J’ai fait de la voiture. Des heures, je veux dire, ce qui m’arrive bien rarement. En tout cas, chemin faisant, dans la nuit, j’écoutais France-Culture. Je suis loin d’être un habitué, mais ce soir-là, j’écoutais donc. Et j’ai pu ainsi suivre un long échange entre Régis Debray et Hubert Védrine. Le premier, je le précise pour la jeunesse, est né en 1940. Philosophe de formation, il a connu le Cuba du tout début des années 60 et il est devenu très proche de Castro, l’apprenti dictateur d’alors. Dans la foulée, il a écrit un petit texte exécrable qui allait devenir le bréviaire de nombre de guerillas latino-américaines de cette époque : Révolution dans la révolution ?
Je ne me moque pas de Debray, car il a payé de sa peau. En 1967, il rejoint dans son maquis bolivien Ernesto Che Guevara, avant d’être capturé par les militaires locaux. Il passera au total quatre années dans des geôles que j’imagine peu propices à la joie de vivre, avant d’être libéré par un coup d’État providentiel. Son courage n’est donc nullement en cause, mais je constate qu’il aura adoré au long de sa vie Castro, Allende, Mitterrand, De Gaulle, et j’en oublie, bien obligé, quantité d’autres.
Quant à Védrine, qui n’a lui pas beaucoup bougé des bureaux à ors et velours, il a été secrétaire général de l’Élysée sous Mitterrand, puis ministre des Affaires étrangères. Il se considère, la gauche mollassonne qui règne le considère comme un grand diplomate. Peut-être l’est-il ? J’avoue me désintéresser pleinement de la question.
Revenons à leur entretien. Ces deux personnages se jugent et se traitent comme des gens cultivés dans un milieu – la politique, au sens large – qui ne l’est pas. Ils n’ont d’ailleurs pas manqué de le souligner et de le répéter sur France-Culture. Eux font partie du cercle enchanté du livre. Védrine tient Debray pour un grand intellectuel, dont le travail sera tôt ou tard reconnu comme de premier plan, etc. Au fait, de quoi parlaient-ils ? D’Europe, ce me semble, d’une manière qui m’a paru soporifique. Mais je suis de parti pris, je le reconnais. Quoi qu’il en soit, ni l’un ni l’autre n’ont seulement évoqué la crise écologique planétaire, car celle-ci ne fait bien entendu pas partie de leur si profonde « pensée ». De leur paradigme, si vous voulez.
Elle n’existe pas, dans leur esprit du moins. Deux hommes de premier plan, se rencontrant en 2009, démontrent que l’événement le plus important advenu dans l’histoire des hommes n’existe pas. Védrine a pourtant fait quelques déclarations dans lesquelles il plaidait pour une « conversion des modes de vie » à l’écologie. Rien que cela. Et ? Que dalle. Comme Fabius et quelques autres de la joyeuse troupe, Védrine a compris que quelque chose se passait. Mais quoi ? Mystère. Debray pour sa part, auteur d’une bonne trentaine de livres – de mémoire – n’en a écrit aucun qui parle de la sixième crise d’extinction des espèces, du bouleversement des océans, de la crise climatique, de la déforestation, de la question de l’eau, etc. Il n’aura pas même trouvé le temps de s’intéresser aux paysans du Sud, au nom desquels – mais sans jamais leur demander leur avis – il prit jadis les armes. Aucun des deux compères n’a écrit quoi que ce soit de notable sur le sujet central de toute politique humaine.
Où veux-je en venir ? À ce point très simple : la pensée dominante, y compris celle qui ne se donne pas pour telle, est incapable d’aider les hommes à y voir plus clair. Ceux qui se prétendent des intellectuels sont des aveugles, des aveugles comme on en rencontra peu depuis que l’homme est l’homme. Voilà qui (me) fait songer.