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Un film inouï sur le nucléaire

Je ne peux garantir à 100 % ce film sorti sur Youtube, mais vous verrez tout comme moi qu’il est (presque) certainement authentique. Nous sommes le 19 juillet 2011 et des bureaucrates du gouvernement japonais affrontent une salle qui réclame des informations fiables sur la contamination nucléaire qui a suivi l’horreur de Fukushima.  C’est à hurler, cela donne envie de sortir de la paille les fusils et la mitraille. Et ce serait la même chose chez nous, évidemment. Le nucléaire est un vaste crime contre l’humanité. Une arme de guerre contre la vie. Les nucléocrates sont nos ennemis.

Mais regardez : c’est ici.

Décadence au programme (Lauvergeon à Libération)

Est-ce que le nom de Flavius Romulus Augustus vous dit quelque chose ? Romulus Augustule, de son nom francisé, fut le dernier empereur romain. Pendant des siècles, Rome parut la puissance majeure du monde connu par nos lointains ancêtres. Et puis le désastre, étendu sur des dizaines d’années au moins. Le recrutement massif de mercenaires « barbares » pour tenir lieu de fières Légions autochtones, des défaites et massacres, le sac de Rome à trois reprises, et puis la fin. Ce que l’historien britannique Edward Gibbon décrivit dans son célébrissime essai L’Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, paru entre 1776 et 1788.

Au total, tout a une fin. L’histoire de Rome, terminée dans sa phase impériale en l’an 476 de notre ère – date de l’abdication de Romulus Augustule – aura duré environ douze siècles. C’est beaucoup. L’empire industriel auquel nous nous sommes soumis ne tiendra pas aussi longtemps. Même si beaucoup refusent de voir, ce qui est l’habitude générale, les signaux de la décadence sont pourtant innombrables. J’ai appris dans la nuit, et par hasard, un fait certes minuscule, mais qui dit à quel point de sénescence nous sommes.

De quoi s’agit-il ? De la nomination de madame Anne Lauvergeon à la tête du conseil de surveillance du journal Libération (ici). C’est effarant. Lauvergeon, de gauche à la sauce Mittterrand, dont elle fut une très proche conseillère, a dans la suite été une patronne. D’abord à la banque Lazard frères, spécialisée dans ces fusions-acquisitions qui sont la marque de fabrique du capitalisme le plus actuel. Dégraissage, chômage de masse, stock-options, destruction de la nature. Elle a ensuite rejoint Alcatel, fier symbole de la dérégulation générale des activités économiques planétaires.

Mais c’est comme grand Manitou du nucléaire français qu’elle est réellement connue, et ce sera pour longtemps. En 1999, un certain Dominique Strauss-Kahn la nomme PDG du groupe Cogema. Lauvergeon annonce sans rire, et comme un bandeau publicitaire collé en travers du corps : « Nous n’avons rien à vous cacher ». Cette phrase est textuelle, je n’aurais osé l’inventer. En 2001, elle crée Areva, dont elle prend la tête. Sarkozy vient de l’en éjecter il y a quelques jours. Mais pendant douze années, Lauvergeon aura incarné le nucléaire, de gauche comme il se doit. Ingénieur des Mines, elle a poussé une irresponsabilité abyssale jusqu’à lancer le nouveau réacteur nucléaire EPR, qui est un désastre financier et bien entendu une menace atroce. Sans état d’âme, elle a vendu du nucléaire à qui voulait bien en acheter. Sans tenir compte – il n’y a pas marqué La Poste sur son front – le moins qu’il fût de la stabilité politique des clients ni des risques de dissémination de savoir-faire technique dans un monde chaque jour plus dangereux.

En bref, cette femme est une ennemie. Pas un adversaire. Je connais le sens des mots. Elle est une ennemie, car aucun compromis n’est envisageable avec ce genre d’ego boursouflé par la puissance perpétuelle. Elle est du monde de la mort, malgré toutes les apparences qu’on voudra bien lui donner. Et voilà donc que le journal Libération, laissant là le peu d’honneur qui lui restait, va donc la nommer à la tête de son conseil de surveillance. Je rappelle que Libé est mort depuis des lustres et que son propriétaire, Édouard de Rothschild, est banquier d’affaires, comme le fut Lauvergeon. En somme, on s’aime. Entre soi. Et contre tous les autres.

Décadence, donc. Oui, et nous n’avons pas touché le fond. Un sursaut est-il en l’occurrence possible ? L’année de Fukushima, un seul trouverait grâce à mes yeux : une démission collective de l’équipe du journal, emmenée par Nicolas Demorand, le directeur de la rédaction. N’est-il pas de gauche ? Mais n’est-il pas de gauche comme l’a été et le reste probablement Anne Lauvergeon ? Tous les empires, aussi picrocholins qu’ils paraissent, sont mortels. C’est presque le titre (Tout empire périra) d’un livre de Jean-Baptiste Duroselle, que j’ai lu il y a une trentaine d’années. Quand Libération était. Le temps passe.

Quand Ulrich Beck nous parle du nucléaire

Je ne souhaite pas faire mon malin, mais je connais Ulrich Beck pour avoir lu son livre majeur, La société du risque (Aubier). Je sais moins bien le reste, mais assez pour admettre des désaccords nombreux avec ce sociologue et penseur allemand né en 1944. Le journal Le Monde vient de publier un texte sur le nucléaire, sous sa signature. Je vous le mets ci-dessous, car il dit avec une force tranquille une évidence bien cachée chez nous, en France. La sortie du nucléaire est la seule attitude raisonnable, et même rationnelle. Car la certitude, droit devant nous, mais à une date inconnue, c’est un « accident nucléaire majeur ».

Je n’imagine pas le quart ou la moitié de la France inhabitable pour l’éternité, à vue humaine en tout cas. Et tout l’édifice du mensonge et de la folle puissance repose sur notre incapacité à concevoir le drame qui vient. Autrement, nous chasserions comme il le mérite notre maître si provisoire, ses sbires et ses opposants officiels, qui ne valent pas mieux. Lisons ensemble ce texte de Beck paru dans Le Monde. Qui n’est pas exceptionnel – il s’en faut -, mais qui reste pourtant profondément intéressant. De quoi d’autre avons-nous besoin ?

Enfin l’ère postnucléaire, par Ulrich Beck

Ce qui suit présente certaines des recommandations d’experts ayant servi de base à la politique d’Angela Merkel, qui prévoit la mise en place d’alternatives au nucléaire d’ici à 2021. L’Allemagne pourrait montrer qu’une sortie du nucléaire est une opportunité de créer une économie de pointe. « Vous, les Allemands, vous êtes tout seuls », dit le militant écologiste américain Stewart Brand, à propos des plans de sortie de l’énergie atomique ébauchés par l’Allemagne. Et il ajoute : « L’Allemagne agit de manière irresponsable. Pour des raisons économiques, et compte tenu de la menace que font peser les gaz à effet de serre, nous ne pouvons renoncer à l’énergie nucléaire. »

« J’avais des doutes, mais Fukushima m’a convaincu de la valeur de l’énergie nucléaire, renchérit l’éditorialiste du journal britannique The Guardian, George Monbiot. L’accident n’a fait à ce jour aucun mort, et ce bien que les réacteurs nucléaires aient subi au Japon le test le plus rigoureux que l’on puisse imaginer : l’un des pires tremblements de terre jamais survenus, et le tsunami qu’il a déclenché. Voilà pourquoi j’aime l’énergie nucléaire.»

Ce serait toutefois commettre une lourde erreur que de supposer qu’en faisant le choix politique du tournant énergétique l’Allemagne rompt avec le concept européen de la modernité et se tourne vers les racines obscures et forestières supposées de l’histoire intellectuelle allemande. Ce qui est en train de prendre le pouvoir, ce n’est pas cette légendaire irrationalité allemande, mais la foi dans la capacité d’apprentissage et dans la créativité de la modernité face aux risques qu’elle a elle-même engendrés.

Pour étayer leur verdict, les partisans de l’énergie nucléaire font appel à une notion du risque imperméable à l’expérience et comparent de manière irréfléchie l’ère de la première industrialisation à l’ère nucléaire. La rationalité du risque part du principe que la pire des hypothèses peut devenir réalité et que les précautions que nous devons prendre doivent être choisies dans cette perspective. Lorsque la charpente d’une maison brûle, les pompiers arrivent, l’assurance rembourse, on prodigue les soins médicaux nécessaires, etc.

Appliqué aux risques de l’énergie nucléaire, ce schéma impliquerait que, même dans le pire des cas, notre uranium n’irradierait que quelques heures, et non des milliers d’années, et qu’il ne serait pas nécessaire d’évacuer la population d’une grande ville voisine. C’est bien entendu absurde. Continuer, après Tchernobyl et Fukushima, à affirmer que les centrales nucléaires françaises, britanniques, américaines, chinoises, etc., sont sûres, c’est refuser de voir que, d’un point de vue empirique, c’est la conclusion inverse qui s’impose : s’il y a une certitude, c’est celle du prochain accident nucléaire majeur.

Affirmer qu’il ne peut pas y avoir de risque zéro dans les grandes installations techniques de production d’énergie (ce qui est exact) et en tirer la conclusion que les risques courus dans le cadre d’une utilisation propre du charbon, de la biomasse, de l’énergie hydraulique, du vent et du soleil, ainsi que de l’énergie nucléaire, sont certes différents, mais comparables, c’est nier le fait que nous savons ce qui se produit lorsqu’un coeur nucléaire entre en fusion.

Nous savons combien de temps persiste le rayonnement radioactif, quelles lésions le césium et l’iode infligent aux hommes et à l’environnement, et combien de générations auront à souffrir si jamais le pire arrivait. Et nous savons que les énergies alternatives ou renouvelables ne font courir aucun de ces risques dont les conséquences ne s’arrêtent à aucune limite temporelle, géographique ou sociale. Prendre comme aune du risque le nombre de décès relevés, comme le fait M. Monbiot, revient à masquer cette réalité.

Et la question de l’assurance ? Etrangement, dans l’empire de l’économie de marché, l’énergie nucléaire a été la première industrie socialiste d’Etat, au moins pour ce qui concerne le coût à payer pour les erreurs. Les profits vont dans des poches privées, mais les risques sont socialisés, c’est-à-dire assumés par les générations futures et les contribuables. Si les entreprises de l’énergie nucléaire étaient contraintes de contracter une assurance spécifique à l’atome, la fable de l’électricité nucléaire à bon marché ne serait plus qu’un souvenir.

Appliquée à l’énergie nucléaire au début du XXIe siècle, la notion de risque que l’on pouvait utiliser au XIXe siècle est une catégorie morte-vivante qui nous rend aveugles à la réalité dans laquelle nous vivons. Ce qui est irrationnel, ce n’est pas de sortir de l’énergie nucléaire, mais de continuer à la défendre après Fukushima : cette attitude se fonde sur une notion périmée du risque, qui refuse de tirer les leçons de l’expérience historique.

Aucune autre nation industrielle n’a connu une ascension aussi rapide que l’Allemagne. Alors, ce tournant n’est-il pas le fruit d’un mouvement de panique injustifié ? A la longue, l’énergie nucléaire deviendra plus chère, l’énergie renouvelable meilleur marché. Mais l’essentiel est que celui qui continuera à laisser toutes les options ouvertes n’investira pas. Dans ce cas, l’Allemagne ne réussira pas à négocier le virage énergétique. En d’autres termes : l’angoisse qui anime les Allemands n’est pas dépourvue de ruse.

Ils flairent les opportunités économiques qui s’attachent aux marchés liés à l’avenir. En Allemagne, le tournant énergétique se résume à un mot en quatre lettres : « jobs ». Un cynique dirait : laissez donc les autres continuer à ne pas avoir peur – cela leur vaudra une stagnation économique et des erreurs d’investissements. Les partisans de l’énergie nucléaire se barrent eux-mêmes le chemin des marchés du futur parce qu’ils n’investissent pas dans la voie alternative que constituent les matériaux économisant l’énergie et les énergies renouvelables.

La situation au début du XXIe siècle est comparable à d’autres ruptures historiques dans l’approvisionnement énergétique. Que l’on s’imagine ce qui se serait passé si les hommes, voici deux siècles et demi, au début de la première révolution industrielle, avaient envoyé au diable ceux qui leur conseillaient d’investir dans le charbon et l’acier, les machines à vapeur, les métiers à tisser et, plus tard, les chemins de fer. Ou bien, il y a cinquante ans, s’ils avaient rejeté en parlant d' »angoisse américaine » l’idée que les Américains puissent investir dans les microprocesseurs, les ordinateurs, Internet.

Nous sommes face à un moment historique du même ordre. Celui qui exploitera ne serait-ce qu’une partie du désert pour y produire de l’énergie solaire pourrait couvrir les besoins énergétiques de toute la civilisation. Nul ne peut être propriétaire de la lumière du soleil, nul ne peut le privatiser ou le nationaliser. Chacun peut exploiter cette source d’énergie pour son propre compte et en profiter. Quelques-uns des pays les plus pauvres du monde disposent de cette « richesse solaire ».

L’énergie solaire est démocratique. L’énergie nucléaire est par nature antidémocratique. Celui qui tire son énergie d’une centrale nucléaire se fait couper le courant s’il ne paie pas sa facture. Cela ne peut pas arriver à celui dont l’énergie provient de capteurs solaires installés sur sa maison. L’énergie solaire rend les gens indépendants. Bien entendu, ce potentiel de liberté qui s’attache à l’énergie solaire remet en question le monopole de l’énergie nucléaire. Pourquoi les Américains, les Britanniques et les Français, eux qui accordent une telle valeur à la liberté, sont-ils incapables de voir quelles conséquences émancipatrices pourrait avoir le tournant énergétique ?

On proclame partout la fin de la politique, et on la déplore. Paradoxalement, la perception culturelle du risque peut provoquer l’effet contraire, c’est-à-dire la fin de la fin de la politique. Pour le comprendre, on peut revenir à la vision qu’exposait le philosophe américain John Dewey, dès 1927, dans Le Public et ses problèmes(Gallimard, 2010). Selon lui, une opinion publique internationale et assez forte pour créer une communauté ne naît pas de décisions politiques, mais des conséquences de décisions qui posent des problèmes vitaux à la perception culturelle des citoyens.

Un risque perçu impose ainsi la communication entre des personnes qui, sans cela, pourraient ne rien avoir à faire les unes avec les autres. Il impose des obligations et des frais à ceux qui cherchent à le faire disparaître. Ce que beaucoup croient devoir dénoncer comme une hyperréaction hystérique au « risque » de l’énergie nucléaire est au contraire une démarche vitale offrant l’opportunité d’un virage énergétique allant de pair avec un virage démocratique.

Les stratégies d’action qu’autorise le potentiel de catastrophe lié à l’énergie nucléaire, perçu sous l’angle de la civilisation, mettent à bas l’ordre qu’a produit l’alliance néolibérale entre le capital et l’Etat. Face à la catastrophe nucléaire, les Etats et les mouvements de la société civile acquièrent de nouveaux pouvoirs, dès lors qu’ils font apparaître de nouvelles sources de légitimité. L’industrie nucléaire perd les siens dès lors que les conséquences de décisions liées aux investissements ont mis la vie de tous en péril. A l’inverse, une coalition d’un nouveau genre entre les mouvements de la société civile et l’Etat, telle que nous pouvons l’observer en Allemagne, constitue sa chance historique.

Du point de vue politique aussi, ce changement de trajectoire a un sens. Seul un gouvernement conservateur et proche des milieux économiques peut négocier un tel virage énergétique, dès lors que les plus bruyants adversaires de cette mutation sont issus de ses propres rangs. Celui qui critique la décision allemande de sortir de l’économie nucléaire pourrait être victime de l’erreur de la chenille, qui, sortant de la chrysalide, en déplore la disparition, sans se douter encore qu’elle deviendra le papillon des énergies renouvelables.

Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

Ulrich Beck

Né en 1944, à Stolp, aujourd’hui Slupsk en Pologne, il est l’auteur notamment de « La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité » (Aubier) et, avec Edgar Grande, de « Pour un empire européen » (Flammarion, 2007). Il a été nommé membre du comité spécial d’experts par la chancelière Angela Merkel, à la suite du désastre de Fukushima.

Article paru dans l’édition du 10.07.11

Lauvergeon au chômedu ? (rumeur nucléaire)

Par un douteux miracle, une rumeur me parvient aux oreilles ce 15 juin 2011, vers 20h30. Anne Lauvergeon serait lourdée de la présidence d’Areva par Sa Seigneurie, Celui Qu’on Ne Nomme Qu’avec Prudence, Nicolas Sarkozy himself. Lequel aurait décidé de placer à la tête de notre empire nucléaire un Ingénieur des Mines. Ce qui me semblerait logique. Les Mines ont imposé en France le nucléaire, et ce ne serait que justice qu’un des leurs soit aux commandes du monstre. À suivre.

Sommes-nous assez vivants ? (au sujet du nucléaire)

Je parlais dans l’article précédent de Benjamin Dessus, oubliant son ami Bernard Laponche, qui est pourtant si vaillant. Je le prie de m’en excuser et, sans espoir de me faire pardonner, je vous signale une tribune des deux compères, qui savent de quoi ils parlent (lire ici). Dans ce texte glaçant paru dans Politis, il est démontré la certitude statistique d’un accident nucléaire grave dans l’Union européenne. Vous lirez en détail pour quelles raisons. Limpide.

Je vous mets pour le même prix une vidéo remarquable sur Fukushima. On y entend, pendant plus de 25 minutes, Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, une agence d’étude sur le nucléaire (voir ici). Inutile de le paraphraser, mais je souhaite insister sur un point : le mensonge. Bien qu’on ne puisse savoir ce qui se passe au Japon, il est désormais certain que le pouvoir et les nucléocrates locaux ont dissimulé des informations capitales, et cela dès le début. Notamment sur la fusion de plusieurs réacteurs de la centrale maudite. Nous sommes à un point crucial de notre histoire commune, car le nucléaire est et demeurera l’art de la vitrification. Comme leurs amis et complices nippons, nos responsables français de l’atome sont tenus de cacher la réalité. Par la force : dire le vrai sur l’industrie nucléaire serait la condamner à mort. Sommes-nous encore assez vivants ? Sommes-nous assez vivants pour forcer le destin, et contraindre le crime à s’effacer devant l’avenir ?