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Alerte rouge en Isère (et partout ailleurs)

Le week-end passé, j’ai parlé de biocarburants et de pesticides au beau festival de l’Albenc, près de Grenoble. Sous une pluie effarante. Depuis douze ans, une poignée de passionnés de l’association Espace Nature Isère organisent dans les premiers jours de septembre ce qui est devenu un grand rendez-vous régional. Près de 25 000 personnes s’y retrouvent, autour de valeurs qui sont les miennes, plus ou moins bien sûr.

J’y ai évidemment croisé Jean-François Noblet, qui a toujours multiplié le nombre de casquettes posées sur sa tête. Il s’occupe du festival depuis les origines, et de mille autres choses. Moi, je l’aime beaucoup, Noblet. Cofondateur de l’association Frapna dans l’après 68, il a zigzagué, mais en maintenant intacte une flamme qui ne trompe guère lorsqu’on la voit de près. C’est celle de la nature sauvage, des bêtes, de l’écologie de terrain. Noblet a été copieusement conspué lorsqu’il a accepté de travailler pour un certain Alain Carignon – funeste homme de droite lourdement condamné pour corruption -, lorsque celui-ci dirigeait le conseil général de l’Isère.

Qu’était allé faire Noblet dans cette galère ? Ce n’est pas le lieu d’en discuter. Ce qui est certain, c’est que Jean-François a pu créer – et maintenir jusqu’à aujourd’hui, sous la direction des socialistes – un outil sans équivalent, à ma connaissance du moins. Un vrai service de l’environnement, adossé au Conseil général de l’Isère, doté de moyens matériels, qu’il dirige avec Arnaud Callec. Après tout, grâce lui soit rendue.

Parlant avec lui, j’ai découvert une brochure extraordinaire publiée conjointement par son service public et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Il s’agit d’une « liste rouge des vertébrés de l’Isère ». Vous allez voir, c’est simple. Une liste rouge est un classement scientifique du statut des espèces vivantes en un lieu donné. Une espèce peut être par exemple classée vulnérable ou bien en danger critique d’extinction ou encore, et c’est le pire, éteinte.

À l’échelle de l’Isère, un premier inventaire de la liste rouge a pu être fait en 1995, suivi d’un autre en 2007. La brochure qui vient d’être publiée, passionnante à plus d’un titre, permet de comparer, à douze ans de distance, la situation de la vie sauvage dans le département. Et ? Et c’est atroce, je ne vois pas quel autre mot choisir. 117 espèces d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles figuraient dans la liste de 1995. Ils sont aujourd’hui 152. 152 ! 35 espèces de plus en seulement douze années, parmi lesquelles la rainette verte, le lézard ocellé, et quantité d’oiseaux prodigieux, dont certains doivent être considérés comme disparus de l’Isère. Au milieu, inévitablement, quelques chiffres qui apparaîtront comme un « progrès ».

Ce comptage a pour moi toutes les apparences d’une tragédie. Car justement, l’Isère agit, à la différence de tant d’autres départements indolents. Le Conseil général a ainsi acheté 5 400 hectares d’espaces naturels dits sensibles, ce qui n’est pas rien, croyez-moi. Et pourtant, et partout, une irrésistible régression. Car il est d’autres chiffres, qui accablent. Dans la seule agglomération de Grenoble, en dix années, 3 400 hectares d’espaces naturels ont disparu. Chaque année, dans le département, 1 000 hectares de terres agricoles sont urbanisés. Dans la région du Grésivaudan, 50 % des forêts alluviales et des zones humides ont été détruites au cours des vingt dernières années. Comme le notent les auteurs de la brochure, « la destruction des milieux naturels s’accélère ».

Morale de cette sombre histoire : même en Isère, département de belles montagnes et de nobles rivières, la crise écologique continue à dévaster les espaces comme les espèces. Et c’est bien de cela que le Grenelle de l’environnement, en octobre passé, aurait dû discuter en priorité absolue. C’est cela que France Nature Environnement, la Fondation Hulot, le WWF, Greenpeace auraient dû jeter sur la table en hurlant. Mais comme on commence à le savoir, ils ont préféré un compromis qui ressemble à s’y méprendre à une grossière compromission.

Je l’ai écrit sans plaisir (ici même), le mouvement de protection de la nature, né il y a quarante ans, est dans une impasse historique. Il fait semblant de croire que la continuation des vieilles méthodes permettra de régler je ne sais quels problèmes. Peut-être ceux de quelques individus ou de telle micro-bureaucratie, oui peut-être. Mais on ne luttera pas contre la crise écologique, qui n’épargne évidemment pas la France, en mangeant des petits fours dans les salons ministériels ou en s’installant dans les bureaux du Parlement européen. Il faudra, il faudrait en tout cas se battre. Et avec de toutes nouvelles idées en tête, pour commencer. Ce n’est pas ce que j’appellerais une cause gagnée.

Une étoile est née (Lucien Barge, tireur d’élite)

Raymond Faure, merci ! Ce président de la Frapna-Loire – une belle association basée à Saint-Étienne – envoie régulièrement des informations à quelques privilégiés, dont moi-même. Et cette fois, Raymond a fait fort en m’adressant la copie scannée d’un article inoubliable d’une tribune signée Lucien Barge, responsable de la FDSEA du Rhône. Autrement dit, la FNSEA, le grand syndicat agricole dont le bilan éloquent, en soixante ans, aura été d’accompagner en fanfare la disparition pure et simple de la paysannerie.

Oui, Raymond, tu as fait très fort, mais en me mettant dans l’embarras, car cette copie scannée, je ne peux l’offrir aux lecteurs de ce blog, pour des raisons techniques qui me dépassent. Et j’en suis marri, car j’y vois un pur chef d’oeuvre. Le texte de Barge a paru dans le numéro 1976 du bulletin L’Information agricole du Rhône, en date du 28 août 2008, sous le titre : « Ne pas se tromper de cible ». La position de principe honore notre ami Barge, dont on va comprendre qu’il est une fine gâchette, qui sait à la fois qui viser et qui descendre.

Hélas, je n’ai pas le temps de tout recopier pour vous, car je pars ce vendredi au festival de l’Albenc, en Isère, où je parlerai ce soir et demain. Mais enfin, je vous donne ci-dessous quelques extraits fameux, qu’il vous faudra encadrer. C’est entendu, n’est-ce pas ? Je précise le contexte, que j’ai d’ailleurs abordé il y a quelques jours (ici). Le préfet du Rhône a autorisé des épandages massifs de pesticides par hélicoptère. Les écologistes ont protesté, et les apiculteurs aussi.

Et ça, Lucien Barge ne pardonne pas. Voici le début de son texte, dont je respecte scrupuleusement l’orthographe comme la syntaxe, bien entendu : « La capture de nouvelles chrysomèles sur Saint-Priest et Communay a mis une fois de plus en évidences un exemple parmi d’autres, où pour des illusions, ou plus graves encore, pour servir les intérêts de grands groupes, la profession agricole est agressée, montrée du doigt voire jetée « à la vindicte populaire » ! (L’eau, les nitrates…).

En effet, lors de la réunion à la Draf pour définir la mise en œuvre des moyens de lutte qu’imposent, tant Bruxelles que l’arrêté ministériel, à ce parasite classé insecte de quarantaine. La profession a été littéralement agressée et mise en accusation à tort par les représentants de l’apiculture. Pour eux, les seuls bons agriculteurs sont les « bio ». Certes, un créneau existe pour des productions « bio », mais il ne deviendra jamais l’intégralité des productions agricoles. Heureusement, car le monde serait en situation de famine et l‘espérance de vie des Français ne se situerait plus au niveau actuel. La généralisation du « bio » reposerait les énormes problèmes de santé publique résolus par nos aînés ».

Bon, Lucien est un marrant, je crois qu’il faut lui reconnaître la qualité, sans barguigner. On rit de bon coeur. C’est charmant, exotique, cela repose sur une humeur un poil atrabilaire peut-être, mais enfin, aussi sur l’audace. La bio, c’est donc la mort. Bien vu, bien pensé, bien exprimé, Lucien. Vous permettez que je vous appelle Lucien ?

La suite est un peu moins drôle. Car les apiculteurs exagèrent vraiment : « Aussi, au lieu de s’adapter aux évolutions et rechercher avec nous les solutions qui permettraient à chacun de se côtoyer et de vivre de nos productions respectives, les apiculteurs veulent en permanence, imposer leur vision passéiste et dangereuse ». Cette vision, vous l’avez compris, passe par la critique des pesticides de synthèse. Mais où veulent en venir les barbares ? Lucien se pose la question, franchement inquiet : « À rester dans une logique de concertation et de discussions entre partenaires, on nous a supprimé le « gaucho », demain les traitements « hélico » ? ». Lucien, du calme, je vous prie, on vous sauvera l’hélico, c’est promis.

En attendant, que peuvent donc faire Lucien et ses chers amis ? Et s’ils en parlaient à Son Altesse Sérénissime (SAS) Nicolas Sarkozy ? Je glisse cette suggestion, car après tout, Lucien Barge n’est-il pas le maire UMP de la petite ville de Jonage, aux portes de Lyon ? Lucien, que diable, avez-vous, oui ou non, de l’influence à Paris ? Je le souhaite de toutes mes petites forces de Hun, car si j’ai bien lu votre conclusion, vous avez de beaux projets pour la France et l’amitié entre voisins. La voici, que je lis debout, au son vivifiant d’un chant militaire : « Désormais, vis-à-vis des individus qui se comportent en véritables parasites à l’encontre des agriculteurs, nous devons être virulents et offensifs (la carotte ne peut plus être l’unique solution, il faut avoir un solide bâton dans l‘autre main et montrer de temps en temps que l’on sait s’en servir).
Dorénavant, lorsque nous pouvons être en mesure de porter des coups, nous devons nous montrer impitoyables et contrer voire « casser » nos détracteurs, s’ils exposent leur flanc et que l’occasion de tirer s’y prête. Avant que leur intégrisme finisse par menacer la santé de nos enfants. Certains apiculteurs, aujourd’hui, sont dans ce camp, il est temps d’agir avec une fermeté exemplaire »
.

Je vous crois capable de lire comme moi cette prose admirable. Tir à vue sur tout ce qui bouge. J’aimerais vous dire que Lucien s’exprime au dix-huitième degré de son humour caustique, mais, voyez-vous, je suis saisi par le doute. Lucien. Lucien Barge.

Une réponse de Fabrice Nicolino (à Jean-Paul Besset)

(Ce texte ne se comprend sans celui qui le précède, et qui est une lettre publique adressée à l’auteur de ce blog par Jean-Paul Besset. En somme, il faut lire les deux, et même un troisième, à l’origine du tout. Si on veut. Si on peut. On a le droit de passer son tour).

Cher Jean-Paul,

Évacuons pour commencer les quelques piques que tu m’adresses, cela permettra de mieux parler du reste. Dans le texte critique que j’ai écrit sur votre initiative électorale, j’ai pris soin de ne pas viser ta personne. Je ne le regrette évidemment pas, mais je dois constater que tel n’est pas ton cas. Sous les éloges, l’allusion. Et je n’aime pas cela, je l’avoue.

Je reconnais ne pas être sûr que tu parles de moi à propos de cette « odeur des croisades et du sang » qui t’irrite tant. Mais si tel devait être le cas, tu m’auras mal lu. Très mal lu. Je me bats précisément pour éviter les croisades et le sang. Ou en limiter les horribles impacts. Et je serais étonné que tu l’ignores encore après les dizaines ou peut-être centaines d’heures d’échanges que nous avons eues ensemble.

Je pourrai continuer, car ta lettre, pardonne-moi, me paraît pleine de dépit, en partie tourné contre moi. Je ne prends qu’un exemple, un seul, car j’ai d’autres choses plus cruciales à te dire. Je serais homme à « seulement vitupérer l’époque, à dénoncer sans combattre » ? Car là, Jean-Paul, il n’y a plus de doute : c’est bien moi qui suis la cible. Eh bien, je te réponds. Deux choses. La première, c’est qu’il n’y a rien de plus urgent que de tenter de comprendre ce qui nous arrive. L’activité intellectuelle n’est pas nécessaire : elle est proprement vitale au point où nous sommes rendus. Cette activité, je la mène, publiquement et sans concessions il est vrai. Je donne des coups, il m’arrive d’en recevoir, tout est en ordre. Encore faut-il ne pas sombrer dans la ridicule opposition de pacotille entre ceux qui mettraient les mains dans le cambouis et ceux qui conserveraient leurs gants beurre frais.

J’éprouve une certaine gêne à le dire, à te le dire, mais je n’ai jamais distingué la parole de l’action. Il se trouve que je l’ai prouvé non pas une, mais cent fois et plus dans ma vie. Depuis les origines. Et même aujourd’hui, sache pour ton information visiblement défaillante que je mène des actions autres qu’intellectuelles dans les domaines qui ont de l’importance pour moi. Mais dois-je monter sur les toits avec un mégaphone pour le clamer ? Mais dois-je demander la médaille ? Mais dois-je souhaiter des applaudissements ?

Jean-Paul, je change ici de registre. Et reviens au fond de la querelle. Franchement ! Franchement, c’est tout ? Il y aurait donc des vilains qui reprocheraient aux courageux leur engagement concret ? Qui se draperaient dans leur pureté révolutionnaire pour mieux cacher leur impuissance ? Mais Jean-Paul, ta montre retarde de quelques décennies, au moins ! Nous ne sommes pas en train de revivre le schisme entre mencheviki et bolcheviki de 1903 ! Je sais, et je sais que tu le sais, qu’il n’y a pas de projet révolutionnaire existant. Aucun. Mais je sais, et tu sais que nous sommes dans une situation sans aucun précédent répertorié depuis que l’homme a commencé son aventure sur cette terre. Ce que vous proposez, avec Cohn-Bendit et Bové, c’est précisément de détourner l’énergie commune, pendant un temps immensément long – compte-tenu de l’état du monde – vers un pur et simple radotage électoral. N’y aurait-il pas, caché dans le paysage, comme l’ombre d’un problème ?

Je l’ai écrit (ici-même) : nous avons, tous, la pesante habitude de voir le présent comme l’avenir avec les yeux du passé. Les guerres sont souvent perdues parce qu’elles ne sont pas pensées d’une manière neuve et audacieuse. Or en la circonstance, nous avons le besoin foudroyant de penser le neuf, de mesurer le sens du moindre de nos actes, de relier entre eux les fils invisibles d’une crise infernale, globale, angoissante. Peut-être l’issue sera-t-elle tragique. Comme je ne suis pas devin, je ne tranche pas. Mais en tout cas, il est certain que nous devons rompre avec nos paresseuses habitudes. Et quoi de plus absurde que de rééditer – des élections européennes ! – ce qui, à l’évidence, n’aura servi à rien dans le passé ?

Vous êtes, tu es Jean-Paul, dans un remake de tout ce qui a déjà été mené depuis quarante ans. Et tu ne supportes pas qu’on vienne te le dire sans détour. Mais c’est un fait : vous avez fait un hold-up sur l’écologie en vous auto-instituant les représentants de la société au pénible Grenelle de l’automne dernier. Ce n’est pas un hasard si tu n’y consacres que de très vagues commentaires. Car en effet, après vous être emparé des chaises disponibles, vous avez transformé Borloo and co en partenaires d’une farce complète dont il n’est rien sorti. Dont il ne sortira rien, et non pas pour la raison que Borloo est ce qu’il est – il l’est, certes -, mais parce qu’on n’inverse pas des tendances historiques planétaires en se réunissant à Paris avec des gens sans aucun pouvoir sur la marche réelle du monde. Vous vous êtes copieusement assis sur ce que pourtant, en d’autres occasions, vous appelez volontiers la démocratie.

Rien n’a été discuté réellement avant. Et nul n’a osé affronter la critique après. Votre club existe parce que la pensée vraie est (presque) inexistante. Mais de grâce, Jean-Paul, ne fais pas semblant de croire que vous seriez des réformistes sincères et entreprenants. En 1928, l’écrivain roumain Panaït Istrati est en Russie soviétique, et à la différence des aveugles du moment, il voit et comprend tout. Sur place, il se plaint à ses interprètes, signale le nombre des mendiants, souvent des enfants. Alors, on lui fait cette remarque : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs ! ». Et Istrati, magnifique comme si souvent dans sa courte vie : « Bon, je vois bien les oeufs cassés, mais où est l’omelette ? ».

Eh bien moi, Fabrice Nicolino ton ami, je te le demande : où sont les réformes ? Qu’avez-vous gagné à ces belles discussions de salon avec Borloo and co ? Et qu’avons-nous tous perdu, alors qu’il reste si peu de temps utile ? Je vais te dire une chose que je juge grave. Mais grave pour de vrai. J’ai honte de ce que vous n’avez pas fait. Oui, honte. Il y avait au moins un dossier où je vous attendais, où je vous espérais de toutes mes forces. C’est celui des biocarburants. Il était facile, il eût été facile de lancer l’Alliance pour la planète, Hulot et tous autres dans une bataille claire et publique, une dénonciation de ce crime contre les hommes, le climat, les forêts.

Il eût été facile de réclamer au moins, pour le moins, la fin des subventions publiques françaises à cette monstruosité. J’en aurais été fier pour notre famille écologiste. J’en ai affreusement honte, aujourd’hui que meurent des êtres, tout là-bas, où jamais les députés européens n’iront traîner leur téléphone portable. Tu vois bien, malgré cette colère qui me noue le coeur, combien je suis prêt dès maintenant et sans condition à toute action digne de ce nom. Sans attendre je ne sais quelle élucubration sur la fin du monde, dont tu sembles penser que je me délecte à l’avance.

Non, Jean-Paul, non ! Je crois les choses plus simples que cela. L’opposition, qui existe, est entre qui regarde les vieux films et qui cherche de nouvelles images. Malgré ma véhémence, que j’assume bien sûr, je sais ou crois savoir qui tu es. Un homme honnête. Un excellent homme qui croit ce qu’il dit et ce qu’il fait. Laisse-moi t’écrire que tu te trompes. Et que votre initiative malheureuse nous fait perdre du temps et de l’énergie. Quelle tristesse !

PS 1 : Je réponds rapidement à l’ajout qui figure à la fin de ta lettre. Cohn-Bendit. L’homme m’est sympathique, à la vérité. Mais le responsable politique a en effet montré un nombre incalculable de fois qu’au fond il soutenait ce monde et ses objectifs. À la marge, certes, il lui arrive de critiquer tel ou tel aspect dérisoire de la destruction de la vie sur terre. Il n’y a pas lieu, je le maintiens, de chercher parmi 10 000 propos de même nature pour confirmer une telle évidence. Et ce serait injuste ? Je préfère en rire, car j’ai besoin de détente.

PS 2 : Quant à la cantine des députés, tu m’auras une fois de plus mal compris. Mais c’est de ma faute, j’en  conviens. J’ai voulu dire, et je le redis, que tant qu’à se ridiculiser à Strasbourg, il serait préférable qu’au moins les repas y soient bons. Si tu as cru que je sous-entendais autre chose, tu t’es trompé. Je n’accuse personne d’aller à la soupe. En tout état de cause, pas toi.

PS 3 : Enfin, où as-tu pris que je considérais la politique comme une « déviation catastrophique » ? Dans ta seule tête, je le crains. La politique a un sens, qui peut être extrêmement positif, mais elle n’est qu’une petite activité des hommes. Et à elle seule, contrairement à ce que toi et d’autres semblez croire, elle ne peut en aucun cas nous permettre de faire face à une tragédie aussi multiforme que celle dans laquelle nous sommes plongés. Voilà.

Une réponse à Fabrice Nicolino (par Jean-Paul Besset)

La lettre qui suit m’a été adressée le 1er septembre à la suite d’un texte paru le 24 août 2008 sur ce blog (ici). J’y attaquais un homme qui demeure un ami, Jean-Paul Besset, devenu « bras doit » de Nicolas Hulot, et qui se présente aux prochaines élections européennes de 2009 en compagnie de Dany Cohn-Bendit, José Bové et probablement des Verts et des militants associatifs. Je publie sans problème le courrier de Jean-Paul, auquel je réponds dans la foulée (dans un article séparé), car je le crois nécessaire. Voici.

Fabrice,

Contrairement aux affidés des chapelles nombrilistes, je n’ai que peu de goût pour les déchirures ivres d’outrances et de sentences, surtout quand elles s’appliquent aux gens que je respecte pour leurs parcours et leurs convictions, et que j’aime pour ce qu’ils sont, même s’ils ne sont pas moi. Non, décidément, je n’aime pas du tout l’odeur des croisades et du sang dont parfois des plumes alertes se laissent aller à tracer le chemin.

Il y a manifestement désaccord entre nous, Fabrice, et ce n’est pas la fin du monde. Identifions-le calmement si tu veux bien, comme une différence plutôt que de l’ériger en frontière du bien et du mal.

Le désaccord tient à la chose « politique » et, comme nous le savons tous les deux, il ne date pas d’aujourd’hui.

Tu considères « cette petite activité des humains que l’on appelle la politique » comme une déviation catastrophique. Pourquoi ? Parce que la politique, ses stupres et ses lucres, détournerait les peuples de la prise de conscience et, pardi, de la révolte. C’est un point de vue que les grands nihilistes de l’histoire ont brillamment exprimé du fond douillet de leur cabinet.

Je pense exactement le contraire: malgré les faiblesses et les ridicules qui s’attachent à toute entreprise humaine, l’action politique constitue la meilleure forme que la civilisation a su mettre en oeuvre pour s’arracher collectivement aux diktats du malheur. Qu’elle produise parfois des monstres et qu’elle conduise souvent à des impasses, je te le concède aisément mais, à ma connaissance, on n’a pas mieux en magasin: elle demeure une voie incontournable de cheminement et de décision démocratique.

C’est un chemin inconfortable, difficile, instable, qui s’applique à une réalité non rectiligne, faite d’aspérités, et qui, de surcroît, se parcourt avec des gens réellement existant, donc imparfaits. C’est à ce fil du rasoir auquel, petits pas après petits pas, je me consacre depuis quelques temps, auprès de Hulot, des associations, des négociateurs du Grenelle de l’environnement, et maintenant auprès des promoteurs d’un rassemblement des écologistes pour les élections européennes, espérant que celui-ci produira un sursaut bénéfique dans les consciences. On peut s’en gausser et trouver que ça manque de panache révolutionnaire mais j’ai la « naïveté » de croire que ces récentes actions – éminemment politiques même si elles sont non affiliées -, dont je ne suis qu’un modeste artisan, ont permis quelque peu de faire bouger les lignes au sein de la société. Et qu’il est temps de traduire politiquement cette avancée, de l’introduire électoralement dans le champ des rapports de force idéologiques et sociaux.

Car vois-tu Fabrice, je suis comme toi obsédé par la menace d’effondrement qui pèse sur notre communauté humaine. Alors je cherche, avec d’autres, avec des milliers d’autres qui se retroussent les manches et qui vont au cambouis (je sais que tu en connais plusieurs et que tu ne les méprises pas), à ouvrir des pistes, à créer des issues, à rassembler des énergies. Je ne suis sûr de rien, peut-être tout cela est-il vain, mais, en conscience, je ne peux me résoudre à seulement vitupérer l’époque, à dénoncer sans combattre.

Sinon quoi ? Attendre avec gourmandise le chaos final ? Déconsidérer systématiquement toute démarche transitoire, réformiste, au nom du grand tout qui n’aura jamais lieu ? Espérer la révolte massive qui balaiera miraculeusement le vieux monde ? Et, pour patienter et s’occuper un peu, trier les bons des méchants, dresser la liste des traîtres et des renégats ?

Tu as choisi la voie de la vigilance critique et tu l’exerces avec force. Tes deux derniers ouvrages sur les pesticides et les agro carburants sont d’une formidable utilité publique. Nous avons besoin de gens comme toi, de leur intelligence de la vie, de leur sensibilité aux autres, de leur talent acide. Il faut écrire des livres, ouvrir des blogs, mener la bataille intellectuelle. Sans doute l’action politique est-elle moins flamboyante et plus perturbante, avec ses compromis face à la complexité des choses, en prise aux heurts du réel. Mais est-ce seulement avec le Verbe que l’on « renversera la table » ?

Fabrice, je te le dis très amicalement: de la vigilance critique à la posture de l’imprécateur, il n’y a qu’un pas qu’il me serait insupportable de te voir franchir. Même si tu nous malmènes, ta place est parmi nous, dans le corps à corps avec la société, pas au tribunal dans le rôle autoproclamé du procureur.

Jean-Paul Besset

Deux remarques subsidiaires qui devraient t’alerter: primo, ta charge contre Daniel Cohn-Bendit est injuste, comment peut-on exécuter qui que ce soit avec cette phrase stupéfiante: « les preuves en sont si massives que je ne les cherche pas ». Secundo, le sous-entendu sur la bonne soupe des cantines bruxelloises vers laquelle se précipiteraient les (potentiels) élus écolos est indigne de toi.

Henri Weber, de la révolution à la consternation

Comme je suis désolé ! Henri Weber m’indiffère en totalité, et c’est pourtant de lui que je vais vous parler. Qui est-il ? Un sénateur socialiste, soutien fervent de Laurent Fabius. Il a été l’un des fondateurs des Jeunesses Communistes Révolutionnaires (JCR), ancêtre politique de la LCR de Krivine et Besancenot. On l’aura entendu jadis réclamer des armes pour monter à l’assaut du ciel ; on le retrouve attablé avec Christian Poncelet, président du Sénat, autour d’une bouteille millésimée. L’histoire est vieille comme le monde, et recommencera dès que j’aurai le dos tourné.

Non, Weber n’a aucun intérêt. Mais j’ai lu l’autre jour dans le journal Le Monde une tribune par lui signée, et dont voici le titre intégral : Pourquoi le socialisme recule en Europe (ici). J’allais ajouter que ce texte est chiant comme la pluie, mais c’est une absurdité bien sûr, car la pluie est d’une beauté sans nom et d’un intérêt sans fin. Je me reprends donc : ce texte est creux et vain, ce texte ne dit rien, n’apporte rien, ce texte est déjà oublié à jamais par ses rarissimes lecteurs – sauf moi, malheur ! -, ce texte finit même par faire rire intérieurement, mais pour des raisons qui n’ont pas grand rapport avec lui.

Je résume, à l’attention des masochistes qui sont encore là. En bref,la gauche de gouvernement, qui tenait 13 gouvernements de l’Union européenne sur 15 il y a sept ans, n’en dirige plus que deux – le Portugal et l’Espagne – et trois si l’on y ajoute la Grande-Bretagne de M.Brown. Il faut chercher l’explication de ce reflux peut-être historique. Je n’aurai pas la patience de vous résumer le propos de Weber. Si ça ne va pas bien pour sa (toute) petite gauche, c’est qu’elle n’a pas su s’adapter à la mondialisation, à la montée des demandes d’ordre, à l’explosion des individualismes, au vieillissement de la population, etc.

Bon, rien là-dedans qu’un simple logiciel de traitement de texte ne serait capable de fabriquer seul, sans le concours d’un cerveau humain. Ces mots ont été brassés des milliers de fois au point de donner la nausée, et ne servent au total, et en l’occurrence, qu’à une seule chose : montrer qu’Henri Weber, le 19 août 2008, a le droit socialement reconnu d’écrire un texte dans le grand journal national. C’est bien.

Au-delà, je suis fasciné par le vide sidéral de l’un des principaux responsables d’un des principaux partis de France. Cet homme-là – mais vous pouvez les ajouter tous à la liste, de Buffet à Sarkozy, de Hollande à Pasqua, de Royal à Villiers – est simplement ignare. Il ne sait rien, n’a pas la moindre envie de savoir quelque chose, et passe donc à côté de la seule question qui devrait et pourrait nous réunir tous : la crise de la vie sur terre. Le plus grotesque du propos de Weber se trouve dans l’ultime paragraphe, où il glisse dans le catalogue des questions en suspens celle du réchauffement climatique. C’est grotesque, car cela ne prouve qu’une chose : qu’il lit au moins les titres des journaux et se sent obligé en conséquence, comme tous désormais, d’évoquer la crise climatique. À côté et au même niveau que la « croissance forte et durable », la « maîtrise de l’immigration », ou encore la « régulation du capitalisme mondialisé ».

Autrement écrit, Weber est sourd et aveugle, à défaut d’être muet. Et ils le sont tous. Je dois vous dire que ce coup de griffe complète à mes yeux celui contre Cohn-Bendit et l’ami Besset, avant-hier.