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Faut-il soutenir ? (sur les Antilles)

Rapide, rapidos, deux mots. Patrick et Thibault ont évoqué en commentaire un appel d’intellectuels antillais à propos de la grève en Guadeloupe et en Martinique (ici). Thibault propose de réconcilier les points de vue – social et écologique, j’imagine – autour de ces mots en effet très frappants.

Que dire ? Je me sens une proximité totale avec les grévistes de là-bas. Et j’espère chaque matin qu’ils ne céderont pas. Je suis donc solidaire. Mais de quoi ? Voilà bien une question embarrassante. Car ces îles sont des artifices nés de la colonisation par la France, qui n’ont pour l’heure aucune autonomie économique ou énergétique. Il me semble que tout part de là. Il me paraît que l’urgence est de penser un embryon de production locale sans laquelle il n’est pas d’avenir souhaitable. Pour l’heure, la France et les intermédiaires commerciaux tiennent les Antilles par les couilles. Et ça fait mal. L’expression a son poids masculin, j’en ai conscience. Mais je n’ai rien trouvé de mieux.

Tout est importé à prix d’or. Et sur place, la camarilla des anciens maîtres blancs continue de dominer les circuits. Ce qui impliquerait, pour avancer réellement, de dynamiter le système social intérieur – on appelle ça une révolution – et de modifier en profondeur les relations avec la métropole. Jusqu’à l’indépendance ? Pourquoi pas ?

Mais il y a un hic. Le texte des intellectuels, lyrique, me fait penser à des montagnes de littérature politique élevées partout dans les années 70. Pour le moment, j’en suis désolé, rien n’indique que ce mouvement saura trouver une voie d’avenir. S’il s’agit de relancer massivement la production agricole vivrière, d’accord ! Il faudra au passage poser la question atroce de la pollution par le chlordécone – un pesticide – qui rend dangereux pour des siècles des milliers d’hectares de bananeraies. S’il s’agit de séparer les besoins en effet essentiels – un toit, une alimentation de qualité, des soins de santé appropriés – de tout le reste, d’accord ! S’il s’agit de clamer que la vie humaine doit tourner le dos à la prolifération d’objets matériels qui détruisent, aliènent et désespèrent, d’accord !

Mais s’il s’agit de combattre pour que les Antillais surconsomment de manière aussi stupide que la France métropolitaine, merde ! S’il s’agit d’arracher 200 euros pour payer la dernière facture du téléphone portable, merde ! S’il s’agit de surinvestir dans la bagnole individuelle, comme je l’ai tant vu sur place, merde encore !

Bref et malgré tout, ce mouvement me plaît beaucoup. Même si je demeure sceptique quant à la direction qu’il prendra finalement. En un dernier mot, je suis convaincu que l’avenir des Antilles passe par une réduction importante de biens importés et la chasse aux gadgets matériels. Par un recentrage sur la culture profonde du peuple créole, et sur une agriculture sans laquelle il faudra toujours tendre la main en direction de Paris. En somme, moins de supermarchés, mais plus de liberté. Moins de télé, mais plus de « cases à palabres ». En attendant de voir, et comme on dit dans des îles voisines de celles-là : suerte ! Bonne chance, bon courage, bons vents.

Besancenot et les animaux

Ce sera court, et pour une fois, c’est vrai. Besancenot. Le NPA. Je me suis fait secouer en divers lieux du Net à la suite de l’article que j’ai consacré à ce parti il y a quelques jours. Mon Dieu ! Quelle confusion mentale, morale et politique chez certains. J’oublie à chaque fois la profondeur du mal, et c’est tant mieux pour moi.

Enfin, je voulais vous signaler une joliesse des fiers et valeureux militants qui viennent de se lancer à l’assaut du ciel. Au cours du congrès de fondation du NPA, il y a quelques jours, une poignée d’adhérents a tenté de faire voter un amendement. Lequel demandait de prendre en considération « la sensibilité des animaux, eux aussi victimes de la course à la productivité ». Et de réclamer la fin de pratiques comme la corrida, l’utilisation des animaux dans les cirques ou la chasse à courre.

Bon. Rejeté, vous pensez bien. Les révolutionnaires du NPA ont bien d’autres choses en tête que le grand massacre des animaux par les hommes. En France, on n’en tue jamais qu’un milliard par an pour nous nourrir d’une viande industrielle. Un milliard qui passe par les cercles de l’enfer et de la concentration avant de provoquer – un comble ! – obésité, maladies cardio-vasculaires, cancers et diabètes chez eux qui s’en goinfrent.

Pour le NPA, tout cela n’existe pas. Car ce parti est évidemment anthropocentriste. La terre est à l’homme. Et quand il parle de crise écologique, il devrait davantage parler de crise environnementale. Car c’est cela qui l’intéresse : l’environnement. Ce qui environne les activités humaines et peut les déranger, comme le nucléaire. Pas la vie dans son infinie complexité. Pas ces millions d’espèces différentes qui coexistent de plus en plus mal avec notre soif de domination.

Non, et je me répète, le NPA n’est pas et ne deviendra pas écologiste. Pour savoir ce qu’est un écologiste, je vous renvoie à la belle figure d’Arne Næss, qui vient de mourir (lire ici). Je ne crois pas qu’il aurait pris sa carte au NPA. Moi-même, je crains de devoir m’en passer.

Besancenot et ces océans qu’on fout en taule

Préambule : cet article traite de politique, en l’occurrence du Nouveau Parti Anticapitaliste de Besancenot et Krivine. Et d’écologie aussi, je vous rassure. Néanmoins, je devais vous prévenir, car d’une certaine manière, il s’agit d’une incursion. Elle en ennuiera plus d’un.

Mon Dieu ! je ne suis pas marxiste. Et je déteste tant la dictature et les autorités étatiques en général que, si j’écrivais ce que je pense, je ne sais si on me croirait. Par exemple, je vomis en grand el jefe Fidel Castro, et le régime qu’il a créé à Cuba, où l’on peut fusiller un gosse de vingt ans parce qu’il a tenté de détourner un  bateau (sans blesser personne). Je vomis ce pur salaud caudilliste, qui était prêt – les faits sont officialisés par Fidel lui-même – à sacrifier le peuple cubain dans un holocauste nucléaire en 1962, à l’époque de la crise des fusées.

Pas un défenseur du régime castriste ne s’est intéressé pour de vrai à ce qu’était l’île avant 1959. Moi si. Et la réalité est loin, très loin des pauvres descriptions qui font de l’île caraïbe le bordel des Américains. Je ne veux pas dire que Rubén Fulgencio Batista y Zaldívar, la petite crapule galonnée qui régnait avant Castro était un brave homme. Mais si Cuba, ou plutôt si La Havane comptait en effet des bordels où certains Américains venaient, alors il faut dire que Cuba est aujourd’hui devenu le bordel du monde entier. Un bordel cent fois plus grand qu’avant 1959, où des petits-bourgeois bedonnants viennent baiser à couilles rabattues des gamines qui n’en peuvent mais. Ma détestation englobe évidemment Hugo Rafael Chávez Frías, qui dirige le Venezuela de la même manière caudilliste, bordels en moins pour le moment. Et qui se préoccupe d’écologie comme je m’intéresse au défunt président Albert Lebrun (ici). Témoin entre bien d’autres son projet crapuleux de gazoduc à travers l’Amazonie.

Bref. Non. Pas moi. Tout cela pour dire que la création du NPA de Besancenot et Krivine, – lesquels soutiennent peu ou prou des régimes immondes, et qui seront reconnus comme tels, tôt ou tard -, ne me conduit pas droit au septième ciel. Mais je dois ajouter quelque chose qui compte tout de même, et pèse son poids. La LCR était, a été au long de son histoire, une organisation démocratique. Étonnamment démocratique.

À ma connaissance, mais je peux me tromper, aucun autre parti de l’échiquier n’aura à ce point pratiqué une vraie démocratie interne. Laquelle ne signifie pas l’absence de magouilles et de coups bas. Mais enfin, comparons ! Songez à Lutte Ouvrière et à l’implacable autorité de ses vrais chefs de l’ombre, aux anciens maoïstes si vous avez l’âge, songez aux lamentables lambertistes chers au cœur de Lionel Jospin. Songez au parti stalinien, qui mentit en toutes choses tant qu’il le put. Songez aux truandages des votes au PS comme à l’UMP. Et reconnaissez que la démocratie, en politique, est une chose rare. Savez-vous un autre exemple d’institution qui accepte de disparaître, de fermer le journal qui lui servait d’étendard – Rouge – avant de se fondre dans un groupe bien plus nombreux qu’elle ? Si oui, je vous en prie, faites-moi signe. Sur ce plan-là, j’applaudis sans réserves.

Sur ce plan-là. Car pour le reste, bien sûr, non. La volonté affichée par ce nouveau parti de mêler – enfin ! – l’écologie au propos général sur la société de classe ne peut mener nulle part. Je ne crois pourtant pas à une ruse tactique dont userait le NPA pour attirer à lui de nouvelles forces. Non, je crois dans une certaine mesure à la sincérité des engagements, à cet ajout du mot écosocialisme au programme traditionnel.

Et c’est là que, du point de vue des idées, cela devient passionnant. Car le NPA, sans le savoir bien sûr, est la pointe avancée de l’idéologie du progrès – matériel, avant tout – qui rassemble sur le fond la totalité de la classe politique. L’héritage historique ne trompe pas. Léon Trotski, le véritable organisateur du coup d’État de 1917 – connu sous le nom de « Révolution d’octobre » – est le grand ancêtre de la LCR. Opposé à la politique de Staline dès 1926, exilé, assassiné par un tueur employé par Moscou, il est le créateur de la Quatrième Internationale, dont la LCR était la section en France. En somme, la LCR s’est toujours réclamé du trotskisme. Trostki, dans la mythologie du groupe, c’est Le Vieux.

Mais ce vieux-là, comme Castro, comme Chávez, était un indécrottable « progressiste », un adepte de la toute-puissance de l’homme. Un ennemi déclaré de ce qui pouvait contrarier le projet humain, prométhéen en diable, consistant à tout dominer, à tout écraser, à tout soumettre. Tenez, je vous offre une citation éclairante que vous ne risquez pas de trouver si souvent. Dans l’essai Art révolutionnaire et art socialiste, publié au milieu des années 20 du siècle passé (On le trouve dans le recueil Littérature et Révolution, 10/18), Trotski écrit précisément ceci : « L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans ».

Quel joli programme, n’est-ce pas ? Mettre en taule les océans, je dois dire que la vision est grande, géante même. En vérité, elle a été presque appliquée en Union soviétique, en Chine, à Cuba dans une moindre mesure technique, partout où des marxistes ont eu à conduire les affaires d’un pays. Le NPA ferait-il mieux ? On peut au moins l’espérer. Mais au bout du compte, cela ne changerait rien. Car l’objectif final est toujours le même. Il s’agit d’assurer à l’espèce humaine une sorte d’abondance matérielle qui est parfaitement synonyme de destruction de la vie.

Le NPA ne peut ni ne veut entendre qu’il existe des limites physiques dont tout projet politique doit désormais tenir compte. Pour les raisons qui sont les siennes, il soutient ici des revendications matérielles qui sont incompatibles avec l’avenir. Au lieu que de s’attaquer à l’aliénation, à l’industrie du mensonge qu’est la publicité, à la prolifération sans fin d’objets inutiles qui sont au cœur de la crise, il préfère soutenir les « justes revendications ». Dont une augmentation des salaires et pensions de 300 euros mensuels net pour tous.

Faut-il être un salaud comme moi pour refuser cette demande-là ! Eh bien j’assume. Je refuse. D’abord, parce qu’une telle injection de fric relancerait une fois de plus la machine à tout dévorer sur terre. La masse de ces euros-là irait une fois encore vers ces productions lamentables qui laissent les gens amers, envieux, frustrés à jamais. Mais en outre, cette revendication fait fi, très exactement, de la situation générale. Le NPA, qui se prétend universaliste, ne l’est pas davantage, au fond, que les gauches social-démocrate et stalinienne. Le monde réel, son monde irréel s’arrête aux frontières de l’Occident et rejette dans les ténèbres extérieures ce milliard d’humains qui ont faim chaque jour que Dieu fait.

Le NPA ne parle pas des paysans, des oiseaux, des Pygmées, des océans que Trotski vouait au cachot, des forêts sombres dévorées par le palmier à huile, ni même, sérieusement en tout cas, du désordre climatique en cours. Car dans ce dernier cas, il faudrait mettre en question la sainte bagnole, et l’industrie, et les prolos de Renault-Sandouville à qui l’on promet 300 euros nets. À qui on les donnera demain, quand, la révolution ayant été faite, on rasera gratis.

Pour le NPA, l’écologie n’est pas et ne sera pas une vision, un cadre, le paradigme dans lequel penser le monde et ses insupportables contradictions. Elle est un élément. Subalterne. Subordonné à cette grande cause qui consiste à socialiser les moyens de production. Imaginons un instant l’opération faite. Les patrons ont disparu. Les travailleurs commandent et produisent selon le Plan. Et quel serait le plan ? Brutalement, il faudrait dire à des millions d’hommes et de femmes qu’on aurait encouragés à demander plus, à consommer davantage, à gaspiller en aveugles, de tout revoir ? De changer l’ordre des priorités ? De renoncer à la bagnole, au téléphone portable, aux vacances bon marché chez cet excellent Castro, aux stations de ski pour les plus « fortunés » ?

Allons, voyons. Toute la politique menée par le NPA démontre qu’il n’a strictement rien compris à la crise écologique planétaire. Notez qu’il n’est pas le seul. Notez que j’ai été affreusement long. Mille excuses.

Sarkozy et l’art du go (cherchez l’erreur)

Quand j’avais vingt-deux ans, et pendant quelque temps, j’ai joué au go avec une telle intensité que je me rappelle encore, trente ans plus tard, certaines combinaisons. Je ne sais évidemment pas si vous connaissez. Le souvenir que j’en ai conservé est au-delà des mots. Soit un damier – le go-ban – formé de 361 intersections. Les pions noirs commencent toujours, suivis des blancs. Le jeu est la mise en scène d’une bataille militaire dans laquelle s’affronteraient deux corps d’armée.

On place des pions une fois, à une intersection, qu’on ne peut plus bouger. Et de la sorte se dessine peu à peu, sur le damier, un territoire convoité, disputé, mouvant, où chacun tente d’occuper un espace plus grand que celui de l’adversaire. On peut faire des prisonniers, mais tel n’est pas l’enjeu principal. Le but, c’est l’espace conquis, dont on fait soigneusement l’appréciation lorsque les deux adversaires estiment que la partie est finie.

Parmi les émotions les plus grandes de ce jeu, il y a l’incertitude. On peut croire un moment, qui parfois dure, que l’on a encerclé une part du go-ban, et que l’autre joueur est pris dans un piège dont il sortira affaibli. Et puis, dans un éclair, par le placement d’un seul pion, la situation s’inverse complètement. Autre joie inexprimable, celle d’accepter de perdre pour mieux gagner. Le go est un jeu de stratégie, pas de tactique. La meilleure des tactiques au service d’une piètre stratégie conduit au désastre. Il est aisé de se concentrer sur une partie, et de se voir déjà vainqueur, alors que le sort de la bataille se décide à l’étage supérieur, que vous avez stupidement négligé.

Le go. Un grand bonheur de jeunesse. En ce temps, je jouais surtout avec Xavier, chez madame Z., notre hôtesse de l’époque, qui était la mère de Sophie. Bon. Cela se passait au Vieux-Pays de Tremblay, non loin de l’aéroport de Roissy, et l’air, chargé de kérosène, était souventes fois orangé. J’aimais bien Xavier, bien qu’il fût héroïnomane et mythomane. Pour la drogue, ce n’était pas drôle pour lui. Pour le mensonge, c’était parfois pénible pour moi.

Enfin. Nous nous mettions vers neuf heures, le soir, dans la cuisine de madame Z, et nous commencions à jouer après avoir ouvert des bouteilles, fumant comme je fumais alors. Fumant comme le grand délirant que j’étais. La nuit entière passait, sans que jamais nous ne nous rendions compte de rien. C’est le jour, et ses vapeurs oranges, qui nous jetait au lit. Je ne travaillais pas. J’avais horreur du travail, et je n’ai pas changé vraiment, malgré les apparences.

Et alors ? Pourquoi mêler Sarkozy à ces grands souvenirs personnels ? Parce qu’il me fait penser à un désastreux joueur de go. C’est un tacticien habile, mais un lamentable stratège. Il est l’homme de l’instant, il est celui qui croit avoir niqué – un mot fétiche chez lui – le monde parce qu’il a placé quelques pions dans les coins qui retiennent son attention. Mais il est totalement incapable de concevoir, d’entrevoir, de situer les enjeux ailleurs qu’autour de sa personne. Il va donc perdre la partie, mais comme c’est la nôtre, c’est fâcheux. Notez que ceux qu’on dit d’en face sont aussi mauvais. Tous. Un bon joueur de go aurait déjà, par un magari audacieux suivi d’un wariuchi, réduit à néant les moyos que Sarkozy croit en sa possession. Après avoir occupé deux ou trois o-ba,  il aurait lancé un retentissant atari. Atari, qui veut dire échec.

Je lis ce matin que notre président a décidé la construction d’un deuxième réacteur nucléaire EPR, à Penly. Sans discussion. Sans interrogation. En confiant les milliers d’années qui viennent à un partenaire privé, Suez, qui aura peut-être explosé en vol à la prochaine bourrasque financière. Sarkozy. Et tous ces prosternants.

Pour Patric Nottret (jour de grève)

Il fallait bien que ton assiduité paie un jour, Patric ! Tes nombreux commentaires sur ce blog montrent à quel point nous sommes différents, mais je n’oublie pas que nous avons bu du vin rouge ensemble au Blanc (Indre). Cela aide, cela fluidifie les rapports sociaux, je pense que nous serons au moins d’accord là-dessus.

Je t’écris publiquement ce matin parce que tu nous incites tous, depuis des jours et des jours, à manifester en ce jour de grève contre la toute-puissance de nos maîtres. Non, je n’ai pas changé, et je crois que ce mouvement incarnera surtout un combat du passé, tourné vers l’usage fou des biens matériels et les revendications qui l’accompagnent.

Mais baste ! Je mets mon drapeau dans ma poche, j’espère que ce rendez-vous sera un succès, et que l’Élysée en tremblera sur ses bases ridicules. Si je n’avais que deux raisons pour soutenir ce jour de mobilisation, elles s’appelleraient Chantal Jouanno et Éric Besson. La première, que j’ai déjà étrillée il y a quelques jours, a donné au journal Libération un entretien qui dit par je ne sais quel miracle des choses vraies (ici).

La dame raconte l’importance du Grenelle de l’Environnement dans le dispositif sarkozien, et avoue sans honte ni tremblement : « Et c’est mon travail d’aller vendre cette idée sur le terrain ». Voilà à quoi ces gens réduisent l’idée publique, l’esprit public, le service public, la res publica. À un job de VRP. À la démarche d’un vendeur-bonimenteur sur la place du marché. Nous sommes en pleine décadence de la parole. Et donc de la pensée.

Quant à Éric Besson, quoi ? Pour ceux qui l’ignorent, ce socialiste comme l’ont toujours aimé les socialistes – et cela continuera, croyez-le ou pas – vient d’entrer à la direction de l’UMP. Il détestait officiellement Sarkozy il y a moins de deux ans, au point d’écrire des argumentaires pour son parti d’alors, le PS. Désormais, à bien l’écouter, il se ferait tuer pour lui. Il vient d’être nommé ministre de l’Immigration.

Si vous ne craignez pas de vomir devant l’ordinateur, lisez donc cet article de la Voix du Nord (ici). Besson, entouré de ses flics, s’est rendu à Calais. Pour emmerder un peu plus les immigrés clandestins de ce monde sans morale ni repères. En 2002, son compère Sarkozy avait fermé, menton en avant, le hangar de la honte, où s’entassaient des centaines de candidats au passage vers l’Angleterre. C’était à Sangatte, tout près de Calais.

Et Besson est donc revenu sur les lieux de l’esbroufe. Pauvre petit homme. Pauvre petit Besson. Bien entendu, rien n’a été réglé depuis 2002. La misère a été éparpillée, les flicards balaient les éclaboussures humaines pour que les ministres puissent parler le soir chez Claire Chazal ou Laurence Ferrari. Besson a déclaré sur place qu’il fallait rendre Calais « étanche » à l’immigration clandestine. Étanche. Étanche. Pensez à l’usage que la langue française fait normalement de ce mot. Il s’agit de ne pas laisser passer une fuite. De fluides. Les hommes ne sont plus que de l’eau. Du sang, peut-être ?

Comme Besson est aussi un pitoyable manipulateur, il s’est rendu dans ce qu’on appelle à Calais la « jungle ». Photos, s’il vous plaît. On la refait, avec l’Afghan qui me sert la main. C’est pour TF1 ? La « jungle » est un simple sous-bois où des centaines de réfugiés survivent entre deux descentes policières. Le soir, ils tentent de forcer le passage du tunnel sous la Manche. Ils passeront. Ils ne passeront pas. Qu’ils crèvent.

Besson a promis une rangée supplémentaire de parpaings au-dessus d’un mur qu’escaladent les clandestins. Et une multiplication des contrôles. Qu’il sache au moins qu’un certain nombre d’entre nous crachent sur cette politique, en attendant de pouvoir faire mieux. C’est-à-dire pire pour M. Besson. Et pour en revenir à Patric Nottret, oui, je crois que ces excellents personnages méritent une leçon dans la rue. Et donc, manif, sans aucune réserve pour une fois. Si on se voit, un coup de rouge, hein ?