Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Vers une rencontre au sommet François de Rugy/Fabrice Nicolino

Rajout épouvanté : certains lecteurs ont visiblement pris au pied de la lettre le titre de ce (tout) petit papier. Il n’est qu’auto-ironie, évidemment ! Le jour où je me prendrai réellement au sérieux ne me semble pas arrivé. Ceci posé, je verrai bel e bien monsieur de Rugy s’il n’a pas changé d’avis.

Il y a quelques jours, sur Planète sans visa, j’ai consacré un article désagréable (ici) – pour lui – au député Europe Écologie/Les Verts (EELV) François de Rugy. Il y a répondu en commentaire, et j’ai aussitôt ajouté mon point de vue. Ce sont ces très courts textes que j’extrais des commentaires, où ils risquent fort de ne pas être assez lus à mon sens. Je précise pour François de Rugy que je ne prépare aucun traquenard et que ma réponse est simplement sincère.

François de Rugy le 28 novembre 2012

Cher Monsieur Nicolino,

Vous consacrez un long article à ma modeste personne avec force citations (dont vous reconnaissez ne pas toujours avoir les sources – gênant pour un journaliste, d’autant plus quand on revendique la qualification).?Vous dites pourtant ne pas connaître et plus étonnant ne pas vouloir me connaître. Étrange de me consacrer autant de lignes quand on ne veut pas me connaître…?Comprenne qui pourra! Comme je suis curieux, que j’aime le débat, donc la contradiction, je lance l’invitation à vous rencontrer. Quand vous voulez! “FDR” (!)

fabrice le 28 novembre 2012

Cher monsieur de Rugy,

Un mot sur la source. Je suis (presque) sûr que vous savez lire, et vous n’aurez pas manqué de noter que j’ai bel et bien cité une source, en général de qualité : Wikipédia. Mais ma déontologie m’interdisait de m’en contenter, car je ne disposais pas alors de l’origine directe, qui se trouve être le journal Presse Océan. Il me semble que cela fait beaucoup de scrupules pour quelqu’un qui, dites-vous, pourrait se sentir gêné.

Pour le reste, je vous remercie de votre invitation, et vous réponds : avec plaisir. Oui, voyons-nous. Où, quand ?

Au plaisir de la rencontre,

Fabrice Nicolino

Comment bidonner le débat sur l’énergie ?

Cet article a été publié dans Charlie-Hebdo du 21 novembre 2012

Avant de vous laisser avec ce papier, un commentaire s’impose : vous ne trouverez la plupart des informations qu’il contient nulle part ailleurs. C’est un fait. Qui me fait réfléchir à cette rude question : qu’est donc une information utile ? Et par voie de conséquence : à quoi sert de déterrer des faits ? Notez que ce ne sont que des questions, pas des conclusions. Voici l’article :

Carton plein pour Delphine Batho, ministre de l’écologie. Pour organiser un débat sur l’énergie, elle prend quatre partisans du nucléaire et du pétrole, plus une anguille politicienne. Chapeau bas.

Vous ne connaissez pas Laurence Tubiana ? C’est un tort, les gars et les filles. Les socialos, à peine au pouvoir, avaient promis une grande discussion publique sur ce que les gens sérieux appellent la « transition énergétique ». C’est-à-dire le passage d’une économie menée par le charbon, le pétrole, le gaz et le nucléaire à une autre, encore dans les limbes, où domineraient les renouvelables, à commencer par le solaire et l’éolien. On appelle cela le « débat sur l’énergie ».

Ce que les socialos avaient oublié de dire, c’est que l’arnaque était au programme. Résumons : la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, annonce le 10 novembre la composition d’un comité de pilotage comprenant cinq « personnalités ». Citons Anne Lauvergeon, ancienne patronne d’Areva, militante du nucléaire. Puis Pascal Colombani, ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), militant du nucléaire. Enfin Bruno Rebelle, ancien de Greenpeace et remarquable anguille.

Rebelle a fait la campagne de Royal en 2007, puis tenté de torpiller en 2008 la candidature Voynet l’écolo à Montreuil, où il a figuré sur la liste municipale de Brard, ancien stalinien, tout en animant un microcourant interne au PS. Il faut suivre. Après avoir tenté de couler Voynet, il rejoint Europe Écologie (EELV) en juillet 2009, juste après le triomphe des écolos aux élections européennes. Un pur hasard, sûr. Mais début 2012, alors que se profile la victoire de Hollande, il retourne au PS. Quelle énergie, hein ?

Bon, et les deux autres ? Voyons le cas Tubiana.  C’est un monument du « développement durable », oxymoron bien connu. Madame Tubiana est de tous les comités Théodule, en France comme ailleurs, et elle est férocement de gauche, puisqu’elle a été conseillère de Jospin quand celui-ci était Premier ministre en 1997. Parmi tant d’autres breloques, elle est directrice de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), sorte de gros think tank associé à Sciences Po. Racontons à ce propos une belle histoire, qui se passe le 19 octobre 2007 à Paris.

Ce jour-là, l’Iddri invite pour une conférence celui qu’on appelle au Brésil le « roi du soja », Blairo Borges Maggi en personne. Sa boîte, Grupo André Maggi, est le plus grand producteur de soja dans le monde. Or quelques semaines auparavant, le journal Le Monde a mis en cause Maggi dans la déforestation massive de l’Amazonie, et l’heure a sonné d’une grande opération de « communication ». Grâce à l’Iddri. Précisons que le soja, transgénique en l’occurrence, était inconnu au Brésil vers 1970, et qu’il y occupe aujourd’hui des dizaines de millions d’hectares. Au détriment de la forêt ? Et des Indiens, et des petits paysans ? Devine. C’est ce philanthrope que madame Tubiana invite à faire sa pub à Paris, le 19 octobre 2007, sous les applaudissements de l’Iddri. Titre de la conférence :  « Production agricole, commerce et environnement, le cas de l’État du Mato Grosso ».

À ce stade, posons cette horrible question : qu’est donc l’Iddri ? Qui paie les raouts, les conférences, les billets d’avion ? Madame Tubiana elle-même ? Peut-être, ou pas. On trouve dans le collège des fondateurs les entreprises suivantes : EDF, EpE, GDF Suez, Lafarge, Saint-Gobain, Veolia Environnement. Et dans EpE, d’excellents garçons comme Bayer, BASF, Vinci, EADS, et même Total. Madame Tubiana est bien entourée, et peut noblement piloter le débat sur l’énergie, pas ? Reste le cinquième personnage du comité Batho. Lauvergeon, Colombani, Rebelle, Tubiana : qui est le dernier ? Eh bien, il se nomme Jean Jouzel, et il est climatologue.

Est-ce tout ? Non. Il siège au conseil d’administration de l’Iddri, en compagnie de Total – le pétrole -, EDF – le nucléaire – et GDF Suez – le gaz. Pour ne rien vous cacher, il est même président de l’Iddri que dirige madame Tubiana. Est-ce tout ? Non. Il a fait toute sa carrière scientifique au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Cette fois, on y est, le compte est bon.

François de Rugy le supplétif d’Ayrault (à Notre-Dame-des-Landes)

Je disais il y a peu ici, à propos bien sûr de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : « Dans cette hypothèse […] nous allons voir apparaître d’autres contre-feux, d’autres propos manipulateurs, d’autres pseudo-héros fatigués de la bagarre, appelant au calme et à la concertation ». Eh bien, cela n’a pas tardé, comme on va le voir si l’on est patient.

Je ne connais pas François de Rugy, et sans souhaiter vexer quiconque, il ne me presse pas de le rencontrer. Ce monsieur est jeune encore – il est né en 1973 – et il est déjà un solide apparatchik de la politique. Dès 1991, il rejoint Brice Lalonde dans la goûteuse comédie appelée Génération Écologie, largement téléguidée, comme tant d’autres petites aventures de l’époque, par Mitterrand lui-même. En 1997, sans doute pour une excellente raison, il entre aux Verts au moment où le PS s’empare de Matignon – Jospin – et distribue quelques miettes de pouvoir au parti de Dominique Voynet.

Dès 2001, il est conseiller municipal de Nantes, sous une mandature Ayrault – le Premier ministre n’a lâché son poste de maire de Nantes, gagné en 1989, qu’en mai 2012, au bout de 23 ans – et devient maire-adjoint chargé des transports et l’un des vice-présidents de la communauté urbaine Nantes-Métropole. Autorisons-nous un premier éclat de rire libérateur. De Rugy, écologiste officiel, a mené au nom de la ville de Nantes la politique des transports. Autrement dit, fatalement approuvé les orientations de Jean-Marc Ayrault dans ce domaine qui inclut, aux dernières nouvelles, le transport aérien, donc Notre-Dame-des-Landes.

En 2007, il est l’un des députés élus sous l’étiquette Verts, et il sera réélu en 2012. J’ajoute qu’il n’est nullement secret que de Rugy se voyait déjà ministre de Hollande. On peut lire dans Presse Océan du 28 mars 2012 ceci : « Lors d’un déjeuner avec des journalistes, le député Vert de Loire-Atlantique a estimé “qu’un certain nombre d’entre nous [ndlr les députés Verts] doivent être prêts à relever le défi : nous sommes quelques uns à […] pouvoir [devenir ministres]” a-t-il précisé soulignant qu’il connaissait bien François Hollande pour avoir siégé avec lui pendant cinq ans à la commission des Finances de l’Assemblée Nationale et qu’il l’avait soutenu dans les primaires socialistes ».

On se doute peut-être qu’un homme doté de telles ambitions n’est pas à l’aise avec la pègre anarchiste qui campe dans les arbres de Notre-Dame-des-Landes. Une phrase circule, qu’on retrouve jusque sur la page Wikipédia consacrée à François de Rugy (ici), et qui lui est attribuée. Je dois dire que je n’ai pas retrouvé la source, ce qui est fâcheux. Mais si François de Rugy ne l’a pas prononcée, il se fera un plaisir, je pense, de rectifier, ce que je ne manquerai pas de faire à mon tour. Cette phrase, la voici : « Les squats de maisons à NDDL ne servent pas la lutte des vrais opposants au projet d’aéroport que sont les agriculteurs, la population et les politiques ». Je dois dire que la phrase est pour le moins vraisemblable.

En tout cas, François de Rugy semble bien décidé à défendre son plan de carrière. Un ami – F.L, merci – me transmet un échange sur les listes internes d’Europe Écologie-Les Verts. Voici l’intervention de François de Rugy, qui signe en toute modestie, comme le défunt Franklin Delano Roosevelt, FDR. Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais mon petit doigt me dit que FDR se verrait bien président. On en reparlera sans doute.

—–Message d’origine—–
De : construire-debats@googlegroups.com
[mailto:construire-debats@googlegroups.com] De la part de François DE RUGY
Envoyé : lundi 26 novembre 2012 18:05
À : Liste de discussion CETT
Objet : [Construire-debats] Tr: NDDL : ça avance… à tous petits pas…

Pour info
—- Envoyé avec BlackBerry® d’Orange —-

—–Original Message—–
From: « François DE RUGY » <[…]>
Date: Mon, 26 Nov 2012 16:55:23
To: Liste de discussion Pdl-échanges<pdl-echanges@listes.eelv.fr>
Reply-To: […]
Subject: NDDL : début de négociation… à tous petits pas…

Bonsoir,
Ci-dessous une dépêche de l’Agence France Presse qui semble indiquer que les opérations de police pourraient s’arrêter dans la lignée des communiqués d’ouverture et d’apaisement sortis samedi par le gouvernement. Cela reste évidemment à confirmer et cela se fait à tous petits pas, personne ne voulant perdre la face, ce qui est malheureusement logique. Une conférence de presse d’EELV est prévue ce mardi au niveau national : l’occasion d’enfoncer le clou ! On entr’aperçoit le bout du tunnel…
FDR

ND-des-Landes: l’Etat prêt à stopper les opérations de gendarmerie sous conditions

26/11/2012 17h11 – AÉROPORT-TRANPORT-ENVIRONNEMENT-GOUVERNEMENT-TRANSPORTS –
Monde (FRS) – AFP

NOTRE-DAME-DES-LANDES (France / Loire-Atlantique), 26 nov 2012 (AFP) – L’Etat est prêt à stopper les opérations de gendarmerie sur le site du futur aéroport controversé de Notre-Dame-des-Landes en échange d’un gel de toutes les nouvelles constructions illégales, a-t-on appris lundi auprès de la préfecture.

L’Etat propose « d’engager une discussion sur les bases suivantes », a indiqué la préfecture de Loire-Atlantique dans un communiqué : en échange du « gel de toutes les nouvelles constructions illégales sur la ZAD » (zone d’aménagement
différée réservée à l’aéroport), « la contrepartie serait de stopper les interventions de la gendarmerie sur site ».

axt-am/bar/df

© 1994-2012 Agence France-Presse

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Mon commentaire sera bref : François de Rugy sert les intérêts de ses amis socialistes au pouvoir. Il susurre, il suppute, il rêvasse que tout va s’arranger, ce qui l’arrangerait tant. Il me fait penser – il sera content, car on parle là d’un vrai président – à Giscard, annonçant à la France, les yeux dans les yeux, que la crise économique est finie. En 1974, en 1975, en 1976, en 1977, en 1978, en 1979, en 1980. Pour 1981, il était excusé.

Le dialogue au milieu des grenades (à Notre-Dame-des-Landes)

Bon, je ne suis pas devin, et d’ailleurs, cela ne me tenterait pas. Dans ces conditions, que penser de cette « Commission du dialogue » annoncée hier par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault ? Je ne suis pas devin, mais j’ai un avis. Dans le meilleur des cas, cette commission signifie qu’il y a au moins deux lignes au gouvernement. Celle d’Ayrault, purement misérable, qui pense régler la question de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec une série d’affrontements bien médiatisés, de manière à passer du vrai sujet à un autre, qui serait : êtes-vous pour la chienlit ? On connaît, pauvre petit bonhomme, on connaît par cœur. C’est l’habituelle attitude de tous les gouvernements dépassés. Et le tien l’est, aucun doute.

L’autre ligne pourrait être celle de Hollande, qui n’est tout de même pas con à ce point. Il a lu deux ou trois livres, il sait un tout petit peu son Histoire, et il se méfie. On sait quand commence un mouvement authentique, mais nul ne sait comment l’arrêter. Ni même si c’est possible. Hollande, qui est aussi politicien qu’Ayrault, mais un poil moins borné, aurait décidé une mesure conservatoire. Gagner du temps, six mois en l’occurrence, permettrait peut-être d’y voir un peu plus clair, et de décider en dehors des fumées lacrymogènes. Notez que ce n’est qu’hypothétique, et qu’à coup certain, Hollande est pour cette saloperie d’aéroport.

Je le disais plus haut : « dans le meilleur des cas ». Car dans le pire, nous assistons à une petite manœuvre visant à dérouter, diviser et finalement démobiliser notre mouvement. En effet, rien n’a bougé sur le fond. Mais on assiste déjà à une recomposition dans le camp certes fort hétérogène des opposants. Le parti dit écologiste a aussitôt offert un satisfecit au gouvernement des matraqueurs, osant même cette longue phrase d’anthologie : « EELV se félicite des signes favorables que le gouvernement a envoyé samedi sur le dossier de Notre-Dame-des-Landes. L’annonce par le Premier ministre de la création d’une commission du dialogue dès la semaine prochaine, répondant à la proposition d’EELV de mise en place d’une médiation, est en ce sens une excellente nouvelle ».

Je dois dire qu’ayant lu cette foutaise, j’y ai vu une calamiteuse tentative de prendre ses désirs pour des réalités. Et à ce stade, le désir à peine dissimulé des écolos de service semble bien être : passons aux choses sérieuses, préparons les prochaines élections, défendons nos postes. Dans cette hypothèse, que je tiens pour l’heure comme la plus vraisemblable, nous allons voir apparaître d’autres contre-feux, d’autres propos manipulateurs, d’autres pseudo-héros fatigués de la bagarre, appelant au calme et à la concertation. Pour ce qui me concerne, je ne pense qu’une chose : on ne lâche rien. Et l’on n’accorde aucune confiance aux socialistes.

Trois mots encore sur Notre-Dame-des-Landes

C’est bien triste pour moi, mais je n’ai pas été de la fête. Pour une raison impérieuse, que je ne peux donner ici, je n’ai pas pu aller à Notre-Dame-des-Landes samedi passé. Mais j’ai vu à quel point c’était splendide. Merci aux lecteurs de Planète sans visa d’avoir raconté leur voyage, et sachez que j’ai évidemment tout dégusté, jusqu’à la dernière ligne.

Combien étions-nous – car j’étais là tout de même – dans le bocage ? Nul ne le sait, mais enfin, déplacer des milliers, des dizaines de milliers de personnes d’un bout à l’autre de la France pour se crotter les pieds dans un chemin creux, cela relève de l’exploit. Ce que je ressens en pensant à ce rassemblement, c’est ce que les anciens navajos appelaient hozro. Un mot si puissant qu’on ne peut le traduire. Il signifie marcher dans la beauté du monde, être en harmonie avec lui, de plain-pied avec ce qui nous entoure, avec le jour qui lève. Oui, vous qui avez participé à cet événement, et vous tous qui l’avez soutenu d’ici ou d’ailleurs, vous avez – nous avons – vécu un instant hozro. Et personne ne nous le reprendra plus.

Quoi d’autre ? Le début fragile d’un mouvement qui se cherche et se cherchera longtemps encore. Le passage d’un monde dominé par les objets et les choses à un autre où règnerait l’esprit et les valeurs humaines les plus essentielles, ce passage ne peut que prendre du temps. Mais il n’y a rien de pire, au point où nous en sommes, que l’immobilité. Notre-Dame-des-Landes crée du mouvement, et qui est en mouvement avance. Vers où ? Commençons par marcher.

Pour le reste, et en quelques mots, voici ce qui me fait soutenir les combattants de Notre-Dame-des-Landes. Je le précise pour éviter tout malentendu, il n’est pas dans ma tête de hiérarchie. Dans le désordre qui m’habite, j’extrais :

– La vie. Près de 2 000 hectares habités par des êtres de toutes sortes, de l’arbre au ver, de la grenouille à la terre mouillée, du loriot au murin de Daubenton, de l’orchis brûlé à l’ache inondée. Ils étaient là avant nous, je leur souhaite ardemment d’au moins survivre à notre barbarie.

-Les gens. La rencontre, en 2008, avec Marie, Elisabeth, Paul et les autres a modifié, d’une manière invisible mais réelle, ma trajectoire. Ces habitants du bocage menacé m’ont fait sentir l’extraordinaire injustice qui leur est faite. Depuis, je pense à eux. Pas chaque jour, mais souvent. Ils comptent. Ils font partie de ma vie.

-Les zones humides. Nos si ridicules dirigeants n’ont jamais entendu parler de zones humides, ces territoires où l’eau est reine, essentiels à la régulation des rivières et de leurs crues, essentiels à la recharge des nappes, essentiels à la dépollution des conneries que tous les Ayrault de la Terre fabriquent et disséminent. 98 % du territoire convoité pour l’aéroport est une zone humide et l’ONU vient de publier son millième rapport – solennel, comme à l’habitude – sur la question. En un siècle, la planète a perdu la moitié de ses zones humides, et la France du drainage intensif, sans doute davantage.

-L’avion. Je déteste l’avion. Non pas le voyage en avion, et même si je n’utilise plus qu’avec la plus extrême parcimonie ce moyen de déplacement, je dois dire qu’il m’a souvent rendu heureux. Partir de Paris, débarquer à New York, ou Dakar, ou Alger, ou Managua, ou Tegucigalpa, ou Mexico, ou Moscou, ou Delhi, ou Miami, ou Londres, ou Lima, ou Buenos-Aires, ou Montreal, ou Nairobi, ou Dacca, ou Rome, ou Madrid, tant d’autres villes, cela me fut un immense plaisir. Mais dans le même temps, j’ai toujours su que l’avion était une façon désastreuse de penser le monde. En écrasant la distance, en compressant le temps, jusqu’à donner à la vitesse le pouvoir de décider à notre place. La vitesse est l’ennemie du genre humain, de la pensée, de la réflexion, de l’action même. Puis, j’ai toujours su, je crois, que l’avion signifie opposer ceux d’en-haut et ceux d’en-bas. Ceux qui prennent un taxi à la sortie de JFK et ceux qui croupissent dans les bidonvilles de Kayelitsha, Dharavi, Kibera ou Vila Cruzeiro. Ceux qui vont bronzer leur cul à Bali ou Saint-Domingue, à Djerba ou aux îles Maldives, et ceux qui vendent le leur ou celui de leurs gosses. Le tourisme de masse est l’une des formes les plus achevées de la destruction du monde et de ses cultures. Et l’avion est le prophète de ce criminel définitif.

-Le climat. Cette infâme trouvaille d’Airbus appelée A380 – premier vol commercial en 2007 – consomme, d’après ses ingénieurs, 15 % de kérosène en moins que ses prédécesseurs. Mais le plan commercial de l’avion misait – bien obligé – sur un triplement du trafic aérien en vingt ans. En somme, on consommera peut-être un peu moins par avion en 2025, mais beaucoup plus compte tenu de l’explosion du trafic. La loi française de 2005 oblige à réduire de 80 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. On ne le fera évidemment pas. Chirac, Hollande, Sarkozy seront morts depuis longtemps. Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un déni flagrant, insupportable de la crise climatique dans laquelle leur « développement » nous a plongés.

Bien au-delà de ce que je viens d’écrire, la bataille de Notre-Dame-des-Landes apparaît de plus en plus comme une croisée des chemins. Où l’on continue droit devant, sur cette autoroute du malheur, où nous attendent la dislocation des sociétés humaines, la dévastation finale des écosystèmes, et des affrontements de nature biblique, ou bien nous bifurquons. Le chemin de traverse n’est pas la voie de la tranquillité. Il nous obligera à l’intelligence et à l’humilité. Au courage, à l’extrême solidarité, aux plus grands sacrifices. Comble de tout, rien ne nous garantira jamais le succès. Mais c’est en tout cas le sentier de la vie pour tous, sur cette Terre qui devient peu à peu inhabitable.

Il faut se convaincre que Notre-Dame-des-Landes est une cause supérieure, pour laquelle nous devons donner beaucoup. Du temps, de l’argent, des actes. La coalition des idiots et des salauds doit être défaite. Rien ne dit avec certitude qu’elle le sera. Rien ne m’ôtera de la tête qu’elle peut l’être.