Archives de catégorie : Mouvement écologiste

Le WWF cherche des picaillons (toujours plus)

Amis de la nature et de la Terre, on a encore le droit de rigoler un peu. Cela ne durera sûrement pas, et il faut donc en profiter. Ce qui suit est un mail adressé à des cibles trouvées dans le fichier du WWF-France. Je crois me souvenir que je vous ai déjà parlé de cette magnifique association, y compris dans mon livre Qui a tué l’écologie ? Dans le texte qui suit, on appréciera l’exceptionnelle ingéniosité du WWF, qui cherche des bénévoles – et sur quel ton – pour faire encore un peu plus de pognon. Ah ça ira !

PS : On trouvera dessous ce vibrant Appel la traduction d’un article de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, consacré au WWF International. À lire à petites doses, et avec quelque chose pour se remonter à portée de main.


Bonjour,

Nous recherchons l’appui d’un bénévole expert en prospection commercial afin d’aider la chargée de développement  des Relations Entreprises du WWF France :

Mission
Votre mission en tant que bénévole consistera à assurer une assistance en prospection commerciale dans le cadre du développement du Club PME. Vous serez amené(e) à effectuer les tâches suivantes :
– Recherche de prospects et de relais cibles
– Identification des contacts clés
– Constitution d’un fichier de prospection
– Aide à la création des supports de prise de contact (mail type, etc.)

Profil du bénévole
Pour mener à bien cette mission, nous recherchons les compétences suivantes :
–       Maîtrise du Pack Office et d’Internet
–       Connaissance des techniques de prospection
–       Aisance relationnelle et rédactionnelle
–       Sens commercial et de négociation
–       Autonomie

Début de la mission du bénévole
Nous recherchons une personne disponible dès que possible.

Durée de la mission du bénévole
Cette mission requiert un engagement de 2 mois, avec une présence de 1 journée par semaine.

Lieu
Vous effectuerez votre mission bénévole au siège du WWF France situé au 1 Carrefour de Longchamp, 75016 Paris.

Défraiement
Les frais de déplacements en transport en commun peuvent être remboursés sur présentation des justificatifs.

Si vous êtes intéressé par cette mission, merci de nous renvoyer votre CV par retour de mail.

Merci pour votre engagement !

Service mobilisation & bénévolat

Fondation WWF-France, 1, carrefour de Longchamp

75016 Paris
e-mail : benevolat@wwf.fr

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Merci à Christian Berdot, des Amis de la Terre, pour sa traduction d’une longue enquête de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Sans lui, vous ne pourriez lire ce qui suit. Der Spiegel est l’un des meilleurs journaux de la planète, et consacre des budgets importants à l’enquête et au terrain. Le travail qui suit est donc sérieux. Très sérieux. En dessous probablement de ce que les signataires savent réellement. Car il y a une distance considérable entre ce qu’un journaliste découvre et ce qu’il pourrait éventuellement documenter devant un tribunal.

Pour le reste, j’ai conscience qu’une grand part de ceux qui se pensent écologistes  ne supportent pas ce qu’ils nomment division. Ils aimeraient que nous nous aimions tous. Moi aussi, j’aimerais. Tel n’est pas le cas.

Le WWF est plus utile pour l’industrie que pour l’environnement

Article de Jens Klüsing et Nils Klawitter paru dans le Spiegel (29 mai 2012)

Le WWF est l’organisation environnementale la plus puissante au monde et mène des campagnes internationales sur des thèmes comme le sauvetage des tigres ou des forêts humides. Mais en y regardant de plus près, on déchante vite : parmi ses activités, beaucoup profitent plus aux industriels qu’à l’environnement ou aux espèces menacées.

Vous voulez protéger les forêts humides ? 5 euros suffisent pour commencer. Sauver les gorilles ? Avec 3 euros, c’est bon. Vous pouvez même aider la nature avec seulement 50 centimes, tant que vous les confiez au Fonds Mondial pour la Nature qui est toujours connu sous son nom d’origine au Etats-Unis et au Canada, comme Fonds Mondial pour la Vie sauvage. L’an dernier le WWF et le grand groupe de distribution REWE vendirent près de 2 millions d’albums pour collectionneurs. En seulement 6 semaines, ce programme collectait 875 088 euros que REWE reversa au WWF.

Le WWF a promis de faire plein de choses bien avec l’argent, comme de dépenser pour les forêts, les gorilles, l’eau, le climat – et bien sûr pour la protection de l’animal que cette organisation a pris comme emblème, le panda géant. Les gouvernements confient aussi beaucoup d’argent à cette organisation. C’est ainsi qu’au fil des ans, le WWF a reçu un total de 120 millions d’euros du ministère des Etats-Unis pour le développement international (USAID). Pendant longtemps, le gouvernement allemand a été si généreux envers le WWF, que cette organisation a même décidé de limiter l’ampleur des subventions gouvernementales qu’elle reçoit. Le WWF craignait de n’être perçu que comme un simple prolongement des ministères de protection de l’environnement des différents gouvernements.

L’illusion de l’aide

Mais est-ce que le WWF peut vraiment protéger la nature contre les humains, ou est-ce que ses belles affiches ne proposent qu’une protection illusoire ? 50 ans après sa fondation, les doutes se font de plus en plus forts sur l’indépendance du WWF et son mode de fonctionnement qui inclue des partenariats avec l’industrie pour protéger la nature.

Le WWF dont le quartier général se situe à Gland, en Suisse, est considéré comme l’organisation de conservation de la nature, la plus puissante au monde. Elle œuvre dans plus de 100 pays où elle jouit de relations étroites avec les riches et les puissants. Le logo de sa marque déposée, le panda, décore les pots de yaourts de Danone et les vêtements  des stars de la jet set, comme la Princesse Charlène de Monaco. Des entreprises payent des sommes à 7 chiffres pour avoir le privilège d’utiliser ce logo. Le WWF compte 430 000 membres en Allemagne et des millions de personnes donnent leurs économies à cette organisation. Dans quelle mesure cet argent est-il réellement investi de façon durable ? Telle est la question.

Le Spiegel a parcouru l’Amérique du Sud et l’île indonésienne de Sumatra pour trouver des réponses à cette question. Au Brésil, un cadre de l’industrie agricole nous a parlé de la première cargaison de soja « responsable », certifiée en accord avec les normes du WWF et arrivée à Rotterdam, l’an dernier, à grand renfort de matraquage médiatique. Ce cadre a reconnu, cependant, qu’il n’était pas tout à fait certain de l’origine de la cargaison. A Sumatra les membres d’une tribu racontèrent comment les troupes recrutées par Wilmar, le partenaire du WWF, ont détruit leurs maisons parce qu’elles gênaient le développement de la production d’huile de palme.

Gênant pour certains

Pour les représentants d’ONG allemandes indépendantes, comme « Sauvez la forêt » et « Robin Wood », le WWF n’est plus une organisation de protection des animaux. Au contraire, nombreux sont ceux qui considèrent que le WWF est complice des multinationales. A leurs yeux, le WWF donnent à ces grandes entreprises un permis de détruire la nature, en contrepartie d’un maximum de donations pour un minimum de concessions.

L’ONG qui encaisse actuellement près de 500 millions d’euros par an, a indéniablement quelques succès importants à son actif. La section néerlandaise du WWF a aidé à payer le bateau de Greenpeace, le Rainbow Warrior. Des militants ont occupé, parfois pendant des années, les sites de vastes projets pour empêcher des barrages sur le Danube et la Loire. Dans les années 80, la section suisse a combattu avec force l’énergie nucléaire et le directeur du WWF fut classé par la police confédérale, comme ennemi d’Etat.

Alors que le WWF peut vraiment poser des problèmes à certains, il peut aussi être accommodant avec d’autres. Les responsables de l’organisation réagissent avec irritation lorsqu’on critique leurs efforts de coopération. L’an dernier, le film « Le pacte du Panda – ou ce que le WWF nous cache », tourné pour la chaîne publique allemande WDR, faisait un bilan catastrophique du travail du WWF. Son auteur, Wilfried Huismann tient le WWF en partie responsable de la menace croissante  qui pèse sur les forêts humides – une accusation que le WWF repousse avec force.

Pour Martina Fleckentstein qui a travaillé comme biologiste pour le WWF, ces 20 dernières années, le film se base sur des « recherches inexactes » ou est « volontairement erroné ». Elle travaille à Berlin où elle dirige le département « politique agricole » du WWF. Il n’y a guère une réunion avec des industriels qui ait lieu sans elle et elle est la reine du compromis. Après la projection du film, le WWF a été inondé d’E-mails de protestations et plus de 3 000 personnes ont annulé leur adhésion. Le WWF n’avait jamais connu une telle hémorragie auparavant.

Des tigres et des hommes

L’animal qui sert de symbole au WWF est une adorable créature, menacée d’extinction  à cause d’un taux de reproduction très faible. Mais le panda ne soulève pas autant d’émotions que les grands singes ou les grands chats qui sont plus efficaces pour remplir les caisses de dons. En 2010, le WWF a pris exemple sur le calendrier chinois et a proclamé cette année, « l’année du Tigre ».

Le WWF mène sa mission en faveur des tigres depuis longtemps. Dans les années 70, et avec l’aide d’une importante donation, il convainquit le gouvernement indien d’Indira Gandhi de déterminer des zones protégées pour les grands chats menacés. Selon les estimations indiennes, il y avait plus de 4 000 tigres vivant dans le pays, à cette époque là. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 1 700.  Malgré tout, le WWF considère que son programme en faveur du tigre est un succès. Comme l’affirme un porte-parole du WWF, sans ces efforts, les tigres indiens pourraient avoir « très certainement disparu totalement aujourd’hui ».  Peu de publicité a été faite sur le fait que, pour  parvenir à un tel succès, des gens ont été expulsés de leurs territoires.  Des villages ont été « déplacés, mais pas contre leur volonté » affirme Claude Martin, l’ancien directeur suisse du WWF International de 1993 à 2005. « Nous sommes toujours convaincus que cette affaire a été menée correctement ». Pourtant, même dans ce cas des doutes subsistent.

Mark Dowie écrit dans son livre « Les réfugiés de la protection de la nature » ( Conservation Refugees) que près de 300 000 familles ont dû quitter leurs maisons, lors de la création d’une réserve de protection pour animaux sauvages. D’après Dowie, le déplacement des populations est le résultat d’un concept appelé la forteresse de protection de la nature (fortress conservation), dont le WWF a toujours affirmé qu’elle était une de ses meilleures politiques. Bernhard Grzimek, zoologue connu à la télévision allemande et qui a longtemps été membre du bureau des directeurs du WWF plaidait aussi pour le concept de parcs nationaux sans aucun humain présent à l’intérieur. Le WWF a été créé en 1961, suite à son film à succès « Le Serengeti ne doit pas mourir ».

Les réfugiés de la conservation de la nature

Un mélange de conservation de la nature et de néo-colonialisme unissait les fondateurs suisses et le zoologue allemand. Dans cet héritage, on trouve aussi le déplacement forcé des nomades Masaï, hors du Serengeti. Des experts estiment que, rien qu’en Afrique, les projets de conservation de la nature ont eu pour conséquence 14 millions de « réfugiés de la conservation de la nature » depuis l’ère coloniale. Dans ce modèle, certains membres de peuples indigènes, s’ils avaient suffisamment de chance, pouvaient travailler comme gardien du parc afin d’empêcher leurs propres parents de pénétrer dans les zones protégées.

Le parc national de Tesso Nilo est représentatif de ces zones de conservation promues par le WWF. Pour Martina Fleckenstein, il s’agit « d’un projet réussi de protection des tigres et des éléphants ». Cette zone est au cœur de l’île indonésienne de Sumatra. C’est le bureau du WWF de la ville de Pekanbaru qui gère le projet.

Dans le bureau de Pekanbaru qui est financé par le WWF Allemagne, on peut justement voir un poster allemand avec ce slogan en faveur du tigre « Sauvez son habitat ». Une émission de télé avec une présentatrice connue a mené campagne pour collecter de l’argent pour les 500 derniers tigres de Sumatra. Nombre d’entre eux sont supposés vivre dans le parc de Tesso Nilo qui se trouve à quelques heures du bureau du WWF.

Sunarto – comme beaucoup d’Indonésiens, il n’a qu’un nom – est biologiste et a longtemps mené des recherches sur le tigre dans le parc de Tesso Nilo. Pourtant, il n’y a jamais vu de tigres. « La densité des tigres est très faible là-bas à cause des activités économiques des humains », nous dit Sunarto. Il souligne en plus qu’il y a toujours des concessions forestières à l’intérieur de la zone de conservation. Le WWF a équipé les scientifiques avec des équipements de mesures de haute technicité, comme des GPS ou des méthodes d’analyses de l’ADN des déjections des tigres, ainsi que 20 pièges à photos, afin qu’ils puissent les repérer. Lors de la dernière séquence de prises de photos qui a duré plusieurs semaines, les pièges à photo n’ont photographié que 5 tigres.

Pas d’accès pour les populations locales

Pour le WWF, son travail à Sumatra est un important succès et il a réussi à sauver la forêt humide dans la région de Tesso Nilo, grâce à une « démarche de service incendie». En réalité, la zone de conservation s’est agrandie, alors que la forêt à l’intérieur diminuait. Des compagnies comme la Asia Pacific Resources International, avec qui le WWF avait précédemment un accord de coopération, continue d’abattre la forêt vierge, nous dit Sunarto.

Son collègue Ruswantu guide de riches éco-touristes, lors d’excursions dans le parc sur le dos d’éléphants domestiqués. La zone est interdite aux populations locales et des unités anti-braconnage payées par les Allemands veillent à ce qu’elles restent à l’extérieur. Bahri est le propriétaire d’un petit magasin et vit dans le village à l’entrée du parc. Pour lui, « C’est le WWF qui commande et c’est ça, le problème ». Personne ne sait où se trouvent les limites nous dit-il. « Nous avions de petits champs plantés d’hévéas et tout d’un coup, nous n’avons plus le droit d’y aller ».

Feri est un militant de WALHI (WALHI est un collectif d’associations écologistes indonésiennes qui est membre de la Fédération Internationale des Amis de la Terre). Pour lui cette forme de conservation de la nature, « est du racisme et du néo-colonialisme ». Il n’y a jamais eu de forêts sans humain ici. Toujours selon Feri, des milliers de petites fermes ont été repoussées hors du parc de Tesso Nilo et en fait, le nombre d’animaux sauvages a baissé depuis que les conservationnistes et les multinationales travaillent main dans la main. Pour Feri, cet Ami de la Terre, « Le WWF participe à la transformation de notre monde, en plantations, monocultures et parcs nationaux ».

Le business de l’huile de palme

Dans le bureau de Sunarto, le protecteur du tigre, une carte montre l’expansion des coupes claires à Sumatra, la 6ème île du monde par la taille. Il y a tellement de bois coupé que chaque heure, on pourrait couvrir 88 terrains de foot. Dans la plupart des cas, il s’agit de faire de la place pour des plantations de palmiers à huile. Le boum de l’huile de palme pousse l’économie indonésienne. Ce pays représente 48% de la production mondiale. Cette huile est multifonctionnelle et est utilisée dans les agrocarburants, les produits alimentaires comme le Nutella, les shampooings et les lotions pour la peau. L’important usage de pesticides sur les monocultures pollue les rivières et les nappes phréatiques. L’agriculture basée sur la destruction et le brûlage de la forêt fait que l’Indonésie est un des principaux producteurs mondiaux de gaz à effets de serre.

Nombreuses sont les compagnies qui continuent  à détruire les forêts, même si elles prétendent agir de façon « durable ». Une concession coûte 30 000 dollars en pots de vin ou subventions pour une campagne, raconte un ancien employé du WWF qui a longtemps travaillé en Indonésie. Pour lui, « l’huile de palme durable, telle que nous la promet le WWF avec son label RSPO, n’existe tout simplement pas ». Le sigle RSPO signifie « Roundtable on Sustainable Palm Oil » (Table ronde pour une Huile de palme Durable). Cette certification permet d’augmenter la production, tout en faisant plaisir aux consciences des clients. Henkel, la compagnie allemande basée à Düsseldorf, fait de la réclame pour sa gamme de produits ménagers, Terra, en affirmant qu’ils favorisent « la production durable d’huile de palme et d’huile de palmiste avec le WWF ».

Forêt humide de seconde classe

La compagnie prétend qu’avec son action, elle « contribue à protéger la forêt humide ». Mais comment peut-on protéger la forêt, s’il faut d’abord la couper ?

Pour le WWF, certaines zones sont des terres « dégradées », c’est-à-dire des forêts de seconde classe ou des terres en friches. Le WWF insiste sur le fait que monocultures et conservation de la nature ne sont pas contradictoires. Le WWF appelle cette démarche « la transformation du marché ». Elle incarne la croyance qu’on peut mieux réussir en coopérant qu’en s’affrontant.

Le WWF a lancé l’initiative de la Table ronde pour l’Huile de palme Durable (RSPO) en 2004, avec des compagnies comme Unilever qui transforme 1,3 millions de tonnes d’huile de palme par an, ce qui en fait un des plus grands transformateurs d’huile de palme au monde. Une autre compagnie impliquée est Wilmar, un des plus importants producteurs d’huile de palme mondiaux. Mme Fleckenstein du WWF affirme que Wilmar « a changé». Elle souligne le fait que la compagnie a un agenda clair pour la certification et que les critères sociaux sont pris en compte.

« Alors, ils ont commencé à tirer »

Les peuples indigènes et la tribu des Batin Sembilan  cherchent encore des preuves de ce changement. Ils vivent au milieu de la plantation Asiatic Persada de Wilmar, au sud de la ville de Jambi. Avec ses 40 000 hectares, elle couvre à peu près la moitié de la surface de Berlin et il est prévue qu’elle soit certifiée RSPO par l’agence de certification du TÜV de Rhénanie Palatinat. Sur l’une des entrées de la plantation, quelqu’un a tagué « suceurs de sang ».

Roni est l’ancien du village. Il est au milieu des palmiers à huile avec une douzaine de personnes. Beaucoup sont nu-pied et l’un d’entre eux porte une lance qu’il utilise pour la chasse au sanglier. Des restes de bois écrasés jonchent le sol derrière eux, là où leur village se trouvait.

Le 10 aout de cette année, la Brimob, la fameuse brigade de police, a détruit leurs maisons. Juste avant l’incident, un villageois avait essayé de vendre des fruits de palmiers dont Wilmar prétend qu’ils lui appartiennent.

« 18 personnes ont été arrêtées et certaines passées à tabac » nous raconte Roni. « Les responsables de Wilmar collaboraient avec la Brimob. Lorsqu’elle a commencé à tirer, nous avons pris nos femmes et nos enfants et avons couru vers la forêt. Les villageois considèrent que la forêt est leur forêt. « Nous avons vécu ici depuis l’époque de nos ancêtres. » dit Roni.

Les forestiers sont arrivés dans les années 70, mais il y restait assez de forêts où la tribu de Roni pouvait se réfugier. Par contre aujourd’hui, ils sont cernés par les palmiers à huile. La compagnie qui a précédé Wilmar a planté illégalement 20 000 hectares – soit la moitié de la superficie de Berlin. Mais cela ne semble pas gêner Wilmar. Roni a même des droits reconnus pour sa tribu, mais cela ne lui est d’aucune aide.

Activités illicites

Après la destruction du village, des organisations comme « Sauvez la forêt » et « Robin Wood » ont affirmé que la margarine Rama qui est fabriquée par Henkel, un client de Wilmar, était tâchée par le sang des peuples indigènes. Certains de leurs membres ont même campé devant le siège d’Unilever Allemagne

Ceci fut très mal accueilli par Unilever, une compagnie anglo-néerlandaise qui est classée parmi les premières pour les indices de durabilité et qui a comme but affiché d’aider plus d’un milliard d’humains à améliorer leur santé et leur qualité de vie.

Wilmar ne pouvait nier que des huttes avaient été détruites et que des coups de feu avaient été tirés. Mais dans une lettre adressée aux clients et amis (notamment des partenaires du WWF, comme le financier de l’huile de palme HSBC) les responsables de la compagnie ont minimisé l’affaire.

Du point de vue de Wilmar, une compagnie orientée vers le social est devenue la cible des coups bas d’un petit nombre de hooligans. Dans un mail interne, Unilever reconnaissait au moins qu’il y avaient eu des « activités illicites » et laissait entendre qu’il y aurait « un processus de médiation ». Mais la campagne policière n’a pas affecté négativement les relations commerciales d’Unilever avec Wilmar. Le géant de l’huile de palme a monté des logements temporaires et accepté de payer des compensations.

Face aux voyous de la Brimob, de nombreuses familles indigènes se sont enfuies vers l’une des dernières forêts à moitié intacte de la région, la toute proche PT Reki. Mais elles n’ont pas été autorisées à rester là-bas non plus, car la forêt est le lieu d’un projet de reforestation, financé par la banque allemande de développement KfW et l’organisation environnementaliste allemande, l’Union pour la Conservation de la Nature et de la Biodiversité (NABU).

Fondateurs, bienfaiteurs et chasseurs de gros gibier

Le quartier général du WWF à Gland, près de Genève, confère une solide impression de verdure et de respectabilité. Des plaques en argent y commémorent les gens à qui l’organisation doit beaucoup : les « Membres des 1001 ». Cette élite de financeurs aux noms non divulgués, fut créée en 1971 afin de fournir le soutien financier à l’organisation.
Encore aujourd’hui, le WWF n’aime pas dévoiler le nom des donateurs, probablement parce que certains noms qui apparaissent sur la liste du club ne rehausseraient pas son image : des gens comme le marchand d’armes Adnan Khashoggi et l’ancien dictateur du Zaïre, Mobutu Sese Seko.

Lorsqu’il était président du WWF, le Prince Bernhard des Pays-Bas réussit à recruter Shell, la multinationale du pétrole, comme premier sponsor important. En 1967, des milliers d’oiseaux moururent des suites de l’accident d’un pétrolier au large des côtes françaises et pourtant le WWF interdit toute critique. Comme des dirigeants du WWF le dirent lors d’une réunion du conseil d’administration, cela pourrait « mettre en danger » les futurs à venir pour s’assurer les donations de certains secteurs industriels

A la fin des années 80, de prétendus braconniers apparurent dans certains parcs nationaux africains qui avaient été créés par les blancs durant la période coloniale. Le WWF décida de riposter. L’organisation finança l’utilisation d’hélicoptères par l’administration des parcs nationaux du Zimbabwe pour traquer les braconniers. Des dizaines de personnes ont été tuées lors de ces missions.

Encore bienvenu

Lors d’une opération secrète, ce chasseur de gros gibier qu’est le Prince Bernhard et John Hanks, le directeur du WWF Afrique louèrent les services de mercenaires pour briser le commerce illégal de cornes de rhinocéros. Pourtant, des membres de l’armée sud-africaine considérée comme le plus grand trafiquant de cornes à l’époque, infiltraient le groupe.

Pour Phil Dickie, porte-parole du WWF, tout cela se passait il y a longtemps. Il fait remarquer que l’association a bien changé et n’accepte plus d’argent provenant des industries du pétrole, du nucléaire, du tabac ou de l’armement. Pourtant, personne n’est exclu. Des représentants de ces industries, par exemple la multinationale BP, sont toujours les bienvenus au sein du conseil d’administration du WWF.

Le toujours membre du conseil d’administration du WWF, John Hanks, est aujourd’hui responsable de parcs naturels transfrontaliers géants en Afrique. Ces projets sont appelés « Peace parks » – parcs de la paix – et sont pourtant source de nombreux conflits. Le gouvernement allemand a fait don au WWF de près de 200 000 euros pour ce qui est appelé les dialogues des parcs de la paix en Afrique du Sud. Un des résultats fut que des corridors étaient nécessaires pour les Peace Parks – comme l’était la relocalisation des habitants locaux qui résistaient.

L’agence allemande de développement, la KfW, est même prête à contribuer à hauteur de 20 millions d’euros à de nouveaux corridors dans un autre des principaux projets du WWF, le parc national de Kaza. Martina Fleckenstein estime que « pour chaque euro avancé par le WWF, 5 autres sont fournis par des gouvernements ». L’organisation semble avoir une énorme influence politique.

La chasse est dorénavant permise dans ces immenses parcs. Le roi d’Espagne, Juan Carlos a fait dernièrement la une des medias après s’être fracturé la hanche lors d’une chasse à l’éléphant au Botswana. Juan Carlos est le président honoraire du WWF Espagne, ce qui  scandalise beaucoup de monde. Rien qu’en Namibie, le WWF a autorisé la chasse aux trophées, dans plus de 38 zones protégées.

De riches européens ou Américains sont autorisés à se comporter comme si l’ère coloniale n’avait jamais cessé. Ils sont autorisés à abattre des éléphants, des buffles, des léopards, des lions, des girafes et des zèbres et ils peuvent même se barbouiller le visage du sang des animaux morts, comme le veut une vielle coutume. Un porte-parole du WWF défend cette démarche, car des quotas ont été établis et les gains de cette « chasse régulée » permettent de contribuer à la protection de la nature.

Le mythe de la durabilité

Andrew Murphy est un jeune diplômé de l’Université de Harvard et a une expérience africaine dans le Corps de la Paix des Etats-Unis. Il travaille dans l’équipe de la « Transformation du marché » du WWF. Il représente la nouvelle génération des conservationnistes. Il considère les membres de son équipe comme des « agents du changement » qui peuvent « transformer » tout un marché. Murphy a plein de slogans similaires dans sa musette. Il veut rendre plus soutenables, les plus grands producteurs et négociants de produits de base comme le soja, le lait, l’huile de palme, le bois et la viande. Est-ce qu’il y réussit ? Oui, puisque les compagnies veulent maintenant voir d’où viennent les produits. Des systèmes de contrôle à toute épreuve ont été mis en place. Murphy se réfère à des normes, comme celles de la Table Ronde pour un Soja Responsable (RTRS)

Le WWF a invité les industriels à cette table ronde en 2004. Des négociants comme Cargill et des compagnies comme Monsanto – qui a donné au fil des ans 100 000 euros – ont une forte présence dans cette assemblée.

Un des participants déclare qu’ « il fut rapidement clair qu’il s’agissait de greenwashing en faveur des négociants de soja modifié génétiquement », faisant allusion à la pratique qui consiste à commercialiser de façon trompeuse un produit comme étant respectueux de l’environnement. Lorsque quelques Européens voulurent parler des dangers de l’herbicide glyphosate, ils furent rapidement réduits au silence. « L’argument massue des Américains était que le soja GM était « technologiquement neutre » ».

La branche allemande du WWF, officiellement opposée au génie génétique, assure que ceux qui le soutiennent sont aussi les bienvenus à la table ronde. Les Allemands ont même payé les coûts de transports de la branche argentine du WWF qui fut longtemps dirigée par un homme aux liens très étroits avec l’ancienne junte militaire et lui même industriel agricole (Martinez de Hoz, aujourd’hui poursuivi pour crime contre l’humanité – note du traducteur). Autour de la table personne ne s’est intéressé au fait que le WWF avait, longtemps avant, déjà publié avec des négociants suisses des normes plus strictes pour le soja.

S’affaiblir soi-même

Il semble que le WWF soit devenu spécialiste de l’affaiblissement de ses propres normes. En fait, c’est cette souplesse qui lui apporte les donations de l’industrie, et leurs millions de dollars ou d’euros. Dans le cas du soja, le groupe participant à la Table ronde négocia et renégocia. Il adoucit certaines normes, fit certaines concessions et finalement les premières tonnes (85 000) de soja certifié arrivèrent dans le port de Rotterdam, en juin dernier. Pour la biologiste, Mme Fleckenstein, « Ce fut un succès », soulignant que le WWF avait soigneusement contrôlé le soja. « Nous étions particulièrement satisfaits que ce produit ne soit pas modifié génétiquement ». Le soja provenait de deux fermes géantes appartenant à la famille Maggi du Brésil.

Ce conglomérat familial est considéré comme le plus grand producteur mondial de soja, avec ses plantations couvrant de larges parties de l’état du Mato Grosso, dans la zone centre-ouest du Brésil. Dans les années 80, les Maggi qui venaient du sud du Brésil, vinrent s’installer là et amenèrent leurs ouvriers avec eux. Ils défrichèrent de grandes étendues de forêts humides de savane et plantèrent du soja.

Blairo Maggi est devenu le gouverneur de l’Etat et en 2005 Greenpeace lui accorda le prix de la « Tronçonneuse  d’or ». Dans aucun autre état du Brésil, autant de forêt vierge n’a été détruit que dans la République du soja de Maggi. Les zones occupées maintenant par les fermes modèles de la Table Ronde pour un Soja Responsable ont été défrichées il n’y a que peu d’années. D’après la Table ronde, ces deux fermes sont les deux seuls fournisseurs des 85 000 tonnes de soja certifié arrivé en juin à Rotterdam. Le seul problème, c’est qu’il n’y a rien dans les fermes des Maggi qui ne soit pas modifié génétiquement.

Satisfaire la demande européenne

Un réservoir blanc de 10 mètres de haut et d’une capacité de plusieurs milliers de litres se dresse à l’ombre d’un hangar dans la ferme de Tucunaré. Sur le réservoir, on peut lire « glifosato », le nom portugais de l’herbicide bien connu. Les bâtiments qui abritent les ouvriers ne sont éloignés que de quelques centaines de mètres. Derrière le grillage, il y a des fossés remplis d’une eau nauséabonde avec des reflets verts à la surface. Près des fossés, il y a un dépôt avec des symboles à tête de mort pour prévenir : « Attention, hautement toxique ! ».

Le glyphosate est un herbicide couramment utilisé pour le soja modifié génétiquement, car la plante est tolérante à cet agent toxique qui tue les mauvaises herbes. Bien que des études critiques, toujours plus nombreuses, montrent que cet agent cause par exemple, des problèmes de reproduction chez les animaux, la Table Ronde pour un Soja Responsable autorise son utilisation.

Le responsable « durabilité » du groupe Maggi, João Shimada nous explique que d’autres pesticides ne posent pas, non plus, de problèmes particuliers à la Table Ronde qui demande simplement qu’ils soient « utilisés raisonnablement ». Il ajoute qu’il n’est pas facile d’expliquer ce qui s’est passé avec les 85 000 tonnes de soja. « En vérité, nous avons fourni ce soja pour satisfaire la demande européenne ». Depuis des compagnies comme Unilever se glorifient d’utiliser du soja durable. En réalité, il n’y a pas plus de 8 000 tonnes qui proviennent de ces deux fermes. Il conclue « Je ne sais pas non plus d’où viennent les autres 77 000 tonnes ».

Coopération avec les Chinois

Cette multiplication magique de produits de base supposément durables est connue dans l’industrie sous le terme de « book and claim » (réserver et prétendre). C’est le résultat de ce supposé contrôle à toute épreuve que le jeune expert du WWF, Andrew Murphy nous a vanté. Quelques 300 000 tonnes de ces produits prétendument durables existent déjà.

A Gland, le soleil se lève sur le lac de Genève et Murphy est pressé. Il est en route pour la Chine pour sauver la nature là-bas. Bien que le WWF ne soit pas autorisé à recruter des membres en Chine, des accords de coopération avec des responsables du parti pourraient certainement profiter à l’environnement.

Encore une grande victoire (aux législatives)

Je vous l’assure, ce qui suit n’est pas (même) polémique. Extrait, pour commencer du communiqué publié ce jour par Europe-Écologie Le Verts (EELV), sous la signature de Jacques Archimbaud, Secrétaire national adjoint :

« En route vers le groupe écolo à l’Assemblée nationale !
Au premier tour des élections législatives, les candidat-e-s EELV ont obtenu – toutes situations confondues – un score de 5,46 %. Plus de deux points de plus qu’il y a 5 ans. La création d’un groupe de 15 députés écologistes à l’Assemblée nationale est aujourd’hui à notre portée. Et ceci, pour la toute première fois dans l’histoire de notre pays.

Ce résultat marque les avancées que nous avons réalisées depuis 5 ans.

En quelques années, nous avons obtenu d’excellents scores aux européennes puis aux régionales, un groupe de 11 sénateurs et sénatrices et désormais deux ministres. Après l’éprouvante séquence de la présidentielle, les résultats de dimanche le confirment : l’écologie politique est présente durablement dans la vie politique française. »

Fin de l’extrait, et début de mon commentaire. J’ai une bien piètre opinion de ce parti politique, depuis les origines ou presque. J’ai eu le douteux privilège de suivre ses activités vers 1991, pour Le Canard Enchaîné un temps, et je n’ai pas oublié le spectacle affreux des luttes de personnes, sans aucun fond politique. Puis, j’ai pu mesurer à quel point l’écologie n’existait pour ainsi dire pas pour les chefaillons se disputant les places. Les choses ont-elles changé ? Je crois que non. Mais je veux bien aller au-delà. Je veux bien traiter les Verts comme les autres partis politiques. De gauche, en la circonstance, puisque ce parti se veut de gauche. Les partis de droite, qui défendent ouvertement la catastrophe, m’intéressent encore moins.

Voyons. Restons-en aux proclamations. Le parti communiste et ses avatars mélenchoniens ne luttent-ils pas, officiellement, contre la division de la société en classes sociales ? Si. Le montrent-ils si peu que ce soit dans leurs pratiques respectives ? Non. Les communistes n’ont jamais su que créer et fortifier des chefferies, des bureaucraties, des hiérarchies, et parmi les plus pesantes qui soient. Le parti socialiste ne prétend-il pas incarner la justice et la redistribution sociales ? Si. Les inégalités n’ont-elles pas explosé sous la gauche au pouvoir, à partir de 1981 ? La question des banlieues n’est-elle pas devenue incontrôlable au même moment ? Le gouvernement de Lionel Jospin, et de Jean-Luc Mélenchon, n’a-t-il pas privatisé davantage que bien des gouvernements de droite ? Si.

Les Verts. Officiellement, ils sont d’accord pour dire, et répéter en rond, que la crise écologique planétaire met en danger la vie même de l’humanité. Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres plus évidents encore, Yves Cochet. Ancien ministre, ponte et archiponte du mouvement écologiste EELV, il a écrit en 2005 un livre au titre explicite :  Pétrole Apocalypse. J’insiste sur un point : de très nombreux responsables de ce mouvement ont ajouté leur pierre à l’édifice, et si l’on pouvait rassembler leurs points de vue en un seul, je crois que le tout serait facile à résumer. Nous allons à l’abîme. Peut-être y sommes-nous déjà.

C’est à cette aune que je vous recommande de relire le texte des Verts supra. Ainsi donc, ces dérisoires législatives sont un grand succès pour les écologistes. Un groupe parlementaire est en vue, etc. Demain, on aura peut-être trois ministres. Après-demain, Cécile Duflot sera Reine de France. À l’automne, soyons totalement fou, M.Placé sera devenu un écologiste. Sans rire, ne voyez-vous pas ? Ne voyez-vous pas l’évidence que ce parti dévoré par les plus médiocres ambitions personnelles n’a que faire des sujets graves traités ici, sur Planète sans visa (et en d’autres lieux, par chance) ? Sans rire, ne comprenez-vous pas que ce parti nous fait perdre à tous un temps qui ne reviendra hélas jamais ? Sans rire, ne pensez-vous pas qu’il est tout simplement un obstacle à toute prise de conscience des enjeux et des échéances ?

Hulot n’ira pas à Rio (hip, hip, hip !)

Un article du Point. Je crois qu’il faut le lire, car il donne une image juste de l’état du mouvement écologiste en France. Nicolas Hulot, qui est fort loin d’être le pire, que j’ai salué plus d’une fois tout en le critiquant durement, et plus d’une fois, Nicolas Hulot n’ira pas à Rio, où se tiendra sous peu la farce planétaire connue sous le nom de « Rio+20 ». Les associations officielles, qu’elles soient critiques ou non, participeront au show, qui sera un moment important de honte universelle.

Hulot n’y sera donc pas. Oui, lisez ses paroles. Il est très, très éloigné de ce que je pense. Mais il est aussi très, très éloigné, en fait, de l’écologie officielle qui ira se faire photographier du côté de Copacabana.

Hulot : « Il vaut mieux un crash diplomatique à Rio que des engagements mous »

Le sommet sur le développement durable se tiendra du 20 au 22 juin prochain au Brésil.

Nicolas Hulot est convaincu qu'en matière d'écologie une politique de petits pas ne peut plus suffire.

 Par

Nicolas Hulot a souligné, vendredi, préférer que le sommet sur le développement durable Rio + 20 débouche sur « un crash diplomatique » plutôt que sur « des engagements mous », précisant qu’il ne se rendrait pas à ce rendez-vous prévu du 20 au 22 juin au Brésil. « Ça ne sert à rien d’aller à Rio pour constater l’incapacité de nos États à coordonner leurs volontés », a dit le président de la fondation qui porte son nom, en marge du forum de lancement à Paris de la participation française au sommet, « France Rio + 20″. « Je ne vois pas pourquoi il y aurait un miracle et que tout se réglerait d’un coup de baguette magique », a-t-il estimé.

Pour lui, « il vaut mieux un crash diplomatique à Rio que des engagements mous ». « On ne peut plus s’arc-bouter sur de beaux discours, on est le dos au mur. Il faut que la France monte d’un cran dans sa radicalité, ses exigences. » Vingt ans après le sommet de la Terre, sommet environnemental fondateur organisé en 1992 à Rio, « la plupart des objectifs n’ont pas été réalisés, et la situation est beaucoup plus critique, la crise écologique se mêlant à la crise économique », a estimé l’ex-animateur de télévision.

Nicolas Hulot appelle à « ne pas aller dans la politique des petits pas, les amendements à la marge : on donne l’illusion qu’on peut continuer business as usual, que le statu quo est tenable ». « Il faut une révision complète de notre modèle économique et de notre modèle de gouvernance, parce que le pouvoir n’est pas là où on croit et que ceux qui ont la main sur le sort de la planète ne sont pas les responsables politiques, c’est le pouvoir économique », a-t-il conclu. Il souhaiterait qu' »au moins » Rio mette en place des instruments de gouvernance « qui permettraient de prendre les problèmes en charge dans la durée ».

Planète sans visa l’avait bien dit (sur l’Espagne en ruines)

Cette fois, je ne saurais nier. Oui, ce qui suit est de l’autopromotion. Selon la vieille logique que chacun connaît, si je ne dis pas du bien de moi, qui le fera ? Alain Lipietz, peut-être ? Le fait est, amis de Planète sans visa, que j’ai écrit ici, il y a deux ans, et trois, et quatre, ce qu’il fallait penser du « miracle économique » espagnol. Les banques devraient m’embaucher, elles gagneraient de l’argent.

Plus sérieux : pourquoi personne ne parle ? On va encore nous servir la sauce idéologique selon laquelle les banques voraces seraient coupables. Mais merde, à la fin ! Il est dans la nature de ces entreprises de chercher à faire du blé quel que soient les coûts humain et écologique de leurs opérations. Le problème est ailleurs. Pourquoi cette horrible complicité des classes politiques européennes ? Pourquoi cette affolante propension des peuples à se gaver de biens matériels inutiles, dispendieux, destructeurs de tout ? Les socialos français – ils ne sont pas les seuls – ont ENCENSÉ la politique criminelle de leurs copains espagnols du PSOE. Ils ont applaudi la destruction accélérée du littoral ibérique. Ibérique, car le Portugal est lui aussi concerné. Ayrault, notre Premier ministre, veut à toute force un second aéroport à Nantes, sa ville, au moment où des dizaines d’aéroports espagnols, financés par l’impôt, sombrent dans l’insolvabilité et la ruine.

Je vous en prie ! Assez de jérémiades ! Assez d’explications qui jamais ne rendent compte de rien. Le monde doit changer de base, je crois que cela a déjà été écrit.

Ci-dessous, pour ceux qui veulent voir, de leurs propres yeux éblouis, deux articles anciens de Planète sans visa, et même un troisième. 2010, 2009, 2008 : qui dit mieux ?

Espagne, castagnettes et dominos

Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.

La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.

Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.

Tiens, je vous remets pour le même prix un article de Planète sans visa, qui n’a, après tout, qu’un an. Il renvoie à un article qui en a deux.

Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ? ».

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.

La Stampa sauve l’honneur de la presse française (le cas Schmidheiny)

Grand merci à Marie, fidélissime lectrice de Planète sans visa. Elle envoie le lien suivant, vers le quotidien italien La Stampa. L’article ci-dessous évoque la personne détestable de Stephan Schmidheiny, dont j’ai eu l’occasion de parler plus d’une fois ici, et notamment et . En deux mots, ce copieux salaud, héritier de l’empire Eternit – l’amiante – a été condamné en février 2012 à 16 ans de taule par le tribunal italien de Turin. Il a été jugé coupable de la mort de plusieurs milliers de prolos travaillant dans ses usines et alentour. Mais bien avant cela,  Schmidheiny avait refait sa vie en Amérique latine, devenant, par la grâce de chirurgiens esthétiques d’aujourd’hui – les agences de com’ – un « philanthrope écolo». Cet invraisemblable Janus a été l’un des principaux organisateurs du Sommet de la terre de Rio, en 1992. Il sera présent à coup sûr dans les coulisses – au moins- de celui de 2012, qui s’ouvre dans quelques jours. N’est-il pas président d’honneur du World Business Council for Sustainable Development, ou WBCSD ?

L’article de La Stampa rappelle qu’une pétition, que j’ai relayée, réclame que Schmidheiny soit déclaré persona non grata à Rio. Rêvons. Et il précise : « Compare al fianco di Clinton nel ruolo di consigliere, va all’Onu e in Vaticano (…) In Europa stringe la mano a tutti i potenti, fra cui non manca l’allora commissario europeo Romano Prodi ». Ce qui veut dire que celui que le magazine Forbes présente comme le Bill Gates suisse « apparaît aux côtés de Clinton dans le rôle de conseiller, va à l’Onu comme au Vatican, serre la main de tous les puissants, parmi lesquels celui qui était encore Commissaire européen, Romano Prodi ».

Quand vous verrez – bientôt – les images de Rio 2012, pensez à ce type et au système qui le protège. Pensez aux morts. Pensez à Brice Lalonde, organisateur officiel de la conférence, qui laisse une place de choix à Schmidheiny. Ainsi va le monde réel, et pas autrement. À ma connaissance, aucune association écologiste officielle française n’a seulement évoqué le nom de Schmidheiny. Certaines, il est vrai, lèchent directement le cul de gens comme lui. Et les autres ont opportunément la mémoire qui flanche.

Cronache

04/06/2012 – il caso

Ambiente, appello contro Mr. Eternit « Non deve partecipare al vertice »

ALBERTO GAINO

«Ci rivolgiamo alle Nazioni Unite, alle autorità internazionali, ai capi di stato e di governo, alla presidente del Brasile Dilma Rousseff, affinché dichiarino Stephan Schmidheiny “persona non gradita” alla Conferenza di “Rio + 20”, organizzata dall’Onu sullo sviluppo sostenibile in programma a Rio dal 20 al 22 giugno».

Rimbalza nella Rete l’appello di Abrea, l’associazione brasiliana degli esposti all’amianto, vittime anche dell’Eternit locale, sino al 1998 controllata da Schmidheiny. In Italia la petizione è stata sottoscritta dall’Associazione dei familiari delle vittime di Casale Monferrato, da numerose altre, da sindacati e scienziati come l’epidemiologo Benedetto Terracini. Stupisce che si debba ricordare niente meno che alle Nazioni Unite: «Schmidheiny è stato condannato per aver causato un disastro ambientale, e per questo dovrebbe essergli vietata la partecipazione a questa importante riunione che preparerà un piano e discuterà di come proteggere il futuro della Terra».

La singolarità della situazione corrisponde alla singolarità della figura del sessantacinquenne Stephan Schmidheiny, perfetto per il ruolo di Giano bifronte del nostro tempo. Così lo descrivono gli autori dell’appello al segretario Onu Ban Ki-moon: «Schmidheiny è uno dei fondatori del World Business Council for Sustainable Development. E’ pure un benefattore, il filantropo che ha creato la Fondazione Avina per sostenere progetti ambientali e sociali in America Latina».

«Ma è anche l’ex proprietario dell’Eternit, la multinazionale produttrice di amianto-cemento e il 13 febbraio scorso il Tribunale di Torino (Italia) l’ha condannato a 16 anni di carcere per aver provocato – ripetono quelli dell’Abrea per mettere bene in chiaro l’informazione apparsa approssimativa nella Rete, vedi Wikipedia – un disastro ambientale doloso permanente e per omissione volontaria di cautele antinfortunistiche. Se fossero state attuate, tali misure avrebbero potuto proteggere le vite dei lavoratori e della popolazione locale dai ben noti rischi di morte derivanti dall’esposizione all’amianto. Minerale cancerogeno e, secondo l’Organizzazione mondiale della sanità, responsabile della morte di oltre 107 mila persone l’anno».

Apparentemente quest’uomo, che la rivista americana Forbes ha definito il Bill Gates svizzero, ha vissuto due esistenze. A 25 anni eredita una delle due galline dalle uova d’oro che hanno immensamente arricchito la sua famiglia: l’Eternit. Al fratello Thomas, invece, va il colosso del cemento, l’Holcim. Stephan fa sostenere ad agiografi e avvocati di aver cercato di innovare con forti investimenti e nuove tecnologie la tradizionale produzione di manufatti Eternit contenendone la pericolosità. Ma nel 1972, quando il controllo azionario della multinazionale passa dai belgi a lui, non mette assolutamente al bando la crocidolite (l’amianto blu, il più pericoloso) che negli stabilimenti italiani di Casale Monferrato e Bagnoli continuerà ad essere utilizzata sino alla chiusura, quasi quindici anni dopo. Il 1992 è l’anno della svolta: in Italia si mette finalmente al bando l’amianto, e a Rio, per il primo «Vertice della Terra» sull’ambiente da salvare, Stephan Schmidheiny si presenta come l’«eroe» dello sviluppo sostenibile.

Ha raccolto decine di grandi industriali dietro le sue convinzioni, lo si conosce come il produttore degli Swatch e uno dei grandi soci del colosso bancario Ubs. L’Eternit è un mondo a parte, «svaporato» o quasi nei progetti di riforestazione, di sostegno alle culture, di filantropia terzomondista. Gli assegnano grappoli di lauree ad honorem come guru dell’ambiente, compare al fianco di Clinton nel ruolo di consigliere, va all’Onu e in Vaticano a sostenere le ottime ragioni della green economy. In Europa stringe la mano a tutti i potenti, fra cui non manca l’allora commissario europeo Romano Prodi.

Finché non gli piomba in testa la tegola del processo torinese, attesa e temuta a tal punto che da un decennio aveva fatto spiare il magistrato Raffaele Guariniello e speso milioni nella strategia della greenwashing. Fernanda Giannesi, piccolo eppure irriducibile ispettore del lavoro brasiliano, gliel’ha rovesciata addosso per attribuirgli una particolare abilità nella disinformazione e nell’ambiguità. Tuttora Schmidheiny preferisce versare «liberalità» alle vittime Eternit (in cambio però del ritiro delle querele) anziché i risarcimenti decisi dai giudici.

Ci-dessous, une traduction proposée par Flore. Merci à elle.

Schmidheiny, condamné à 16 années de prison pour les milliers de victimes, sera présent à Rio.
ALBERTO GAINO

«Nous nous adressons aux Nations Unies, aux autorités internationales, aux chefs d’état et de gouvernement, à la présidente du Brésil Dilma Rousseff, pour que Stephan Schmidheiny soit déclaré “persona non grata” à la Conférence de “Rio + 20”, organisée par l’Onu, sur le thème développement durable, programmée à Rio du 20 au 22 Juin».

L’appel de l’ABREA, l’association brésilienne des personnes exposées à l’amiante, également victimes de l’Eternit local, administrée par Schmidheiny jusqu’en 1998, se propage sur le Net. En Italie la pétition a été signée par l’Association des familles de victimes de Casale Monferrato, et par beaucoup d’autres, par des syndicats, par des scientifiques comme l’épidémiologiste Benedetto Terracini. Étonnant qu’il faille rappeler à rien moins que les Nations Unies ceci : «Schmidheiny a été condamné pour avoir causé un désastre environnemental, et pour ça il devrait lui être interdit de participer à cette importante réunion où il s’agit de discuter et de préparer un plan sur comment protéger le futur de la Terre».

La singularité de la situation correspond à la singularité du personnage même de Stephan Schmidheiny , âgé de 65 ans, parfait dans le rôle d’une personne ambiguë typique de notre époque. Les auteurs de l’appel lancé au secrétaire de l’Onu Ban Ki-moon le décrivent ainsi : «Schmidheiny est l’un des fondateurs du World Business Council for Sustainable Development. Également un bienfaiteur, le philanthrope qui a crée la Fondation Avina pour soutenir des projets environnementalistes et sociaux en Amérique Latine».

«Mais il est aussi l’ex propriétaire d’Eternit, la multinationale productrice d’amiante-ciment et le 13 février dernier le Tribunal de Turin (Italie) l’a condamné à 16 ans de prison pour avoir provoqué – ceux de l’ABREA le répètent pour que les choses soient bien claires car l’information apparaît approximative sur le Net, voyez Wikipedia – un désastre environnemental criminel et permanent par omission volontaire de mesures de précaution contre les accidents. Si elles avaient été prises, de telles mesures auraient pu protéger la vie des travailleurs et des populations locales des risques de mort, bien connus, liés à l’exposition à l’amiante. Minéral cancérogène, selon l’Oms, responsable de la mort de plus de 107 000 personnes par an ».

Apparemment, cet homme, que la revue américaine Forbes définit comme le Bill Gates suisse, a vécu deux existences. A 25 ans, il a hérité de l’une des deux poules aux oeufs d’or qui ont immensément enrichi sa famille : l’Eternit. Tandis que son frère Thomas a reçu le colosse du ciment, l’Holcim. Stephan fait plaider à ses biographes et à ses avocats d’avoir cherché à innover avec de gros investissements et de nouvelles technologies la production traditionnelle de l’usine Eternit pour en limiter la dangerosité.

Mais en 1972, quand le contrôle des actions de la multinationale passe des belges à lui, il ne mets pas au ban la crocidolite (l’amiante bleu, le plus dangereux) qui dans les établissements italiens de Casale Monferrato et de Bagnoli continueront à être utilisés jusqu’à la fermeture, quasiment 15 ans après. 1992 est l’année du virage : en Italie c’est le bannissement de l’amiante, et à Rio pour le premier « Sommet de la Terre» sur la sauvegarde de l’environnement, Stephan Schmidheiny se présente comme le «héros» du développement durable.

Il a rassemblé des dizaines de grands industriels derrière ses convictions, là il se distingue comme le producteur des Swatch et l’un des plus grands actionnaires du géant bancaire Ubs. L’Eternit est un monde à part, «évaporé» ou quasi, dans des projets de reforestation, de soutien à la culture, de philanthropie tiers-mondiste. On lui attribue tout un tas de diplômes ad honorem comme gourou de l’environnement, il brille aux cotés de Clinton dans le rôle de conseiller, va à l’Onu et au Vatican défendre les excellentes raisons d’une économie verte. En Europe, il serre la main de tous les puissants, parmi les quels ne manque pas le président de la commission européenne de l’époque Romano Prodi.

Tant que la tuile du procès de Turin ne lui plombe pas la tête, il attend et il a peur à tel point qu’il avait fait espionner le magistrat Raffaele Guariniello et qu’il a dépensé des millions pour sa stratégie de greenwashing. Fernanda Giannesi, petite mais irréductible inspectrice du travail brésilienne lui a attribué une particulière habileté dans la désinformation et aussi dans l’ambiguïté.

Schmidheiny préfère toujours verser des «libéralités» (dons) aux victimes d’Eternit ( en échange toutefois du retrait des plaintes) au lieu des réparations décidées par la justice.