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Quand Laurent Joffrin déconne à pleins tubes

Attention, les mots qui suivent n’ont rien à voir avec la crise écologique, objet plus qu’essentiel de ce rendez-vous. Ce n’est qu’un coup de gueule, un cri de rage contre Laurent Joffrin, directeur du journal Libération.

Je lis avec vous la une de Libé du mercredi 12 novembre 2008. Surtitre : Sabotages du réseau TGV. Titre : L’ultra gauche déraille. Et c’est à cet instant précis que mon titre prend son sens : oui, Laurent Joffrin déconne, et à plein tubes. Je ne le connais ni ne l’ai même jamais vu. Et j’ajoute que je le vise là en tant que responsable du journal. Il est bien possible qu’il n’ait joué aucun rôle dans cette insupportable désinformation. Peut-être était-il à l’étranger ou au lit ou au restaurant.

Il n’importe. Son journal a donc accusé un courant politique sur la foi des seules affirmations policières, aussi solides, on le sait, que le béton des fers utilisés contre les lignes du TGV. Je ne suis pas d’ultra gauche, certes non. Et ceux qui ont jeté des plaques sur les voies, au risque de faire dérailler un train, sont de sinistres brutes. Mais cela n’excuse pas Joffrin.

Ce Libération-là a été bouclé hier vers 22 heures, quand la plus extrême prudence s’imposait évidemment. Ce mercredi soir, vers 19 heures, le site de l’Express publiait au reste un papier au titre limpide : Prudence judiciaire dans l’enquête sur les sabotages à la SNCF (ici). Mais qu’en a donc à faire le grand journal de gauche que plus personne ne nous envie ?

PS1 qui n’a pratiquement rien à voir : en février 1984, Antenne 2 – son nom, je n’y peux rien – proposait une grande émission entre politique et désordre mental. Sous le nom générique de Vive la crise !, on y entendait ce pauvre couillon d’Yves Montand vanter les mérites de ce qu’on appellerait plus tard le libéralisme. Le capitalisme, quoi. Et Joffrin, journaliste au service Économie de Libération – qui s’était fendu d’un hors-série Vive la crise ! pour l’occasion – avait joué un rôle central dans la mise en boîte de l’émission. Interrogé d’ailleurs par Joffrin et July pour ce hors-série, Montand déclarait tout de go qu’il était « de gauche tendance Reagan » et qu’il attendait un « capitalisme libéral ». Être de gauche, pour ces excellentes personnes-là, c’était soutenir Tapie et briser les reins des pauvres. Ce qui fut d’ailleurs réalisé.

Il n’est pas exagéré d’écrire que cette émission de merde est une butte-témoin. Comme le tournant dit de la rigueur en 1983. La fin d’une illusion. Le début des folles années de la spéculation, de la Bourse, du déchaînement de la destruction. Dans un éditorial, Joffrin écrivait sans gêne : «De l’Etat, encore de l’Etat, toujours de l’Etat. Relance, nationalisations, impôts nouveaux, plans industriels : tout allait à l’Etat, tout y revenait. Mais tout a raté, ou presque. Dans les douze mois qui ont suivi cette année illusoire [ 1981], il a fallu brûler à la sauvette ce qu’on avait adoré ».

Cela n’a rien à voir avec le titre de ce matin ? P’t-êt’ ben qu’oui, p’t-êt’ ben qu’non. On fait comme on veut.

PS 2 : Je vous donne l’adresse où l’on peut lire la prose d’un type en cabane depuis des mois. Assurément un partisan de cette ultra gauche que Libération vomit, bien que ce journal soit né des pires sornettes de cette Gauche Prolétarienne où Serge July pourfendait sans état d’âme le notaire (désolé pour les non-initiés). Je ne connais pas Juan, mais il a le droit à la parole, ce me semble : ici.

Hommage (vrai) à Nicolas Sarkozy

Il n’est pas drôle, ce jour où je félicite sincèrement Nicolas Sarkozy. Il n’est pas drôle, mais il m’engage bel et bien. Venu au fort de Douaumont ce 11 novembre 2008, notre président a rendu hommage aux morts de l’insupportable guerre qui a ravagé l’Europe entre 1914 et 1918. Ce grand massacre est le symbole même du désordre mental et spirituel qui rend la crise écologique si difficile à concevoir et à combattre.

Ce n’est pas seulement l’Europe qui a sombré il y a 90 ans, mais une certaine idée de l’homme. La guerre totale lancée en septembre 1914 a été avant tout une folie intégrale, dont nous ne sommes évidemment pas sortis. Je suis donc heureux que Sarkozy ait déclaré ce matin, à propos des 675 fusillés de la guerre, sous l’uniforme, pour cause de désertion, mutinerie ou refus d’obéissance :  « Je penserai à ces hommes dont on avait trop exigé, qu’on avait trop exposés, que parfois des fautes de commandement avaient envoyés au massacre, à ces hommes qui n’ont plus eu la force de se battre ».

Je n’oublie rien de ce que j’ai écrit de Sarkozy. Rien de ce que je pense de lui, que je juge désastreux. Rien, on s’en doute. Mais enfin, ces mots sont bienvenus.

Un mot de plus sur Obama

Je me permets de me copier moi-même, et glisse ci-dessous quelques phrases publiées en ajout au commentaire de Mathieu Hangue sur l’article précédent.

Pour Mathieu Hangue,

Je trouve le rapprochement avec Mitterrand très éclairant. Une génération a donné les clés du pouvoir – et de l’espoir – à un homme qui a réhabilité la Bourse et la spéculation dans cette partie de l’opinion qui était pourtant rétive aux charmes du capitalisme. Et une génération, c’est long. Le temps presse, à moins qu’on ne m’ait dit que des menteries, mais j’en serais un peu surpris.

Sans rire, Obama n’a même pas à renoncer à la moindre idée, comme le fit si cavalièrement Mitterrand. Il accepte, il défend, il promeut un système sur quoi tout l’édifice planétaire repose. Je crois qu’il n’y a pas grand chose à ajouter. À part qu’il est sympathique. Mais Mitterrand était de gauche.

Sur Obama (en réponse aux adorateurs)

Je savais ce que je faisais en écrivant deux articles à rebrousse-poil sur l’élection triomphale de Barack Obama à la tête des États-Unis. Je n’aurai pas l’hypocrisie d’écrire autre chose. Et comme de juste, des lecteurs réguliers de ce blog m’ont fait part, directement ou non, de leur désaccord. Mieux ou pire, de leur énervement à mon encontre.

Ma foi, ils ont bien le droit. Ce territoire virtuel se veut de liberté, même s’il a comme tout autre ses limites. Mais enfin, je ne recule pas d’un millimètre. Car nous voilà plongés dans le malentendu, une fois encore. C’est une question de fond, une fois encore. Je vais tâcher d’être simple. Nous vivons dans un paradigme – au sens de cadre général de la pensée, admis par tous sans vraie discussion – issu de l’histoire politique que nous avons faite ensemble.

Pour aller au plus vite : le 18ème siècle, les Lumières, la Raison alliée à la Science, le Progrès, la Gauche et la Droite. Bon, il n’y a pas de quoi rougir ou s’évanouir de bonheur. C’est ainsi. Ce paradigme du progrès a structuré la pensée et les attentes pendant deux siècles, et donné les résultats – contrastés – que l’on sait. L’univers atroce du stalinisme à main gauche. Le monde fou de la marchandise à main droite.

Bien. L’écologie commande une révolution morale et intellectuelle complète. Radicale et complète. Parce qu’elle nous montre pour la première fois en deux millions d’années d’existence de l’homme les limites certaines de son action. Elle est un butoir que nous ne franchirons pas, ni vous ni moi. Tout ce processus est d’arrachement. De douleur vraie, car il faut renoncer. Car il faut bannir. Car il faut bâtir. Et c’est difficile.

Obama est sans nul doute un brave garçon. Et un Noir comme lui, après huit ans d’infâme crétinerie, c’est bien entendu un bain de Jouvence. Mais merde, MERDE et MERDE ! ressaisissez-vous ! Obama ressortit corps et âme au paradigme du progrès. Et il mènera dans ce cadre, fatalement, bagarre pour le rétablissement des intérêts américains dans le monde. Lesquels passent par la défense de l’industrie et de la consommation de masse.

Libre à vous de fantasmer. Quand les yeux se seront ouverts, quand ils seront dessillés, il va de soi que ceux qui exultent ce jour diront, pour la plupart, qu’ils n’ont jamais cru dans cet homme. Croyez-le ou pas, cela ne me rend pas amer une seconde. Je sais assez bien, ce me semble, comment marche le monde réel. Mais je suis un homme, moi aussi. Et je dis à ceux qui me reprochent de gâcher leur fête électorale : lâchez-moi. Oui, laissez-moi en paix. Admettez le dissensus. Admettez le refus. Admettez la solitude (relative). Voilà. Admettez.

Così ho fatto (un vrai drame italien)

Prenez-le comme vous pourrez : la Campanie vit un drame complet, historique, apocalyptique même. Désolé, je ne suis que le messager. Je vous ai déjà raconté il y a quelques mois (ici) ce que fut, aux temps sombres des barbares, cette région de l’Italie. La Campanie était alors un jardin prodigieux, un avant-goût du paradis. Et je n’invente rien, je cite l’historien d’il y a 1 900 ans, Florus, un Berbère devenu  Romain. Découvrant la baie de Naples et ses environs, il rapportait ceci, où l’on peut ressentir comme de l’enthousiasme, encore et toujours : « Omnium non modo Italiae, sed toto orbe terrarum pulcherrima Campaniae plaga est. Nihil mollius caelo : denique bis floribus vernat ». Pour lui, la Campanie n’était pas seulement la plus belle région de l’Italie, mais du monde. Car son ciel y était le plus doux. Car son printemps y fleurissait deux fois.

Florus est un veinard, car il n’est plus là. Ce qui n’est pas le cas de la Campanie. Que se passe-t-il là-bas ? Une folie continue, celle de la Camorra, a changé le pays en un centre d’accueil européen pour les déchets industriels les plus immondes. Ceux que l’on refuse ailleurs. Ceux dont on ne sait pas quoi faire. Ceux qu’il faut bien cacher à la vue des citoyens que nous sommes. Que nous sommes, inutile de nier l’évidence.

Ce qui se passe en Campanie a notre accord secret autant que honteux. La mafia locale agit pour le compte de nos intérêts souterrains, comme La Gloïre, personnage-clé de l’Arrache-coeur, roman de Vian. En échange de pièces d’or, La Gloïre ramasse tous les péchés de la communauté. Au sens propre ou presque, puisque son « travail » consiste à reprendre au fleuve – rouge sang – les pires saloperies produites au village.

Et ce village, c’est la Campanie. Et le monde. Et notre monde. Il existe à Naples une journaliste formidable à qui je souhaite rendre hommage, ce qui ne m’arrive pas si souvent avec des confrères. Rosaria Capacchione (ici, un texte sur elle, avec photo, en italien) travaille pour le journal Il Mattino (ici). Depuis Caserte, où le dramaturge Naevius aurait vécu une partie de sa vie, avant même Jésus-Christ. Je dirai que cela ne m’étonne pas. La présence d’un dramaturge dans cette histoire ne saurait surprendre.

Capacchione se bat avec ses mots contre la Camorra depuis vingt ans. Or elle en a 44. Elle a commencé tôt, et dénoncé dès 1989 le trafic de déchets toxiques qui a fini par détruire l’agriculture de toute la région. Les mafieux n’ont pas, n’ont pas encore eu sa peau, mais cette dernière est constamment menacée. Vivra-t-elle ? Speriamolo. Espérons.

En tout cas, tout a été dit depuis longtemps, sans que rien ne change jamais. Si vous lisez avec autant de plaisir que moi la langue italienne, je vous renvoie à un passionnant article paru dans l’hebdomadaire L’Espresso (ici) en septembre, dont le titre est : Così ho avvelenato Napoli. En français : Comment j’ai empoisonné Naples. On y lit les confessions d’un salopard, devant les flics, Gaetano Vassallo. Ce ponte du clan des Casalesi – que Capacchione combat sans trève – a mené pendant vingt ans les trafics d’épouvante, et ruiné la vie entre Naples et Caserte. C’est fou, démesuré, presque impossible à croire.

Dans l’extrait qui suit, Vassallo décrit comment il a acheté ceux qui étaient chargés par l’État de la protection de ce bout de planète. Comment des fonctionnaires, cités par leur nom, touchaient une belle rente mensuelle pour tuer les gens : « Nel corso degli anni, quanto meno fino al 2002, ho proseguito nella sfruttamento della ex discarica di Giugliano, insieme ai miei fratelli, corrompendo l’architetto Bovier del Commissariato di governo e l’ingegner Avallone dell’Arpac (l’agenzia regionale dell’ambiente). Il primo è stato remunerato continuativamente perché consentiva, falsificando i certificati o i verbali di accertamento, di far apparire conforme al materiale di bonifica i rifiuti che venivano smaltiti illecitamente. Ha ricevuto in tutto somme prossime ai 70 milioni di lire. L’ingegner Avallone era praticamente ‘stipendiato’ con tre milioni di lire al mese, essendo lo stesso incaricato anche di predisporre il progetto di bonifica della nostra discarica, progetto che ci consentiva la copertura formale per poter smaltire illecitamente i rifiuti ».

Répugnant, de bout en bout, malgré cette sonorité que j’aime tant. Résultat des courses ? Courrier International de la semaine passée (n° 939) raconte ce qui se passe en Campanie tandis que d’autres regardent le CAC 40 faire des sauts de cabri. La crise, économique, écologique aussi, bien sûr, lève les pauvres de ce sud mafieux contre les pauvres de l’autre Sud, le vrai, celui de la grande misère. Laissés pour compte italiens contre Noirs d’Afrique et Tsiganes venus grapiller ce qui peut l’être encore. Le 18 septembre 2008, sept personnes, dont six Africains, ont été butées dans le village de Castel Volturno, près de Naples. La Camorra, bien sûr. Pour l’exemple. Pour continuer à dominer. Pour que les petits blancs locaux se persuadent qu’ils sont encore défendus contre la grande invasion.

Y a-t-il pire ? Peut-être. Dans cette banlieue sordide de Naples qui s’appelle Ponticelli, une armée de gueux d’Italie ont attaqué et chassé à coups de pierre des familles tsiganes. Avec à l’arrière-plan des montagnes de déchets. Je sais bien que c’est crépusculaire, et que votre patience a des limites. Je le sais, mais je n’arrive pas à me contrôler. Car je vois, car je sais que la course-poursuite entre la barbarie et l’humanité élémentaire est en route. La crise écologique est et sera toujours plus le révélateur de nos vérités les plus essentielles. Désolé. Croyez-le bien, désolé.