Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Le point de vue d’un électeur du Front de Gauche sur Chávez

Je ne peux résister à vous offrir cette tribune de Marc Saint-Upéry parue dans Le Monde avant la mort du glorieux Chávez (le 4 octobre 2012). Saint-Upéry est un altermondialiste bien connu dans ce milieu. Journaliste, traducteur, éditeur, essayiste, il habite en Équateur depuis longtemps et connaît très bien les gauches latino-américaines. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il a raison. Mais le propos ci-dessous mérite d’être lu, éventuellement une fois de plus.

Un antimodèle à gauche

LE MONDE | 04.10.2012

Par Marc Saint-Upéry, essayiste et traducteur

Présenter aujourd’hui l’expérience chaviste comme une inspiration pour la gauche européenne est tout simplement une escroquerie intellectuelle. Si l’on prétend débattre du Venezuela, mieux vaut ne pas substituer à une analyse sérieuse des demi-vérités propagandistes glanées lors de visites guidées dans les villages Potemkine du cirque bolivarien.

Observateur et militant sur le terrain des processus politiques et sociaux sud-américains depuis quinze ans, je suis aussi électeur du Front de gauche. C’est à ce double titre que je souhaite apporter mon point de vue. Bénéficiaire de la plus abondante manne pétrolière de son histoire, le Venezuela a engagé à partir de fin de l’année 2003 une politique de réduction de la pauvreté méritoire mais très problématique dans ses méthodes comme dans sa substance.

Elle se heurte depuis cinq ans à des limites intrinsèques tandis que persistent ou s’aggravent des problèmes aigus d’insécurité, d’inflation, de logement et de sous-emploi. Quant à la marche vers le « socialisme », signalons simplement que la part du secteur privé dans la formation du PIB vénézuélien a en fait augmenté sous les mandats d’Hugo Chavez.

Parallèlement à la décadence avérée des « missions » bolivariennes – brièvement revitalisées à coups de pétrodollars avant chaque élection -, ce qui fait défaut, c’est une véritable politique sociale articulée à une réforme cohérente de l’appareil d’Etat. Le social, au Venezuela, ce sont des opérations de commando extra-institutionnelles, sans horizon soutenable défini, parfois militarisées, ou bien directement gérées par un Etat étranger en échange de cadeaux pétroliers.

Nul besoin de prêter l’oreille à la propagande de la droite locale pour comprendre comment cette politique velléitaire s’inscrit dans la logique perverse du pétro-Etat vénézuélien. Dans un document datant de 2011, le Parti communiste vénézuélien, allié discrètement réticent d’Hugo Chavez, signale que non seulement « le modèle de capitalisme dépendant rentier et improductif dominant dans notre pays se perpétue, mais qu’il se renforce ».

On ne constate « aucun progrès en matière de diversification de l’économie » mais au contraire un grave approfondissement de sa dépendance – technologique et alimentaire en particulier – et le triomphe d’une bourgeoisie importatrice parasitaire. Les communistes vénézuéliens soulignent en outre que les initiatives économiques de type coopérative ou « entreprise de production sociale » promues marginalement par le régime ont « très peu de succès » – un euphémisme poli vu les désastres observables sur le terrain.

Dénonçant les dégâts de l’hyperprésidentialisme et l’absence totale « d’instances de direction collective « , ils décrivent l’Etat bolivarien comme « hautement inefficace », constatent une « intensification de la corruption » et déplorent, à côté d’avancées sociales partielles et fragiles, une véritable « régression en matière de planification, de coordination et de prestation d’une série de services publics fondamentaux ». Conclusion : « On ne peut plus occulter le fossé entre le discours « socialiste » de certains acteurs gouvernementaux et la pratique concrète du gouvernement, et la tension qui en résulte atteint un point critique. »

C’est le même diagnostic qu’émettent les nombreuses organisations politiques et sociales de gauche et les dizaines de milliers de militants progressistes honnêtes qui, ces dernières années, ont pris leurs distances à l’égard du processus bolivarien. Aussitôt traités de « traîtres » et d' »agents de l’Empire » par les sbires du régime, ils ont pourtant cent fois raison de dénoncer ses contradictions criantes et la culture politique ultra-autoritaire constamment réaffirmée par la voix de son maître : « J’exige la loyauté absolue envers mon leadership. Je ne suis pas un individu, je suis un peuple… Unité, discussion libre et ouverte, mais loyauté… Tout le reste est trahison. » (Hugo Chavez, janvier 2010.)

Résumons. Sur le plan social, aux efforts redistributifs des années 2004-2006 – passablement erratiques mais ayant eu le mérite de mettre la question sociale au centre du débat politique – a succédé une phase de stagnation liée aux gravissimes dysfonctions d’un Etat rentier colonisé par la boliburguesía (la « bourgeoisie bolivarienne »).

Sur le plan économique, on constate l’approfondissement vertigineux d’un modèle parasitaire, dépendant et corrompu que Chavez n’a pas inventé, mais dont il a porté à l’extrême tous les traits les plus néfastes. Sur le plan international, il y a longtemps que tout le monde sait en Amérique latine que, du fait de ses incohérences et de son histrionisme stérile, Chavez a perdu la bataille du leadership régional.

Le discours « anti-impérialiste » du régime, dont les relations pétrocommerciales avec les Etats-Unis sont excellentes, se résume à un soutien indéfectible et tonitruant à Mouammar Kadhafi, Bachar Al-Assad, Mahmoud Ahmadinejad ou Alexandre Loukachenko. Qui plus est, Chavez est pathétiquement dépendant des multinationales brésiliennes et mange dans la main de son « meilleur ami », le président colombien Juan Manuel Santos, allié crucial de Washington.

Au niveau des pratiques institutionnelles, le gouvernement de Chavez n’est certes pas une dictature, mais, pour prendre une comparaison européenne, sur un gradient d’autoritarisme manipulateur qui irait de Silvio Berlusconi à Vladimir Poutine, il est très proche dans ses méthodes et son esprit d’un régime comme celui de Viktor Orban en Hongrie.

Justice aux ordres, criminalisation des mouvements sociaux et du syndicalisme de lutte (les « affaires Tarnac » de Chavez se comptent par dizaines), incarcérations arbitraires, interdictions professionnelles, confusion systématique du parti et de l’Etat, mépris des mécanismes et des garanties définis par la Constitution bolivarienne, tolérance complice de la corruption dans les rangs du pouvoir et protection éhontée des nouveaux riches au service du régime, la liste des abus et des violations est copieuse.

Enfin, en termes d’éthique militante, Chavez et son parti croupion incarnent un modèle hyper-caudilliste caractérisé par ses tendances mafieuses et son charlatanisme idéologique. Malgré une érosion électorale constante depuis 2007, Chavez conserve suffisamment de capital charismatique pour gagner les élections, et les Vénézuéliens ont le droit de choisir leurs dirigeants sans ingérences extérieures ni campagnes de diabolisation. Mais sur le fond, le « modèle » bolivarien est exactement le contraire de ce à quoi devrait aspirer une gauche digne de ce nom.

© Marc Saint-Upéry

Marc Saint-Upéry est l’auteur du « Rêve de Bolivar : le défi des gauches sud-américaines » (La Découverte, 2007)

Trois mots sur Hugo Rafael Chávez Frías

Chávez, président du Venezuela, est mort le 5 mars, et je n’ai pas souhaité commenter ici. J’ai parlé bien des fois sur Planète sans visa de ce caudillo, et l’ai abondamment conspué. Inutile d’en rajouter au moment de sa mort. Le certain, c’est que je ne le pleure pas. Mais comme je ne voulais pas m’associer au chant oligarchique planétaire qui fête sa mort, j’ai préféré le silence. Et d’autant que je ne voulais pas m’associer davantage à ceux qui, comme Hervé Kempf (ici), saluent un homme « libre ». Libre ? Malgré la réelle amitié que je porte à Hervé, je dois bien constater que nous ne sommes pas d’accord, mais vraiment pas d’accord du tout sur le sens du mot liberté.

L’incroyable facilité avec laquelle une partie des écologistes, notamment altermondialistes, a versé dans le soutien à un chef militaire comme Chávez tient bien sûr à l’Histoire, à l’éternelle psychologie des humains confrontée aux sables mouvants des événements courants. Je ne reprends pas ici ce que j’ai écrit 100 fois. Par une insupportable légèreté de la pensée, la gauche française a refusé de tirer le vrai bilan des stalinismes, dans lequel j’inclus évidemment Castro et Cuba. Chávez est une queue de comète de ce grand phénomène monstrueux. Qui mêle des traces évidentes de caudillisme à la sauce latino à une conception du pouvoir qui doit beaucoup à ce qui s’est passé en Union soviétique entre 1926 et 1991. Les morts « de gauche » ne comptent pas davantage à gauche que les morts « de droite » à droite.

Chávez aura fait perdre des années précieuses à ceux qui cherchent une sortie humaine à la crise historique de notre aventure commune. Je vous l’ai dit, je n’insiste pas. Dans les quelques textes que j’ai retrouvés et que je vous signale ci-dessous, il y a de quoi réfléchir me semble-t-il. Mais je dois constater que jamais les thuriféraires de Chávez en France – mélenchonistes en tête – n’ont accepté le moindre débat. Je le comprends, car la discussion est à leurs yeux close. À l’inimitable manière stalinienne – je les entends rigoler d’ici : “Encore ces vieilles histoires !” -, il y a ceux qui avalent toutes leurs balivernes, qui sont des frères. Et puis les autres.

Bah ! je n’y peux évidemment rien. Encore un mot : dans les textes ci-après, classés du plus ancien au plus récent, on verra peut-être que j’aborde aussi la question écologique. Car de toutes les contrefaçons qui auront entouré la personne de Chávez, c’est bien sa réputation d’écologiste qui m’aura le plus choqué. Un bon week-end à tous.

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=298

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=590

 https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=671

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=720

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1042

 https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1079

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1395

La mer, l’air et l’eau (vaines pensées)

J’aime Alexandre Dumas à la folie. Je crois avoir lu Le Comte de Monte Cristo quatre ou cinq fois et au moins trois fois Les Trois Mousquetaires et bien d’autres livres encore de lui, qui était pourtant un épouvantable plagiaire. Dumas n’était pas seulement un copieur, mais un industriel de la récupération d’histoires et de textes, qui utilisa au cours de sa vie littéraire, croit-on, au moins une centaine de nègres écumant pour son compte archives et vieilles éditions. Je ne résiste pas à l’envie de vous donner cet extrait de Comment je devins auteur dramatique, en vous priant d’excuser sa longueur :

« Dieu lui-même, lorsqu’il créa l’homme, ne put ou n’osa point l’inventer ; il le fit à son image. C’est ce qui faisait dire à Shakespeare, lorsqu’un critique stupide l’accusait d’avoir pris parfois une scène tout entière dans quelques auteurs contemporains : c’est une fille que j’ai tirée de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne. C’est ce qui faisait dire encore plus naïvement à Molière : je prends mon bien où je le trouve. Et Shakespeare et Molière avaient raison, car l’homme de génie ne vole pas, il conquiert; il fait de la province qu’il prend une annexe de son empire ; il lui impose ses lois, il la peuple de ses sujets, il étend son sceptre d’or sur elle, et nul n’ose lui dire en voyant son beau royaume : “Cette parcelle de terre ne fait point partie de ton patrimoine”.» Bon, Dumas ne se voyait pas comme un égal parmi les égaux, et je ne peux pas dire que sa vanité me fasse grand plaisir. Je suppose que le personnage est un tout, dont il est difficile d’extraire seulement ce qui me convient.

Je précise encore deux choses. Un, je reste époustouflé par Le Comte de Monte Cristo, qui multiplie toutes les dix pages des coïncidences et des rencontres parfaitement impossibles dans la vie, et presque autant dans un roman. Ce devrait dissuader de continuer, tant les surprises les plus folles sont à chaque tournant, et pourtant l’on marche en exultant. Je marche en exultant. Deux, tout ce qui précède n’a (presque) rien à voir avec ce qui suit et qui justifie un peu que je vous écrive ce dimanche soir. Tout est parti d’un extrait qui trotte souvent dans ma tête, venu du Grand Dictionnaire de Cuisine de Dumas, publié en 1871, en cette si grande année de La Commune, juste après la mort de son auteur. Je cite : « Dans un cabillaud de la plus grosse taille (…), on a trouvé huit millions et demi et jusqu’à neuf millions d’œufs. On a calculé que si aucun accident n’arrêtait l’éclosion de ces œufs et si chaque cabillaud venait à sa grosseur, il ne faudrait que trois ans pour que la mer fût comblée et que l’on pût traverser à pied sec l’Atlantique sur le dos des cabillauds ».

Le cabillaud, je le précise pour ceux qui ne le savent pas, c’est la morue, qui fut à l’origine de tant de fortunes humaines. Et je reprends. Jules Michelet, l’historien bien connu, était un contemporain de Dumas, et il écrivit de son côté, dans le livre  La Mer (1861) : « Dans la nuit de la Saint-Jean (du 24 au 25 juin), cinq minutes après minuit, la grande pêche du hareng s’ouvre dans les mers du Nord (…) Ils montent, ils montent tous d’ensemble, pas un ne reste en arrière. La sociabilité est la loi de cette race; on ne les voit jamais qu’ensemble. Ensemble ils vivent ensevelis aux ténébreuses profondeurs (…) Serrés, pressés, ils ne sont jamais assez près l’un de l’autre (…) Millions de millions, milliards de milliards, qui osera hasarder de deviner le nombre de ces légions ? ».

Pourquoi ces deux courts textes ? Parce qu’ils montrent une évidence : il y a 150 ans, alors que l’espèce humaine occupait le monde depuis des centaines de milliers d’années déjà, nul n’envisageait les limites de l’océan mondial. On pouvait y puiser sans fin pour nourrir les hommes, on n’en viendrait jamais à bout. La pêche industrielle a détruit en moins d’un siècle des équilibres écologiques stables – dynamiques, mais stables – depuis des millions d’années. Et ce qui est vrai de la mer l’est de l’eau, dont notre corps est fait à environ 70 %. À peine si l’idée pourtant réaliste que nous sommes en train de nous attaquer à coup de canons chimiques au cycle de l’eau douce, que l’on croyait pourtant éternel, à peine si cette idée commence à se répandre. L’impératif catégorique serait de briser le cadre des pensées anciennes, et de proclamer qu’il ne faut plus rien polluer. Que l’eau est sacrée. Que celui qui la profane est un criminel des profondeurs. Fuck Off ! Veolia et Suez. Fuck Off ! J’ai encore assez de jus en moi pour rêver d’un monde où les dépollueurs de l’eau auraient disparu.

De la mer, je suis donc passé aux eaux douces, si durement traitées, et je pense maintenant à l’air. Ce dimanche soir, j’apprends que « la région parisienne est en alerte pollution, du fait du taux élevé de particules fines dans l’air ». Je vis dans cette partie du monde, et je sais que certains d’entre nous, parmi les plus faibles, les plus vieux, les plus jeunes, les plus asthmatiques, vont mourir d’avoir été exposés à ces horribles poisons. Et tout le monde le sait. Cela m’amène à rapprocher l’air et le climat des mots écrits par Dumas et Michelet il y a 150 ans. Même à l’époque de la première vague écologiste, celle d’Ivan Illich, celle d’André Gorz, celle de René Dumont – chez nous -, il y a quarante ans, nul (ou presque) ne voyait le climat comme une menace globale.

Nous avons fait de cet auxiliaire premier de la vie un ennemi, peut-être implacable. C’est une nouveauté si radicale que nombre refusent d’y croire. Parmi eux des Allègre, qui ne comptent finalement pas tant que cela à mes yeux. Et puis d’autres, dont je sais la sincérité et la probité, ce qui me navre bien davantage. Où veux-je en venir ? À ce constat mi-rigolard mi-désespéré que l’époque est rude pour les cœurs tendres que nous sommes. On a cru la mer inépuisable : elle se vide chaque jour un peu plus. On a imaginé le cycle de l’eau hors de portée : un nombre croissant de fleuves n’arrivent plus à la mer. On a négligé l’atmosphère et le climat tant qu’on a pu, pour découvrir enfin que nous sommes en train de détruire la régularité du temps et des précipitations, qui a pourtant permis l’éclosion des civilisations d’où nous venons en ligne directe.

Où veux-je en venir ? Nous avons grand intérêt à serrer nos voiles, nous avons grand intérêt à nous regrouper pour nous tenir chaud, car l’heure des tempêtes est devant nous.

Combat au couteau entre le panda et l’ours polaire (le cas WWF)

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo du 13 février 2013

Un très court préambule. L’article que vous allez lire me conduit au bord de la rupture personnelle avec des amis, dont l’un reste pour l’heure cher à mon cœur. Mais j’écris en conscience ce que je crois devoir écrire. Je sais qu’il est plus facile de canarder le messager plutôt que de s’interroger sur le sens de qu’il dit. J’ai l’habitude. Mais cela fait quand même mal.

L’ours blanc est menacé par la fonte de la banquise et la chasse. Compter 75 000 dollars pour une peau. Problème : le WWF, dont l’emblème est le panda, refuse d’attaquer les chasseurs. Pourquoi ? Parce que.

L’affaire de l’ours polaire fout le bordel entre le WWF et les écologistes de terrain. Le bel animal n’en peut plus : il en resterait entre 20 000 et 25 000 sur la banquise Arctique et alentour. Une banquise qui a pu atteindre 15 millions de km2 au maximum de l’hiver, et un peu plus de 3 au cœur de l’été 2012. Plusieurs menaces, dont le dérèglement climatique, pourraient mener l’espèce au bord de l’extinction.

On s’agite ? Un peu. Dans quelques semaines, les bureaucrates de la nature se retrouveront à Bangkok pour une énième réunion de la Cites, qu’on appelle aussi Convention de Washington. Pour l’ours blanc, l’enjeu est essentiel, car les Etats-Unis, appuyés miraculeusement par les Russkoffs, proposent de placer l’ours dans l’Annexe 1, sommet de la protection. En théorie, le commerce international des parties de l’animal serait interdit. Un ours polaire naturalisé adulte se vend 40 000 euros à Paris, et beaucoup plus encore en Russie ou en Chine, où une simple peau peut atteindre 74 000 euros.

La situation est à ce point limpide que toutes les associations de protection de la nature devraient être sur le pont. Ne serait-ce que pour pousser au cul notre gouvernement, dont la voix à la réunion de Bangkok pèsera lourd. Mais pour l’heure, la France refuse de soutenir les Amerloques, et pense pouvoir se planquer en choisissant bravement l’abstention. La désunion écologiste ne va pas arranger les choses.

Résumons ce qui semble un beau mystère. D’un côté, 13 associations sont réunies pour aller au baston (1), parmi lesquelles Sea Shepherd, l’Aspas, la LPO, Robin des Bois. Elles soutiennent sans surprise l’inscription de l’ours blanc à l’Annexe 1 de la Cites. En revanche, d’autres poids lourds, comme Greenpeace, France Nature Environnement (FNE) et le WWF font semblant de ne pas être concernés. Ce dernier notamment – le WWF – risque d’en prendre plein la tronche publiquement, ce qui serait une grande première.

Personne ne souhaite encore sortir sous la mitraille, mais en off, c’est le grand dégueulis, au point que Charlie est obligé d’édulcorer pour éviter un procès en diffamation. En résumé, le WWF s’oppose avec ses petits bras à la proposition américaine de protection, avec des arguments que l’on qualifiera prudemment d’étonnants. Visite sur le site du WWF (2), où un pauvre ours polaire, par la grâce d’un effet graphique, souffle de la vapeur d’eau. Ça chiale direct, car « les jours sont comptés » et « 1498 ours polaires ont disparu depuis le 1er janvier 2009 », mais à condition de refiler 30 euros au WWF, la lutte contre le réchauffement de la banquise sera en de bonnes mains. Une belle manière de gagner des sous, qui rend hystériques de nombreux militants historiques de l’écologie.

L’un d’eux résume ainsi la situation pour Charlie : « C’est vraiment dégueulasse. Le WWF se remplit les poches en parlant de réchauffement climatique, contre lequel il ne peut évidemment rien. Et refuse la protection de l’ours réclamée par les Américains, en se taisant sur la chasse et les trafics internationaux qui en découlent. C’est la honte, et l’exaspération contre ces mecs est en train de monter partout. Je ne suis pas le seul à en avoir plein le cul, du WWF ».

Malgré les apparences, parole modérée. Mais voici déjà la séance Explication. Un, la chasse légale zigouille entre 600 et 800 ours par an, ce qui est énorme au regard du nombre de survivants. Pourquoi le WWF refuse-t-il de mettre en cause les porteurs de flingue ? Il n’est pas interdit de se replonger dans l’histoire de cette très curieuse ONG. Fondé en partie par des grands chasseurs d’animaux sauvages en Afrique – qui voulaient continuer à buter éléphants et gazelles -, le WWF n’a cessé de maintenir des liens puissants avec cet univers. Pour ne prendre qu’un exemple, le roi d’Espagne Juan Carlos est resté président d’honneur du WWF jusqu’à l’été dernier, alors qu’il avait été chopé à trucider des ours en Roumanie et des éléphants en Afrique.

Donc, le WWF aime les chasseurs. Mais est-ce bien tout ? Juste avant que la barque ne coule, encore deux bricoles. Un, le WWF est mutique sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais mutique. Y aurait-il un lien – hi hi – avec les nombreux financements venus de l’industrie ? Deux, le WWF vient de prendre un joli tournant en France, en embauchant deux nobles personnages. Nouveau directeur général : Philippe Germa. C’est un banquier, venu d’une entreprise transnationale d’origine néerlandaise, ABN AMRO. Nul besoin de détailler les belles activités d’une telle boîte. Nouveau directeur des programmes :  Christophe Roturier. Il a longtemps travaillé en Afrique, dans les « équitables » échanges de cacao entre la France et des pays comme la Côte d’Ivoire. Il a également bossé pour l’un des fleurons de l’agriculture la plus industrielle qui soit, Arvalis-Institut du végétal.

Moralité ? Y en a pas. Un dessin circule en ce moment dans les associations écologistes authentiques. On y voit un panda – symbole du WWF – sur la banquise, en train d’abattre au fusil un ours polaire.

(1) http://www.bioaddict.fr/article/13-associations-s-unissent-pour-la-protection-des-ours-polaires-a3669p1.html

(2) http://urgence-especes.wwf.fr/#/interview-jean-stephane-devisse

Massacre au bois de Tronçay (un autre Notre-Dame-des-Landes)

Une putain d’affaire. Vraiment, on ne voit pas un pareil désastre tous les matins. Je résume, et prie les acteurs locaux d’excuser d’éventuelles erreurs. Comme souvent, les choses sont un peu compliquées. Je commence par le lieu, qui est une forêt de 110 hectares bordée par l’Yonne d’un côté, la rivière Sardy et le canal du Nivernais de l’autre. Nous sommes tout près du du parc naturel régional du Morvan, dans l’arrondissement de Clamecy et le département de la Nièvre. Un château fort connu des historiens, celui de Marcilly, domine les environs.

Pascal Jacob, président du Medef

Le coin est paumé, c’est-à-dire en réalité préservé comme bien peu. Les élus locaux, aussi malins qu’ailleurs, décident voici une poignée d’années de « créer de l’emploi » et achètent à prix d’or, dans des conditions d’ailleurs discutées, le bois de Tronçay, avant de le refiler à une scierie industrielle belge, Fruytier. Laquelle, après mûre réflexion, décide d’aller installer ailleurs en Bourgogne ses activités. Tête des élus, qui ont emprunté et se retrouvent lourdement endettés. Heureusement pour eux arrive Pascal Jacob, président du Medef en Bourgogne. Comme le gars a fait une école du Bois, il a de grandes idées sur le sujet, et depuis une bonne dizaine d’années, il est lobbyiste en chef de l’industrie du sciage. Il a fait le siège de tous les politiques possibles pour leur vendre son idée fixe, qui est de « réindustrialiser les campagnes » par l’installation de scieries. Bon, après le lâchage des Belges de Fruytier, les élus locaux tombent dans les bras de Jacob, dont on lira pour se marrer le blog, chef-d’œuvre on ne peut plus involontaire (ici).

Jacob se lance dans un nouveau projet, toutes voiles dehors (ici, la localisation sur Google Map). À la tête de l’entreprise Erscia, lancée tout spécialement, il entend créer ex nihilo un géant du bois : 300 000, puis 500 000 m3 de grumes sciés sur place chaque année. Sont également prévues une centrale électrothermique et une unité de pelletisation, c’est-à-dire de fabrication de granulés de bois. À quoi on ajoutera pour faire bon poids de la cogénération, cette tarte à la crème désormais dans tous les projets dégueulasses, et de la production d’électricité, ainsi que 120 emplois créés, et 148 millions d’euros d’investissement, etc. Notons ensemble qu’il ne s’agit là que de promesses, qui n’engagent jamais que ceux qui les croient. Mais passons, non sans avoir ajouté que Pascal Jacob est un as de la novlangue qui présente son beau projet comme « exemplaire en matière d’énergie verte »,  qui se substituera pour sûr « aux énergies fossiles et à l’énergie nucléaire ».

Au pays des pique-prunes

Or donc, un fier capitaine d’industrie veut s’emparer, pour le bien de la planète, d’un bois de 110 hectares. En août 2011, les pelleteuses et les bulls sont là. Suis-je bête ! J’avais oublié de préciser que le projet incluait la dévastation du lieu, par défrichement quasi-total. Jacob ayant oublié un détail – une telle destruction est tout de même soumise à autorisation -, les travaux sont stoppés. Je résume encore, bien obligé. Une enquête publique a lieu, et un premier avis du consultatif Conseil national de protection de la nature (CNPN) est donné. Il est défavorable pour la raison évidente que le bois de Tronçay est une merveille de biodiversité. On y trouve, au milieu de quantité d’autres beautés, des insectes très protégés, comme le Grand capricorne, la lucane cerf-volant, et ce pique-prune qui, jadis, stoppa à lui seul une autoroute (ici). En bref, les promoteurs de cette scierie sont des barbares, espèce qui semble ne jamais devoir être menacée.

Je survole à nouveau. La population locale se mobilise grandement (ici), le CNPN donne au total trois avis défavorables – ce doit être un record -, mais le projet avance à tous petits pas, sans réellement s’arrêter. C’est qu’il est soutenu d’une manière épouvantable par la préfète de la Nièvre, Michèle Kirry, qui doit tout à la gauche gouvernementale, et singulièrement au ministre de la police, Manuel Valls. Ancienne élève de l’Ena, elle a occupé diverses fonctions dans plusieurs ministères avant d’être nommée préfète en novembre 2012. Sitôt arrivée, elle marque le territoire, et de quelle manière ! Le 4 février 2013, madame Kirry pond un arrêté scélérat, qui malgré diverses décisions judiciaires et administratives, ouvre la voie au grand massacre. Une grosse heure après, les les machines sont là, et les arbres tombent.

Christian Paul et Arnaud Montebourg

Question de simple bon sens : pour quelle raison une préfète si récemment arrivée prend-elle une décision aussi grave ? Outre le fait que les élites, en totalité, se contrefoutent de la nature, il faut y ajouter le poids de Christian Paul. Comme on n’a pas le droit d’insulter un noble élu de la République, je m’en garderai bien. Paul est socialo, ancien élève de l’Ena bien sûr, insignifiant secrétaire d’État sous Jospin, entre 2000 et 2002, et il a occupé diverses fonctions locales, parmi lesquelles maire de Lormes, conseiller général, conseiller régional. Il est en ce moment député de la Nièvre. Et bien sûr, il défend de toutes ses forces d’apparatchik le projet de destruction du bois de Tronçay. Quand on n’a pas la moindre idée de l’avenir, pourquoi ne pas faire semblant ? Il a, au reste, rencontré hier notre si formidable ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui l’a assuré de son indéfectible soutien au projet Erscia. On comprend mieux l’engagement si intense de madame la préfète de la Nièvre.

Mais où en sommes-nous ce 7 février à 22 heures ? Sur place, de valeureux combattants, que je salue ici, occupent comme ils peuvent le bois. Sans pour l’instant parvenir à empêcher le passage des engins. Cela donne à peu près cela :

Seulement, la messe est loin d’être dite, et les défenseurs de la forêt appellent maintenant à la création sur place d’une Zone à défendre (ZAD), sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes. Ils attendent de tous ceux qui peuvent un soutien, un coup de main, une visite, plus si c’est possible. J’en profite pour passer le message aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, et leur suggère d’envoyer sur place, au plus vite, une délégation. Ceux de Sardy ont un besoin immédiat de tam-tam, et de mobilisation. Je précise enfin que je n’aurai pas écrit ce texte sans la sollicitation de trois sources différentes :

1/ Mon ami Thierry Grosjean, de l’association Capen 71. Un mail : thierry.grosjean5@wanadoo.fr. Thierry est un véritable combattant de l’écologie.

2/ Une chère lectrice de ce blog, Sylvie Cardona, responsable de l’association Aves, http://www.aves.asso.fr/

3/ Enfin Anne Lhostis, de l’association Adret Morvan.

Un tout dernier mot. De nombreuses associations sont sur le pont, et elles m’excuseront de ne pas les citer toutes. Je me contenterai de donner ici le contact d’Adret Morvan. D’abord un site internet  : http://adretmorvan.org/. Ensuite une adresse électronique : contact@adretmorvant.org. Je (ne) suis (pas) payé pour le savoir, on ne peut se multiplier. Mais le combat pour le bois de Tronçais est un grand combat. Tous ceux qui iront là-bas pourront légitimement être fiers d’eux.