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Et blablabla and so on and so forth (la taxe carbone)

Vous voyez bien que, chaque jour, je pourrais faire le même numéro. Je vous jure que je vais changer de sujet et parler dès la prochaine fois d’autre chose. Mais ce soir encore, le foutage de gueule à quoi nous nous condamnons – par notre incapacité collective – me monte au cerveau. Vous le savez comme moi, la taxe carbone, présentée il y a deux ans comme le cœur du Grenelle de l’Environnement, est repoussée aux Calendes grecques (ici).

Les calendes. Le mot pourrait remonter jusqu’aux si anciens Étrusques, ce qui expliquerait au passage la présence de la lettre k dans l’expression romaine Ad kalendas graecas. Les Romains, en effet, utilsaient peu de mots latins contenant la lettre k, à laquelle ils préférèrent vite le c. Et les rares qui en contiennent sont semble-t-il d’origine étrangère. Quoi qu’il en soit, les calendes correspondaient dans la Rome antique à un jour bien précis, celui qui ouvre chaque mois nouveau. Par exemple le premier de Maius ou d’Aprilis ou de September.

Le jour des calendes romaines, figurez-vous que les débiteurs de toute sorte devaient payer ce qu’ils devaient. Les dettes inscrites dans les calendaria – sortes de livres de comptes – devaient être honorées. Mais pourquoi parle-t-on aujourd’hui de calendes grecques ? Simplement pour la raison que la Grèce de Platon et de Socrate n’a jamais connu de calendes. Envoyer quoi que ce soit aux calendes grecques est donc le meilleur moyen de ne jamais payer ses dettes. Très exactement ce que fait le gouvernement de messieurs Sarkozy et Borloo en proposant un grotesque Livre blanc sur la taxe carbone, qui sera suivi de réunions d’experts et de « conférences de consensus » avant d’être examiné de près en 2011, à la veille d’élections présidentielles délicates. Tout cela est on ne peut plus crédible.

Comme est crédible la présence de Michel Rocard, ci-devant ponte socialiste, qui aura décidément tout raté, jusqu’à sa sortie. Quel (vague) souvenir gardera-t-on du vieux monsieur ? Probablement qu’il servit de paillasse à Mitterrand. Peut-être qu’il s’agita en vain pendant une trentaine d’années, avec quelques autres qui lui ressemblaient tant. C’est tout de même bien peu. Je ne sais si vous êtes au courant, mais monsieur Sarkozy a décidé de faire de Rocard un président. Si. Président du machin qui permettra de jeter aux oubliettes toute idée d’une vraie réforme écologique de la fiscalité. Et il a accepté. Lui, Rocard. Par Dieu ! La vieillesse est bel et bien un naufrage.

Cette vie si étrange (un avion s’abat sur les élections)

Au moment où j’écris ces lignes, il y a une semaine que le vol AF-447 Rio-Paris s’est terminé tragiquement pour les occupants de l’avion. Et le moteur de recherche « Google Actualités » dénombre la bagatelle de 1 150 articles consacrés à cette affaire dérisoire. J’écris dérisoire, car elle l’est vraiment. Elle est à ce point insignifiante qu’elle confine en effet à la moquerie pure et simple. Sauf qu’elle est aussi infiniment sérieuse.

Il va de soi que je plains les victimes et leurs proches. Mais il est certain que ce drame privé n’a pas la moindre raison d’occuper les télés, les radios, les journaux de manière obsessionnelle. J’ajouterai le mot obscène, car nous ne sommes guère loin de la pornographie de l’âme. Le nom des morts, leur passé connu ou inventé, les larmes des vivants, le soulagement d’une paire de miraculés, tout cela ressortit à l’immondice et donne la nausée. Ce qui fut un grand journal – Le Monde – aura accordé sa une et une large photo à ce fait divers. Les autres ont fait pire, à peine pire.

Je ne sais pas, dans les détails, ce que cela veut dire. Mais je sens que ce signe est d’une rare gravité. Un peuple qui s’enivre de la recherche de bouts de bidoche et de carlingue est mûr pour les aventures extrêmes. Tous les signaux s’allument. Tous les signaux sont allumés. Tous les voyants clignotent. Et ce n’est pas le grand succès télévisé du film Home – France 2 a réuni plus de 8 millions de téléspectateurs vendredi – qui y changera quoi que ce soit. Je ne critique pas, en l’occurrence, Yann Arthus-Bertrand. Cet homme dont je suis si éloigné a l’étonnante capacité – que je n’aurai jamais – de parler à des millions d’êtres de choses sérieuses. Tout le reste est second. Y compris ses financements, et donc toutes ses ambiguïtés.

Mais au fond, que penser de ce grand spectacle, que je n’ai d’ailleurs pas vu, faute de télé ? D’un côté, on peut estimer à bon droit qu’il aura fait œuvre de pédagogie. D’un autre, on ne peut qu’être frappé par la multiplication des alertes du même type. Hulot le fait – très bien – avec Ushuaïa, et tant d’autres les ont précédés que je vous en épargne la liste. Vous voulez mon avis ? Quelque chose ne tourne pas rond. J’ai le sentiment d’un simulacre. D’un dispositif par quoi des millions de gens font semblant. D’être au courant. De commencer à faire quelque chose.

Je n’écris pas pour le plaisir du paradoxe. Et sachez que je souhaite vivement me tromper. Vivement. Mais enfin, depuis combien de lunes nous répète-t-on que le compte à rebours a commencé, et qu’il ne reste plus que tant de jours, de mois et d’années avant que tout ne soit foutu ? Arthus-Bertrand, après une flopée d’autres, déclare devant tous les micros qu’on lui tend : « On a dix ans pour changer ». Le croit-il ? Croit-il qu’on peut changer de direction motrice en s’appuyant sur la BNP – qui le finance – et d’autres sponsors qui ont tous intérêt à ce que dure ce développement suicidaire ?

Je me répète : je n’écris pas pour le plaisir du paradoxe. Ni pour celui de la solitude dédaigneuse. Seulement, je ne veux plus composer avec ces illusions constantes que la doxa – cet ensemble formant confusément l’opinion du jour – nous impose. Si je suis moi dans la répétition, d’autres sont dans le radotage, qui croient, après Fairfield Osborne, Roger Heim, Rachel Carson, le Club de Rome, René Dumont, les engagements de Rio (etc) qu’il suffit de parler. Eh non ! Il faut défier, il faut désigner les points nodaux, puis s’en emparer, et donc agir, comme jamais. Non pas surfer sur le Net, mais affronter le réel, enfin. Et ce sera bien plus dur que de gagner quelques sièges de députés européens.

Un mot sur ces élections d’hier. Le succès d’Europe-Écologie n’est pas la bonne nouvelle que certains imaginent. En tout cas, telle est mon opinion. Car elle relance la machine à fabriquer des billevesées. Elle laisse croire qu’une avancée réelle pourrait passer par un gain ridicule dans des élections sans enjeu véritable. Franchement, je suis partagé entre  le rire et les larmes. Où l’on revient à l’incroyable vide de l’information et de ceux qui s’en disent les maîtres inspirés. Des centaines, demain des milliers d’articles sur le crash du vol Rio-Paris. Et de même des centaines, suivis de milliers de commentaires sur ce presque rien électoral, qui devient brutalement tout.

Moi, j’ai fait un calcul à la louche – à l’instant – du vrai résultat des élections d’hier. Sarkozy, qui tient tous les pouvoirs en mains, a réuni un peu moins de 12 % des électeurs inscrits. Un vrai triomphe. Cohn-Bendit autour de 7 %. Mélenchon et ses nouveaux amis communistes, 3 % environ. Telle est la base véritable à partir de laquelle nous pourrions commencer à analyser les chiffres. Mais nul ne le fera bien sûr. Car dans la société des décideurs de tout poil – médias inclus -, la réalité n’est plus que représentation et spectacle, théâtre d’ombres et manipulation. Non, je crois devoir vous dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Laquelle ressemble de plus en plus à celle du film d’Autant-Lara, tourné en 1951. Dans L’Auberge rouge, les voyageurs sont plongés dans une mortelle croyance. Ils pensent atteindre au repos, ils croient qu’on les nourrira bien et qu’ils pourront reprendre la route dans de meilleures conditions. Ils me font penser à quelqu’un. Ils me font penser à nous.

PS : Je sais bien que nombre d’entre vous ont voté. Je sais bien que nombre d’entre vous souhaitent pour une fois se laisser bercer. Et je le comprends d’autant plus facilement que, sans ironie, j’ai toujours aimé les comptines. Mais mon rôle, et je n’y puis rien, est de vous dire ce que je pense, sans tenir compte du reste. C’est mon destin. Mais vous l’avez sûrement compris.

Claude Allègre (as a guest star)

Ce n’est pas de gaieté de cœur que je vais vous parler encore de Claude Allègre, que la presse annonce comme l’un des prochains ministres de Sarkozy. Car, rions un peu, cet homme ne me plaît guère. Depuis plus de vingt mois que j’ai créé Planète sans visa, j’ai parlé de ce phénomène de foire un très grand nombre de fois. Et comme je ne veux pas encombrer l’espace par un énième radotage, je vous renvoie sans faire de manières aux cinq articles les plus importants à mes yeux (dans l’ordre chronologique, 1, 2, 3, 4, 5).

Je vous avoue un penchant personnel pour le numéro 1 de la liste. Écrit en septembre 2007, voici près de deux ans, il raconte un face-à-face hilarant – à mes yeux – entre Haroun Tazieff et Claude Allègre. Deux hommes « de gauche », ministres « de gauche » et formidables rigolos tous les deux. Ceux qui auront le courage de lire ce très – trop ? – long texte comprendront mieux, je le pense en tout cas, la personnalité profonde de Claude Allègre.

La plupart des commentateurs oublient ou déforment les positions réelles de Claude Allègre. Pour la bonne raison qu’ils s’en moquent éperdument. Et je ne parle pas là de ses positions sur la crise climatique, mais bien plutôt des trucs et astuces par lesquels il parvient à faire croire qu’il sait de quoi il parle. Cela, pour un homme qui se pare des vertus du scientifique, est très grave. Je dirais même plus, et sans ironie, gravissime. Je songe par exemple au soutien qu’il a apporté au Danois Lomborg, pourtant convaincu de malhonnêteté scientifique, comme je l’ai écrit une bonne demi-douzaine de fois, et pas seulement ici.

Donc, les commentateurs s’en foutent. Et tel est, selon moi, l’information la plus intéressante concernant l’éventuelle nomination d’Allègre au poste de ministre. À l’exception notable d’Alain Juppé, que je me vois contraint de remarquer (ici), la classe politique ne trouve rien à redire. Sarkozy aurait donc le droit de nommer à un poste décisif pour l’avenir – on parle d’un poste mêlant recherche et industrie – un négateur en chef de la crise climatique.

Côté socialistes, on est en pleine bouffonnerie. Il est vrai que Claude Allègre a été l’ami de près de quarante ans de Jospin. Lequel – vous en souvenez-vous ? – aura dirigé le gouvernement de la France pendant cinq ans en ne faisant strictement rien pour limiter les effets de la crise écologique planétaire. Bouffonnerie encore avec le vieux « jeune » Pierre Moscovici, interrogé par France Info. Il y a des images que je vous recommande de regarder (ici), car elles disent tout sur ce qu’est la pauvre tambouille politicienne. On y entend Moscovici raconter qu’il a croisé Allègre dans un restaurant  du quartier habituel de ces messieurs-dames – autour des Invalides -, où il déjeunait en compagnie de Catherine Pégard, conseillère de Sarkozy.

Allègre aurait alors confié à Moscovici que son entrée au gouvernement était chose acquise. Qu’ajoute à ce moment – sur France Info – Moscovici ? Non pas qu’Allègre a fait prendre à la France des années de retard dans la lutte contre le dérèglement climatique. Non pas qu’il a nié la dangerosité de l’amiante, jusques et y compris à Jussieu, où elle a fait quantité de morts. Non pas qu’il jongle sans aucun état d’âme avec des faux, comme l’a excellemment démontré le journaliste Sylvestre Huet. Mais plus sérieusement que Claude Allègre est un grand « créatif » – texto -, et surtout qu’il a mis le pied à l’étrier de Moscovici il y a 25 ans en le faisant entrer dans le comité des experts du PS. En somme, Allègre soutient Sarkozy, mais ce n’est pas si grave, car il a tant aimé Moscovici.

Cela, du côté des socialistes, donc. Et du côté de la droite, faut-il bien en rajouter ? Je plains sincèrement ceux qui ont permis à Sarko et à ses boys de monter les opérations publicitaires à répétition connues sous le nom générique de Grenelle. L’environnement, les ondes, la condition animale – mais si ! -, la mer, en attendant mieux. Pour l’heure, ces faux naïfs bandent leurs petits muscles et clament que ce n’est vraiment pas bien du tout et qu’ils ne seraient décidément pas contents de l’arrivée d’Allègre au gouvernement. Tu parles, Charles ! La vérité révélée par cette ridicule affaire, c’est que la politique en place, celle de droite comme celle de gauche, est indifférente en profondeur à des problèmes essentiels, qui n’ont jamais fait qu’effleurer son esprit.

La politique, telle que résumée par Moscovici, c’est de savoir qui a aidé qui à quel moment. Et sur qui on pourra éventuellement compter pour monter d’une marche ou ne pas la redescendre trop brusquement. Cette politique-là, éternelle je le crains, est pour la première fois confrontée à l’impensable. Car la crise écologique n’est pas seulement impensée. Elle est pour ces gens-là impensable. Elle les réduit à ce qu’ils sont, à la taille réelle de leur vision. À la taille réelle de leurs ambitions sur cette terre.  Attention, ne croyez pas que je veuille la disparition de cette classe politique, si pitoyable qu’elle soit. Elle est, et à l’évidence, elle exprime une tension perpétuellement renaissante à l’insignifiance. Mais je proclame qu’elle ne peut servir à poser les vraies questions. Mais j’affirme qu’elle ne saurait y répondre. Allègre, ou le syndrome de l’impuissance.

PS : Ne pas oublier cette grande, cette magnifique figure de la pensée que fut Cornelius Castoriadis. Je vous livre ces quelques mots de lui : « Il y a un lien intrinsèque entre cette espèce de nullité de la politique, ce devenir nul de la politique et cette insignifiance dans les autres domaines, dans les arts, dans la philosophie ou dans la littérature. C’est cela l’esprit du temps. Tout conspire à étendre l’insignifiance ».

Détendons l’atmosphère (sur le dos de NKM et du portable)

(Un mot sur les engueulades qui précèdent. Je n’ai pas le goût, malgré les apparences, de trop secouer mes proches. Or il est clair que nombre de lecteurs de Planète sans visa sont des proches. Je prie donc celles et ceux qui s’estimeraient avoir été malmenés par moi de bien vouloir m’excuser. Et leur demande de comprendre – je ne me plains aucunement – que je suis seul face à plusieurs milliers de personnes. Mon tempérament explique le reste.)

Bon, what’s up ? Vous savez sans doute qu’un « Grenelle des ondes » se déroule en ce moment. Aussi loufoque que les autres Grenelle, il se propose de mettre tout le monde d’accord, ce qui n’arrivera évidemment pas. Une dernière réunion se tient aujourd’hui, et la remise solennelle des conclusions est prévue le 25 mai. Que sera-t-il décidé ? Rien. D’après les indiscrétions qui circulent, on aura droit à un texte sur la « nécessaire transparence » – on en parle dans le nucléaire civil depuis près de quarante ans – et de « nouvelles recherches ». L’association Robin des Toits juge qu’il ne s’agit que d’une « ribambelle de vœux pieux ». Ce n’est pas loin d’être mon avis.

Dans un entretien lénifiant donné au magazine L’Express (ici), Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d’État à l’écologie, rassure à tout va. Exemple : « A ce jour, rien n’a été prouvé sur la nocivité des antennes ». Ou encore : « Il y a deux problèmes à diminuer la puissance des antennes ». Mais le meilleur est ceci : « Personnellement, je pense que notre règlementation est très datée et doit être dépoussiérée. Une mesure possible en sortie de ce Grenelle pourrait être d’aller vers des seuils plus bas, après expérimentations (attention (…), des seuils plus bas cela peut vouloir dire plus d’antennes, dans certaines configurations.) ».

Et là, c’est le top. Car la règlementation actuelle fixe des limites d’émission de 41 à 61 volts par mètre pour les antennes-relais. Madame Kosciusko-Morizet envisage donc prudemment d’abaisser cette limite, fût-ce en augmentant le nombre d’antennes. C’est à ce moment de l’histoire que j’explose de rire, car je lis de mon autre oeil la proposition de loi enregistrée à l’Assemblée nationale le 13 juillet 2005 sous le numéro 2491 (ici). Les attendus en sont charmants : « Or, la question de santé publique est sans doute l’aspect le plus grave de ce dossier, celui qui nécessite les mesures les plus urgentes. De nombreux riverains d’antennes-relais se plaignent de problèmes de santé apparus au moment de l’implantation d’antennes-relais de téléphonie mobile à proximité de leur domicile, de leur travail… Des parents s’inquiètent de voir des antennes s’implanter à proximité de l’école ou de la crèche de leurs enfants.
Ces inquiétudes s’appuient sur les résultats d’un certain nombre de recherches qui portent sur les effets des rayonnements non ionisants sur la santé, qu’il s’agisse de basses ou de hautes fréquences. La spécificité des ondes rayonnées par la téléphonie mobile se fonde, en effet, sur l’alliance entre hautes et extrêmement basses fréquences. Or, les extrêmement basses fréquences (jusqu’à 300 Hz) ont été classées, en juin 2002, après bien des années de débat, dans la catégorie « potentiellement cancérigène » par l’OMS »
.

Et maintenant, la proposition elle-même, ou plutôt son premier article : « Le niveau maximal d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication, ou par les installations radioélectriques, est fixé à 0,6 volt par mètre ». Je le précise illico, 0,6 volt par mètre est la mesure exigée par l’association Robin des Toits, et correspondrait à une division comprise entre 68 et près de 102 fois du seuil actuel.Il s’agirait donc d’une (petite) révolution qui mettrait à mal l’univers des opérateurs amis du pouvoir, Bouygues en tête.

Le drôle, mais vous l’aurez sans doute deviné, c’est que madame Kosciusko-Morizet est signataire, avec sept autres parlementaires, de cette proposition de loi ! La même qui tempère et minaude en 2009 voulait en 2005, compte-tenu des problèmes posés, diviser par 100 la limite d’émissions électromagnétiques. Mais j’en vois qui prennent encore cette politique-là au sérieux, et je me garderai bien de me moquer. Au reste, les élections européennes approchent, n’est-ce pas ?

Besancenot, le NPA et le Smic à 1500 euros (nets)

Les (très) rares fois où je vote, je suis victime d’une malédiction. Je ne peux pas tout vous raconter, mais c’est vrai. Disons qu’en ces occasions-là,  je me retrouve à voter pour des candidats baroques. Baroques à mon goût profond. Il est vrai que je n’adhère ni de près ni de loin à quelque parti que ce soit.

Pour les Européennes, je peux avouer que j’ai failli – une seconde, guère plus – voter pour le NPA de Besancenot et Krivine. Mais si. Pour une raison sans noblesse, mais que j’exprime sans honte : je voulais signifier aux classes dirigeantes de ce pays, de gauche comme de droite, qu’elles peuvent aller se faire rhabiller chez Plumeau. Je sais, cette expression sent la naphtaline. Mais leur monde aussi.

J’ai donc failli, puis je suis passé à autre chose. C’est-à-dire que j’ai décidé, comme à mon habitude, de ne pas aller voter. Nombre d’entre vous trouveront cela déplorable, et je comprends aisément leur point de vue. Mais je ne voterai pas. Et à coup désormais certain, pas pour le NPA, dont un militant m’a donné un tract voici une paire de jours à l’entrée du métro.

Ce tract est une merveille que je vais, je crois, conserver. Car il dit des choses décisives sur l’état mental, psychologique, intellectuel d’une force qui se prétend en rupture avec le monde tel qu’il va. Il rapporte bien entendu que la crise en cours est celle du capitalisme et que les riches devront en payer les frais. Qu’il convient d’interdire les licenciements et de créer un smic européen à hauteur de 1500 euros nets. Voilà une première folie, qui en appelle bien d’autres. Mais voyons donc celle-ci. 1500 euros nets par mois. L’Union européenne compte 460 millions d’habitants. Donc 1500 euros nets au minimum, distribués à cette imposante masse d’humains, dont la plupart sont vautrés dans le gaspillage des biens matériels depuis des décennies.

Concrètement, il faut bien voir ce que signifierait un tel afflux numéraire. Dans l’univers de supermarchés où nous sommes, il est certain que cet argent relancerait la consommation tous azimuts de bagnoles, de télés, de lecteurs de DVD, d’iPod, de produits alimentaires cancérigènes, de vacances frelatées, etc. J’imagine mal quelqu’un pouvoir contester cela. Si deux plus deux égalent quatre, alors le NPA revendique la fuite en avant dans la consommation de masse de produits qui, fatalement, viendront en très grande part de Chine, où les ouvriers sont des esclaves et où l’on fourre de la mélamine dans le lait des bébés. Je crois que c’est intéressant à noter.

Quant à la crise écologique stricto sensu, le NPA y consacre un encadré sur les six qu’il a retenus dans son tract. Dans l’ordre d’édition, le quatrième. Et là, mes aïeux, c’est à pleurer. Car le NPA ne sait pas qu’il y a crise, même s’il utilise cette expression comme d’autres celle de développement durable. Cela commence comme cela : « L’Europe est une énorme consommatrice d’énergie, produisant des déchets nucléaires et dégradant le climat. C’est le capitalisme qui est responsable de la crise écologique et sociale. Le paquet climat-énergie de l’Union européenne comporte des objectifs inférieurs aux recommandations des climatologues ».

Je ne sais pas qui a pondu ces lignes, mais franchement ! Pas un mot sur le sud du monde, qui devrait pourtant être notre nord à tous. Pas un mot sur les forêts, la biodiversité, les océans, les biocarburants, l’agriculture bio, la télé, la pub, l’aliénation par les objets, le téléphone portable, l’apparition si inquiétante de limites  physiques infranchissables à tout projet humain. L’auteur du tract s’en fout. Il s’intéresse à l’écologie comme la LCR le faisait dès les années 70. En la considérant comme un élément de plus. Un grief supplémentaire à mettre au débit du capitalisme. Il n’y a pas l’ombre d’une réflexion et, partant, pas l’ombre d’une véritable action. Le NPA est ailleurs.

Ailleurs, c’est-à-dire avec tous ceux qu’il prétend si fort combattre. Car le seul point concret qui est évoqué est celui de l’industrie automobile. Une question décisive, on le sait, pour tout écologiste. Or le NPA ne remet nullement en cause le modèle de la bagnole individuelle, qui est en train de détruire à la racine la Chine et menace l’Inde rurale avec la voiture Nano. Oh non ! Nos révolutionnaires écrivent que des « collectifs de travail », probablement à l’issue d’une crise politique  qui aurait rebattu toutes les cartes, devraient « assurer la production de véhicules moins polluants… ». Ainsi donc, et sans conteste, le NPA accepte l’existence d’une industrie automobile folle à lier, acharnée à rendre désirable la fin du monde, et fragmentant à l’infini, en attendant, les habitats écologiques sur quoi repose la biodiversité. Il l’accepte et la défend. Pensez-vous que, lorsque la révolution sera venue, il sera possible de brutalement tenir un autre discours à ceux qui, par hypothèse, se seraient soulevés ? Je voudrais bien voir cela.

La vérité est triste, mais elle demeure la vérité. Le NPA ne veut pas changer le monde et le sauver de crises extrêmes. Il entend que le pouvoir passe de certaines mains à certaines autres. Il n’a strictement rien compris à la nouveauté radicale des événements en cours. Il ne voit pas le caractère réellement inédit, dans l’histoire des hommes, de la destruction massive des écosystèmes, base de la vie sur terre. Et s’il est à ce point aveugle, c’est que reconnaître le principe de la limite commanderait ipso facto de s’attaquer à un siècle et demi de tradition théorique et philosophique. Non, contrairement à ce que pensait Marx, contrairement à ce qu’ont pensé ses successeurs les plus présentables, et qui appartiennent au Panthéon du NPA, l’abondance matérielle n’est pas et ne sera pas au rendez-vous.

Il faudrait au NPA une capacité qui n’appartient à aucune institution humaine : celle de se nier en détricotant les mailles de la mythologie qui l’a fait ce qu’il est. Le NPA continuera donc à rêver d’une grande explication avec les riches du monde – que je souhaite ardemment -, oubliant qu’il faudrait aussi, surtout, envisager le grand face-à-face avec nous-mêmes. Aussi bien, malgré mon plaisir à déconner quand l’occasion se présente, le NPA n’aura pas mon vote en juin. Ni personne.

PS : Je ne suis ni sourd ni complètement aveugle. Je sais bien que des gens souffrent en France de ne pas pouvoir acheter tel ou tel objet. D’être pauvre. Mais il n’y aurait rien de pire que de poursuivre dans la voie du délire matériel. Cela ne veut pas dire ne rien faire. Cela implique à mes yeux, dans un pays comme la France, un partage des richesses, volontaire ou contraint. Mais n’oublions jamais que le monde réel, qui n’est pas le nôtre, est celui où un humain doit se débrouiller avec un dollar par jour. Deux s’il a beaucoup de chance. Qu’on le veuille ou non, que cela soit plaisant ou insupportable, il n’y a PAS ASSEZ DE RESSOURCES sur terre pour offrir à tous le niveau de gaspillage occidental. Selon moi, qui défend le smic à 1500 euros nets en France nie l’égalité fondamentale entre tous les habitants humains de cette terre. Et je ne parle pas des autres êtres vivants, qui comptent tant à mes yeux. Le NPA n’a pas même entendu parler de leur existence.