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Que crèvent ces pauvres cons d’Indiens

Publié dans Charlie Hebdo le 3 avril 2013 (depuis cette date, l’Atlantic Star a changé de route, et se trouverait en Turquie)

Bateau sur l’eau. L’Atlantic Star, un navire de 241 mètres de long, part se faire démanteler en Inde. Le fric pour les armateurs, l’amiante et le cancer pour les peigne-culs au pied nu.

Le Karaboudjan ! Dans Le Crabe aux pinces d’or, Tintin est prisonnier à bord de ce foutu cargo au nom arménien. Or l’Arménie n’a pas d’accès à la mer, ce qui n’est pas bien grave, car le navire sera bientôt rebaptisé, après un faux naufrage, Djebel Amilah. La suite de l’histoire s’appelle l’Atlantic Star. Ce bateau de croisière immensément étiré – 241 mètres de longueur, 1585 passagers possibles – a été construit aux chantiers navals de La Seyne (Var) en 1982, et livré en 1984 à une compagnie italienne, sous le nom de FairSky. Il s’appellera aussi Sky Princess, Pacific Sky, Sky Wonder, changeant au moins quatre fois d’armateur.

Le dernier, l’Espagnol Pullmantur Cruises, est une filiale – attention, ça devient complexe – d’une énorme boîte américano-norvégienne, Royal Caribbean International, basée à Miami mais inscrite au registre du commerce de Monrovia, charmante capitale de l’État fantôme appelé Liberia. Mais simplifions. Après divers suicides à bord, le viol et l’assassinat d’une passagère, une méningite mortelle, et diverses pannes très graves, le navire manque s’échouer sur les côtes turques après une collision en 2008. L’affaire est devenue de moins en moins rentable. Le 13 septembre 2010, portant enfin le nom d’Atlantic Star, il jette l’ancre dans le port de Marseille, où il devient, dans le jargon maritime, un navire ventouse, car il ne bouge plus.

Et soudain, le 18 mars 2013, l’Atlantic Star se fait la malle. Ses moteurs sont-ils en si mauvais état ? En tout cas, il est tiré par un remorqueur panaméen, Ionion Pelagos. Et il ne s’appelle plus Atlantic Star, mais seulement Antic : les proprios se sont contentés de faire effacer quelques lettres sur la coque. À Paris, l’un des meilleurs connaisseurs du transport maritime, Jacky Bonnemains, sursaute. Le président de Robin des Bois voit immédiatement l’embrouille, car l’Antic est bourré jusqu’à la gueule d’amiante, et probablement de quantité d’autres saloperies, très dangereuses à manipuler. Des leurres sont lancés comme bouteilles à la mer, probablement par l’armateur. Le navire irait en Turquie, pour s’y faire démantibuler. Ce bon Antic, ne donne pas sa position, mais le remorqueur, si.

« Il est entre la Sicile et l’île de Malte, raconte pour Charlie Christine Bossard, de Robin des Bois [le 28 mars], et il devrait être en vue de Port-Saïd, sa nouvelle destination, le 30 mars. Juste à l’entrée dans le canal de Suez ». Pour les détectives de Robin des Bois, il n’y a pas de doute : le navire pourri part en direction des chantiers navals d’Alang, en Inde, où atterrissent la plupart des bateaux de croisière en fin de vie. « Ce n’est pas certain, mais c’est désormais le plus probable, ajoute Christine Bossard. L’Antic risque de rejoindre, dans l’indifférence générale, quantité de navires européens, et par exemple un fleuve entier de porte containers allemands, qui vont se faire démanteler en Inde ».

À l’automne 2012, la merveilleuse revue de photojournalisme 6 mois publie une enquête du cinéaste bangladais Shaheen Dill Riaz. Dans les chantiers navals de Chittatong, le grand port du Bangladesh, les vrais pauvres du monde éventrent les navires du Nord les pieds nus dans la boue et les déchets de métal, sans aucune des protections conquises au Nord. Ils n’ont pas le temps de se plaindre, car ils meurent, remplacés par d’autres candidats au suicide.

Comme c’est étrange ! En 2006, un vaste show avait permis à Greenpeace de monter une opération héliportée contre le porte-avions Clemenceau, qui partait se faire désosser en Inde. Farci d’amiante, le bateau était revenu piteusement à Brest. Et aujourd’hui, total silence de la galaxie écologiste.

Comme c’est étrange ! Charlie vous gardait le meilleur pour la fin. L’Antic n’appartient plus, en fait, à Pullmantur Cruises, qui l’a opportunément revendu à STX France, juste avant son départ de Marseille. Or STX, c’est nous : l’État est actionnaire à hauteur de 33,34%. Pourquoi Hollande et Ayrault ont couvert l’opération ? Parce que Pullmantur a promis d’acheter à la France un mégapaquebot de la classe Oasis of the Seas, qui remplira les carnets de commande de Saint-Nazaire. Que crèvent donc ces connards d’Indiens au pied nu.

Pourquoi Europe Écologie a échoué

Entretien publié dans Charlie Hebdo du 20 mars 2013

Le texte qui suit a quelque chose d’historique. Non, je ne blague pas. Presque pas. On y découvre la réalité du mouvement Europe Écologie Les Verts (EELV), et cette réalité est consternante. La vérité provisoire est que ce parti est moralement corrompu, et que personne n’y trouve rien à redire. Deux des vrais responsables de la poussée des Européennes de 2009, puis des Régionales de 2010 – Besset et Cohn-Bendit – racontent ci-dessous ce qui s’est passé. Et rien. Pas un mot, pas un souffle, pas une explication des Blandin, Cochet, Hascoët, Voynet.

Je cite ces quatre-là car ce sont tout de même des historiques, qui répètent depuis des décennies que leur engagement impose de « faire de la politique autrement ». Or le parti qu’ils ont tant aimé est devenu une foire d’empoigne où se déchaînent de vaines ambitions, sous le regard et le contrôle d’une camarilla, autour d’un chef cynique. Je n’écris pas cela de gaieté de cœur : malgré de remarquables individualités, EELV ne sert à rien d’autre qu’à assurer des carrières.

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L’article

Les papys ont le blues. Daniel Cohn-Bendit – 67 ans – et Jean-Paul Besset – 66 -, voulaient un autre mouvement écologiste. Tous deux députés européens d’Europe Écologie Les Verts, ils expliquent à Charlie pourquoi et comment ils se sont fait bananer par Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé.

Propos recueillis au Parlement européen de Strasbourg par Fabrice Nicolino

Un petit résumé s’impose. Les Verts sont nés en 1984, et dans un premier temps, les affaires électorales ont flambé. On l’oublie, mais Antoine-la-moumoute Waechter avait obtenu 10,59 % des voix aux élections européennes de 1989, provoquant en réponse la création de Génération Écologie, un truc mis en scène par Brice Lalonde. Mais après les régionales de 1992 et malgré l’élection de la Verte Marie Blandin à la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais, la traversée du désert commence. Voynet, qui s’est imposée à la tête des Verts, entraînant le départ de Waechter, se ramasse une gamelle à l’élection présidentielle de 1995 : 3,32 % des voix. Malgré ou peut-être à cause de l’échec, les Verts dealent avec les socialos et obtiennent le poste de ministre de l’Environnement après 1997 dans les gouvernements Jospin. Le groupuscule se tient comme il faut à table.

Arrive Cohn-Bendit qui permet aux Verts de remonter à 9,72 % des voix aux Européennes de 1999. Feu de paille. Les apparatchiks du parti écolo reprennent le manche, et tout se barre en noix. En 2002, Mamère sauve les meubles à la présidentielle – 5,2 % -, mais Voynet se prend une veste historique à celle de  2007, avec 1,57 % des voix. C’est la merde, car à ce niveau ridicule, un parti n’existe que sous la forme d’une trace. Deux personnages vont émerger des décombres, dans un étroit tandem : Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé. Et ils vont envoyer aux pelotes Besset, Cohn-Bendit et une poignée d’autres qui voulaient un autre mouvement écologiste.

Charlie : Vous venez tous les deux de mai 68. Dany, tu as été anar, en France puis en Allemagne, où tu as adhéré aux Verts, en 1984. Jean-Paul, tu as été un dirigeant de la Ligue communiste dans les années 70. Journaliste, tu es devenu écologiste – sans carte – vers 1989, avant d’écrire la biographie de René Dumont. Bon, a priori, on ne vous la fait pas. Vous avez dû en voir de belles question magouilles et bureaucratie naissante. Non ?

Jean-Paul Besset : Non, sincèrement non. À la Ligue communiste que j’ai connue, je dois dire que la parole était libre, et que je n’y ai pas rencontré la soif et l’accaparement du pouvoir. Je n’ai pas vu cela, non.

Dany Cohn-Bendit (1) : Moi non plus, mais le mouvement libertaire auquel j’appartenais n’avait pas compris le rôle et l’importance des institutions dans une société démocratique. Nous nous retrouvions tous sur ce mot d’ordre : « Élections piège à cons ! ».

JPB : Plus de quarante ans ont passé, et la création d’Europe Écologie, en 2009, a été pensée en écho à ces vieux débats. Nous voulions dépasser la forme-parti, nous voulions rompre enfin avec toute idée de parti-guide, de parti ayant réponse à toutes les questions.

DCB : Il a raison ! Quand on écoute les Verts d’aujourd’hui, il n’y aurait pas plus démocratiques qu’eux. Et c’est vrai qu’il y a des votes sans fin, une proportionnelle interne, et que chacun trouve une place. Seulement, on passe sa vie dans les enjeux intérieurs, sans se soucier de ceux qu’on mobilise à l’extérieur, par exemple au moment des campagnes électorales. Les électeurs des Européennes de 2009, par exemple [16,28 % des voix], qui venaient à nous en disant ; “Europe Écologie, c’est formidable”, ont de fait été exclus de toute participation aux décisions.

Charlie : Bon. En 2009, vous parvenez à imposer aux Verts français le logo Europe Écologie, ce qui vaudra au mouvement de talonner le parti socialiste aux élections européennes de juin. Comment avez-vous lancé cet ovni ?

DCB : Les Verts français étaient en panne, et bon nombre de militants se demandaient comment relancer le mouvement. À la présidentielle de 2007, Dominique Voynet – je redis qu’elle n’a pas fait une mauvaise campagne – avait fait autour d’1,5 % des voix. Un jour de 2008, un commando est venu me voir chez moi, à Bruxelles.

JPB : Hé ! Un commando de deux personnes. En fait, Pascal Durand [actuel secrétaire national d’EELV] et moi.

DCB : D’accord, deux. Toi et Pascal. Ils ramenaient dans leurs filets un certain Nicolas Hulot, et ils proposaient de lancer une initiative pour sortir de l’impasse. Mais les choses ont traîné, et Nicolas Hulot, finalement, a refusé de s’engager. Il fallait trouver autre chose.

JPB : On avait mis Yannick Jadot dans le coup, mais nous restions un tout petit groupe. L’idée était de créer un rassemblement, sans passer nécessairement par la structure des Verts. Et nous décidons de lancer le projet aux Journées d’été des Verts, en août 2008. L’annonce en a été faite un vendredi, et je crois bien que je m’en souviendrai toujours. Au début de la réunion, on demande un volontaire pour expliquer notre projet, et je monte à la tribune. Mais quand j’ai annoncé, moi qui n’avais pas la carte des Verts : « Nous avons décidé de créer un grand rassemblement. Rejoignez-nous ! », j’ai été hué.

DCB : Deux heures plus tard, à la même tribune, on a renversé le courant. Et le lendemain, on a fait un tabac, en compagnie cette fois de José Bové et Dominique Voynet. Entre-temps, le parti démocratique-bureaucratique, qui se souvenait de mes 9,72 % de 1999, avait compris qu’il tenait une perspective. Nous étions contents, car tout le monde pensait que quelque chose de neuf était né autour du duo Cohn-Bendit Bové. L’un ayant voté oui au référendum européen de 2005, et l’autre non.

JPB : Cécile Duflot a eu l’intelligence politique de reprendre à son compte notre projet Europe Écologie. Elle l’a même présenté comme une volonté des Verts de s’ouvrir à la société civile, en travaillant avec des compagnons de route. Mais surtout pas comme la création d’une force nouvelle.

Charlie : Un sacré malentendu ! Et au moins deux logiques.

DCB : Oh, il n’y a pas eu malentendu. On se comprenait sans difficulté. Mais il y avait bien deux logiques. Nous voulions dépasser les Verts en les faisant exploser, et Cécile Duflot voulait récupérer notre mouvement pour renforcer son parti. Le face-à-face était inégal : nous étions dix face à un parti, une structure, des professionnels de la politique. Si on a pu lancer Europe Écologie, c’est que les Verts savaient qu’en nous disant Niet, ils partiraient à la bataille avec leur 1,5 % de voix de la présidentielle. On l’a donc emporté.

Charlie : Oui, mais de la même manière ambiguë que Pyrrhus. Car vous aviez en fait perdu.

DCB : La campagne des Européennes de 2009 a été bien étrange :  à part Cécile Duflot, aucun responsable Vert ne s’est montré ! Les autres ont volé au secours de la victoire quand les sondages ont été favorables. C’est après que nous avons déconné : le moment clé se situe aux journées d’été des Verts en août 2009 à Nîmes. On avait décidé de proposer une adhésion directe à Europe Écologie. Le blocage a été total. Les Verts ont refusé.

JPB : On appelait les électeurs de juin à nous rejoindre directement, sans passer par la case du vieux parti.

Charlie :  C’était donc bien un dépassement complet des Verts.

JP : Mais oui !

DCB : Mais oui ! À Nîmes, j’ai hurlé comme jamais, mais on n’a pas osé rompre, on avait peur de briser une dynamique. Mais c’est là que ma rupture avec les Verts français a commencé.

JPB : Si on n’est pas allés à la bataille, ce n’est pas par lâcheté, c’est parce que tout était allé très vite, et que nous n’avions ni structure, ni chef, ni même une stratégie claire. Au moment où il aurait fallu mener une bataille au couteau, il était clair que nous ne voulions pas lutter pour le pouvoir. On n’était pas fait pour ça.

Charlie : Rebelote en novembre 2010, à Lyon. Toi, Jean-Paul, tu croyais encore que la fusion prévue entre Europe Écologie et les Verts pourrait conduire à un parti réellement neuf.

JPB : J’y ai cru, au point d’écrire le manifeste qui en était le corps idéologique, voté d’ailleurs à 90%. Mais dès que le nom nouveau a été connu [Europe Écologie Les Verts], j’ai compris. Ce n’était plus une fusion-dépassement, car on mettait au même niveau l’appareil ancien et le renouveau. En fait, on revenait en arrière.

Charlie : Vous étiez donc refaits. Mais par qui, dites-moi ?

DCB : Par  le bureau exécutif des Verts. L’appareil.

Charlie : Mais encore ? En dehors de Jean-Vincent Placé et de Cécile Duflot, on ne connaît personne.

DCB : Ce n’est pas parce que personne ne les connaît qu’ils n’existent pas. Ils ont la mainmise sur les Verts. Disons que Placé et quelques autres avaient la mainmise sur l’appareil national, mais aussi régional, par l’intermédiaire des bureaux exécutifs régionaux.

JPB : Qui ? Le bureau exécutif, avec à sa tête Cécile Duflot, dont le bras droit s’appelle aujourd’hui encore Jean-Vincent Placé. Au total, cela doit représenter moins de cinquante personnes.

Charlie : Mais qui est donc Jean-Vincent Placé ?

DCB : Je dirais volontiers qu’il est l’apparatchik qui nous a manqué. Personne, parmi nous, ne pouvait jouer ce rôle-là, car il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans état d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer ». Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie Les Verts.

Charlie : Distribue-t-il, comme on le dit, des postes ?

JPB : Oui. Des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! Nous avons autour de 250 conseillers régionaux, plus de 50 conseillers généraux. Mais bien au-delà de sa personne, Placé représente une face de l’engagement politique. Il ne s’agit plus pour lui et ses proches d’aider à la transformation sociale.  Il s’agit d’une affaire de gestion des élus et des postes. Ces gens-là, qui ont construit un univers clos, ne vivent plus que de la politique politicienne depuis des années. Comme ils sont toujours là, à la différence des simples militants, ils finissent par l’emporter. L’objectif final n’existe pas. Il faut conquérir toujours plus de parts de marché, ou en tout cas ne pas en perdre. Un type comme Dany n’a pas sa place là-dedans, car cela lui arrive de lire un livre, de s’occuper de son fils, d’aller au stade voir un match de foot (rires).  Placé y va aussi, au stade, mais dans la tribune des VIP. Pour s’y faire voir, pour nouer des contacts, pour activer des liens. L’écologie n’est pas davantage leur problème. La grande affaire, c’est de gérer la boutique, de négocier des places, d’avoir du pouvoir.

DCB : Oui, je suis d’accord, il y a beaucoup de postes à offrir. Les postes d’élus, mais aussi les postes à l’intérieur du parti. Ça, Placé sait très bien le faire. Et il sait mettre en réseau ses fidèles. Cécile, de son côté, sait se rendre attachante. Elle noue des liens forts avec les gens, qui sont de nature émotionnelle. Et leurs deux univers se complètent parfaitement.

Charlie : Compte tenu de ce que vous racontez, franchement, étiez-vous de taille ? Quelle était votre organisation en face de celle de Placé et de ses obligés ?

JPB : On n’en avait pas. Nous ne faisions même pas de réunions formelles. On ne faisait que des bouffes, ou bien on regardait des matchs de foot ensemble, mais c’est bien tout ce qu’on faisait (rires nerveux).

Charlie : Mille excuses, mais on a la solide impression qu’Europe Écologie était un plan foireux. Vous n’arriviez même pas à vous voir pour parler de la situation politique que vous aviez créée ?

DCB : Ta pique est tout à fait juste. Il y avait une structure organisée, petite et efficace, celle des Verts. Et nous n’avons pas réussi à nous mettre autour d’une table pour continuer dans la direction que nous avions ébauchée en 2009. La présidentielle de 2012 a marqué publiquement la fin de notre projet. Il doit y avoir un moyen de relancer ce que nous avons tenté, mais il faudrait pour cela trouver des militants, et des porte-parole. Pour moi, c’est terminé.

JPB : Oui, c’est fini pour moi aussi. Mais si on croit comme moi à la profondeur de la crise écologique, il faudra bien que quelque chose de neuf finisse par naître. Nous rêvions de fédérer des énergies convergentes, et pas de doute, nous avons échoué.

Charlie : Un mot encore. Vous ressentez quoi ? De l’amertume, de la douleur ?

JPB : Je n’éprouve aucune amertume, mais de la douleur, oui.

DCB : Le bilan est douloureux, c’est certain. J’ai le sentiment d’un vaste gâchis, dont nous sommes tous comptables, et coupables.

(1) Daniel Cohn-Bendit vient de publier Pour supprimer les partis politiques !? réflexions d’un apatride sans parti, éditions Indigène.

Lisez donc Charlie (sur les Verts, sur Placé, sur Duflot) !

Droit au but : ce qui suit est de la pub pour Charlie Hebdo. Je vous invite, passant outre la détestation de certains pour ce titre, à lire le numéro en kiosque depuis mercredi. Il contient un long entretien avec Daniel Cohn Bendit et Jean-Paul Besset, que j’ai mené à Strasbourg. Si vous vous y collez, vous me donnerez votre avis. Pour moi, il contient des éléments d’information décisifs sur l’état du mouvement Europe Écologie Les Verts (EELV). Or nul ne s’est hasardé à le commenter. Je ne pense pas là aux journalistes politiques, qui pensent si peu en règle générale, mais à tous ceux, tout de même nombreux, qui se réclament de l’écologie politique.

Rien. Pas un mot. Pourtant, Cohn Bendit est, quoi qu’on pense de lui au plan politique – je n’ai rien à voir avec lui sur ce terrain -, une figure essentielle de ce courant. Tout comme l’est Jean-Paul Besset, qui a lancé en vérité, avec Pascal Durand, l’aventure électorale connue sous le nom d’Europe Écologie. Pour vous appâter, un peu grossièrement je l’avoue, je vous mets ci-dessous quelques lignes de l’entretien, qui courts sur deux pages. Est-ce du teasing ? J’ai honte, mais je crois bien.

————————————————–(DCB, c’est Cohn Bendit, et JPB, c’est Besset)

DCB : Oh, il n’y a pas eu malentendu. On se comprenait sans difficulté. Mais il y avait bien deux logiques. Nous voulions dépasser les Verts en les faisant exploser, et Cécile Duflot voulait récupérer notre mouvement pour renforcer son parti. Le face-à-face était inégal : nous étions dix face à un parti, une structure, des professionnels de la politique. Si on a pu lancer Europe Écologie, c’est que les Verts savaient qu’en nous disant Niet, ils partiraient à la bataille avec leur 1,5 % de voix de la présidentielle. On l’a donc emporté.

Charlie : Oui, mais de la même manière ambiguë que Pyrrhus. Car vous aviez en fait perdu.

DCB : La campagne des Européennes de 2009 a été bien étrange :  à part Cécile Duflot, aucun responsable Vert ne s’est montré ! Les autres ont volé au secours de la victoire quand les sondages ont été favorables. C’est après que nous avons déconné : le moment clé se situe aux journées d’été des Verts en août 2009 à Nîmes. On avait décidé de proposer une adhésion directe à Europe Écologie. Le blocage a été total. Les Verts ont refusé.

JPB : On appelait les électeurs de juin à nous rejoindre directement, sans passer par la case du vieux parti.

Un autre extrait :

Charlie : Mais qui est donc Jean-Vincent Placé ?

DCB : Je dirais volontiers qu’il est l’apparatchik qui nous a manqué. Personne, parmi nous, ne pouvait jouer ce rôle-là, car il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans état d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer ». Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie Les Verts.

Charlie : Distribue-t-il, comme on le dit, des postes ?

JPB : Oui. Des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! Nous avons autour de 250 conseillers régionaux, plus de 50 conseillers généraux. Mais bien au-delà de sa personne, Placé représente une face de l’engagement politique. Il ne s’agit plus pour lui et ses proches d’aider à la transformation sociale.

Mais de quelle nature on parle ?

L’idée de cet article m’est venue après avoir suivi la discussion entamée dans les commentaires accompagnant mon dernier papier sur France Nature Environnement (FNE). Ce que j’en retire : que faut-il sauver de ce qui reste ? Et faut-il d’ailleurs sauver ce qui reste, ces confetti de nature entourés, envahis, demain peut-être engloutis ? Je ne suis pas d’accord avec Xavier Brosse pour opposer les purs que seraient les François Terrasson (ici) et les Jean-Claude Génot (ici) à tous les autres défenseurs d’une nature fléchée, banalisée, surveillée, humanisée. Je précise que j’ai la plus grande sympathie pour ces deux-là et que j’ai assez bien connu Terrasson avant sa mort.

Leur personne n’est pas en cause, mais comme les copains, ils font avec. Terrasson a travaillé la plus grande partie de sa vie pour le Muséum national d’histoire naturelle, dont on pourrait parler longtemps, en bien comme en mal. Et Génot est toujours salarié, si je ne me trompe, du Parc naturel régional des Vosges du Nord, sur lequel il reste heureusement permis de s’interroger. Fin de la parenthèse et début d’autre chose, mais en lien. La Loire. Le magnifique, somptueux bassin de la Loire. Il couvre, tenez-vous bien, 117 000 kilomètres carrés, soit plus du cinquième de la France métropolitaine.

J’ai eu la chance insolente, en 1988, d’aller à la rencontre d’une poignée de siphonnés qui, au Puy-en-Velay, dans ce bastion du catholicisme de droite, avaient juré de sauver la Loire. Un incroyable crétin médiéval, Jean Royer – alors maire de Tours – avait décidé de mater notre grand fleuve en engageant l’État, via un établissement public appelé Epala, dans un programme de grands barrages sur la Loire et ses affluents, qui auraient ruiné à jamais la dynamique du fleuve. Qui l’auraient buté, je crois que le mot est encore plus juste. À l’amont du Puy – mais la ville n’est pas au bord du fleuve -, Royer et ses sbires voulaient ennoyer 14 kilomètres de gorges sauvages, et bâtir le barrage de Serre-de-la-Fare. Je préfère ne pas commencer à parler de ce lieu et de la beauté fracassante des gorges, et des si nombreux bonheurs que j’y ai connus, car nous y serions encore dans un mois.

Abrégeons. Le combat a cette fois payé, et Royer, qui ressemble assez fort à Ayrault et à son projet d’aéroport, a été défait. La Loire a bel et bien été sauvée, grâce à une splendide mobilisation, des sources jusqu’à l’embouchure. J’y ai gagné au passage des amis chers, que je ne peux tous citer, car j’aurais bien trop peur d’en oublier. Trois me viennent à l’esprit dès que je ferme les yeux : Martin Arnould, Roberto Epple, Régine Linossier. Ils m’ont tant apporté que je serai toujours en dette à leur endroit. Seulement, l’eau a coulé sous les ponts de Brives-Charensac, Tours et Nantes. Hélas.

Je lis ces jours-ci divers papiers (ici, ici et ) sur une vaste étude menée au long de la Loire par  Charles Lemarchand et Philippe Berny, (VetAgroSup) et René Rosoux, du muséum d’Orléans. Le fond en est clair : ces trois scientifiques ont examiné le corps de grands cormorans, balbuzards pêcheurs, loutres, écrevisses, coquillages bivalves, anguilles, truites, poissons-chats, chevaines, etc. Comme il s’agissait d’une étude écotoxicologique, 54 contaminants ont été recherchés, et le plus souvent, trouvés. Je note, pour moi-même et pour vous, que 1 000 ou 2 000 auraient pu être ciblés, mais cela n’arrive jamais, car le coût d’une étude portant sur tant de molécules se révèlerait prohibitif.

Donc, 54. Les chercheurs démontrent en fait une contamination généralisée. Les animaux « sauvages » de la Loire sont des décharges vivantes, dont les tissus contiennent des PCB – interdits depuis 1987 -, du mercure, des pesticides organochlorés et organophosphorés, des radionucléides. C’est un empoisonnement, et il est universel. So what ? Je repense aux braves de Serre-de-la-Fare, et je suis bien obligé de tirer les conclusions qui s’imposent : oui, ils ont sauvé les extraordinaires gorges de la Loire, si belles, si chères à mon cœur amoureux, mais oui également, ils ont perdu la Loire. Et nous avons tous perdu la Loire.

Ce constat rejoint bien sûr la discussion ouverte sur Planète sans visa. Que sauve-t-on ? Que peut-on sauver ? Et à quoi bon sauver des bouts de nature ? J’entends déjà les protestations. Comment ? La bataille contre les barrages de la Loire serait donc dérisoire ? Eh non, elle ne l’est pas ! Eh si, elle l’est aussi. Ceux de Loire Vivante – outre SOS Loire Vivante, au Puy, des gens valeureux comme Bernard Rousseau, à Orléans, Monique Coulet, Christine Jean, à Nantes – avaient pourtant en tête, rompant de fait avec les anciennes formes d’engagement écologique, l’écosystème complet du fleuve. Ils entendaient placer leur réflexion aux dimensions du bassin versant. Et comme je les ai admirés pour cela !

Mais cela n’a pas suffi. Il y a quarante ans – cher Jean-Pierre Jacob, serez-vous d’accord avec moi ? -, beaucoup pensaient que le combat pouvait avoir un sens au plan strictement local. On voulait souvent sauver un bout de marais, une tourbière, un coteau à orchidées. Il y a vingt ans, ceux de la Loire, qui avaient modifié le cadre ancien, se battaient pour un fleuve. Et nous devons apprendre à nous battre pour l’ensemble du vivant, ce qui est incomparablement plus complexe. Ce que confirme l’étude Lemarchand-Berny-Rosoux, après tant d’autres, c’est que nous devons faire face à une entreprise de mort globale. Défendre une partie seulement, c’est fatalement perdre la totalité au bout du chemin.

Et voilà le point central du combat écologique tel que je le conçois : il faut accepter d’affronter le système lui-même, la matrice, le fondement de la destruction du monde. Le cadre que je propose est vaste, qui inclut l’organisation même de l’économie, le partage des pouvoirs, l’idée de pouvoir elle-même, le capital et ses délires, toutes les classes politiques, toutes les anciennes manières de penser l’Homme et tous les êtres qui paient le prix de sa folie actuelle. Je m’arrête, car on m’aura compris : il faut une révolution intellectuelle et morale au regard de laquelle 1789 serait une ride à la surface d’une goutte d’eau. C’est à cela qu’il faut se préparer, même si cela ne devait jamais arriver. Tout le reste ne nous enfoncera jamais qu’un peu plus dans le désastre.

Je n’ai (presque) rien contre France Nature Environnement

Avis : le vrai sujet du jour, Jean-Claude Bévillard, est caché plus bas.

Tout le monde ne connaît pas France Nature Environnement (FNE). C’est la principale structure de protection de la nature en France, et de loin. FNE prétend fédérer 3 000 associations locales, au travers de grandes associations régionales comme Alsace Nature, Nord Nature, Bretagne vivante ou encore la Frapna (ici). Le chiffre est peut-être exagéré, mais l’ordre de grandeur est là. Je précise d’emblée que je suis membre de Bretagne vivante depuis 25 ans, et que j’écris un billet dans chaque livraison de la revue de cette belle association. En somme, je suis membre de FNE, ce qui en fait enrager plus d’un, et voici pourquoi.

FNE est née en 1968 sous le nom de Fédération française des sociétés de protection de la nature et de l’environnement (FFSPNE), et a changé de nom en 1990. En résumé brutal, cette structure est le fruit d’une rencontre entre des sortes de sociétés savantes emplies de bon naturalistes – souvent des professeurs – et une partie de la jeunesse révoltée de l’après-68. Les sociétés savantes naturalistes ont une histoire, qui plonge ses racines dans notre 19ème siècle. Je ne crois pas calomnier en disant qu’elles ont le plus souvent été du côté des pouvoirs en place. Sans 68, ce train-train aurait continué sans aucun doute, et il faut reconnaître que dans ces années-là, nos naturalistes estampillés ont fait le notable effort de s’ouvrir à la société.

70 % de financements publics

Comme j’ai écrit un livre sur le sujet (Qui a tué l’écologie ? LLL, 2011, Points-Seuil pour l’édition de poche en 2012) je ne m’attarde pas. Ce livre m’a conduit à des ruptures avec des responsables de FNE que je connaissais depuis des lustres. Et qui n’ont pas supporté, et c’est bien leur droit, la très vive mise en cause de FNE que j’y ai exposée. En deux mots, il me semble que cette fédération s’est bureaucratisée, qu’elle ne mène plus aucun grand combat, qu’elle mange dans la main des pouvoirs politiques en place, ligotée qu’elle est par un financement public qui, toutes sources confondues, doit approcher, voire dépasser 70 % de ses revenus. Chemin faisant, FNE s’est compromis dans de très mauvaises actions avec des fabricants de pesticides (ici) ou des tronçonneurs des Antipodes (ici), et de plus en plus souvent, côtoie des gens que je considère comme des ennemis, et qui sont traités comme des copains.

Une anecdote inédite permettra de situer la détestation qu’éprouvent pour moi bien des chefs et chefaillons de France Nature Environnement. Je la crois très drôle, et j’espère que vous rirez avec moi. Nos sommes en mai 2011 et Sarkozy, alors maître de l’Élysée, reçoit pour la énième fois les associations écologistes officielles qui lui ont permis de produire le Barnum du Grenelle de l’Environnement, à l’automne 2007. Tout le monde est là : la fondation Hulot, Greenpeace, le WWF, FNE, Écologie sans frontières, etc. Quel est l’ordre du jour du raout ? Je gage que tout le monde l’a oublié. À un moment, contre toute attente, un geignard de FNE dont je tairai charitablement le nom, s’adresse directement au président Sarkozy. Pour lui parler enfin de la gravité de la crise écologique ? Hé non ! Pour se plaindre de moi. En substance, le pleurnichard raconte à Sarkozy qu’un vilain méchant du nom de Nicolino vient de publier un livre qui s’attaque d’une manière odieuse à FNE, et à tous les gogos du Grenelle.

Sarkozy et Nicolino à l’Élysée

Attendait-il que Sarkozy envoie le GIGN ? Plus probablement qu’il envisage des sanctions. En tout cas,  Sarkozy écarquille les yeux, se tourne vers Serge Orru, du WWF, pour lui dire : « Mais c’est qui, ce Nicolino ?». Orru aurait calmé le jeu en affirmant qu’il n’était pas convenable de déballer son linge de cette manière. Je ne garantis pas tout, mais l’esprit général de la scène, oui. Deux personnes, indépendamment l’une de l’autre, m’ont raconté l’épisode. Je crois pourvoir donc dire que les bureaucrates-en-chef de FNE me détestent. J’espère qu’ils savent à quel point je m’en fous.

Reprenons. Si j’écris aujourd’hui, c’est pour parler d’un de ces bureaucrates, Jean-Claude Bévillard. Il est vice-président de FNE, en charge des questions agricoles. Le sujet est chaud, car le Parlement européen, travaillé par les habituels lobbies industriels – dont fait partie, au premier rang, l’étrange syndicat paysan FNSEA (1) – a voté le 13 mars une réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui ne change rien, hélas, à la puissance colossale de l’agro-industrie (ici). Un Bévillard devrait en ce moment être sur les barricades, fussent-elles symboliques. N’est-il pas, censément, un écologiste ?

Oh pas si vite ! Cela fait des années qu’à l’occasion, toujours par hasard, je tombe sur des propos de Bévillard. On ne saurait trouver plus conciliant avec les grandes structures de l’agriculture intensive, dont la FNSEA, le Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre), entourloupe maintes fois dénoncée, les coopératives agricoles, et même l’industrie des pesticides. Pour vous donner une idée, et si vous en avez le temps bien sûr, jetez un regard à l’entretien que Bévillard a accordé à l’automne 2012 (ici) à Farre. Cela dure 4mn18, et je vous conseille la fin, quand Bévillard exprime sa vision de l’agriculture de demain. Précisons que Farre (ici) regroupe à la bonne franquette Monsanto, In Vivo, la FNSEA, Syngenta, DuPont, l’UIPP (l’industrie des pesticides), etc.

Une tribune parue dans L’Écologiste

Donc, Bévillard. Je n’aurais rien écrit sur lui si je n’avais lu la tribune qu’il a signée dans le dernier numéro de L’Écologiste (janvier-mars 2013). Cette fois, j’en ai eu franchement marre, mais grave. Sous le titre « Les nitrates sont-ils vraiment un danger », il nous sert des bluettes tout à fait dignes de ses amis de Farre. Mais le pire, selon moi, est cette phrase, qui résume jusqu’où va la compromission : « L’agriculture biologique montre le chemin par la qualité de ces [sic] pratiques et de ces [resic] produits mais de nombreux agriculteurs, dits conventionnels, démontrent aussi que l’on peut être compétitif en respectant mieux la qualité de l’eau, du sol, de la biodiversité ».

Je n’ai pas un goût particulier pour l’exégèse, mais je crois nécessaire de commenter ce morceau de bravoure bien involontaire. Notez d’abord la manière de parler de la bio. Ce n’est plus une manière nouvelle, cohérente d’habiter la Terre. Ce n’est pas un système écologique et social susceptible d’enfin rebattre les cartes. Non, Bévillard vante la qualité des produits. La suite n’est jamais que pleine et entière réhabilitation de l’agriculture industrielle, présentée gentiment sous l’euphémisme « agriculteurs dits conventionnels ». Et ces braves qui font le bien ne sont nullement une minorité, car voyez, ils sont « nombreux ». Enfin, je vous invite à réfléchir à la présence tonitruante de l’adverbe « aussi », qui introduit sans détour l’idée d’égalité entre les deux parties de la phrase bévillardienne. La bio et ces excellents paysans « conventionnels » sont mis sur le même plan.

C’est lamentable ? Pour moi, aucun doute, c’est lamentable. Déshonorant serait plus juste, mais ce mot n’aurait de sens que si Bévillard était un écologiste. Mais il ne l’est pas. Il est évidemment la caution verte d’un capitalisme agricole qui continue de détruire les équilibres naturels, et promeut l’usage criminel des biocarburants dans un monde qui compte près de 900 millions d’affamés chroniques. Est-ce que je passerai mes vacances avec lui ? Plutôt rester chez moi.

Le salon de l’Agriculture de 2007

Pour la route, une seconde anecdote. Nous sommes en mars 2007, au salon de l’Agriculture de la porte de Versailles, à Paris. François Veillerette, mon vieil ami, et moi-même, venons juste de publier Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard). Le journaliste Bernard de La Villardière s’occupe d’une télé qui émet à l’intérieur du salon, et nous a invités, François et moi, pour un débat qui s’annonce vif. Je me marre intérieurement, car je me réjouis d’affronter ceux que nous venons de secouer comme des pruniers dans notre livre. Nous arrivons. Pas de bouses lancées sur nos têtes, mais une certaine tension, oui. La Villardière a visiblement dealé avec les organisateurs (voir le nota bene), car nous sommes confrontés, sur le plateau à quelque chose comme six représentants du système agro-industriel. Ou peut-être sept ? Il y a là la FNSEA, l’industrie, une chambre d’agriculture, je ne sais plus trop qui. En face de nous deux.

Le débat a lieu, qui ne m’a pas laissé de francs souvenirs. L’idée de nos adversaires était de nous asphyxier, mais je crois pouvoir écrire sans forfanterie qu’on ne nous étouffe pas aisément. Bref, cela se termine. À ce moment-là, et j’espère que l’on me croira, je découvre, stupéfait, que, sur le papier du moins, nous n’étions pas seuls, François et moi. Car, et vous l’avez sans doute deviné, Jean-Claude Bévillard avait lui aussi été invité. Mais, par Dieu ! il avait choisi son camp, au point de siéger de l’autre côté de la table, avec ses bons amis. Je jure, je vous jure solennellement que je pensais qu’il faisait partie de la clique. Tous ses propos, en tout cas, pouvaient me le laisser croire. Si quelqu’un, par extraordinaire, dispose d’un enregistrement de ce grand moment de vérité, je suis preneur. Oh oui !

(1) Existe-t-il beaucoup de structures dont l’activité principale consiste à faire disparaître au plus vite leurs membres ? La FNSEA a cogéré depuis près de 70 ans, avec tous les gouvernements, la mort des paysans. Qui formaient le tiers de la population active française en 1945 et peut-être le trentième aujourd’hui. Ou moins encore.

Nota Bene du 16 mars au soir : Bernard de La Villardière écrit qu’il n’est pas content de cet article. Il affirme qu’il a été mis devant le fait accompli et qu’il ne savait pas qu’il y aurait au Salon de l’Agriculture, face à François Veillerette et moi, une escouade de l’agriculture intensive. Je me souviens en effet qu’il n’était pas content, et je retire donc volontiers le mot « dealé ». Il s’agissait bel et bien d’un procès d’intention, et je n’ai pas de raison de douter de sa parole. Dont acte.