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Les animaux malades de la peste nucléaire (pour Jean-Gabriel)

Publié le 4 août 2010

Tchernobyl, destructeur de biodiversité

par Valéry Laramée de Tannenberg

Cet article est extrait du Journal de l’Environnement (ici), et m’a paru si clair, si net, à ce point informé que j’ai décidé de le mettre en ligne ici, espérant que l’auteur ne m’en voudra pas. En tout cas, bravo.

Au printemps, lorsque l’on visite la zone d’exclusion de Tchernobyl, c’est toujours le même rituel. Immanquablement, les guides s’extasient sur la richesse de la flore et de la faune. La preuve, selon eux, que les effets de la radiation s’estompent. Et chacun y va de son anecdote : les troupeaux de chevaux sauvages venus d’on ne sait où ; les bisons biélorusses qui préfèrent les parages de la centrale accidentée à leur forêt natale. Sans oublier les poissons-chats dont la taille dépasse sûrement celle de bien des requins. On ne compte plus non plus les cervidés qui se plaisent à hanter la ville fantôme de Tchernobyl. Bref, la zone la plus contaminée de la planète serait devenue le paradis perdu des animaux.

Incroyable, mais faux ! Depuis 20 ans, Anders Pape Moller, de l’Université Pierre et Marie Curie de Paris, évalue les effets de la contamination radioactive sur la faune des alentours de la centrale ukrainienne. Et d’après le biologiste danois, pas plus que pour les humains, les rayons bêta et gamma ne sont bons pour les animaux.

Ces dernières années, cet ornithologue patenté a publié de nombreux articles sur le déclin des populations d’oiseaux dans la région de Tchernobyl. « Nous avons réalisé de nombreuses campagnes de comptage dans et hors des zones contaminées. Et, à l’intérieur de la zone d’exclusion, les populations d’oiseaux sont, en général, inférieures de moitié à celles que l’on trouve à l’extérieur », déclare-t-il.

Jusqu’à présent, ses travaux n’ont porté que sur nos amis à plumes. Avec son habituel compère Timothy Mousseau, de l’université de Caroline du Sud, Anders Pape Moller a voulu en savoir plus. « En adaptant nos méthodes, nous avons estimé les populations de mammifères, insectes, arachnides, amphibiens et reptiles », explique-t-il. Trois années durant, les chercheurs vont observer et baguer des oiseaux, compter bourdons, sauterelles et libellules, traquer les traces des renards.

Publiés cette semaine dans la dernière mouture d’ Ecological Indicators, les résultats de leurs travaux sont édifiants. « Tous ces animaux sont touchés par les doses de radiations et cela se voit nettement. Dans la zone d’exclusion leurs populations, tant en nombre qu’en diversité, sont moindres qu’à l’extérieur des zones contaminées. Pour certaines espèces d’insectes, la population est 89 % moins importante autour de Tchernobyl que dans le reste de l’Ukraine », précise le Danois.

Tout aussi grave, de nombreux spécimens sont malades. « Voilà des décennies que je bague des oiseaux. Or, à Tchernobyl, plus de 10 % des hirondelles capturées étaient atteintes de tumeurs. Je n’avais jamais vu ça auparavant », reprend-il.

Plusieurs mécanismes expliquent cet affaiblissement biologique. L’exposition aux radiations détruit ou endommage l’ADN des animaux, ce qui entraîne des conséquences fâcheuses pour leur descendance. La radioactivité fragilise aussi la chaîne trophique. Parce qu’il y a moins d’insectes, les insectivores sont moins nombreux, de même que leurs prédateurs.

Le bilan définitif de la catastrophe du 26 avril 1986 n’est pas près d’être achevé.

Jancovici et Allègre sont dans un bateau (personne ne tombe)

Dans Quel beau dimanche – Aquel domingo -, Jorge Semprún raconte un jour ordinaire dans le camp nazi de Buchenwald, où il fut emprisonné. J’ai lu ce livre lorsqu’il est sorti, en 1980 donc, et je l’ai aimé. J’aimais beaucoup Semprún, en ce temps-là, et ce temps a changé. Celui qui fut le responsable du parti communiste (clandestin) espagnol à Madrid, dans les années si noires du fascisme franquiste, parlait dans ce livre des insupportables réalités d’un camp de concentration. Qui n’était pas d’extermination, la différence est de taille pour qui passa par les conduits des chambres à gaz. Buchenwald, Dachau ou Mauthausen ne sont pas Auschwitz-Birkenau, Sobibór ou Treblinka. Mais je m’égare, comme si souvent.

Semprún raconte dans ce livre quantité de choses importantes, et parmi elles, ce mot à propos d’une des antiennes de la vulgate marxiste-stalinienne de cette époque : la dialectique. Tarte à la crème de générations de militants élevés dans l’orbite soviétique, la dialectique était servie à toutes les soupes. Et pour Semprún, cela donnait finalement : « C’est quoi, la dialectique ? La dialectique, c’est l’art de toujours retomber sur ses pattes ». Voilà que j’ai pensé à ces mots à propos – peut-être hors de propos, vous en jugerez – de deux personnes en apparence fort éloignées.

Mais d’abord, les présentations. Claude Allègre, avant d’être un climatosceptique et un imposteur certain, a été un ponte socialo. Un ami de plus de trente ans de Jospin, à qui il servit à la fois de ministre de l’Éducation, de conseil – si je puis écrire – en écologie, et même de garde rapprochée. Il est proprement fantastique de voir un homme de cette sorte, qui a prétendu toute sa vie être de gauche, et donc défendre la veuve et l’orphelin, se rallier avec une vulgarité sans égale à la candidature de Sarkozy, qui méprise le peuple sans seulement le dissimuler. Cela n’embête personne. Cela ne questionne ni le parti socialiste, ni Lionel Jospin, qui eût pu devenir notre président après avoir été un espion de Pierre Lambert (fondateur de l’OCI, secte politique dont fut membre aussi Jean-Luc Mélenchon, lequel admire sans gêne Jospin).

Jean-Marc Jancovici, polytechnicien, est membre de longue date du Comité de veille écologique de la Fondation Hulot. Il a écrit de nombreux livres sur l’énergie – bons  -, au Seuil, il tient table ouverte sur www.manicore.com, un site internet très intéressant, et il est un croyant dans le nucléaire. Mais un vrai. Pour avoir parlé avec lui, longuement, je peux ajouter sans craindre de me tromper qu’il est d’une infatuation considérable. Doté d’une agilité intellectuelle que je n’hésite pas à juger remarquable, son intelligence – et ce n’est certes pas la même chose – bute contre les limites de son arrogance. Je gage qu’à l’égal d’un Juppé, il a une perception rabougrie de l’intelligence de soi et de celle des autres. Bon, je n’entends pas le changer.

Pourquoi ces deux-là ? Parce que le premier, Allègre, vient de se prosterner aux pieds de notre soi-disant président. Et cela n’attire pas le moindre commentaire. Besson, Kouchner, Amara se sont vendus au maître, et cela ne voudrait rien dire. Sur les hommes. Sur la valeur qu’on accorde aux idées. Sur le sens de l’action publique. Oui décidément, je pense à Semprún. Tout est possible à qui sait danser sur un fil. Et retomber sur ses pattes sans se faire le moindre mal. Quant à Jancovici, je viens de lire un entretien déprimant qu’il a accordé à un journal en ligne, Enerpresse. Je dois avouer que les mots me manquent, qui permettraient de décrire mon écœurement. Voici ce que Jancovici écrit sur Fukushima, dont on va fêter l’atroce premier anniversaire le 11 mars prochain :

« Même si tous les 20 ans se produit un accident similaire, le nucléaire évitera toujours plus de risques qu’il n’en crée. Il n’y a plus de raison sanitaire, aujourd’hui, d’empêcher le retour des populations évacuées à Fukushima, qui, au final, n’aura fait aucun mort par irradiation. De son côté, le million d’évacués pour le barrage des Trois Gorges, parfaitement « renouvelable », est assuré de ne jamais retrouver son « chez lui » ! En France – car c’est loin d’être pareil partout – Fukushima aura surtout été un problème médiatique majeur, avant d’être un désastre sanitaire ou environnemental majeur. Cet embrasement médiatique n’est pas du tout en rapport avec l’importance de cette nuisance dans l’ensemble des problèmes connus dans ce vaste monde. Du point de vue des écosystèmes, et ce n’est pas du tout de l’ironie, un accident de centrale est une excellente nouvelle, car cela crée instantanément une réserve naturelle parfaite ! La vie sauvage ne s’est jamais aussi bien portée dans les environs de Tchernobyl que depuis que les hommes ont été évacués (la colonisation soviétique, à l’inverse, a été une vraie catastrophe pour la flore et la faune). Le niveau de radioactivité est désormais sans effet sur les écosystèmes environnants, et le fait d’avoir évacué le prédateur en chef sur cette terre (nous) a permis le retour des castors, loups, faucons, etc. On a même profité de cette création inattendue de réserve naturelle pour réintroduire des bisons et des chevaux de Przewalski , qui vont très bien merci. La hantise de la radioactivité vient de la crainte que nous avons tous quand nous ne comprenons pas ce qui se passe. Mais ce que nous ne comprenons pas n’est pas nécessairement dangereux pour autant…».

Je peux admettre, car je fais des efforts, qu’on défende cette énergie criminelle. Mais pas avec des arguments aussi lamentables. Non ! Si même Jancovici avait raison sur le nucléaire, il serait insupportablement con de prétendre savoir, comme par miracle, ce qui s’est passé il y a près d’un an à Fukushima. Car nul ne le sait. Car l’opacité organisée par les maîtres locaux de l’atome interdit que l’on sache. Oser dire dans ces conditions qu’il n’y a eu aucune mort liée à l’irradiation est une pure et simple infamie. Et passons vite, car je ne veux pas vomir devant vous, sur le goût du paradoxe, sur le plaisir du paradoxe dont fait preuve Jancovici. Cette affaire est un drame planétaire, sauf pour lui et ses amis, dont je ne doute pas qu’ils rient à gorge déployée de ces écolos-idiots incapables de prendre la vraie mesure des choses.

Non, cette fois, je ne me suis pas perdu en route. Cette manière de perpétuellement retomber sur ses pattes, c’est le signe de notre époque, davantage que celui d’autres temps. Je constate que les socialistes se foutent du cas Allègre et al., qui en dit tant sur eux. Et que Nicolas Hulot se garde bien de remettre à sa place son glorieux conseiller dans le domaine de l’énergie. Et cela en dit extraordinairement long sur les limites indépassables de sa personne. Non ?

Le gouffre du nucléaire (sur le fric)

Ce qui suit est un article paru le 11 janvier dans Charlie-Hebdo. Mais en tout cas, il est de moi, et mon petit doigt me dit que tous les lecteurs de Planète sans visa ne lisent pas cet hebdo. Mon papier a été écrit – et même publié – avant celui de La Tribune, hier. Le quotidien économique révélait l’essentiel d’un rapport de la Cour des Comptes, à paraître fin janvier. En résumé, l’opacité est reine. On ne sait rien de sérieux sur le coût du démantèlement des vieilles centrales. On n’en sait pas davantage sur le prix qu’il faudra payer pour « sécuriser » les milliers de tonnes de déchets nucléaires. Bref, mais vous le savez déjà, les imbéciles ingénieurs et les odieux politiques qui nous ont plongés dans ce désastre sont bien imbéciles et odieux. Je vous laisse avec mon papier de Charlie.

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La bonne blague de la semaine passée : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demande des travaux lourds dans les centrales nucléaires, exigeant des « investissements massifs » dans notre parc de 58 réacteurs. Combien de fric  ? L’ASN n’a pas osé chiffrer, de peur d’embêter EDF. Laquelle a aussitôt perdu pied en Bourse, avant de présenter une addition de 10 milliards d’euros, évidemment sous-évaluée. Ce qui est déjà énorme, car la note s’ajoute aux 40 milliards d’euros nécessaires pour pousser la durée de vie des centrales nucléaires à 60 ans, alors qu’elles étaient conçues pour 30. Soit 50 milliards, juste pour continuer comme avant. Commentaire avisé de Lacoste, patron de l’ASN : « Je n’imagine pas que les milliards d’euros nécessaires pour augmenter la sécurité du parc de centrales d’EDF n’aient pas une traduction sur son prix de revient ».

En somme comme en résumé, le cochon de payant verra sa facture d’électricité exploser pour les beaux yeux de Proglio, le copain que Sarko a mis à la tête d’EDF. Au fait, pourquoi l’ASN sort-elle un rapport ? À cause de Fukushima, pardi. Une partie des nucléocrates admet désormais sans détour qu’une cata monstre est parfaitement possible chez nous. Benjamin Dessus et son compère Bernard Laponche, excellents connaisseurs du dossier et néanmoins antinucléaires, aiment à rappeler ce constat imparable (1) : le calcul de probabilité officiel n’imaginait que 0,014 accident grave au cours des trente dernières années. Or de l’Ukraine au Japon, quatre réacteurs ont pourtant pété, soit 286 fois plus que ce que les servants de l’atome juraient sur la tête de leurs pauvres gosses. Les mêmes assuraient au bon peuple que la qualité française interdisait toute mauvaise surprise.

Le nucléaire est donc bien le royaume du mensonge obligatoire. Cette cruelle vérité ne doit pas faire oublier le reste,. Qui est donc André-Claude Lacoste, le chef de l’ASN ? Un type du sérail, évidemment, puisque le nucléaire ne connaît que cela. Ingénieur des Mines, comme l’ont été les grands pontes de l’atome français, de Guillaumat à Giraud, il a fait toute sa carrière au ministère de l’Industrie, haut lieu de la révolte et de l’incandescence comme on sait. En 1993, Eurêka, Lacoste prend la direction de la Sûreté nucléaire. La majuscule s’impose, car bien sûr, la structure est indépendante. La preuve par DSK, qui le nomme à ce poste juste avant de quitter sa place de ministre de l’Industrie et devenir lobbyiste pronucléaire, payé par EDF (2).

Morale de l’affaire : si un anarchiste de la trempe de Lacoste réclame tant de mesures de sûreté, c’est que ça craint.  Si un homme élevé au biberon nucléaire admet la possibilité du drame, et exige des milliards, peut-être des dizaines de milliards d’euros d’investissements, c’est parce que le feu est au lac. Et pendant ce temps perdu, l’Allemagne.

Tout le monde – ou presque – s’extasie sur les performances économiques du voisin outre rhénan, mais personne – ou presque – ne semble voir ce qui se prépare. Or pendant que Sarko, Proglio and co claquent notre argent commun dans une aventure du passé, Berlin prépare hardiment le seul avenir concevable. En investissant massivement dans les énergies éolienne et solaire. Il est de bon ton en France de nier la puissance à venir de ces nouvelles énergies, mais les Allemands s’en foutent, et ils ont bien raison.

En renonçant au nucléaire, la mère Merkel n’a pas oublié de chouchouter ses industries de demain. À elles seules, les éoliennes ont produit là-bas 7,5 % de l’électricité au cours du premier semestre 2011 et le soleil 3,5 %, soit déjà 11 %. À comparer aux grandioses chiffres français au même moment :  2,2 % pour le vent et 0,1 % pour le solaire. Les Allemands misent d’ores et déjà sur 35 % d’électricité renouvelable en 2020, dans huit ans, quand nous ne saurons toujours pas payer le démantèlement du monstre Superphénix ni traiter les montagnes de déchets radioactifs. Et carrément 100 % en 2050, quand Proglio aura été oublié depuis des lustres.

Autre anodine différence entre la France et l’Allemagne. Cette dernière a vu sa consommation d’énergie globale diminuer de 4,6 % en 2011, ce qui s’appelle faire plus avec moins. En France, en 2010, la consommation d’électricité a augmenté de 5,5 %. Certes, l’électricité n’est qu’une partie de l’énergie, mais la leçon reste claire : EDF doit à tout prix fourguer son électricité nucléaire, fût-ce sous la forme d’un imbécile chauffage qui achève de ruiner les pauvres. Le serpent se mord la queue, et même le reste.

(1) Voir notamment : http://www.global-chance.org/spip.php?article250

(2) Charlie n’invente rien. DSK a bien été payé par EDF pour vanter les mérites du nucléaire, notamment chez ses copains allemands du SPD.

Concours de la phrase la plus conne (rude compétition)

Désolé, mais je n’ai toujours pas le temps d’écrire pour Planète sans visa. Tout le monde survivra, même moi.

Comme je n’ai pas le temps, je me contente de recopier cette phrase prononcée hier 15 septembre 2011 par François Hollande, candidat socialiste à la candidature (pour les présidentielles). Je ne sais pas encore si c’est la phrase la plus conne de l’année, mais il ne fait pas de doute qu’elle figurera en bonne place au palmarès. La voici : « Ce qui s’est passé à Fukushima a forcément des conséquences, il faut une sécurité absolue (…) Il faut descendre de 75 % à 50 % d’énergie produite par le nucléaire en 2025 ».

Sécurité absolue, imbécillité noire. De 75 % à 50 %, humour corrézien. On sera bien contents, quand on sera tous vitrifiés par l’atome, de savoir que notre pays a eu la sagesse de descendre de 75 % d’électricité nucléaire à 50 %. Ajoutons que le grand lecteur de L’Équipe – authentique – qu’est monsieur Hollande ne sait pas faire la différence entre énergie et électricité. Le nucléaire de chez nous, en 2007, représentait 76,7 % de l’électricité, mais seulement 17, 7 % de l’énergie finale consommée. Ami lecteur, veux-tu réellement voir un pareil jean-foutre remplacer l’Abominable qui tient en ce moment l’Élysée ? Cette dernière phrase ne signifie évidemment pas que je préférerais à Hollande tel ou telle autre candidat. Ils se valent tous.

Comment faire la bombe plus vite (avec un laser)

Je n’ai pas le temps d’alimenter Planète sans visa en ce moment. Vous trouverez ci-dessous un article paru il y a deux ou trois semaines – je ne remets pas la main sur mon exemplaire – dans Charlie-Hebdo, journal auquel je collabore avec plaisir. Il est de moi, pas de doute.

Une nouvelle porte ouvre sur le futur, et c’est enthousiasmant. Le New York Times, dans une longue enquête signée William J.Broad, révèle qu’une grande aventure industrielle est sur le point d’aboutir (1). Il s’agit, comme on va le découvrir avec joie, d’un nouveau procédé pour enrichir l’uranium tiré des entrailles de la terre.

Nom du papa : General Electric, que tout le monde, aux Amériques, appelle GE. Pour commencer, quelques mots sur la noble entreprise. Sixième plus grosse firme des Etats-Unis en 2011 selon le classement de Fortune, GE est aussi le quatrième plus gros pollueur de l’air du pays. Dresser la liste de tous les problèmes écologiques posés par l’activité de GE lasserait son monde. Cette immensité créée par Thomas Edison en 1890 s’occupe de tout ou presque, de l’énergie aux ordinateurs, en passant par l’espace, la télé, les éoliennes.

Retenons au moins deux choses. Un, les gens de GE ont de bons conseillers fiscaux, car bien qu’ayant cumulé 14,2 milliards de profits en 2010 dans le monde entier, dont plus de 5 milliards pour leurs activités proprement américaines, ils n’ont payé aucun impôt cette année-là (2). Deux, Fukushima. On y revient, c’est fatal. Les six réacteurs de la centrale ont été conçus par GE, et des critiques sur leur fiabilité ont commencé dès 1972, soit près de quarante ans avant la cata. Donc, GE est une entreprise sérieuse.

Et maintenant l’enquête du quotidien américain. L’uranium naturel, c’est chiant. Il faut trouver une mine accueillante – Areva la française se coltine des conflits à répétition au Niger – et admirer le travail des pelleteuses et des excavatrices. Pas terrible. Quand il sort de la mine, l’uranium naturel est composé de deux isotopes. L’uranium 238 pour 99,3 % du total. Oublions, on s’en fout. Et l’uranium 235 pour 0,7 %. Ça, c’est du tout bon. Sauf qu’il faut enrichir le 235 pour le rendre utile aux centrales dites civiles et à la bombe. En théorie, pour les centrales nucléaires, il faut enrichir l’uranium naturel, de manière qu’il contienne entre 3 et 20 % d’uranium 235. Au-delà, et surtout à hauteur de 90 % d’uranium 235, l’usage militaire devient possible, puis facile.

Un pays comme la France se fait chier comme pas permis à enrichir son uranium. Cela se passe dans deux usines d’Areva, gentiment appelées Georges Besse 1 et Georges Besse 2. Jeunesse, sache que Georges Besse, flingué par des gens d’Action Directe en 1986 pour la raison qu’il était patron de Renault, avait avant cela été un ponte de l’industrie nucléaire. D’où ce délicat hommage. Areva sait vivre.

Chez Besse 1, depuis 1978, on enrichit l’uranium par la méthode dite de « diffusion gazeuse ». Chez Besse 2, la plus moderne, par centrifugation. Sauf que nos ingénieurs sont peut-être bien en train de se faire enfler par GE, qui a ressorti et visiblement amélioré la méthode du laser. Abandonnée il y a une quarantaine d’années, elle a été relancée et apparemment validée par une équipe australienne dans les années 90. Bravo à vous, amis ingénieurs !

Un monsieur Christopher J. Monetta, président de la filiale de GE nommée Global Laser Enrichment, déclare au Times : « Nous sommes en train d’améliorer la conception » de cette technologie, qui pourrait se déployer, après accord fédéral, dans une immense usine prévue à Wilmington, en Caroline du Nord. Coût estimé : 1 milliard de dollars pour commencer. Taille estimée du bâtiment principal : la moitié de la surface du Pentagone, quartier général des armées américaines. Ou, si l’on veut embêter les héros, la taille de la plus vaste usine d’enrichissement de l’uranium des mollahs de Téhéran, qui ne veulent que le bien de l’homme.

Grincheux en chef, le physicien nucléaire Frank N. von Hippel – il a conseillé Clinton et enseigne à Princeton -, n’est pas bien convaincu, et il estime : « Nous sommes proches d’un nouveau chemin vers la bombe. Nous devrions avoir appris assez pour commencer par une évaluation avant de laisser faire ce genre de chose ». Pourquoi ces inquiétudes ? Parce qu’il s’agit d’un procédé technique, susceptible d’être reproduit, amélioré, simplifié. Idéal pour les groupes terroristes et les États comme l’Iran, qui pour l’heure, doit se contenter de centrifugeuses, difficiles à cacher, pour enrichir son uranium.

Demain le laser pour tous, et l’uranium enrichi sur le pas de la porte ? C’est possible, c’est américain, et ça vient de sortir. Bonne rentrée de septembre.

(1) http://www.nytimes.com/2011/08/21/science/earth/21laser.html?_r=1
(2) http://www.nytimes.com/2011/03/25/business/economy/25tax.html?_r=1&scp=2&sq=ge&st=cse