C’est dimanche, juste au lendemain de l’article ci-dessous, écrit donc samedi. Je dois préciser que je viens de changer le titre, ce qui a pu m’arriver une autre fois, mais guère plus. Le précédent titre (Sur le principe industriel [pas vu, pas pris] ) était très mauvais. Celui que j’ai mis à sa place n’est pas bon pour autant, mais au moins, il montre ce qu’il en est. J’essaierai de de faire mieux les autres fois.
Sans transition mesdames et messieurs, passons à ce qui m’amène. Je viens de lire une information saisissante sur un truandage majeur. Il concerne des prises illégales de poissons – maquereau et hareng surtout – au Royaume-Uni, c’est-à-dire, malgré tout, chez nous. Pour ceux qui lisent l’anglais, voici une adresse fiable où trouver les détails : cliquer ici. Pour les autres, je résume. Des pêcheurs margoulins, immatriculés pour bonne part aux îles Shetland, ont débarqué pendant des années des millions de tonnes de poissons qui n’étaient pas déclarés. Et qui, bien sûr, excédaient de loin les quotas, absurdes par ailleurs compte tenu de la situation des mers, octroyés par l’Union européenne.
La fraude est considérable, car en valeur, elle se chiffre en dizaines de millions d’euros. À cette échelle industrielle, il faut un système, et de multiples complices. De fait, il existait de faux livres de bord, des balances truquées, un système informatique parallèle. Bref, de quoi nourrir son monde et se payer des vacances aux Maldives – ô les jolis poissons ! – et des 4X4 Hummer pour faire bisquer le pauvre. Le plus plaisant peut-être se trouve dans la déclaration d’un bureaucrate de la pêche, Bertie Armstrong, chef de la Fédération des pêcheurs écossais. « La situation a complètement changé », assure-t-il pour commencer. Et le brave homme ajoute : « La loi a changé, les pratiques de l’industrie ont changé et sont vérifiées de manière indépendante par le Marine Stewardship council ».
Je précise en m’esclaffant que le Marine Stewardship council est un label censé garantir que la pêche menée selon ses règles est durable. Je ne développe pas ici, me contentant de m’esclaffer en précisant que ce label a été créé en 1997 par le WWF et Unilever, transnationale qui vendrait ses produits à 150 millions d’humains. Et parmi ces produits, des lessives aux phosphates, interdites en France, mais vendues par ce grand philanthrope, ami du WWF, en Amérique latine, où les rivières aiment les phosphates.
C’est affreux, car une fois de plus, je butine et ne parviens pas à me poser. Considérez donc cet article comme une simple déambulation mentale, et ne m’en tenez pas rigueur. Donc, si l’on en croit le monsieur Armstrong, tout a changé. Sauf qu’il n’en est évidemment rien, car le principe industriel joue bien entendu aussi sur la soif d’or qui s’est emparée du monde. Les pêcheurs-truands d’Écosse et leurs aides à terre sont indiscutablement des modernes. Eux aussi veulent en croquer. Eux aussi veulent faire comme les innombrables petites et grandes crapules du CAC 40. Eux aussi rêvent de parachutes dorés et de retraites-chapeaux. L’industrie est hybris, cette notion grecque qui signifie démesure.
Je me demande parfois si l’idée même d’industrie n’est pas en cause. Je blague, car je crois en réalité que le principe industriel a joué un rôle central, décisif, dans l’émergence d’une crise écologique sans rivages, et sans solution apparente. Bien entendu, il y a loin des premières fabriques, celles où les prolos et leurs gosses crachaient leur vie à pleins poumons, et les monstres complets que nous connaissons. Mais le passage des unes aux autres, qui s’est étendu des débuts de la révolution industrielle à nos jours, est-il affaire de nature ou plus certainement de degré ?
Rappelons aux oublieux que le salariat, cette invention maudite, a une histoire, et qu’elle est récente. Ce rapport de sujétion entre un maître et ses marchandises – un salarié est-il autre chose ? – n’existe pas depuis la nuit des temps, pardi. Et ne me faites pas dire que le passé était mieux. Le passé est d’abord ce qui a passé. La cruauté sociale, la souffrance au travail, le malheur d’un geste raté, tout cela existait bien avant le salariat. Je constate seulement que la domination et le pouvoir de coercition ont fait, depuis deux siècles, d’étonnants progrès. Je constate également que l’abolition du salariat, qui irrigua pourtant une partie de l’histoire vive du mouvement ouvrier défunt, ne figure plus guère au programme.
La soif de l’or est ancienne, comme chacun le sait. Mais à l’époque par exemple d’El Dorado, cette contrée mythique d’Amérique latine que les soudards espagnols du XVIème siècle croyaient découvrir chaque jour ou presque, elle pouvait être étanchée avec deux ou trois sacs de bijoux incas, ou mayas, ou aztèques. Le crime était là, mais artisanal encore. Et c’est bien ce qui aura changé avec l’apparition des machines à vapeur, puis du reste, jusqu’à cette informatisation uniforme de la planète, qui recèle à mes yeux les plus grands dangers de l’histoire des hommes. Faut-il rappeler que pendant ladite Guerre Froide, l’équilibre de la terreur a reposé sur des ordinateurs, seuls capables de répondre en une milliseconde à une agression nucléaire venue de l’autre camp ? Faut-il ajouter un mot sur le rôle d’amplificateur des crises financières que tiennent aujourd’hui les machines ? Ce que je veux dire, qui n’est que truisme, c’est que les hommes – nous – et les petits cerveaux dont nous sommes dotés, ne sont pas compatibles avec la taille des structures et des engins. Le constat peut être partagé avec quiconque regarde les choses avec sérieux. D’un côté, nos possibilités de maîtrise et de morale sont les mêmes qu’au temps de la pierre taillée; et de l’autre, nous devrions nous montrer capables de dominer l’atome et le pouvoir extravagant des transnationales malgré ces tares congénitales que sont l’idiotie, la jalousie, le pouvoir, le lucre.
Je ne suggère pas de nous tourner vers les temps anciens, ce serait vain. Je prétends que, compte tenu de nos singularités d’espèce, ou nous saurons trouver des formes de production locales et régionales, contrôlables, mesurées, ou nous périrons dans les flammes de l’enfer. Et quand je dis : périrons, je ne pense pas nécessairement à la mort, mais à la survie dans des conditions qui deviendraient chaque jour plus indignes. Tiens, avez-vous entendu parler de cette fraude sur le marché européen des émissions de carbone, qui a coûté à la France 1,6 milliard d’euros (cliquer ici) ? Pour vous donner une idée de l’ampleur du chiffre, les 60 000 postes que créerait François Hollande élu président dans l’Éducation coûteraient selon lui 2,5 milliards d’euros. Vu de cette manière, vous serez d’accord, je pense, pour estimer que cette fraude au carbone est simplement colossale. A-t-on lu des éditoriaux enflammés des habituels sur la question ? Non pas. L’industrie, comme la fraude industrielle, est considérée comme un fait. Un horizon indépassable. Le restera-t-elle ?