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George Monbiot se déshonore (sur le nucléaire)

J’aurais aimé me passer de ce papier-ci, mais c’est impossible. J’ai à de nombreuses reprises attiré votre attention sur l’éditorialiste du journal britannique The Guardian, George Monbiot. Il est brillant, batailleur, et il était écologiste. Si je dois utiliser l’imparfait, c’est à cause d’un article paru le 21 mars (ici) dans lequel Monbiot annonce son spectaculaire ralliement à l’énergie nucléaire. J’ai été tenté de traduire ce texte pour vous, mais ayant commencé, j’ai réalisé que je n’en aurais pas le temps. Car ce dernier me manque. Je vous livre donc une version non complète, glanée sur le Net, mais dont j’ai pu apprécier la qualité. Les parties négligées sont secondaires. Voici donc le texte de Monbiot, déplorable à tous égards. En deux coups de cuiller à pot, sans autre argument que la fantaisie de l’auteur, il va semer un trouble profond chez les lecteurs de ce journaliste talentueux. Pour vous dire ma vérité toute simple, Monbiot me fait honte.

Why Fukushima made me stop worrying and love nuclear power

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que les événements au Japon ont modifié la vision que j’avais de l’énergie nucléaire. Mais vous risquez d’être surpris par le changement en question. A la suite de la catastrophe de Fukushima, je ne suis plus neutre vis-à-vis du nucléaire. J’en suis un partisan.

Une vieille centrale pourrie dotée d’une sécurité inadaptée a été frappée par un séisme monstrueux et un violent tsunami. Elle s’est retrouvée privée d’électricité, ce qui a mis le système de refroidissement hors service. Les réacteurs ont commencé à exploser et à entrer en fusion.
Ce désastre a révélé au grand jour le résultat d’une conception défaillante et d’économies réalisées à la va-vite. Pourtant, pour ce que l’on en sait, personne n’a encore été victime d’une dose mortelle de radiations. Des écologistes ont grossièrement exagéré les dangers de pollution radioactive. Si d’autres formes de production de l’énergie ne causaient pas de dégâts, l’impact de Fukushima serait plus fort. Mais l’énergie, c’est comme les médicaments : s’il n’y a pas d’effets secondaires, il y a de grandes chances que ça ne marche pas.

Les énergies renouvelables dégradent le paysage

Comme la plupart des écologistes, je suis en faveur d’un développement sans précédent des énergies renouvelables. Mais je peux comprendre de quoi se plaignent leurs adversaires. Il n’y a pas que les éoliennes qui inquiètent les gens, mais aussi les nouvelles connexions au réseau (les pylônes et les câbles d’alimentation). Plus la proportion que représente l’électricité renouvelable augmentera, plus il faudra de systèmes de stockage pour que l’on puisse continuer à s’éclairer. Comme d’autres, j’ai appelé à ce que les énergies renouvelables servent à la fois à remplacer l’électricité produite grâce aux combustibles fossiles et à augmenter le volume de production, afin de supplanter le pétrole utilisé pour les transports et le gaz de chauffage. Mais faut-il également que nous exigions qu’elles se substituent à la capacité nucléaire actuelle ? Plus nous imposerons de missions aux énergies renouvelables, plus leur impact sera grand sur le paysage, plus il sera difficile de convaincre l’opinion publique.

Peu de rendement des capteurs solaires

Sous nos latitudes, la production d’énergie ambiante à petite échelle est une perte de temps. La production d’énergie solaire au Royaume-Uni implique un gaspillage spectaculaire de ressources déjà rares. Elle est d’une inefficacité désespérante et ne parvient que misérablement à satisfaire la demande. L’énergie éolienne est plus ou moins sans intérêt dans les zones peuplées. Cela tient en partie au fait que nous nous sommes installés dans des endroits abrités du vent ; en partie au fait que les turbulences engendrées par les bâtiments interfèrent avec l’écoulement de l’air et perturbent le mécanisme. Et avec quoi ferions-nous tourner nos filatures, nos fours à briques, nos hauts-fourneaux et nos chemins de fer électriques — pour ne rien dire de technologies industrielles avancées ? Des panneaux solaires sur les toits ?

C’est quand on s’intéresse aux besoins de l’ensemble de l’économie que l’on cesse d’être amoureux du principe de la production locale. Un réseau national (ou, mieux encore, international) est une condition indispensable à une alimentation en énergie essentiellement renouvelable.
Le nucléaire préférable aux énergies vertes. Même avec une population nettement moindre que celle d’aujourd’hui, les produits manufacturés, dans une économie agricole, étaient réservés à une élite. Une production énergétique 100 % verte — décentralisée, fondée sur les produits de la terre — serait bien plus dommageable pour l’humanité qu’une fusion du cœur d’un réacteur nucléaire.

Mais la source d’énergie à laquelle vont revenir la plupart des économies si elles renoncent au nucléaire, ce n’est pas le bois, l’eau, le vent ou le soleil, mais les carburants fossiles. A tout point de vue (changement climatique, impact des mines, pollution locale, dommages et morts liés à l’industrie, et même émissions radioactives), le charbon est cent fois pire que l’énergie nucléaire. Avec l’expansion de la production de gaz de schiste, l’extraction du gaz naturel devient tout aussi dommageable.

Je n’en exècre pas moins les menteurs qui s’occupent de nucléaire. Oui, je préférerais que tout le secteur cesse ses activités s’il existait des solutions de rechange sans danger. Toutes les technologies énergétiques ont un coût ; l’absence de technologies énergétiques également. L’énergie atomique vient d’être mise à très rude épreuve, et l’impact sur la population et sur la planète a été limité. La crise de Fukushima a fait de moi un partisan de l’énergie nucléaire.

Pourquoi cette indolence française (sur le nucléaire) ?

Il y a de quoi avoir honte, et se cacher. À Rome, capitale d’un pays qui se passe de nucléaire, où règne l’archibouffon Berlusconi, 300 000 personnes contre l’industrie de l’atome (ici, en italien). Il est vrai que l’Italie que j’aime peut réunir 100 000 personnes dans les rues à l’occasion d’un« simple » anniversaire de Tchernobyl, quand nous préférons, nous les donneurs de leçons, oublier la date, et passer plus vitre aux choses sérieuses, comme les élections cantonales. En Allemagne, idem (ici) : des centaines de milliers de révoltés ont parcouru les rues du pays, et au passage infligé une défaite historique au responsable politique qui semblait le plus proche du lobby. En l’occurrence Angela Merkel, qui vient de perdre un fief électoral de droite, décisif : le Bade Wurtemberg.

Ainsi donc, sur notre flanc Est comme sur nos frontières du sud-est, le peuple est contre. Radicalement contre une industrie qui nous menace directement de mort. Mais en France, non. Étrange, non ? Étrange, je confirme. Il nous manque un livre – je ne suis pas candidat, je le dis et je le proclame – qui raconte comment l’industrie nucléaire a pris le pouvoir en France, comment elle s’y maintient, grâce à quels soutiens politiques. Ce livre idéal raconterait également la façon dont le mouvement antinucléaire a été cassé chez nous après l’affreuse manifestation de Malville, à l’été 1977, au cours de laquelle Vital Michalon a été tué par la police.

Côté lobby politique, je ne vous surprendrai guère en écrivant que les socialistes tout comme l’UMP au pouvoir sont les porte-parole militants de l’atome. Notre président Sarkozy est, nul ne l’ignore, un VRP d’EDF et d’Areva, prêt – du moins avant l’horreur de Fukushima – à vendre des réacteurs à tout semblant d’État en faisant la demande, Kadhafi compris bien sûr. Mais côté socialistes, ce n’est pas mieux. J’ai écrit plusieurs fois, parfois ici-même, que DSK a été un lobbyiste stipendié d’EDF après 1993, chargé par notre électricien nucléaire de vendre notre industrie en Allemagne, auprès de ses amis du SPD, très rétifs à l’idée de bâtir des centrales nucléaires. La gauche et la droite pareilles ? J’allais le dire. Les restes pitoyables du défunt colosse stalinien – le PCF – sont eux-mêmes couchés devant la surpuissante industrie atomique.

Comment tout cela a-t-il commencé ? Je vous mets ci-dessous un article paru la semaine passée dans Charlie-Hebdo, sous ma plume. Vous comprendrez mieux, du moins je l’espère. Voici :

« Cette histoire est pleine de bruit et de fureur, mais elle a un sens évident : il n’y a jamais eu le moindre débat. Le nucléaire a été pensé à l’intérieur d’un tout petit groupe d’ingénieurs des Mines, ivres de pouvoir, convaincus d’incarner la France, décidés à restaurer sa soi-disant grandeur. L’affaire commence à la Libération, quand tout le monde claque des dents. De froid et de faim. Un type stupéfiant d’arrogance surgit des décombres de la guerre : Pierre Guillaumat.

» Ingénieur ou espion ? Les deux, mon capitaine. Cet ingénieur des Mines fait la guerre dans le service de renseignement gaulliste, le BCRA. Et devient en 1944 – il a trente-cinq ans – , directeur des Carburants, poste stratégique s’il en est. En 1951, comme il a compris où se trouve la puissance, il est administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), épuré de ses communistes, notamment Joliot-Curie. C’est le début de la grande fête à Neu-Neu : Guillaumat supervise l’assemblage de la première bombe atomique française, celle de 1960. De Gaulle est revenu au pouvoir en 1958, et Guillaumat a désormais des ailes. Il devient ministre des Armées, puis ministre délégué à l’énergie atomique, puis patron d’EDF pour la seconde fois – en 1965 -, puis premier président d’Elf en 1967, sur fond de goûteuse Françafrique. Guillaumat ? Lisez donc ce morceau de bravoure : « [Guillaumat] exige impitoyablement de ses collaborateurs exactitude, efficacité, rapidité, ténacité et discrétion. “C’est une machine qui ne se dérègle jamais”, déclare un collègue. C’est un organisateur né qui exerce son pouvoir sans plus de crainte que de doute. Il n’accepte aucun compromis, ne demande aucun conseil, ne recherche aucune popularité, n’éprouve aucun besoin de rendre compte de ses actes – pas plus en privé qu’en public » (1).

» Pour le même prix ou presque, faisons entrer en scène André Giraud. C’est un clone de Guillaumat, né 16 ans après lui, en 1925. Ingénieur des Mines comme lui, patriotard comme lui, il se fixe un objectif grandiose : fabriquer avec ses mimines une « Shell de l’atome ». Oui, en 1970, Shell est la référence absolue. Ce type et tous ses gentils camarades promettent aux politiques éblouis de faire de la France une « Arabie saoudite » du nucléaire. Giraud sera ministre de l’Industrie sous Giscard et ministre de la Défense sous Chirac, en 1986. Mais aussi, car on ne se refuse rien, tantôt patron de l’Institut français du pétrole (IFP), tantôt patron du CEA ou de la défunte Compagnie générale des matières nucléaires (Cogema).

» Ajoutons à ces héros, pour faire bon poids, deux autres ingénieurs des Mines, seconds rôles très efficaces. Le premier, Michel Pecqueur, né en 1931, a fait l’essentiel de sa carrière au CEA, où il a par exemple occupé le poste de « directeur de l’enrichissement de l’uranium », ce qui pose son homme. En fin de carrière, de 1983 à 1989, Pecqueur a également été le président d’Elf Aquitaine, barbouzes incluses.

» Le dernier de cette « bande des Quatre » s’appelle Georges Besse, né en 1927 et tué par un commando d’Action Directe en 1986. Ce n’est pas insulter le mort que de rappeler qu’il fut le fondateur et président en 1973 d’un groupe européen d’enrichissement du nucléaire, Eurodif, qui joua un rôle central dans la vente de nucléaire militaire à des pays comme l’Iran du Shah ou l’Irak de Saddam. Sur fond de secrets d’État.

» Le lancement du vrai programme électronucléaire de la France – 58 réacteurs aujourd’hui – devra attendre 1974. Le prix du pétrole ayant été multiplié par quatre entre octobre 1973 et janvier 1974, l’occase est trop belle pour les ingénieurs des Mines, qui promettent l’indépendance énergétique par le nucléaire. Comme Pompidou, alors président, est mourant, la décision atterrit dans les mains de Pierre Messmer, Premier ministre. On peut penser qu’il n’a pas été difficile à convaincre, car Messmer avait été ministre de la Défense entre 1960 – juste après Guillaumat – et 1969. Et à ce titre, avait supervisé les essais nucléaires aériens menés en Algérie, qui ont irradié aussi bien des soldats français que les bédouins du désert. Le 3 mars 1974, il signe pour 13 centrales, qui annoncent toutes les autres.

» Un mot sur Guillaumat, cette pénétrante intelligence. Sous sa direction, Elf refile entre 1975 et 1978 un milliard de francs de l’époque à deux escrocs, dont l’un, Aldo Bonassoli, prétendait pouvoir repérer un gisement de pétrole depuis un avion. Ce qu’on a appelé « Les avions renifleurs », c’est Guillaumat. Le nucléaire, c’est Guillaumat, plus l’armée, plus le secret. On se sent tout de suite mieux ».

(1) Les barons de l’atome, Peter Pringle et James Spigelman (Le Seuil, 1982)

Je reprends le propos en direct, pour quelques phrases. Ce que montre le désastre japonais, c’est que le secret, l’intérêt privé et le délire des grands ingénieurs, « fusionnant » comme le font désormais les réacteurs, mènent ensemble au pire, qui est le crime de masse, inexpiable. Le même phénomène est à l’œuvre en France, d’évidence. La menace est patente. Chaque jour qui passe montre que le lobby nucléaire japonais a menti, ment et mentira à la société, car tel est son destin. Donc le nôtre. Car nous avons exactement le même assemblage chez nous. Pour quelques semaines, guère plus selon moi, notre lobby du nucléaire est sur la défensive, et cherche des mots, moins sûrement des actes, pour continuer d’enfumer le monde jusqu’à la fin des temps, qui pourrait être plus précoce qu’attendu.

Imaginez-vous ? Sous la pression, Sarkozy envisage la fermeture de centrales anciennes qu’on nous promettait plus sûres que le lever du soleil chaque matin. Pour les nucléocrates, l’heure est simplement grave. Or nous nous comportons comme des nains. Ces derniers me pardonneront, car je ne les vise évidemment pas. J’utilise, à la paresseuse, un mot convenu qui signifie que nous ne nous plaçons pas à la bonne hauteur. Pour la première fois en quarante ans d’existence de cette industrie mortifère, nous avons – nous aurions – la chance de faire reculer le lobby. De lui infliger une vive blessure. Dont il se remettrait, mais mal. Au lieu de quoi, quelques criaillements dans les airs, qui seront bientôt remplacés par le silence complice.

Encore une fois, les explications sur le silence français sont nombreuses. À côté d’une faiblesse intrinsèque, endogène du mouvement antinucléaire, il faut ajouter des causes que personne n’ a la moindre envie d’entendre ou de considérer. Par exemple le rôle des services de l’État dans ce qu’on pourrait appeler un affaiblissement organisé, accompli pour l’essentiel il y a trente-cinq ans. Cette histoire n’a jamais été écrite et ne le sera probablement jamais. En tout cas, il est sûr que je ne me lancerai jamais dans cette aventure, car je crois – à tort ou à raison – que la société française n’a aucune envie véritable de savoir à quelle sauce elle est en fait digérée. Cela peut changer ? Peut-être. Peut-être. Que se lèvent donc des amateurs.

Moi, parmi tant d’autres mystères, je constate que jamais aucun mouvement d’opinion n’a seulement tenté d’interroger la présence de sous-marins nucléaires militaires – dotés donc de réacteurs – dans ou à proximité d’agglomérations humaines comme Cherbourg, Brest ou Toulon. Nul n’a lancé la moindre action d’envergure sur les rejets de tritium pourtant certains effectués par le centre militaire d’assemblage de la bombe, à Valduc (Côtes d’Or). Bref, nous couvrons. Nous approuvons, inutile de se mentir.

Que faire ? Dans l’immédiat, pas grand-chose. Mais n’oublions pas le 26 avril prochain, vingt-cinquième anniversaire du cauchemar de Tchnernobyl. Dans une France normalement constituée, cet événement hautement symbolique serait préparé dans des dizaines de comités locaux, et s’achèverait sur une manifestation monstre devant le ministère de l’Énergie de ce si cher Éric Besson. Dans la France réelle de 2011, malgré les leçons si flagrantes venues du Japon, je redoute le fiasco. Qui n’est jamais tout à fait sûr. Il nous reste un mois.

Pièces et main-d’œuvre (sur le nucléaire)

Ce qui suit est un texte du collectif grenoblois Pièce et main-d’œuvre (PMO). Les gens qui s’en occupent sont des critiques véritables du monde, et cela se sent et se ressent. J’aime beaucoup leur prose. Non seulement ils écrivent bien, mais également juste. Allez donc faire un tour sur leur site : http://www.piecesetmaindoeuvre.com

On vous l’avait bien dit

« L’apocalypse » en cours au Japon est tout sauf inattendue et imprévue. On peut en dire comme de bien d’autres malheurs : vous en savez déjà suffisamment, nous aussi. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut, ce qui nous manque, c’est le courage d’admettre ce qui nous arrive et d’en tirer enfin les conséquences. Voici cinquante ans que nous vous mettons en garde, nous, prophètes de malheur, oiseaux de mauvais augure, cassandres, obscurantistes, rabat-joie, écolos rétrogrades, punitifs, intégristes, ayatollah verts, anarchistes irresponsables, baba cool…

Cinquante ans que vous nous invitez à retourner vivre dans une caverne d’Ardèche, vêtus de peaux de bêtes, éclairés à la bougie et nourris de lait de chèvre. Vous n’avez jamais eu le temps ni l’envie de vous opposer au nucléaire. Vous n’avez jamais manifesté, pas même contre SuperPhénix à Malville en 1977. À Grenoble, vous vous êtes accommodés des années durant de la présence de trois réacteurs nucléaires en zone urbaine (Siloë, Siloette, Institut Laue Langevin). Votre mode de vie n’est pas négociable. Vous vous éclairez au nucléaire, à en tuer l’obscurité nocturne dans les villes ; vous  vous chauffez au nucléaire ; vous produisez et consommez au nucléaire ; vous vous connectez au nucléaire ; vous vous déplacez au nucléaire (TGV, voitures électriques) ; vous travaillez pour le nucléaire et vos emplois valent plus que vos vies. Vous votez pour le nucléaire, vous élisez maire de Grenoble Hubert Dubedout, Michel Destot, ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique, et bien d’autres de leurs semblables dans la cuvette.

Vous vivez par le nucléaire, il n’est que trop normal que vous mourriez par le nucléaire ; lentement à coup de cancers disséminés dans l’environnement ; brutalement quand « l’accident qu’on ne pouvait pas prévoir » fait enfin sauter Bugey, Cruas, le Tricastin ou l’une des 58 centrales qui vérolent le pays le plus nucléarisé du monde. Jamais vous ne vous y êtes opposés. Le nucléaire paie la taxe professionnelle, vos piscines municipales, vos salles polyvalentes, vos cours de tennis. Vous l’avez choisi. Vous l’avez mérité. Pas de jérémiades le jour où vous devrez bondir avec toute votre famille dans votre voiture pour fuir une zone irradiée et bouclée par l’armée. Ne nous parlez pas de vos enfants, des générations futures, de leur avenir, de « développement durable » et « d’énergies alternatives ». Toute votre existence prouve assez que vous vous moquez de ces mots creux.

Que si ces lignes vous scandalisent, joignez le geste à la parole et prouvez enfin par vos actes que vous n’êtes pas complices du sort qu’on vous fait. Mais comment le croire. Vous en savez suffisamment, nous aussi. Mais qu’à cela ne tienne, on va faire semblant encore une fois. On va encore une fois faire comme s’il vous manquait les informations et les idées pour vous faire une opinion et agir en conséquence. Et vous pourrez toujours nous renvoyer dans nos cavernes d’Ardèche.

Tandis que fondent les réacteurs nucléaires à Fukushima, experts et décideurs s’empoignent sur les avantages  comparatifs entre désastre nucléaire, climatique (pétrole, charbon, gaz de schiste) et alternatif (photovoltaïque,  éolien). Et chacun de nier l’évidence : il n’y a pas de survie à long terme pour les goinfres. La course à la croissance nous condamne, et ceux qui placent l’économie, l’emploi et l’argent avant la vie sont coupables. Les victimes de Tchernobyl, de Fukushima et des prochaines catastrophes sont victimes de la voracité, que les technocrates dissimulent sous l’impératif de l’innovation. C’est un ingénieur nucléaire qui le dit : « A travers elle (NDR : l’innovation) apparaît le développement des activités économiques qui génère lui-même des emplois pour l’ensemble de nos concitoyens. Il y a là une véritable mine d’or, prenons-en conscience. » Ainsi parle Michel Destot, maire CEA-PS de Grenoble, toujours prompt à louer la dernière « révolution technologique majeure porteuse de nombreuses promesses pour notre santé, notre qualité de vie, l’avenir environnemental de la planète », et qui n’a pas trouvé le temps, cinq jours après le début de la catastrophe nucléaire japonaise, de commenter cette expérience scientifique à ciel ouvert. Mercredi 16 mars 2011, son blog titre en une sur la « 9e édition des Trophées des sports ».

En janvier 2007, Pièces et main d’œuvre publiait « Minatec survolté, énergie engouffrée », texte qui soulignait l’un des innombrables mensonges des nécrotechnologies. L’industrie high-tech n’est pas plus propre ou « économe » que la métallurgie ou la pétrochimie. L’ouverture de Minatec fait bondir la consommation électrique de Grenoble de 17,6 %. Pour répondre aux besoins énergétiques des labos de nanotechnologies (vous savez, ces technologies qui nous sauveront de la catastrophe écologique), Gaz et Electricité de Grenoble a crée un nouveau poste d’alimentation délivrant « une puissance exceptionnelle de 70 mégawatts » (GEG Infos, 2006).

Du côté de la « Silicon Valley grenobloise », à Crolles, l’Alliance STMicroelectronics/IBM et son usine à puces  électroniques engloutissaient 370 millions de kWh en 2008, contre 320 en 2004, soit une augmentation de 16 %  en quatre ans. François Brottes, député-maire de Crolles, à propos de la rénovation d’un poste de transformation  électrique 225 000 volts dans le Grésivaudan : « C’est vital sur notre territoire, où beaucoup d’emplois dépendent d’un approvisionnement en énergie sûr et continu. Si le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics a choisi de s’implanter à Crolles, c’est parce que nous avons pu lui apporter des garanties sur la fourniture d’électricité. » Comme pour l’eau, faut-il le rappeler.

La « révolution industrielle » des nanotechnologies exige toujours plus d’énergie, pour faire tourner les « fab » de nanomatériaux et de puces électroniques. Pire, elle crée un monde encore plus vorace en électricité. Comment  croyez-vous que fonctionnent les gadgets que vous accumulez sur injonction publicitaire, par peur de rater la dernière vague du progrès ? Votre portable, votre ordinateur, votre lecteur DVD, votre écran plat, votre box Internet, votre lecteur MP3, votre tablette numérique, votre machin à lire des « livres électroniques », à quoi tournent-ils ? Cette quincaillerie moderne et tellement pratique nous précipite dans l’abîme – carbonique ou nucléaire. Écoutez cet expert de la Direction régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE Rhône-Alpes) : « On ne pourra jamais répondre aux besoins actuels avec ces énergies alternatives ».

La vie numérique et connectée que nous vendent Minatec, Minalogic et les boîtes pour lesquelles travaillent les ingénieurs grenoblois contient, parmi ses multiples promesses, celle des futures catastrophes nucléaires. Voyez plutôt :

> chaque recherche sur Google brûle autant qu’une ampoule basse consommation pendant une heure.

> les technologies de l’information et de la communication (TIC) gaspillent 13,5 % de la consommation électrique française (soit 58,5 TWh) ; les téléviseurs à écran plat et leurs périphériques (décodeurs, équipement TNT) constituent le coût le plus important. Avec un taux de croissance moyen de 10 %, les TIC pèseront pour 20 % de la consommation d’électricité française dès 2012 – soient 9 centrales nucléaires.

> la consommation d’électricité dans le secteur résidentiel de l’Union européenne a crû ces dernières années à un rythme comparable à celui du PIB global (10,8 %). Cette demande croissante est due à l’usage généralisé d’appareils comme le lave-vaisselle, le sèche-linge, le climatiseur, l’ordinateur personnel, et à l’essor de l’électronique grand public et des équipements informatiques et de communication – décodeurs, lecteurs de DVD, équipements à haut débit et téléphones sans fil (source : Reuters).

> en 2006 les « datacenters » (qui hébergent des serveurs informatiques et équipements de télécommunications) aux Etats-Unis ont consommé 61 milliards de kWh – l’équivalent de la consommation du Royaume-Uni en deux mois – soit deux fois plus que cinq ans plus tôt.

> selon un chercheur de l’université de Dresde, Internet consommera dans 25 ans autant d’électricité que l’humanité en 2008 (source : www.dotgreen.fr). Les technologies numériques tuent ces jours-ci au Japon. Ceux qui vous disent qu’on peut à l’infini augmenter la production et la consommation, le pillage des ressources naturelles, la pollution du milieu naturel, sont des criminels qui vous mentent et nient la réalité. Les limites de la Terre s’imposent à nous et nous imposent des choix. Ce n’est pas grave. Nous n’avons pas besoin d’objets « intelligents ». Nous avons besoin d’être intelligents, de déchirer le voile de la propagande techno-scientiste, de refuser la consommation meurtrière et abrutissante, de jouir de notre existence de Terriens.

La vie est tout ce que nous avons. Ce n’est pas parce qu’EDF, Areva et le CEA nous détruisent que nous devons être leurs complices. Débranchons-nous.

Pièces et main d’œuvre
Grenoble, le 16 mars 2011

Et les piscines de La Hague (sur le nucléaire)?

La tragédie continue, ce samedi 19 mars 2011 au matin. Un câble électrique, branché au réacteur n°2 de Fukushima, pourrait permettre de rétablir une partie de l’électricité, de manière à relancer le système de pompage de l’eau destinée à refroidir les monstres échappés de l’enclos. On se croirait dans les Shadoks, cette série télévisée que je regardais quand j’étais gosse. Je rappelle pour les jeunes que ces personnages animés passaient un temps considérable à pomper. Si je me souviens bien, on ne savait plus très bien pourquoi. Mais on pompait. Pour détendre un peu cette sinistre atmosphère, un florilège de citations tirées de cet univers foutraque.

1 : « Ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir. Autrement dit : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »

2 : « Il vaut mieux pomper d’arrache-pied même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas. »

3 : « S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. »

4 : « Je pompe donc je suis. »

5 : « Quand on ne sait pas où on va, il faut y aller… et le plus vite possible ! »

Comme je n’entends pas vous laisser le sourire aux lèvres, je vous glisse ci-dessous le texte d’une dépêche de l’AFP. Que naisse, que renaisse en France un vrai mouvement antinucléaire, capable de poser toutes les questions. Dont celle des piscines non couvertes de La Hague. Non couvertes, mais chauffées. Pardi.

La sûreté des piscines de combustible nucléaire en question après Fukushima

CAEN – La catastrophe de Fukushima pose la question de la sûreté des piscines à combustibles nucléaires usagés, qui ne sont jamais pourvues d’enceintes de confinement, y compris à l’usine Areva de la Hague, ou d’énormes quantités de matière radioactives sont entreposées. « La sûreté des piscines, c’est “la” question après Fukushima. Aucune au monde n’est protégée par une enceinte de confinement » de la radioactivité, comme c’est le cas pour les réacteurs, souligne le physicien David Boilley, président de l’Association pour le contrôle de la radioactivité de l’Ouest.

A Fukushima, les Japonais se battent pour éviter que les combustibles des piscines des réacteurs 3 et 4 n’émergent de l’eau dont le niveau baisse en raison de l’évaporation, liée à la panne des systèmes de refroidissement. Si le combustible dégradé se retrouvait à l’air libre, le rayonnement pourrait être tel qu’il risquerait d’interdire l’accès au site, où plusieurs autres réacteurs sont dans une situation critique.

Toutes les centrales nucléaires du monde disposent d’une piscine destinée à recueillir les combustibles irradiés. Mais l’usine de retraitement d’Areva à la Hague, l’un des plus gros entrepôts de matière radioactive au monde, préoccupe particulièrement les écologistes, à commencer par Yannick Rousselet, chargé des questions nucléaire de Greenpeace France. « Soixante des 74 tonnes environs de plutonium recensées en France se trouvent à La Hague », affirme-t-il. Toutefois, nuance Monique Sené, chercheuse au CNRS et co-fondatrice du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), la nature des combustibles diffère de ceux d’une centrale. « On aurait plus de temps pour agir à La Hague que pour les piscines de réacteurs car les combustibles y sont moins chauds. Mais si on échoue, c’est plus grave », souligne cette scientifique.

Seul pays à produire plus de la moitié de son électricité (75%) avec le nucléaire, la France concentre la majeure partie de ses combustibles usagés dans les 48.000 m3 d’eau des piscines de la Hague, où travaillent 5.000 personnes. Celle du réacteur 4 de Fukushima ne fait que 1.000 m3. En 2001, un rapport du cabinet Wise au Parlement européen évaluait à « 67 fois Tchernobyl » les conséquences d’un attentat contre le site. Cela « semble exagéré », avait alors commenté l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Areva relativise aujourd’hui toute comparaison avec le drame de Fukushima. « Nos combustibles ont passé un à deux ans dans les piscines des centrales avant d’arriver à La Hague. Ils sont dix fois moins chauds que ceux de Fukushima », argumente le directeur de la communication de l’usine, Christophe Neugnot. Aussi, en cas de panne totale des systèmes de refroidissement et de secours, « il faudrait au moins une semaine » pour que les combustibles commencent à émerger, assure Areva qui souligne disposer d’une réserve de 250.000 m3 d’eau. Le site, juché à 180 m d’altitude, est à l’abri d’un tsunami et le risque sismique, modéré, a été pris en compte, selon cette source. Pour Mme Sené et M. Rousselet, le site n’est toutefois pas à l’abri d’une déficience technique et peut être exposé à une attaque terroriste.

Après le 11-Septembre, des lance-missiles avaient été positionnés autour de l’usine pour parer à une éventuelle attaque aérienne. Ce dispositif avait toutefois été rapidement levé, « le temps pour les militaires de prouver que si un gros porteur se déroute, un avion de chasse aurait vite fait » de l’intercepter, selon l’ASN.

(©AFP / 19 mars 2011 09h34)

Adresse aux fripouilles qui nous gouvernent (sur le nucléaire)

Je ne peux rien dire qui soit adapté à l’impensable. Je souffre. Réellement. Presque à chaque instant, je pense à ceux de là-bas. Au Japon. Aux massacrés, aux victimes perpétuelles de ce crime perpétuel qu’est le nucléaire. Ce que je peux écrire, c’est que les choses ne seront plus jamais comme avant. Ni pour moi, ni pour quantité d’autres habitants de cette terre. Je n’oublierai jamais. Je ne pardonnerai jamais. Je maudirai jusqu’à ma dernière seconde tous ceux qui ont entraîné les hommes dans ce si grand malheur.

En tout cas, tâchons de nous souvenir ensemble que le petit peuple des écologistes a eu historiquement raison. Oui, relevons la tête. Nous avons eu raison contre cette infernale coalition des grands ingénieurs et des petits politiciens. Raison quand André Giraud, ingénieur des Mines, ministre de l’Industrie sous Giscard et ministre de la Défense sous Chirac – en 1986 – voulait bâtir en France une « Shell de l’atome ». Il y est parvenu. Nous avons EDF et Areva, qui ne sont évidemment pas réformables. Le seul destin que des hommes puissent leur souhaiter, c’est la mort.

Lisez avec moi ce texte de 1973, rédigé par des scientifiques du mouvement Pugwash, et que je retrouve dans un livre paru en 1975, L’Escroquerie nucléaire (Stock) : « Les problèmes non encore résolus de la gestion des déchets et les problèmes, peut-être insolubles, qui concernent les dégagements catastrophiques de radioactivité et le détournement d’explosifs nucléaires, se combinent pour susciter de graves appréhensions, parfaitement justifiées, sur la rapide croissance de l’énergie nucléaire qui est prévue un peu partout. La sagesse d’une telle croissance doit sérieusement être mise en question dès maintenant ».

Dites-moi : qui a eu raison ? Eux, ou nous ? Giscard, Chirac, Mitterrand, Rocard, Marchais, et leurs pitoyables successeurs ? Ou bien les écologistes ? Qui a raison aujourd’hui ? Ceux qui pleurent de compassion et de rage, ou Sarkozy, prêt à vendre du nucléaire à toutes les brutes de la planète ? Je me répète, jusqu’au radotage : il faut se révolter.