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Siphonnés et siphonneurs s’attaquent à un lac (cambodgien)

Y a-t-il plus prédateur, plus destructeur, plus violent qu’un ancien bureaucrate stalinien devenu capitaliste ? Je ne suis pas certain. Les gens qui ont servi les régimes communistes ont appris d’eux le mépris abyssal du peuple, des petits et des sans-grade. Voyez ce qui s’est passé dans l’ancienne Union soviétique, où des milliers de cadres de l’État et des « organes » – le KGB – se sont rués sur le pétrole, l’acier, le gaz, les forêts.

En Chine, il y a une sorte de coexistence entre pontes momifiés du maoïsme et grands managers de taille désormais internationale. Et parfois, les premiers, ou leurs enfants, sont les mêmes que les seconds. Vous verrez, nous verrons tous ce qui se passera à Cuba, quand le stalinisme tropical des frères Castro aura disparu, ce qui ne devrait plus tarder. La Havane, cette formidable ville au bord de la mer, est déjà aux mains, clandestinement, de certains chefs castristes qui continuent de mimer la révolution tandis qu’ils préparent l’invasion. L’invasion du dollar et de la spéculation immobilière. Il ne faudra plus longtemps avant que le Malecón, ce boulevard qui sépare La Habana Vieja de la mer ne devienne le rendez-vous des vrais grands friqués de la terre.

Reste – entre autres – le cas cambodgien. Je résume et survole : en janvier 1979, après une guerre-éclair, l’armée vietnamienne s’empare de Phnom-Penh, la capitale des Khmers rouges. Les grands voisins de Hô-Chi-Minh-Ville, qui ont tant aidé ces criminels à prendre le pouvoir en 1975, ne supportent plus un régime proche de la Chine, cette Chine qu’ils ont fini par abhorrer. Les Khmers rouges s’enfuient, et un nouveau régime, favorable aux intérêts vietnamiens, prend leur place.

Après quelques péripéties sans intérêt, le parti fantoche des Vietnamiens devient Kanakpak Pracheachon Kâmpuchéa, soit le Parti du peuple cambodgien (PPC). « Communiste » évidemment, ce mouvement se révèle n’être qu’un regroupement d’affairistes comme il est peu dans le monde. On a beau chercher dans les recoins, on ne trouve guère : le Cambodge d’aujourd’hui est littéralement vendu, pièce par pièce, à qui veut bien acheter. L’ONG Transparency International – certes, ses chiffres sont discutables – classe chaque année les pays de la planète en fonction de leur degré supposé de corruption. En 2007, le Cambodge occupait la 162 ème place sur 179.

Si j’évoque le sort de ce pays martyre, c’est parce qu’un nouveau projet de forban menace le seul lac de la capitale, Bœung Kak. Des milliers de pauvres sont installés sur ses rives, dans des cahuttes en bois surmontées de tôle ondulée, avec hamacs. Ils pêchent, cultivent du liseron d’eau, farfouillent, bricolent, survivent. Les puissants du palais, de leur côté, se remplissent les poches aussi vite qu’ils peuvent car, évidemment, combien de temps peut durer un tel pillage ? Tout y passe en effet : le bois tropical, les pierres précieuses, les femmes, les gosses. Tout.

L’été 2008, les riverains du lac Bœung Kak apprennent sa disparition programmée. Vous avez bien lu, comme moi : disparition. Un sénateur du parti au pouvoir, Lao Meng Khin, a été opportunément nommé directeur d’une société coréenne, à moins qu’elle ne soit japonaise, qui s’appelle en tout cas Sukhaku. Et son ami le gouverneur de Phnom Penh, lui aussi hiérarque du PPC, a aussitôt décidé de lui vendre le lac, tout bonnement, pour la somme de 79 millions de dollars. Je ne vous ferai pas l’injure de vous demander où ira cet argent.

Quant au lac, on le siphonnera en totalité, de manière que poussent en lieu et place des centres commerciaux et des résidences de luxe en priorité destinés aux touristes étrangers, cette lie de toute terre humaine. Si vous souhaitez en savoir davantage, je vous laisse deux liens en français. Le premier est un communiqué d’Amnesty, que je trouve pour ma part lamentable, qu’on me pardonne (ici). Tel que je le lis, il donne son accord à la destruction, à la condition d’y mettre les formes. Le second est un article fort bien fait d’une Française installée en Asie, Catherine Monin (ici). Bien des choses y sont dites, y compris entre les lignes.

Encore des mauvaises nouvelles ? Je le crains. J’en suis même à peu près certain. Et je comprends de mieux en mieux ceux qui se bouchent les oreilles et se pincent le nez. Mais je ne sais pas faire autre chose de mes dix doigts. Notez qu’il est encore temps, peut-être, de me lancer dans le maraîchage. Ne riez pas, j’y songe.

Cet autre 14 juillet 2009 (merci à Raton Laveur)

Sans l’un des lecteurs réguliers de ce blog – Raton Laveur-, je n’aurais jamais découvert une dépêche de l’AFP datée du 14 juillet passé. Souvenez-vous – cela ne coûte rien – qu’en 1789, une poignée de grands délirants, dont certains étaient sûrement ivres de mauvais vin, s’attaquèrent à une prison parisienne. La suite est assez connue, qui donna naissance au mythe de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Bien entendu, ce n’était pas sérieux. Enfin, voyons : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Il n’empêche. La blague étant savoureuse, elle fit rire des générations entières, dont certaines, l’arme au poing, la prirent pourtant au pied de la lettre. Venons-en aux faits d’aujourd’hui. Il existe sur le net un site dédié au landgrabbing, que je vous invite à visiter au plus vite (ici). Il vient d’être créé par une ONG parmi les plus intelligentes au monde, Grain (ici, en français), et vous serez probablement parmi les premiers à y jeter un œil en France.

Le landgrabbing est un crime moderne contre l’humanité souffrante. Il s’agit de l’accaparement des terres dans les pays du Sud par des sociétés transnationales du Nord, des pays émergents – la Chine -, des pétromonarchies sans terre comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Ces très braves gens achètent des terres arables par millions d’hectares. Pour spéculer. Pour assurer leur consommation – de viande, surtout – à long terme. Par détermination stratégique, chez ceux qui ont compris que l’avenir appartient aux terres agricoles.

Bref. Un crime épouvantable de plus, qui se marie avec celui des biocarburants. Admirablement, je dois le dire. Je vous laisse lire la dépêche AFP avec laquelle j’ai commencé ce billet. Elle est datée,  je radote affreusement, du 14 juillet, qui laissa des souvenirs et d’infinis regrets. Lisez.

DELTA DE LA RIVIERE TANA (Kenya) « Nous pouvons être expulsés à n’importe quel moment. Ils vont devoir assécher la zone et tout ce qu’il nous restera sera la pauvreté ». Bernard Onyongo, pêcheur de 65 ans, voit son mode de vie menacé par la ruée sur les terres arables africaines. Confrontés à un projet agricole qatari et trois autres de bio-carburants sur des dizaines de milliers d’hectares, Bernard et 20 000 villageois du delta de la rivière Tana, au nord-est du Kenya, ont fait ces derniers mois l’amère découverte d’un phénomène mondial, le “land grabbing” ou accaparement de terres.

Une ressource vitale et abondante, l’eau, a modelé dans cette région du nord-est du Kenya un paradis terrestre, exemple rare d’harmonie entre l’activité humaine – pêche, agriculture, élevage – et une faune sauvage foisonnante d’hippopotames, crocodiles et autres oiseaux. Ce fragile équilibre est menacé de mort par plusieurs projets du gouvernement kényan et de compagnies étrangères qui veulent y cultiver de la canne à sucre et du jatropha pour produire des bio-carburants. Le plus avancé est mis en oeuvre par la principale compagnie sucrière kényane, la Mumias Sugar Compagny (MSC), en collaboration avec l’agence gouvernementale de gestion du site.

De même, un protocole d’accord passé fin 2008 entre le Kenya et le Qatar, confirmé à l’AFP par une source à la présidence kényane, prévoit l’allocation au Qatar d’environ 40 000 hectares pour des fins agricoles en échange de la construction d’un port moderne sur l’île voisine de Lamu. Si les communautés locales affirment ne pas être opposées par principe à ces projets susceptibles de générer des revenus, elles rejettent catégoriquement celui de la MSC, qui entraînerait selon elles le déplacement de 22 000 villageois et l’assèchement des terres humides. En dépit du soutien d’ONG kényanes, elles ont perdu leur première bataille : la Haute cour de Malindi (est) a rejeté leur plainte courant juin, permettant de fait la reprise du projet gelé depuis fin 2008.

Les habitants du delta ne sont pas les seuls concernés par ces projets: la rivière Tana et un réseau complexe de petits lacs attirent des dizaines de milliers de têtes de bétail du grand nord-est Kényan à la saison sèche. « Depuis de nombreuses années, le delta est utilisé par les pastoralistes pour les pâturages, surtout en saison sèche. Si vous enlevez le delta (…), leur mode de vie disparaîtra », résume Hadley Becha, président d’une ONG environnementaliste, la East African Wildlife Society. « Le bétail n’aura d’autre endroit (de pâturage) qu’une fine bande entre la rivière et le projet. (…) Les crocodiles vont se retrouver concentrés dans la rivière, une situation dangereuse pour les troupeaux et les humains », s’alarme Maulidi Kumbi Diwayu, responsable associatif local.

Au coeur de ce litige figure la question, centrale au Kenya, de la propriété foncière: l’ultra-majorité des populations locales Orma ou Pokomo n’a pas de titre de propriété et l’Agence (gouvernementale) pour le développement des rivières Tana et Athi affirme être le vrai propriétaire foncier. Rares sont ceux – à l’image du chef de village de Didewaride, le septuagénaire Worede Dela Godana Jara – à pouvoir exhiber un titre de propriété délivré en 1923 à son aïeul par l’administration coloniale britannique… Reste un mince espoir pour les communautés locales: leur site pourrait être prochainement classé au sein de la Convention internationale « Ramsar » sur les zones humides qui, sans exclure les projets agricoles, prévoit une gestion durable des ressources naturelles.

(©AFP / 14 juillet 2009 09h34)

Jean-Marc Ayrault chef d’escadrille (l’aéroport de Nantes)

N’insultons pas, n’insultons pas, n’insultons pas. Vous m’excuserez sans doute, mais il me faut parfois reprendre ma respiration. Je n’insulterai donc pas monsieur Jean-Marc Ayrault, député-maire de Nantes, et socialiste pardi. Et je ne ferai aucune allusion à cette blague de deuxième zone selon laquelle si tous les cons volaient, il ferait nuit. Et non plus à cette autre qui prétend que dans le cas où les…disons les imbéciles s’amuseraient à survoler les cieux, certains d’entre eux seraient fatalement chefs d’escadrille.

Ces plaisantes précautions étant prises, passons aux choses sérieuses. À Nantes et dans toute sa région, une coalition d’élus de gauche et de droite exige désormais un second aéroport pour le chef-lieu de la Loire Atlantique. Prévu autour de Notre-Dame-des-Landes, ce nouvel aéroport engloutirait 2 000 hectares d’un bocage d’une qualité exceptionnelle dans l’ouest de la France. Ce territoire semi-naturel abrite de vrais paysans, de vrais oiseaux – dont la chevêche d’Athéna, l’engoulevent, le busard Saint-Martin -, de vrais mammifères, d’authentiques insectes, tels le pique-prune et le lucane cerf-volant.

Donc – mon énervement revient à vive allure -, des soudards veulent à nouveau détruire. Leurs raisons avouées sont si grotesques qu’elles sont ridiculisées même par des pilotes professionnels. Dans le quotidien Ouest-France du 6 octobre (ici), deux d’entre eux se moquent ouvertement des politiques – Ayrault en tête – qui veulent ce foutu aéroport. Attention aux éclaboussures, car elles ne doivent pas sentir la rose. Question : « Que pensent les pilotes du projet d’aéroport à deux pistes parallèles envisagé à Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes ? ».

Réponse : « Ça ricane. On se moque des hommes politiques décidés à construire un projet pharaonique, un grand aéroport de l’Ouest à quatre millions de passagers, dans un contexte où, au mieux, hors crise, le trafic en Europe ne progresse que de 1 %. Contrairement à l’Asie, qui fait des scores à 5 % et plus ». Attendez la suite : « À Londres-Gatwick, le dixième aéroport du monde, qui accueille 34 millions de voyageurs, il n’y a qu’une piste, comme à Nantes, où on n’en a que 2,7 millions. Et ne parlons pas de Genève, où l’on n’a qu’une piste et du relief autour ». Une dernière, pour la route, avant que vous ne lisiez le tout, comme je vous y invite : « Deux pistes, c’est du délire ! Le trafic ne le justifie pas. Il y a plein d’endroits où les pistes moisissent. À Bordeaux, on n’utilise plus la deuxième piste. À Metz-Nancy, on a une piste magnifique créée il y a quinze ans, mais personne n’y va ».

Bon, bon, bon. Je dois ajouter que les deux pilotes ont choisi l’anonymat. Ouest-France étant un journal très respectueux des lois et des hiérarchies, je ne doute pas une seconde des propos tenus et de la qualité de pilotes de ceux qui les ont prononcés. Mais alors, dites, nous en sommes donc là ? Des professionnels, sachant de quoi ils parlent, se cachent pour parler d’un projet lamentable qui pourrait engloutir des milliers d’hectares de nature et des milliards d’euros d’argent public ? Nous en serions là ? Possible. Probable.

Et nos élus ? Oui, il convient, en bon démocrate que je suis, de donner la parole à Jean-Marc Ayrault, apparatchik et cumulard incomparable. Jadis professeur d’allemand, Ayrault est à la fois maire de Nantes – près de 300 000 habitants -, député, président de Nantes Métropole – 24 communes et 580 000 habitants -, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche de cette même Assemblée. Ce monsieur est un génie méconnu, un magicien digne du grand Houdini, un être venu d’ailleurs, capable de distendre les frontières du temps.

(Ci-contre, Harry Houdini en 1899. Toute ressemblance avec Jean-Marc Ayrault serait l’effet de quelque facétie de très mauvais goût. Par chance pour vous, je n’en suis pas encore là.)

Alors, que nous dit ce cher monsieur Ayrault ? Interrogé par l’inévitable Ouest-France, not’ bon maire déclare : « J’attends de l’État qu’il fasse les bons arbitrages, et de François Fillon qu’il ne laisse pas tomber l’Ouest ». Je contextualise, comme il faut dire quand on veut paraître sérieux : il n’y a pas de blé pour faire cette si belle installation, et l’État a intérêt à banquer. Mais vite ! Car Fillon n’est pas immortel, du moins en tant que Premier ministre. Or il a longtemps été président du Conseil régional des Pays de la Loire, région où se trouve Nantes, et cela crée des liens, par-delà les dérisoires oppositions politiques.

Admirez le ton d’Ayrault ! Il ne faut pas laisser tomber l’Ouest. Si pas d’aéroport, plus d’Ouest. Que claquent les dents des grabataires, s’ils en ont encore ! Plus d’Ouest ! Parce que l’État, ce vilain, ne voudrait pas payer. Pour être bien sûr qu’on a tous compris, Ayrault ajoute, sublime : « Aujourd’hui, alors que l’effet TGV s’estompe, l’avenir se joue sur quelques dossiers stratégiques pour lesquels nous devons être intransigeants et combatifs ».  Oh, mais c’est merveille. L’effet TGV s’estomperait ! Il faudrait donc faire plus, dépenser plus, aller plus vite et plus loin jusqu’au fin fond de la crise écologique planétaire. Vous savez quoi ? J’admire les visionnaires. Je me figure Ayrault avec un beau képi à jugulaire, tapi dans une casemate de la ligne Maginot, tandis que les blindés allemands de Guderian passent tranquillement à travers les Ardennes. Ô mânes de Gamelin! Ô grand général français de la débâcle de mai-juin 40, tu n’es pas mort pour rien. La descendance est là.

Et bien là. Dans la foulée du chef, 18 élus de la région sont montés au front, sous la mitraille. Lisez, je vous prie, c’est grand-guignol (ici). Ayrault à nouveau, qui souhaite « remettre un peu de rationalité dans un débat qui déclenche beaucoup de passion et de désinformation… On veut faire peur, mais le transfert de cette plateforme, l’une des six plus importantes de France, est indispensable…». IN-DIS-PENSA-BLE, père Ubu, j’allais justement le dire. Charles Gautier, maire de Saint-Herblain : « L’événement le plus important depuis cinq ans dans la métropole nantaise a été la conférence Nantes-Rennes… Et dans ce rapprochement, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est une pièce maîtresse du dispositif ».

Pièce maîtresse, dispositif : vous voyez bien que ces gens sont des militaires en mission commando. Sachez qu’en conséquence, il n’y aura pas de prisonniers. Et la victoire sera donc complète, ou la déroute totale. Je constate, non sans un sourire en coin, que cette grande offensive industrialiste et dévastatrice est pour l’heure menée par des élus de gauche. La gauche, les amis ! La gauche ! Le progrès, il n’y a que cela de vrai.

PS : Quel est le moteur, à explosion bien sûr, d’un Ayrault ? Oui, quel peut bien être ce moteur-là ? À part le bien public, évidemment. Alors ? Hum, pour être sincère, je ne suis sûr de rien. Et si c’était seulement le plaisir si répandu de déposer sa crotte là où tout le monde pourra la voir ? Et si c’était seulement le bonheur de se dire : moi, moi, moi ? Mais j’oubliais le fabuleux destin de l’Ouest, où ai-je la tête ?

Obama sera-t-il celui qu’on croit (ou non) ?

Il faut toujours essayer – essayer au moins – de se mettre à la place des autres. Certains en sont rigoureusement incapables, mais est-ce une bonne raison pour renoncer ? L’agence de presse mondiale Reuters vient de réaliser un simple calcul basé sur les émissions de gaz à effet de serre de différents pays développés en 1990. On le sait – ou on ne le sait pas -, il est question de diminuer les émissions de 80 % d’ici 2050 dans les pays du Nord, par rapport à ce qu’elles étaient en 1990, considéré comme un point zéro.

Certains jugent que cet objectif n’est pas suffisant, et qu’il faudrait parvenir à 90 % de baisse si l’on veut obtenir un accord avec les pays du Sud, la Chine en tête, au cours de la grande conférence sur le climat qui doit se tenir en décembre à Copenhague. Alors, et cette comparaison Reuters ? Eh bien, je vous avoue sans fard qu’elle m’a fait toucher du doigt l’extrême difficulté de tout nouveau protocole climatique. Reuters s’appuie sur un paramètre qui n’est guère retenu dans les discussions sur le climat : la démographie (ici).

En 2050, si les courbes se maintiennent, les États-Unis compteront 60 % d’habitants en plus par rapport à 1990.  Soit environ 400 millions de citoyens. Dans le même temps, pour des raisons que je n’ai pas le temps de détailler, mais qui sont très éclairantes sur la marche du monde, la population russe chuterait d’environ 20 % Et c’est bien là que tout se complique épouvantablement. Brian O’Neill, chercheur au National Center for Atmospheric Research : « Certains pays pourraient bien dire : mais comment se fait-il que vos droits d’émission sont deux fois plus élevés que les nôtres dans un un monde où nous sommes censés partager équitablement le fardeau ? ».

O’Neill pense en priorité aux États-Unis, dont chaque habitant, en 2050, ne pourrait plus émettre, en cas de diminution de 80 %, que trois tonnes de gaz carbonique par an, contre…27 en 1990. Dans le même temps, les Russes auraient, eux, un « droit » d’émission individuelle de près de 6 tonnes. Le double ! Bien entendu, ces calculs et cris d’orfraie masquent mal l’essentiel. Et cet essentiel, au moment où j’écris ces mots, c’est que rien n’a réellement changé depuis le Sommet de la terre de Rio, en 1992. George Bush père avait déclaré pour l’occasion que le niveau de vie américain, basé sur l’extrême gaspillage des ressources naturelles, n’était en aucun cas négociable.

En ira-t-il autrement avec Obama ? Je n’ai pas la réponse, et je mise, malgré tout, et peut-être contre l’évidence, sur un sursaut. Obama tient la chance inouïe, qui ne se représentera certainement plus pendant son mandat, de défier l’ordre industriel surpuissant sur lequel reposent les états unis de l’Amérique. Il mériterait ainsi, et au-delà, son prix Nobel de la Paix. Mais quelque chose me dit que la tourmente autour de la réforme du système de santé, provoquée par une droite monstrueusement égoïste, n’est rien à côté de ce qui se prépare.

À Copenhague, dans quelques semaines, nous saurons bel et bien ce qu’il faut penser d’Obama. J’ai pris un peu d’avance sur le sujet, et sérieusement étrillé le président américain et ses naïfs adorateurs (ici). Seulement, je suis tout prêt à écrire que je me suis trompé sur son compte. Je suis tout prêt à me traiter d’idiot, et à reconnaître en lui le grand réformateur que le monde espère tant. On verra. Je verrai.

Shanghaï, l’Expo universelle et le Pavillon français (Delon compris)

Je crains de ne pas beaucoup vous épater. Il y a le monde et sa réalité, la marche vraie des événements, le déploiement des machines, la mobilisation des capitaux et l’expansion des casinos, les voyages en jets privés, les fêtes au champagne et à la coke du côté de Miami ou Nice ou Paris ou Moscou, la destruction systématique des écosystèmes de la planète. Il y a donc cela, dont vous avez probablement entendu parler. Et puis le décorum.

J’aime beaucoup ce mot de décorum. Prenez l’un de ses sens, assez dépréciatif certes : le décorum est bien souvent le théâtre des apparences, dans les coulisses duquel se trament les vraies intrigues. Autre signification proche, tout autant digne d’intérêt : le flan. Le décorum n’est bien souvent que du flan pur et simple, une sorte de cérémonial auquel se livrent par force, ès qualités, des personnalités officielles. Bien que détestant Céline pour la raison que cet homme était fou de racisme, je vous citerai tout de même un court extrait de Mort à crédit. À l’époque où il publie ce livre, en 1936, Céline est encore célébré par la gauche, et n’a bien entendu pas écrit ses futurs pamphlets gorgés d’antisémitisme.

Cet extrait, le voici : « Tout ça c’est des chinoiseries! Que des formalités banales! C’est pour l’extérieur! Pour la forme! Faut pas vous frapper! Ils vont vous relâcher tout de suite! C’est un décorum! ». Je trouve cela marrant, d’autant plus qu’il réunit le mot décorum et celui de chinoiseries. Or, je vais vous parler de Chine, et de Shanghaï surtout. Encore un mot. Le décorum écologique, en France, aura rassemblé à l’automne 2007 de nombreuses dupes plus ou moins volontaires de Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er, dit Sarkozy. Je veux parler, évidemment, du Grenelle de l’Environnement, auquel tant de gens, notamment tant d’écologistes officiels, ont intérêt à croire.

Et maintenant, Shanghaï. J’ai souvent parlé de cette ville, dès les débuts de Planète sans visa (ici). La mégapole représente le concentré planétaire de ce que la société industrielle produit et surtout détruit. Cette ville de 19 millions d’habitants offre à ses riches ce que nous connaissons ici, tandis que ses innombrables miséreux campent aux frontières lointaines, entre bidonvilles et cités perdues dans les brumes toxiques du chauffage au charbon. Et elle s’enfonce inexorablement dans le sol, à mesure que l’on surexploite la nappe phréatique polluée qui lui sert d’alimentation en eau domestique et industrielle.

Cauchemar ? Je ne vous le fais pas dire. C’est pourtant ici que commencera le 1er mai – j’imagine que les drapeaux rouges seront de sortie – la grande Exposition universelle que Shanghaï prépare avec frénésie. Coût direct : trois milliards d’euros. Un montant qu’il faut sans doute multiplier par dix pour intégrer tous les frais indirects. Entre 70 et 100 millions de visiteurs sont attendus. Et comme de coutume, de nombreux pays disposeront d’un pavillon national, vitrine de leur technologie, appât destiné à la signature de nombreux contrats d’équipement (ici).

Je vous rappelle, à toutes fins utiles, que la France sublime de Notre Seigneur a lancé en octobre 2007 une « révolution écologique » complète, qui fait de notre nation un champion mondial. Toutes les gazettes le confirment, cela doit donc être vrai. Il n’empêche que, parallèlement, nos nobles représentants auront tout fait pour que Shanghaï accueille cette Exposition. Laquelle se tiendra au centre de la ville, sur une surface égale à deux fois celle de Monaco. Monaco n’est pas très grand, mais tout de même. Pour parvenir au résultat voulu par les bureaucrates devenus businessmen, on a viré un nombre considérable de gens. Je n’ai pas le chiffre exact, mais il faut compter en dizaines de milliers de personnes. Dehors les gueux ! Dehors les prolos ! Le thème charmant retenu pour l’Expo – on en mangerait – est : « Meilleure ville, meilleure vie ».

L’objectif est noble, mais sera peut-être difficile à atteindre. En 2010, au moment de la grande Expo, la Chine sera probablement le plus grand marché automobile du monde. Ce pays, qui ne comptait pratiquement aucune autoroute il y a vingt ans, en a construit environ 55 000 km. En 2015, demain, le cap des 100 000 km aura été franchi. On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi l’État français investit en notre nom des dizaines de millions d’euros pour bâtir le Pavillon de la France, qui pourrait ne pas être démonté après le rendez-vous de mai, et devenir une affiche commerciale permanente pour notre grande industrie. Laquelle est très active là-bas, ce qui ne surprendra personne.

Lafarge, Sanofi Aventis, LVMH, EDF, Dassault Systèmes ont donné leur obole pour la construction de notre Pavillon, et en espèrent, comme de juste, un rapide retour sur investissements. Le bâtiment exprimera-t-il, selon vous, la « révolution écologique » dont nous sommes chaque jour les témoins ébahis ? Se contentera-t-il, plus prosaïquement, d’en mettre plein la vue à des décideurs chinois à Rayban, qui ne pensent qu’aux sacs Vuitton et aux Limousine longues comme des trains ? Je ne vous laisse pas même le temps de réfléchir, car je suis une peau de vache.

L’architecte du Pavillon, Jacques Ferrier, présente comme suit la « ville sensuelle » censée être représentée par le bâtiment français : « Nous mettons en sce?ne l’e?quilibre entre “technicite?” et “sensualite?”, entre “cre?ation” et “permanence”, entre “innovation” et “qualite?”, entre “action” et “pense?e” entre “ville” et “territoire”. Cet e?quilibre est a? la base du “message simple et dense” qui va donner une identité remarquable et me?morable a? la France dans le cadre de l’exposition universelle de 2010. Cette ide?e d’e?quilibre cre?atif et dynamique efface l’opposition ste?rile entre “la France traditionnelle et moderne” e?voque?e dans le programme ».

Je suis bien certain que vous adorez cette novlangue qui ferait pâlir d’envie George Orwell s’il était encore parmi nous. Moi, je donne d’emblée 20/20 à ce monsieur Ferrier. Impeccable. Superbe. Inoubliable. J’ajoute que parmi les trouvailles architecturales, nous aurons droit pour le même prix à un jardin. Un jardin ? L’occasion d’enfin clamer notre amour torride pour les relations écosystémiques entre espèces ? D’entonner en chœur une ode aux papillons, insectes et rouges-gorges ? Pas tout à fait. Celui de Ferrier sera vertical – ah, l’art ! l’art ! – et taillé scrupuleusement à la française. Évidemment. Je rappelle qu’un jardin à la française « porte à son apogée l’art de corriger la nature pour y imposer la symétrie ». Mais quel beau message, hein ?

Ultime cadeau : le parrain du Pavillon français sera…Alain Delon. On ne rit pas. Sur le site du bâtiment en construction (ici), la photo du comédien date d’environ trente ans. Il est loisible d’y voir, mais je peux me tromper, le triomphe du faux.