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Agression sexuelle contre les mouches (à propos du Grenelle)

Je vous préviens que je commence aujourd’hui ce qui ressemblera fatalement à une série sur le Grenelle de l’Environnement. Ce n’est pas la première (série), cela risque de ne pas être la dernière (lire entre autres ceci et cela).

Je vais faire court, pour une fois, car tout arrive. Au cours de cette nuit de vendredi à samedi, nos vaillants députés ont fini d’examiner le projet de loi sur le Grenelle de l’Environnement, qui pourrait être voté mardi prochain (lire ici). Je n’en ferai pas le commentaire détaillé, car cela n’aurait pas de sens, à mes yeux du moins.

C’est un catalogue de mesurettes sans aucune importance. Il démontre ce qu’un enfant de cinq ans saurait décrypter. Les élus, droite sarkozyste en tête, ne peuvent plus nier en totalité la crise écologique. Elle est si puissante, si écrasante, que même eux sont obligés de faire semblant. Car ils font semblant, bien entendu.

Que changent toutes les apparences du discours pourvu que tout demeure dans la marche des affaires. On va donc donner quelques sous au rail et à l’isolation de certains logements. Au passage, un monsieur Ollier, député de son état, a réussi à glisser un amendement dont on reparlera – dans dix ans, au bas d’une page 17 d’un journal lorrain ? -, qui met le nucléaire en concurrence favorable avec d’autres énergies pour le chauffage domestique.

Tout continue, tout continuera. La prochaine fois, je vous dirai deux mots sur ceux qui ont accepté la supercherie et lui ont donné force et crédibilité. Je veux parler du mouvement écologiste estampillé, officiel et fourvoyé. Ce n’est pas très gai, j’en conviens.

Ce qui se cache derrière l’Angolagate

Ce fut sans doute, et longtemps, l’un des plus beaux pays de la terre. L’Angola abrite les sources d’un fleuve unique qui va se perdre dans le désert du Kalahari, l’Okavango, dont les rives sont miraculeusement intactes. Pays de forêt dense, de marais, de savanes, de désert, de mangroves, de mer, pays de plaine et de hauts-plateaux, pays immense peuplé de lions, d’éléphants, de zèbres, de gorilles, de chimpanzés, de (rarissimes) rhinocéros noirs, de chiens sauvages, l’Angola demeure, malgré la folie ambiante, un territoire grandiose. Grand comme deux France et demie.

Les humains, souvent victimes et parfois bourreaux, en ont fait la porte de l’enfer. Rien que de très banal ? Presque. Entre 1993 et 2000, un présumé trafic d’armes à destination de ce pays a permis de vendre au pouvoir en place à Luanda, la capitale du pays, 790 millions de dollars d’armes diverses (lire ici). Des chars, des hélicoptères, des pièces d’artillerie, des lance-roquettes, des lance-flammes, des mines et des armements d’infanterie, excusez du peu. En plein milieu d’une guerre civile. De très braves garçons de chez nous, parmi lesquels Jean-Christophe Mitterrand, Jacques Attali, Paul-Loup Sulitzer, Georges Fenech, Charles Pasqua et Jean-Charles Marchiani sont pour quelques mois devant un tribunal parisien. À des titres divers, ils auraient aidé deux marchands et trafiquants d’armes de haute volée – Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak – dans leur philanthropique entreprise.

Tous se récrient et parlent qui de complot, qui de grossière erreur. Rions un peu avant de pleurer. Pasqua : « Je ne sais pas comment cette enquête a été lancée mais je constate que tout a été fait pour me mettre en cause dans des affaires où je n’ai rien à voir ». Le glorieux fils Mitterrand se dit de son côté « totalement innocent » et n’aurait rien su de rien, se contentant d’empocher une belle galette en échange de conseils en placement. L’ancien député UMP Georges Fenech dirige depuis le 19 septembre dernier – merci, Sarkozy – la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Dans le procès de l’Angolagate, il est soupçonné d’avoir touché en 1997 un chèque de 15 000 euros de la société de vente d’armes Brenco International. À cette date, Fenech était juge et même responsable syndical de l’Association professionnelle des magistrats (Apm). Mais si.

Ce qui restera merveilleux, quel que soit le verdict, c’est qu’aucun de ces mis en examen n’a eu envie de gerber quand un marchand d’armes – dont tous savaient qu’il vendait à un pays martyr – leur a proposé une affaire. Pas même cet éternel moraliste de Jacques Attali, grand et noble coeur socialiste. Pas même lui, qui a toujours de si belles choses à dire sur les pays du Sud. Une de ses sociétés a touché 160 000 dollars pour une étude sur le microcrédit en Angola. Au beau milieu d’une guerre civile totale où plus rien ne tenait debout ! Et il a approché Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères, pour tenter d’obtenir un cadeau fiscal en faveur de Falcone, personnage central, s’il en est, de l’Angolagate. Oh quelle jolie bande !

Parlons tout de même de la guerre civile. Opposant deux factions issues de la guerre d’indépendance – le Mpla et l’Unita -, elle aura fait, entre 1975 et 2002, au moins 500 000 morts, directes si j’ose écrire. À l’échelle de la France, cela représenterait plus que 3,5 millions de personnes. Inutile de dire que des centaines de milliers de mutilés doivent être ajoutés à ce bilan inouï. Ainsi que des millions de paysans déracinés, s’installant, encore plus vite qu’ailleurs en Afrique, dans les bidonvilles des grandes cités, Luanda en tête. La guerre civile n’a pas seulement dévasté la société humaine, mais clairement et définitivement bouleversé la structure du pays, l’occupation du territoire, l’avenir le plus lointain.

Officiellement, au départ en tout cas, le Mpla était un mouvement marxiste, dans la tradition tiers-mondiste des années soixante, et à ce titre longtemps défendu par les soldats cubains envoyés par Castro, qui faisaient face, au sud, aux troupes de l’Unita manipulées, elles, par l’Afrique du Sud raciste de l’apartheid. La « belle » gauche contre la « sale » droite de toujours. Mais au moment où nos héros entrent en scène en compagnie de Falcone et Gaydamak, la roue a tourné plusieurs fois sur elle-même, et l’Angola est devenu un formidable producteur de pétrole, notamment off-shore, au large des côtes. Le Mpla et l’Unita étripent leur peuple pour une seule et unique raison : qui aura l’argent de la rente ? Qui aura les Mercedes, le champagne, les putes, les villas, les comptes numérotés.

En 1993, quand commence l’immonde vente d’armes au régime de Dos Santos – le président angolais -, notre pays est en situation de cohabitation. Mitterrand est à l’Élysée, Balladur à Matignon. Je constate en passant que Pasqua, Marchiani, Fenech sont assurément de droite, tandis qu’Attali et Mitterrand fils penchent en théorie de l’autre côté. Il y a union nationale, figurez-vous, car Elf et Total ont un besoin absolu d’accès aux puits angolais. Elf, avant d’être racheté par Total, aura largement financé la guerre menée par le Mpla, grâce à la vente du pétrole qu’il lui concédait. Citation : «  Les Français ont permis au MPLA de terminer la guerre. Mais ils ont tué le pluralisme politique, attaque William Tonet, directeur de l’hebdomadaire d’opposition Folha 8. Le pays des droits de l’homme a privilégié ses intérêts pétroliers (ici)». Aujourd’hui encore, Total commercialise le tiers des deux millions de barils de pétrole produits en Angola chaque jour. En 2009 devraient commencer les forages d’un gisement fabuleux situé à 150 km des côtes, Pazflor, par des profondeurs d’eau comprises entre 600 et 1200 mètres. Rien ni personne ne fera dévier ce fer de lance, dont nous profitons tous ici, bien au chaud.

L’Angolagate est réellement une histoire cynique comme on en voit peu. Ainsi, en mai 2008, Son Altesse Sérénissime (SAS) Sarkozy a rendu visite au président angolais, déclarant sur place vouloir « tourner la page des malentendus du passé ». Une allusion évidente, même pour le plus corniaud, à cet Angolagate qui menace aussi la nomenklatura en place à Luanda. Car bien sûr, les chefs locaux ont touché. Encore heureux. Le 11 juillet, notre vertueux ministre de la Défense, Hervé Morin (lire ici) a rédigé une lettre très gentille dans laquelle il affirme qu’après un soigneux examen du dossier, il peut garantir qu’il n’y a pas eu de trafic d’armes, car ces fameuses armes ne sont pas passées par le territoire français. Et en ce cas, la France ne peut sérieusement reprocher quoi que ce soit à Falcone, qui a fait son beau travail hors de nos frontières. Non, cela ne sent pas le pétrole. Cela pue. Et pas seulement le pétrole, mais aussi l’uranium. Car l’Angola en recèle de grandes quantités, dont notre champion du nucléaire, Areva, a le plus grand besoin pour ses – nos – centrales. Surtout depuis que le Niger, grand producteur, gronde. Des équipes hautement spécialisées sont sur place. Faisons-leur confiance.

Bon, je suis déjà bien trop long, j’en ai conscience. Dans ce pays maudit par l’histoire récente, et qui est un bijou de la nature, inutile de dire que l’écologie n’a pas voie au chapitre. De grotesques projets financés en partie par l’aide internationale se perdent un à un dans les sables et les méandres du fleuve Okavango. Les corrompus au pouvoir ont autre chose à faire. Du fric. Vite. Aussi vite que coule le pétrole, ce sang noir des pauvres de toujours.

Luanda n’est plus une ville depuis longtemps. La cité des colons portugais, qui aurait pu contenir peut-être 500 000 habitants, en parque 5 millions. Ou 6, nul ne sait. Sur 13 millions vivant dans le pays. Enverrions-nous nos caniches et nos chats angora dans ce pandémonium ? Sûrement pas, nous avons des principes moraux, tout de même.

Deux Angolais sur trois survivent avec moins de deux dollars par jour dans un pays où la vie matérielle est dominée par le grand luxe. Je ne crois pas que vous le sachiez : Luanda, la capitale, est classée la ville plus chère au monde. Au monde, je confirme. Un studio peut se louer 15 000 dollars par mois. Difficile à croire, n’est-ce pas (lire ici) ? L’Angola n’a plus ni industrie ni agriculture, et importe rigoureusement tout par bateaux. Des tomates comme des fleurs coupées, des bagnoles – 5 000 chaque mois – comme des ordinateurs ou même du…pétrole raffiné. Les embouteillages sont là, on s’en doute bien. Sauf pour les innombrables piétons de ce monde qui n’est plus le mien.

Quand vous entendrez parler ces prochains jours du procès parisien, douillet, de l’Angolagate, ayez je vous en prie une pensée pour le peuple angolais, victime de satrapes et d’immenses salauds à leur service. Juste un instant, juste une pensée pour ces gosses qui vendent leur cul et leur âme dans les rues défoncées de Luanda, dont les hôtels de luxe accueillirent Attali, Mitterrand, Pasqua et consorts. Une seconde, une vraie pensée pour eux.

En mai 2008, le vice- ministre angolais de l’Urbanisme et de l’Environnement, Mota Liz, a affirmé que 500 000 hectares de terres agricoles pouvaient être « mobilisées » pour la production de biocarburants. En juillet 2008, le premier ministre, Fernando da Piedade Dias dos Santos, a confirmé que le gouvernement angolais souhaitait « promouvoir l’attribution rationnelle de terres pour les projets de biocarburants ». Nous n’avons encore rien vu.

Ce qu’est un chef d’oeuvre (Roselyne Bachelot impératrice)

Je ne vois pas qu’on puisse mieux faire. Montrer avec autant de (bonne) grâce et de force qu’on se fout du monde. Non, vrai, je crois que madame Bachelot donne à tous ses amis – qui ne ne sont pas les miens, je le confesse – une leçon d’efficacité indépassable.

D’abord, qui est madame Bachelot ? On ne sait plus très bien. Notons qu’elle est docteure en pharmacie et qu’elle fut ministre de l’Environnement, déclarant alors, un jour, que le « le nucléaire est l’industrie la moins polluante ». Le mot est connu, davantage que cet autre, qui n’est pourtant pas si mauvais : « Garer sa voiture à l’ombre évite d’avoir à mettre la clim trop fort ». Madame Bachelot est en ce moment ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. Je vous assure que ce titre existe, et j’ai dans l’idée qu’il vaut mieux s’en souvenir quand on est en face de madame. Malgré ses rires et ses tailleurs, malgré sa fantaisie, peut-être un tantinet surjouée.

Ministre en tout cas. De la santé. Dans un pays où l’obésité est devenue un drame. Les chiffres sont à peu près fiables : chez nous, en France, un adulte sur deux pèse trop lourd et un sur six est obèse. Avec un peu de chance, 30 % des Français seront obèses en 2020. 8 % des dépenses de santé publique seraient liées au phénomène. Faut-il insister ? Il est peu de sujets qui lient aussi clairement la santé, l’alimentation, l’avenir, la joie de vivre et même, sans se forcer, les grands équilibres écologiques. Car évidemment, la manière de s’alimenter d’un peuple riche comme le nôtre a des conséquences planétaires. La viande industrielle, pour ne prendre que ce seul exemple, oblige d’importer massivement du soja, devenue nourriture de base de notre bétail, au détriment des forêts et des cultures vivrières.

En bref, pour une docteure en pharmacie consciente de ses responsabilités publiques, la lutte contre l’obésité a quelque chose d’obligatoire et de gratifiant. Appelons cela du nanan. Sauf que la dame s’en moque, vu qu’elle est aussi une responsable de l’UMP. Pensez, lecteurs, le monde n’est-il pas à feu et à sang à cause de la crise financière ? Voudrions-nous risquer la splendide carrière de SAS (Son Altesse Sérénissime) Nicolas Sarkozy en adoptant des mesures pour une fois efficaces ? Voyons, ne déconnons pas avec les choses sérieuses.

Je résume. Le 30 septembre 2008,  la «Mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité » présente 80 propositions pour lutter contre le fléau. Valérie Boyer (UMP), présidente de cette mission, explique dans la foulée qu’ « une pomme devrait être moins taxée » que des produits agro-industriels. Dingue. D’autant qu’elle ajoute, façon Al-Qaïda : « Il faudrait augmenter la TVA sur certains produits comme les barres chocolatées et la faire baisser sur d’autres, comme les fruits et légumes ».

À cet instant surgissent sur la scène des comiques-troupiers d’une telle qualité qu’ils ne seront jamais au chômage. Jamais. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand : « Je n’y suis pas favorable, parce que vous savez ce qui se passerait ? Cela augmenterait les prix, et je ne suis pas sûr que ça change les comportements ». Ah, ah ! Xavier, as-tu déjà pensé à faire de la scène ? Roselyne arrive à la suite – c’est moins drôle, nous sommes dans le comique de répétition -, la main sur le coeur, le nez dans les sels qui l’empêchent de s’effondrer à la renverse. Qu’entends-je ? Une TVA ? Des taxes ? Mes sels, mes sels, vous dis-je.

La ministre, ayant retrouvé ses esprits, lance sur la radio Europe 1 – je ne peux, hélas, vous offrir son ton navré d’apprentie tragédienne – cette phrase sublime : « La démarche est intéressante [mais] nous sommes dans une période difficile sur le plan économique et taxer un certain nombre de produits reviendrait à taxer les plus faibles ».

Voilà. Flagrant délit. Flagrant délire indiscutable. L’industrie agroalimentaire ayant actionné les circuits d’influence qui ont fait son succès et sa renommée, le pouvoir politique se couche et meurt. Le choeur des pleureuses, ayant été retardé sur l’autoroute par une opération des routiers en colère, n’est même pas là. On aperçoit Carla Bruni, en ombre chinoise, qui soutient son pauvre petit mari. On ne sait plus trop s’il faut rire ou pleurer, cela devient gênant. Heureusement, cela sera bientôt terminé. Il me semble, en tout cas.

À lire calmement et avec application (sérieux)

Court prologue : si vous en avez l’occasion, faites circuler s’il vous plaît les informations développées ci-dessous. Pas nécessairement mon texte. Dans ce domaine si particulier, le moindre copyright serait encore plus insupportable qu’ailleurs. Mais ce qu’il contient non seulement nous concerne, mais nous oblige. À quoi ? Chacun répondra pour lui-même.  

Prenez votre temps, je vous en prie, nous ne sommes pas à une heure près. Prenez votre temps pour lire ce qui suit, et que je n’ai pas tiré de ma besace pour gâcher votre journée. Prenez votre temps, vous m’obligeriez, car c’est encore plus important que d’habitude. Pour commencer, je vous présente un organisme international que vous ne connaissez peut-être pas. Tel était mon cas encore hier : il s’agit du Global Carbon Project (GCP), qui rassemble des scientifiques de bonne tenue, du monde entier. Ce machin-là étudie ou tente d’étudier dans sa totalité le cycle du carbone, l’un des constituants de la vie. C’est lui qui, sous la forme de CO2, contribue le plus à aggraver l’effet de serre, lequel est la base du dérèglement climatique en cours.

Si j’étais Claude Allègre, j’aurais déjà éructé sur ces savants qui affolent le monde pour remplir les caisses de leurs laboratoires. Mais j’ai l’honneur de ne pas être Claude Allègre, et je continue donc mon petit chemin de lanceur d’alerte. Alors, voici : selon Corinne Le Quéré (université d’East Anglia et British Antarctic Survey), membre du GCP, « depuis 2000, les émissions [de gaz à effet de serre] ont crû en moyenne de 3,5% par an, soit quatre fois plus vite qu’entre 1990 et 2000, où cette augmentation annuelle n’avait été que de 0,9% environ (ici ) ».

Dans l’absolu, c’est dingue, mais relativement aux prévisions du Giec, c’est encore pire. Le Giec est cette Internationale scientifique qui, dans le cadre de l’ONU, cherche à modéliser l’évolution du climat planétaire. Le Giec est le modeste phare dont nous disposons pour éclairer les ténèbres de l’avenir. Eh bien, les pires prévisions du Giec sont actuellement fondées sur une augmentation moyenne annuelle des émissions de gaz de 2,7 %. Et nous en sommes à 3,5 %. Les pires prévisions, je me permets d’insister lourdement.

Est-ce tout ? Mais non ! Les pays développés, qui avaient pris des engagements chiffrés à Kyoto, en 1997 – à l’exception de cet excellent Bill Clinton – n’ont globalement pas diminué leurs rejets. Et les pays du Sud, dont la Chine et l’Inde, voient les leurs exploser sans aucune retenue. Je m’empresse d’ajouter que j’éprouve des doutes quant à certaines affirmations du GCP (ici). Il existe en effet une grande incertitude concernant la déforestation en zone tropicale. Des spécialistes sérieux – je dois dire que je juge leur propos crédible – signalent par exemple que le drainage de tourbières dans un pays comme l’Indonésie relâche des quantités effarantes de gaz à effet de serre, qui ne sont prises en compte par personne.

Mais je reviens au bilan du GCP. La leçon est simple : rien n’a bougé en vingt ans. Car il y a vingt ans que l’alerte mondiale a été lancée, notamment par la revue scientifique Nature. Car il y a dix ans qu’a eu lieu la funeste conférence mondiale de Kyoto, d’où sont sortis des voeux pieux, et des engagements ridicules. Or, même cela ne sera pas atteint en 2012, au moment du bilan du fameux Protocole dit de Kyoto. Pensez une seconde à toutes ces informations bidon publiées ici ou là. Pensez à ces envolées du haut des tribunes. À ces dizaines de conférences ronflantes, rutilantes et sublimes. À ces milliers de discours. À tous ces misérables Grenelle de l’Environnement, quel que soit le nom qu’on leur donne et donnera. Pensez à ces entreprises, transnationales ou non, qui font semblant d’agir, aidées par des journaux devenus sans morale, et sans objet, mais surchargés de publicité à la gloire du néant. Pensez que 90 % des « nouvelles » circulant dans un pays comme le nôtre concernent l’âge du capitaine et de Johnny Halliday. Les affres de PPDA et cette grossesse de Carla Bruni, qui se fait attendre. Le mariage de la Princesse, suivi de son divorce, puis de sa tentative de suicide. En conscience, en toute certitude, nous avons ouvert ensemble une boîte de Pandore aux dimensions sans précédent.

Il y a une manière de continuer à croire en l’avenir. Et cela concerne justement Pandore. On discute encore sur le contenu réel de cette boîte, qui était une jarre. Elle contenait tous les maux de l’humanité, pour sûr. Dont la mort. Mais aussi, selon certaines traductions – contestées, hélas -, l’Espérance. Admettons la présence de cette dernière, car sait-on jamais. Il reste que l’irresponsabilité collective dont nous faisons la preuve à propos du climat me renforce dans ma volonté de rupture personnelle, intime, définitive avec ce monde et ses représentants officiels.

Plus jamais je n’accorderai la moindre confiance à qui ne mettrait au premier plan cette question clé. Cela vaut pour tous et chacun, à commencer par les pitoyables politiques de toute tendance, ceux que nous méritons, certes. Si nous sommes capables de réunir assez de force morale collective pour rendre ce sujet obsédant, alors oui, l’Espérance sortira de la boîte de Pandore. Et sinon, Inch’Allah. Je ne nie pas, vous le savez, les autres impasses écologiques, celles qui touchent les océans, les sols, les eaux douces, les forêts. Mais la mère des batailles, qui les commande toutes, c’est le climat. D’après des estimations on ne peut plus prudentes, bien qu’affolantes, un centimètre d’élévation du niveau des mers créerait mécaniquement sur terre un million de réfugiés écologiques en plus (ici).

Pour l’heure, nous perdons pied. L’économie assassine le monde, et nous lui offrons notre flanc et notre gorge. Il faut, il faut, il faudrait. Il va falloir se lever. Je ne sais pas comment. Je sais juste qu’il faudra.

 PS qui ne rajeunira personne : Le 23 mars 1995, j’ai écrit dans le journal Politis une chronique dont le titre était Avis de tempête. Cela se passe aisément du moindre commentaire. Ci-dessous, in extenso.

On envie leur bonne humeur et leur goût de la plaisanterie. C’est à qui sera le plus joueur : monsieur Balladur assure qu’il vaincra les méchants, monsieur Chirac qu’il aime l’Europe; quant à monsieur Jospin, il propose, vingt ans après un programme socialiste qui exigeait les 35 heures, 37 heures de travail hebdomadaire dans deux ans. Quelle drôlerie !

Pendant ce temps, le climat change. Pas celui du microcosme ni même celui de la France éternelle, mais plus gravement peut-être celui de Gaïa, notre terre, notre mère. Du 28 mars au 7 avril, une conférence des Nations-Unies – sorte de nouveau Rio – doit décider à Berlin de mesures pour lutter contre l’effet de serre. Certes, on est très loin d’être sûr de tout dans ce domaine pourtant décisif. Mais les lobbies à l’oeuvre n’ont quant à eux aucun doute sur la marche à suivre : il faut et il suffit de saboter toute politique de prévention.

L’Arabie saoudite notamment, qui redoute comme la peste une diminution de la consommation de pétrole, aura tout tenté, dans les coulisses, pour que la conférence échoue. On peut imaginer les moyens utilisés, dans ce monde où tout s’achète. Caricatural, le royaume wahabite n’est pourtant pas isolé : Texaco, Shell, Amoco, BP et compagnie – c’est le cas de le dire – sont allés jusqu’à créer une organisation spéciale, Global Climate Coalition, pour défendre le intérêts de la boutique.

Le malheur, c’est que tous les gouvernements, peu ou prou, sont d’accord avec les boutiquiers. Le nôtre n’a guère besoin d’aller à Berlin, car il a déjà fait connaître sa position.Un seul exemple : le transport par poids lourds produit cinq fois plus de CO2 au km que par train. Dans la vallée d’Aspe, il y a une voie de chemin de fer, inutilisée depuis 25 ans. Il y aura demain un tunnel, pour y faire passer les 38 tonnes. Quand viendront les tempêtes climatiques, Chirac, ou Balladur, ou encore Jospin nous trouveront bien une solution. Un parapluie, peut-être ?

Deux nouvelles (une bonne, une mauvaise)

Je suis un brave garçon et je vais le montrer une nouvelle fois, sans me forcer. Voici une bonne nouvelle : les biocarburants sont enfin entrés (discrètement) dans le débat public. En tout cas, avant-hier dans Le Monde, Jean-Paul Besset et Yannick Jadot signaient ensemble une tribune (ici) sur l’état du Grenelle de l’environnement de l’automne passé. Déjà un an ! Jean-Paul est un ami de longue date, devenu « bras droit » de Nicolas Hulot. Et Yannick Jadot est l’ancien directeur des campagnes de Greenpeace en France. Tous deux briguent un poste de député européen, ce que je n’ai pas manqué de moquer ici même.

Passons. Dans une lettre ouverte adressée à Jean-Paul le 2 septembre (ici), je lui écrivais ceci : « Eh bien moi, Fabrice Nicolino ton ami, je te le demande : où sont les réformes ? Qu’avez-vous gagné à ces belles discussions de salon avec Borloo and co ? Et qu’avons-nous tous perdu, alors qu’il reste si peu de temps utile ? Je vais te dire une chose que je juge grave. Mais grave pour de vrai. J’ai honte de ce que vous n’avez pas fait. Oui, honte. Il y avait au moins un dossier où je vous attendais, où je vous espérais de toutes mes forces. C’est celui des biocarburants. Il était facile, il eût été facile de lancer l’Alliance pour la planète, Hulot et tous autres dans une bataille claire et publique, une dénonciation de ce crime contre les hommes, le climat, les forêts.

Il eût été facile de réclamer au moins, pour le moins, la fin des subventions publiques françaises à cette monstruosité. J’en aurais été fier pour notre famille écologiste ».

Revenons à la tribune du Monde. Je ne prétends pas être la cause de cette évolution, même je m’en contrefiche. Seul le résultat compte. C’est donc avec bonheur que je lis sous la plume de Jean-Paul et Yannick, très critique – enfin – sur le Grenelle et Sarkozy : « Manque de moyens ? La défiscalisation des agrocarburants, aberration écologique et sociale, coûtera près de 900 millions d’euros pour la seule année 2008 ! Les banques centrales occidentales ont dépensé en quelques jours plus de 400 milliards d’euros de fonds publics pour tenter de réparer les dérives du laisser-faire financier. Combien nous coûtera le laisser-faire environnemental ? ». À ma connaissance, c’est la première fois que des responsables écologistes contestent les insupportables cadeaux publics offerts à l’industrie criminelle des biocarburants. Jean-Paul, encore un effort ! Mais d’ores et déjà, merci. Ce n’est rien, mais c’est.

Voyez à quel point je suis rendu. Ce qui précède était ma bonne nouvelle du jour. La mauvaise est exécrable, mais elle est si drôle aussi que je vous livre pour commencer un tableau comme on a rarement vu (ici, en anglais). Nous sommes dans le cours de cette nuit en France, au moment même où je dormais. Aux États-Unis, en revanche, il était aux alentours de 22 heures le jeudi 25 septembre. À la Maison-Blanche, on semblait tout près d’un accord entre démocrates et républicains pour sortir 700 milliards d’argent public destinés à sauver ce qui reste là-bas de système financier et bancaire. Tout près. Bush, qui devait s’en tordre je ne sais trop quoi, avait accepté les conditions démocrates, le grand show devant les caméras approchait à vive allure. Y aurait-il eu des majorettes ? On ne le saura jamais.

Au dernier moment, un traître de comédie se glisse sur scène. Il s’appelle John A. Boehner, et dirige le groupe républicain au Congrès. Et, à la stupéfaction générale, il refuse d’engager son parti dans l’accord tant attendu. En libéral conséquent – idéologue à 100 % -, il refuse que l’État rachète des actifs véreux. Badaboum. Tous s’effondre dans la confusion, la colère et les cris. Plus d’accord. Dans le salon Roosevelt de la Maison-Blanche, un peu plus tard, se déroule une scène d’anthologie. Le Secrétaire au Trésor Henry M. Paulson Jr. – disons leur Christine Lagarde – se met à genoux, pour de vrai, aux pieds de Nancy Pelosi, speaker démocrate de la Chambre des représentants, un poste très élevé là-bas.

À genoux. Pourquoi ? Pour la supplier de ne pas aggraver les choses, et de ne pas accabler son parti à lui, les Républicains donc. Alors Pelosi aurait dit, selon des témoins, moquant la position inattendue de Paulson Jr. : « Je ne savais pas que vous étiez catholique ». Elle aurait aussitôt ajouté « ce n’est pas moi qui fais capoter l’accord, mais les Républicains ».

Pourquoi évoquer ici cette tragi-comédie ? Parce que, d’évidence, les responsables politiques d’Occident sont des incapables. Un Bush, un Sarkozy – son discours, hier, à Toulon ! – seraient excellents pour garder des boeufs ou chanter jusqu’à la fin de la nuit, accompagnés d’un karaoké. Je les vois même aisément mener un duo, l’un faisant des claquettes tandis que l’autre pousserait la chansonnette. Mais quant à diriger un pays en crise !

Je ne sais évidemment pas comment tourneront les choses. Il se pourrait désormais qu’elles aillent loin dans la désorganisation sociale, ce dont je ne me réjouirai jamais. Car à ce jeu terrible, les plus pauvres sont toujours ceux qu’on éreinte le plus. Quoi qu’il en soit, ces hommes au pouvoir sont dans le noir le plus total qui soit. Or la crise financière, grave, n’est rien à côté des conséquences désormais certaines de la crise écologique. Ces grands ignorants qui nous gouvernent n’ont et n’auront aucune idée pour nous éviter le gouffre.

C’est une pitié d’entendre un Sarkozy dire d’un côté que les (dérisoires) décisions du Grenelle seront appliquées – quand, en 2070 ? – et de l’autre vanter le fulgurant développement du nucléaire made in France, de la Libye à la Chine, en passant par l’Angleterre et l’Afrique du Sud. Voter pour des gens pareils – ou les autres, identiques – n’a plus aucun sens pour moi. Et je suis pourtant, je le dis et le répète au risque du radotage, un partisan définitif de la liberté. La liberté, oui. Mais la macabre pantomime, non.