceux qui plaisantent sur le sujet ont pu avoir à le regretter.

Dans un avis sur le projet de la Direction régionale de l’environnement (Dreal) de la région Paca, on trouve une phrase qui vaut son pesant de sac de charbon (2). En résumé, l’impact indirect sur « le paysage et la biodiversité » n’a pas été « évalué ni analysé ». Voilà qui est poil fâcheux, car 811 000 tonnes de bois seraient nécessaires la première année – 2015 -, et autour d’un million de tonnes plus tard. D’où viendra cet Himalaya ? D’un peu partout, mais surtout des Cévennes, où le Châtaignier est d’ores et déjà « ciblé » en priorité.

Charlie a recueilli l’avis d’un écologiste rugueux du coin, qui préfère, pour l’heure, rester anonyme. « J’espère qu’une grande bataille s’annonce, car ce projet est une merde. Les forêts cévenoles vont être dévastées par des coupes à blanc qui permettront à leurs proprios privés de faire du fric. On pourrait imaginer ici une autre économie du bois, avec des petites unités de chauffage, mais le PS préfère dealer avec E.ON, qui gagne sur tous les tableaux. Le nucléaire, le gaz russe, et cette saloperie de centrale de Gardanne qui tourne le dos à toute idée d’autonomie. C’est le moment de sortir du bois ».

Ajout innocent : la centrale de Gardanne risque de tout dévaster, y compris entre Le Vigan (Gard) et Nant (Aveyron), d’où est parti le mouvement contre les gaz de schiste.

(1) http://listes.rezo.net/mailman/listinfo/iacam
(2) Document daté du 22 mai 2012, page 10

Le crime, le climat, la Chine et Fred Singer (avec AJOUT)

Un grand lecteur de Planète sans visa, devenu un ami bien réel, m’envoie une information presque incroyable : l’Académie chinoise des sciences vient de donner sa reconnaissance officielle à Fred Singer, grand maître planétaire de la désinformation. Mais avant que de commenter, regardez avec moi cette publication en chinois d’un rapport américain publié en 2009, Climate Change Reconsidered.

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Difficile d’exagérer l’importance de l’Académie des sciences sise à Pékin (ici). Elle emploie 50 000 personnes et le groupe qui édite la revue Nature (ici) la classe au 12ème rang des 100 institutions scientifiques, en se basant sur les articles publiés dans la presse mondiale spécialisée. Harvard est la première, Yale est 18ème, Oxford 14ème. De même qu’au plan économique, la Chine devient – est déjà – un géant de la science. Et le sera toujours plus. Faut-il préciser que publier un document de 1200 pages venant des États-Unis a forcément une signification politique ? Les États totalitaires, même lorsqu’ils semblent ne plus l’être, ont toujours accordé une grande importance aux signes. Car ce sont des signaux.

Au service de la désinformation

Qui est Fred Singer, le grand inspirateur, nullement caché d’ailleurs, du gros rapport  Climate Change Reconsidered ? Né en 1924, il va avoir 89 ans. Physicien reconnu, il a travaillé à de hauts niveaux de responsabilité dans l’industrie spatiale américaine, avant de bifurquer et de mettre son nom et son énergie au service des industries les plus criminelles qui soient. Par exemple celle du tabac : Singer n’hésitera pas à mettre en cause les liens pourtant évidents entre tabagisme passif et cancer. À la tête du Science and Environmental Policy Project (ici), une petite structure créée en 1990, il va systématiquement aider l’industrie transnationale à faire face aux scandales à répétition, que cela concerne les CFC, l’amiante, les pesticides, le dérèglement climatique.

Tel un Claude Allègre à la puissance 10 ou 100, Singer s’impose, depuis une quinzaine d’années, comme le grand négateur du changement climatique d’origine humaine. il n’a de cesse de discréditer le Giec (en anglais IPCC), ce Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, au point d’avoir lancé un Nongovernmental International Panel on Climate Change (NIPCC), pour s’en moquer bien sûr. Je ne peux que vous renvoyer, sur le sujet, à deux livres dont j’ai déjà parlé ici, Les marchands de doute (Naomi Oreskes et Erik Conway, Le Pommier) et tout récemment La fabrique du mensonge (Stéphane Foucart, Denoël).

Pourquoi diable un homme aussi proche de la mort que Fred Singer use-t-il ses derniers jours de la sorte ? Poser la question, c’est visiter une fois encore le pays du mal, dont la diversité des habitants paraît à peu près sans limite. Comment la tête d’un Singer est-elle organisée ? Comment un homme peut-il défendre de tels intérêts et pour quelle obscure raison ? Voyez, je ne crois pas que l’argent qu’il retire de ses opérations, bien réel, soit l’explication principale. Quoi qu’il en soit, et parce que je tiens la lutte contre le dérèglement climatique pour la mère de toutes les batailles humaines, Fred Singer est à mes yeux un grand criminel.

L’Académie à la botte des bureaucrates

Seulement, quand une institution aussi prestigieuse que l’Académie chinoise des sciences apporte son crédit à une telle entreprise, on retombe sur terre, où la politique reprend ses droits. Il va de soi qu’une décision aussi lourde de sens n’a pu être prise que par la tête même du parti communiste chinois. Au reste, sans en faire mystère, l’Académie dépend étroitement du Conseil des affaires de l’État, lui-même aux ordres du Premier ministre. Il faut donc apprécier cette publication pour ce qu’elle est : un crachat envoyé pleine face à ceux qui tentent de faire face à la crise écologique.

On sait qu’il existe des tensions entre bureaucrates chinois. Dès 1994, quand l’agronome Lester Brown avait publié son formidable essai nommé Who Will Feed China ? (Qui nourrira la Chine ?), il était clair qu’une partie de l’appareil d’État avait pris conscience de l’impasse du modèle économique choisi. En mars 2005, le ministre de l’Environnement de l’époque, Pan Yue, avait donné au journal allemand Der Spiegel un entretien si extraordinaire qu’il n’a, à ma connaissance, pas été repris dans la presse française (ici). Vous pensez bien que lorsque Le Nouvel Observateur, Le Point ou L’Express font des dossiers de 80 pages sur la Chine, il faut surtout ne pas effaroucher l’annonceur publicitaire. Lequel veut vendre des montres de luxe, des bagnoles haut de gamme et des parfums, et ne surtout jamais entendre parler d’un Pan Yue.

Car que disait donc ce dernier ? Eh bien, que le « miracle économique » serait bientôt terminé. Citation : « Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Où placer les guirlandes ?

Oui, les conflits à l’intérieur de la bureaucratie chinoise existent. Mais l’affaire Singer, ainsi que je propose de l’appeler, montre que ce sont toujours les mêmes qui gagnent. Et s’ils gagnent, c’est parce que ce pays fou est contraint d’avancer vers le grand krach écologique. Arrêter le porte-containers sans but ni gouvernail reviendrait à disloquer le pays, entraînant des troubles aux dimensions inimaginables. Le principe d’une machine infernale, c’est que personne n’est en mesure de la désactiver. Encore faut-il placer autour de l’engin quelques menues guirlandes et boules de Noël multicolores. Encore faut-il organiser méthodiquement le déni de la catastrophe en marche.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la publication des 1200 pages de l’officine Singer. S’il n’y a pas de réchauffement climatique, alors il n’y a aucune raison pour que la Chine réduise ses formidables émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a aucune raison pour que la Chine arrête de siphonner, dans un délire de croissance, les forêts d’Asie et d’Afrique et des Amériques. Aucune raison pour arrêter le pillage du pétrole et du gaz, et des terres, dans un saisissant remakemutatis mutandis -, de l’aventure coloniale de l’Occident.

182 espèces d’oiseaux, 47 de reptiles

Au moment où je vous écris, je pense au Mozambique, l’un des plus beaux, l’un des plus pauvres pays de la planète. Une équipe de scientifiques vient de passer trois semaines dans le parc national Gorongosa, sûrement l’une des zones les moins massacrées de notre monde. Ils y ont recensé 182 espèces d’oiseaux, 54 de mammifères, 47 de reptiles, 33 de grenouilles, 100 de fourmis, etc. Et parmi elles, un certain nombre d’espèces inconnues, je ne sais combien au juste (ici). Dans le même temps, comme le rapporte Courrier International (ici) les forêts de Mozambique sont pillées dans l’impunité la plus totale, et dans des proportions qu’on ne peut qualifier que de bibliques. Au premier chef par les Chinois, qui savent comment convaincre les politiciens locaux. Pardi.

Destruction, tel est le maître-mot de notre univers. Mais dans le même temps, et pour la raison que la vérité est insupportable, il faut nier, dénier, camoufler, désinformer, manipuler. De ce point de vue, aucun autre pays n’a davantage besoin du mensonge que la Chine. Mais que notre honneur national ne souffre pas trop : nous ne sommes pas loin derrière. Oh non.

AJOUT IMPORTANT LE 16 JUIN 2013 :

Grâce à un lecteur de Planète sans visa – Michel G., un grand merci -, il me faut apporter ici une précision essentielle. L’affaire du rapport chinois est plus complexe que ce que j’avais pensé. Car l’Académie chinoise des sciences (ici, en anglais) conteste avoir jamais donné son imprimatur au texte. À ce stade, il s’agirait donc d’un montage d’une grossièreté inouïe de Fred Singer et de ses nombreux amis. Notons qu’il y a aussi – et au moins – une autre hypothèse : que des factions se fassent la guerre à l’intérieur de l’Académie. Qu’un clan l’ait d’abord emporté, aussitôt victime d’une contre-attaque. Dans tous les cas, cela ne fait donc que commencer. La suite au prochain épisode.

Batho, Touraine et Fioraso se foutent de nous (et du Mali)

Paru dans Charlie Hebdo le 29 mai 2013

Les perturbateurs endocriniens sont en train de balayer la santé publique, partout dans le monde. Mais en loucedé, les ministres français sabotent les chances d’un plan d’action efficace.

Le monde va changer de base. Grâce aux perturbateurs endocriniens. C’est splendide, c’est nouveau. Commençons le voyage par le Mali, pays amicalement dévasté par les islamistes, puis gentiment envahi par nos valeureux bataillons. Le journal en ligne maliba.com du 7 mai raconte que les gamines du pays sont pubères de plus en plus tôt. Interrogé, l’obstétricien Djedi Kaba Diakité raconte : « On connaît mal l’origine du phénomène, mais les résultats d’études convergent de plus en plus  vers (…) la pollution, l’usage de produits chimiques spécifiques comme le phtalate ou les phénols qu’on retrouve dans certains articles plastiques et dans l’alimentation. On les appelle les perturbateurs endocriniens ».

Les enseignants locaux constatent cette révolution, et estiment que 3 ou quatre fillettes de 12 ans sur dix sont concernées. Le journal malien note que ces mouflettes « sont désormais très sollicitées dans les discothèques, les rues et, hélas, dans les maisons closes de la capitale ». D’où la tronche de l’imam Mahamoud Dicko, président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) : « C’est le moyen le plus sûr d’encourager la perversion et le phénomène des filles-mères. Nous ne saurions le cautionner ». D’autant que l’âge légal du mariage, aux termes du code de la famille malien, est au minimum de 16 ans. Et le monde entier est frappé par cette peste dont se foutent nos gazettes, gavées de pubs à la gloire de l’industrie chimique.

Résumons à très gros traits : le terme de « perturbateur endocrinien » a été forgé en 1991, au cours d’une conférence scientifique réunie à Wingspread (États-Unis) par la scientifique Theo Colborn. Cette dernière est affreusement chiante, car non seulement sa réputation professionnelle est inattaquable, mais elle ne cesse en plus de remuer la merde (1). Que sait-on en 2013 ? Largement de quoi  prendre au colback l’industrie chimique, qui a dispersé dans des milliers de produits, souvent d’usage courant – cosmétiques, jouets, meubles, peintures, biberons -, des molécules qui imitent les hormones naturelles et s’attaquent au passage aux équilibres les plus essentiels des organismes vivants.

Beaucoup de fonctions sont touchées, mais les plus spectaculaires atteintes visent la différenciation sexuelle et la reproduction. Un rapport conjoint de l’OMS et du Programme des nations unies pour l’environnement, publié en février 2013 (2), dresse une liste non exhaustive des effets possibles sur l’homme des perturbateurs endocriniens : cancer du sein, cancer de la prostate, cancer de la thyroïde, hyperactivité de l’enfant, Alzheimer, Parkinson, obésité, maladies auto-immunes, et bien sûr la puberté précoce.

On en restera là faute de place. Et c’est ainsi que le gouvernement est grand. Le nôtre. Car faudrait pas croire : en face d’un tel danger, Batho – Écologie -, Touraine – Santé -, Fioraso – Recherche – ont décidé de lancer une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). Après plusieurs réunions tenues depuis février, un plan d’action devrait même être présenté en juin devant le Conseil des ministres. Seulement, ça déconne, et grave.

Parmi la quarantaine d’invités à ces rendez-vous officiels, deux ne jouent pas le jeu. D’abord Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie. Ensuite André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (RES). Ils ont même failli quitter la salle où se tenait le dernier raout préparatoire, le 17 mai (3), jugeant qu’on se foutait ouvertement de leur gueule. Car si une poignée d’écolos sont représentés aux réunions, la vraie puissance appartient aux services d’État et aux industriels, le plus souvent d’accord sur l’essentiel. Commentaire de Rivasi : « Quand j’ai découvert le document de travail, qu’on nous a communiqué seulement trois jours avant, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune référence à l’épidémie en cours, sur l’effet de seuil et les faibles doses, sur les fenêtres d’exposition, les effets transgénérationnels, etc ».

Du foutage de gueule, aucun doute.

(1) Un livre extraordinaire qui a fait flop au moment de sa sortie en 1998 : L’homme en voie de disparition ?, aux éditions Terre Vivante.

(2) State of the Science of  Endocrine Disrupting Chemicals

(3) Entretien accordé au Journal de l’Environnement du 21 mai (www.journaldelenvironnement.net)

Carlos Ghosn, Jacques Attali, Delphine Batho, Arendt, l’anarchie

Bienvenue au café du Commerce. Je vous balance tout en vrac ou presque, comme cela m’est venu en tête. Je vous en préviens, il y a forcément du déchet. D’abord Carlos Ghosn, patron de Renault et de Nissan. Invité de France-Inter le mardi 28 mai à 8h20 (ici), il annonce en direct que l’usine Renault de Flins devrait produire à terme 82 000 Nissan Micra par an. Patrick Cohen, le journaliste d’Inter, semble prendre la chose comme une excellente nouvelle.

Et tout le reste de même. L’industrie automobile est cyclique, dit Ghosn, elle va mal, il faut compter avec trois ou quatre années médiocres, mais raisonnablement, tout finira par s’arranger, et la croissance repartira. Il doit y avoir près d’1 milliard et 100 millions de bagnoles individuelles dans le monde, et elles ont d’ores et déjà détruit les villes, où vit plus de la moitié de la population de la planète. D’innombrables mégapoles – Lagos, Mexico, Mumbai, Shanghai – ont été rendues inhabitables par cette arme de désarticulation massive, mais Ghosn ne rêve que d’une chose : aller vers les 2 milliards de véhicules individuels. Ne parlons pas de la crise climatique, dont le très éventuel contrôle passe nécessairement par la mort de l’automobile pour chacun. Le patron Ghosn – qui l’ignore ? – est comme l’oracle, la Pythie de ce monde aux abois. Sombre prophétie.

Jacques Attali et les 44 ans de boulot

Le 30 mai, exactement au même endroit, Jacques Attali (ici). Si je voulais être désagréable, je dirais que, sans la rencontre avec Mitterrand au début des années 70 du siècle passé, Attali serait demeuré professeur. Connu, éventuellement apprécié de ses seuls élèves. L’irruption, un rien frauduleuse, sur le terrain politique, lui aura permis de faire une superbe carrière médiatique, dispersant dans les yeux de spectateurs ébahis quantité d’idées absurdement tenues pour originales. Si je voulais : je le veux. Je déteste Attali et son univers, et ses strass, je ne saurais le nier. Dans l’entretien du 30 mai, il démontre une énième fois qu’il est incapable de comprendre ce monde, et pour la raison première qu’il veut y figurer sur le devant de la scène « intellectuelle ». Or s’il est une certitude, c’est bien celle-ci : qui espère décrire les impasses de notre formation sociale-historique, et qu’il y réussisse ou non, ne peut espérer que des coups de bâton de la société officielle. Comme Attali entend passer à la télévision chaque matin, il lui faut fournir des versions supportables de la situation en cours. Et comme cela tombe bien, il n’écrit jamais rien qui fâche vraiment. À sa manière « nouvelle », il aura permis à des générations de cuistres de disposer ses livres dans le salon, de sorte qu’ils peuvent montrer au visiteur combien ils sont intelligents.

Et cet entretien du 30 mai, alors ? Je me souviens d’une chose, et c’est qu’il réclame doctement, au nom du « principe de réalité », l’allongement à 44 ans des cotisations ouvrant le droit à la retraite. Quel « principe de réalité » ? D’après lui, l’espérance de vie augmente, en particulier l’espérance de vie en bonne santé. Ce type est tellement plongé dans son idéologie du « progrès » – en sortir reviendrait à un pur et simple suicide public – qu’il dit réellement n’importe quoi. En vérité, et depuis environ 2006, « l’espérance de vie sans incapacité » a commencé de diminuer en France. De 2008 à 2010, elle serait passée de 62,7 ans à 61,9 ans pour les hommes et de 64,6 ans à 63,5 ans pour les femmes. Autrement exprimé, Attali suggère que l’on bosse, éclopés, jusqu’à ce qu’Alzheimer dissolve tout dans l’azur. C’est bien. Faut-il dire qu’Attali est l’un des grands prêtres, vaguement futuriste, de la société en place ? Je ne le crois pas.

Il me vient d’ajouter un mot sur le Jacques. Tout concentré sur la meilleure manière d’occuper l’espace, Attali finit, au milieu des bruits qu’il émet, par dire des choses vraies. Sur son blog de L’Express, le 5 mai dernier (ici), il évoque de manière apocalyptique les conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima, écrivant entre autres : « D’une part, les  structures de confinement sont en train de casser; d’autre part, selon plusieurs experts, les signes se multiplient d’un prochain tremblement de terre en mer, au large de Nagoya-Osaka ou dans la région de Fukushima (…) Dans ce cas, le système de refroidissement se briserait; les  murs de confinement casseraient ;  les  280.000 tonnes d’eau contaminées   se déverseraient dans  le sol et dans la mer ;   l’unité 4 serait détruite et ses barres irradiées ne seraient plus protégées.  Les conséquences seraient immenses; pour le Japon tout entier; et au-delà. Il faudrait en particulier  évacuer les 30 millions d’habitants de la région de Tokyo ». Et Attali de logiquement conclure : « Comme les Japonais semblent minimiser tous ces problèmes, qui ne sont pas à la portée des technologies japonaises, une mobilisation générale de la planète est nécessaire; si on ne veut pas que les conséquences soient terrifiantes pour l’humanité ».

Delphine Batho et les 700 millions d’euros

Si l’on décide courageusement de prendre Attali au sérieux, ça craint plutôt, non ? Notons que Jacques Attali était conseiller proche de Mitterrand quand celui-ci, promettait, avant 1981, un référendum sur le nucléaire, avant de l’enfouir dans la poussière sitôt élu. Notons qu’Attali a écrit en 1994 Économie de l’Apocalypse (Fayard), que j’ai lu en son temps, bien que n’ayant déjà plus aucune illusion sur le monsieur. Essayant à l’instant de le retrouver dans ma bibliothèque, j’y renonce faute de temps. Mais je me souviens fort bien de sa description d’un monde devenu fou de nucléaire militaire, et de fait incontrôlable. Citation, que je viens de trouver sur le net : « Non seulement le désordre est immense, non seulement tous les bazars de trafiquants ont ouvert grand leurs portes, mais le monde, mû par une foi aveugle en la science, se laisse entraîner vers une accumulation incontrôlable de matières et de technologies meurtrières. D’où la nécessité de repenser tous les concepts jusqu’ici confortablement manipulés par des experts rassurants ».

Aura-t-il repensé les concepts, comme il en affirmait dans cet extrait la nécessité ? Aura-t-il parlé à son maître Mitterrand de l’aide apportée par la France « socialiste » à la construction de la bombe nucléaire pakistanaise, dans les années 80 ? Je ne le crois pas. Je suis même sûr du contraire, car Attali n’est qu’un flamboyant jean-foutre, qui plaît aux politiques, du PS jusqu’à l’UMP de Sarkozy : son apparente liberté leur permet d’oublier leur médiocrité. Oui, il plaît aux politiciens. Et aux ménagères de plus de 50 ans.

Qu’on excuse mes sautillements de coq en âne : j’ai prévenu que j’ouvrirai aujourd’hui le café du Commerce, et je m’y tiens.Une qui m’a fait éructer tout seul dans ma cuisine, c’est la Delphine Batho, ministre de l’Écologie. Dépêche de l’AFP en date du 31 mai 2013, extrait 1 « En cas d’accident nucléaire, le gouvernement veut que les exploitants de centrales mettent davantage la main à la poche, en relevant le plafond de la responsabilité civile à 700 millions d’euros, a annoncé jeudi soir la ministre de l’Energie Delphine Batho ». Extrait 2 : « Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le coût médian global d’un accident nucléaire majeur « pourrait être de l’ordre de 120 à 430 milliards d’euros », a rappelé Mme Batho lors d’un débat organisé à l’Assemblée nationale sur la sûreté nucléaire ».

Rions de la ministre, ce ne sera pas bien difficile. Le plafond actuel de la responsabilité civile des exploitants du nucléaire – EDF et Areva – est de 91,5 millions d’euros. Il serait donc multiplié par sept environ, mais ne représenterait alors qu’une infime fraction de ce que coûterait, selon leurs propres experts, une catastrophe nucléaire made in France. Sauf grave erreur de jugement, cette pantalonnade me semble bien dire le vrai sur cette industrie de la mort : les bénéfices vont dans la caisse des industriels de l’atome – rappelons que la ci-devant patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, est pour l’heure à la fois administratrice du groupe Total et présidente du conseil de surveillance du quotidien ci-devant maoïste, Libération – , et les pertes, éventuellement illimitées, sont adressées à la société.

Hannah Arendt et les crimes industriels

Tout au long de cette semaine qui se termine, j’ai relu Eichmann à Jérusalem, par Hannah Arendt. Bien que mon admiration pour cette dernière soit immense, je n’y ai pas trouvé la trace d’un grand livre. Il s’agit certes d’un bon texte, fait d’une série de reportages pour le magazine The New Yorker, mais je crois que j’attendais mieux, tant l’écho du livre revenait en moi, sans cesse, depuis une première lecture, il y a plus de trente ans. Peut-être espérais-je, avec naïveté, qu’Arendt y avait percé l’insondable mystère de la « banalité du mal », sous-titre de l’ouvrage ? Ce qui me semble acquis en tout cas, c’est qu’Eichmann, grand organisateur de la Shoah dans l’Europe nazie, n’était pas antisémite [modification du 12 février 2021, après lecture d’une partie des travaux de Bettina Stangneth. S’appuyant sur des textes et propos d’Eichmann quand il est en exil en Argentine après 1950, elle démontre que Hannah Arendt, et très secondairement moi, s’est lourdement trompée. Eichmann était non seulement un nazi convaincu, mais un antisémite total. Il a joué la comédie à Jérusalem].

Ou s’il l’était, ce n’était pas sous la forme démente d’un Julius Streicher et de tant d’autres chefs nazis. Non, Eichmann était, d’une manière plus angoissante, un parfait fonctionnaire du mal, avide de conformité et de promotion, ultrasensible au jugement de ses chefs. Il obéissait. Il était soumis. Il était à ce point insignifiant que, réfugié en Argentine, et ne disposant plus du cadre étatique qui l’avait fait vice-roi de la mort, il ne savait rien faire. Il ruina tour à tour une blanchisserie et un élevage de lapins, qu’il avait créés, et dut se résoudre à devenir prolo dans une usine de bagnoles, avant de se faire enlever par les services secrets d’Israël.

Le crime. Qu’est-ce donc que le crime quand la société qui l’abrite l’accepte ou le commande même ? Le 27 mai dernier se tenait à Paris une journée d’études autour du thème « Punir les crimes industriels ». Je n’ai pu y aller, mais des gens que j’aime et que j’estime, au premier rang desquels Annie Thébaud-Mony, y intervenaient. Notamment à propos du crime de masse qu’est l’affaire de l’amiante. Je rassure ceux qui pourraient se montrer inquiets : je n’entends évidemment pas mettre sur le même plan un Eichmann et un Schmidheiny, condamné en Italie à 16 ans de prison – en première instance – pour sa responsabilité dans la mort de 3000 ouvriers empoisonnés par l’amiante de ses usines Éternit.

Il va de soi qu’on ne peut comparer, mais on peut rapprocher peut-être sur un point, psychologique : pourquoi tant d’êtres correctement éduqués, normalement informés, convenablement nourris et vêtus, éventuellement bons pères ou bonnes mères, donnent-ils leur énergie à la destruction du monde, des cultures, des paysages, des animaux, des plantes, des hommes ? Pourquoi des ingénieurs français sont-ils fiers de concevoir des turbines qui, installées sur le barrage chinois des Trois Gorges, entraînent l’expulsion d’au moins un million de paysans et l’implosion d’un écosystème stable depuis avant toute civilisation ? Pourquoi des prolos de France manifestent-ils pour sauver une usine qui fabrique des chars, des mines antipersonnel, des hélicoptères de combat ? Pourquoi le personnel de Fessenheim refuse-t-il la fermeture de cette si vieille centrale nucléaire, alors que tant d’experts, il est vrai étrangers, ont pointé ses indiscutables dangers ? Pourquoi un Attali a-t-il osé en 1989 proposer l’endiguement des fleuves du Bangladesh, au risque de sacrifier le vaste peuple de ses campagnes (ici) ? Pourquoi des syndicats soutiennent-ils la production de ce terrible cancérigène qu’est le chlorure de vinyle ? Etc, etc.

Faut-il être anarchiste ?

Qu’on ne vienne pas me souffler que c’est fatal ! Non, et non ! Arendt, dans son Eichmann, rappelle le fabuleux exemple danois. Là-bas, dans ce pays occupé par les nazis comme le fut le nôtre, les Juifs ne furent ni déportés, ni exterminés. Car la population, ses fonctionnaires, et jusqu’au roi, refusèrent de participer au crime. Il n’y eut pas au Danemark de René Bousquet, ce bon ami de Mitterrand, pour organiser une rafle du Vel’ d’Hiv. Arendt rappelle cette infernale évidence que le massacre des Juifs et des Tsiganes avait besoin de la collaboration de gens obéissants, obéissant aux ordres qu’on leur donnait, sans rage ni haine. Bousquet, cet enculé, n’était sans doute pas non plus un antisémite.

Où veux-je en venir ? Je n’entends pas transformer ce si long papier en livre, et je serai donc bref, au moins dans cette conclusion. J’ai plusieurs fois rendu hommage ici à des anarchistes, chers à mon cœur. Suis-je moi-même anarchiste ? Le certain, c’est que je ne crois pas à une société des humains organisée selon les admirables principes de l’acratie, mot grec signifiant absence de pouvoir. Mais je ressens et ressentirai jusqu’à ma mort le profond attrait d’une philosophie défiant les autorités, toutes les autorités, toute autorité, et magnifiant l’autonomie de la pensée, la liberté du choix, le refus de l’allégeance. Parmi les drames auxquels notre époque est confrontée, il faut mettre très près du premier rang la Soumission à l’autorité, mise en évidence dans les expériences de Stanley Milgram.

L’anarchie n’est peut-être pas un programme, mais elle reste un drapeau, mais elle demeure le plus beau joyau de toute pensée critique. Je vous avoue que je n’envisage pas le combat écologiste sans une perpétuelle interrogation sur la nature du commandement. Sur la manière dont sont prises les décisions et l’empressement avec lequel tant d’entre nous les appliquent et les font appliquer. Maintenir l’esprit de l’anarchie aide à mieux comprendre comment et pourquoi un pays comme la France se vautre dans le culte de héros dérisoires comme Carlos Ghosn et Jacques Attali. Enfin, je crois.