Un jour comme aujourd’hui, il vaudrait mieux ne pas aborder le sujet, mais justement. Un jour comme aujourd’hui, il le faut. Thierry Jaccaud, rédacteur-en-chef de l’excellente revue L’Écologiste (ici), m’envoie un texte publié sur son blog (ici). J’espère qu’il ne m’en voudra pas, mais je tiens cet homme pour un ami. Telle n’est évidemment pas la raison de la reprise que vous lirez ci-dessous. Pour dire la chose sans détour, j’approuve ce texte à propos du « mariage pour tous ».
Je ne l’aurais évidemment pas écrit de la sorte, mais je le juge de grande qualité. Inutile de m’appesantir. Deux petits mots quand même. Un, il est désolant que la question de la filiation, fondamentale, fasse l’objet des habituelles éructations idéologiques. Il est encore heureux qu’on puisse défendre l’égalité, et considérer l’homophobie comme un racisme d’une part, et d’autre part contester ce qui est d’évidence une opération politicienne d’un gouvernement en perdition. Cette manière d’opposer supposés progressistes et soi-disant réactionnaires est un truc. Une pure et simple arnaque.
Deux, l’écologie telle que je la comprends est une révolution de l’esprit. Elle contredit l’hyperindividualisme qui est au fondement de notre société industrielle. L’individu aurait tous les droits. Celui de changer de machine toutes les vingt secondes, celui de tuer un cerf s’il en a le goût, celui de prendre l’avion plus souvent qu’il n’embrasse son fils, celui d’enfanter à 98 ans, celui de se voir greffer un deuxième cerveau et une huitième main, etc. L’écologie telle que je la pense est la découverte des limites. Y compris celles du désir. Y compris celles de sa satisfaction. C’est d’autant plus chiant que j’entends pour ma part rester sur le terrain de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Mais lisez Jaccaud.
Le blog du rédacteur en chef de L’Ecologiste
La vérité pour tous
Le candidat Hollande promettait une « France apaisée » et l’arrêt des propositions « clivantes ». Mais le projet de loi de « mariage pour tous » déposé par le gouvernement fin 2012 a provoqué un profond clivage avec une redéfinition complète du mariage et de la filiation. En effet, contrairement aux Pays-Bas par exemple, le projet du gouvernement prévoit rien de moins que d’affirmer avec la force de la loi un mensonge sur la filiation.
Que disait la proposition 31 du candidat Hollande ? Dans son programme de 40 pages, cette proposition occupait à peine plus d’une ligne en seulement treize mots : « J’ouvrirai le droit au mariage et à l’adoption aux couples homosexuels. » Il ne s’agissait donc pas de modifier la définition ni du mariage ni de la filiation. Sans autre précision, on pouvait penser qu’il s’agissait comme aux Pays-Bas de créer un régime particulier du mariage comprenant notamment l’adoption simple par deux conjoints homosexuels, c’est-à-dire sans effacer la filiation biologique. Bref, cela aurait ajouté des droits à une petite minorité sans rien changer à ceux de l’immense majorité des couples. Cela aurait donné un cadre juridique à une situation de fait : des enfants élevés par deux conjoints homosexuels. Mais le projet de loi du gouvernement propose l’adoption plénière, c’est-à-dire la suppression légale de la filiation biologique réelle de l’enfant !
De plus, le projet de loi ne concerne pas seulement le mariage homo. Il prévoit un changement radical de la définition du mariage et de la filiation pour tous. En effet, au lieu de définir le cas particulier de l’union homosexuelle, le gouvernement a choisi de redéfinir le mariage en général, en supprimant dans le Code civil des centaines de références sexuées : au père et à la mère, à l’époux et à l’épouse… pour les remplacer par des termes neutres comme « parent ». Il resterait bien de façon isolée les mots « père » et « mère », dans le titre VII du Code civil concernant la filiation, où la filiation biologique deviendrait… un cas particulier ! Le cas général de la filiation serait alors une filiation choisie et non plus une filiation biologique. Si la loi devait ainsi supprimer les notions de père et de mère, ce serait selon les psychanalystes Monette Vacquin et Jean-Pierre Winter une violence destructrice des liens entre les hommes et entre les générations.
Dans le cas particulier des unions homosexuelles, un enfant pourrait alors avoir officiellement deux mères (et pas de père) ou deux pères (et pas de mère) : le discours légal contredirait alors la réalité de l’existence de deux parents biologiques de sexe différent. Le conjoint du parent biologique se verrait qualifié de « parent », ce qui serait également contraire à la réalité biologique. Ce serait un mensonge anthropologique officiel incroyable dont on imagine aisément les ravages sur les enfants. Encore une fois, cela ne figurait pas au programme de François Hollande. Le projet de loi du gouvernement affecterait en premier lieu les enfants de familles homoparentales, mais aussi tous les autres enfants puisque le gouvernement prévoit d’enseigner cette nouvelle définition du mariage dès la maternelle au nom de la lutte contre l’homophobie. Bref, toute la société serait touchée.
D’ores et déjà, le premier enfant né en France en 2013, à Moulins dans l’Allier, a été présenté sans aucun recul par la presse locale comme ayant « deux mamans ». Deux mensonges en deux mots : mensonge direct car seule l’une des femmes est sa mère, et mensonge indirect par omission du père qui a été délibérément effacé – il s’agit d’un donneur anonyme, ce qui est aujourd’hui illégal en France. Nul besoin d’avoir fait de longues études de psychologie pour comprendre que l’enfant demandera très tôt où est son père et qui est sa « vraie » mère. Faut-il donc rappeler avec Lacordaire qu’entre le faible et le fort, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ? La loi qui organise la filiation biologique protège les enfants, elle doit être préservée !
Si le projet de loi devait être adopté, ce serait une négation sidérante de la nature, l’aboutissement consternant de notre société industrielle qui détruit la nature non seulement dans la réalité mais aussi dans les esprits. L’homme se prend pour un démiurge : nucléaire, OGM, nanotechnologies… sans jamais mettre la moindre limite à son action. « No limits », tel est le slogan des ultralibéraux qui définissent le nouveau politiquement correct. Dans la vaste entreprise de marchandisation du monde, toutes les règles sont ainsi progressivement éliminées. Que cette logique ultralibérale et ultraindividualiste se retrouve dans le projet de loi d’un gouvernement de gauche est affligeant.
Pourtant, il existe des solutions juridiques pour les couples homoparentaux, comme l’union civile avec un statut de beau-parent proposée par Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny. Ce nouveau statut aiderait non seulement les quelques milliers d’enfants vivant dans des familles homoparentales mais aussi le million d’enfants vivant dans des familles recomposées. La lutte contre l’homophobie est une évidence. Le respect de la vérité sur la filiation des enfants n’est-il pas également une évidence ?
Thierry Jaccaud