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Cohn-Bendit et l’ami Besset

Jean-Paul Besset est un ami de longue date, et même si nous sommes un peu brouillés depuis une grosse année, pour différentes raisons, je n’en dirai pas du mal. Il ne manquerait plus que cela. Je le connais depuis plus de vingt ans, et nous avons mené tant de choses ensemble que je préfère de loin penser à ce que je lui dois, et au vif plaisir d’avoir croisé un jour sa route. Peut-être – qui peut savoir ? – nous retrouverons-nous un de ces jours.

Ce que je vais écrire n’est pourtant pas très agréable pour lui. Nous avons passé des dizaines de soirées à parler de ce qui nous obsède, c’est-à-dire la crise écologique. J’ai toujours su que nous n’avions pas le même regard sur le phénomène, mais cela ne m’a jamais le moins du monde dérangé. Nos échanges étaient agréables et sincères, profonds à l’occasion, et que demander de plus ? Au fil des ans, il me semblait que nous étions au moins d’accord sur l’urgence, la gravité, la nécessité de trouver des formes inédites de combat. Il me semblait.

Puis Jean-Paul est devenu, comme disent les misérables gazettes que nous lisons tous, le « bras droit » de Nicolas Hulot. Je précise que j’apprécie ce dernier de longue date, malgré tout ce qui me sépare de lui, qui n’est pas rien. Venu des fins fonds de l’univers médiatique et marchand, il a entrepris une sorte de longue marche d’une grande élévation. Et je vois qu’il est le seul ou à peu près à savoir parler de l’essentiel à des millions de personnes en même temps. J’abhorre TF1, mais l’émission de Hulot Ushuaïa Nature est un modèle de pédagogie écologiste de masse. Puis, je vous le dis comme je le crois, ce n’est pas une mauvaise personne. Cette expression vous fera peut-être sourire, mais elle a pour moi un sens profond. ¡ Bueno, vale !

L’ami Besset, donc. Le voici lancé dans une aventure politique que je juge inepte. Ni plus ni moins. Depuis des mois, je sais que Dany Cohn-Bendit, Jean-Paul et quelques acteurs importants du Grenelle de l’Environnement d’octobre passé réfléchissent ensemble à l’avenir. Ma foi. Je savais qu’ils rêvaient – mon Dieu, quel cauchemar ! – d’une liste commune pour les européennes de 2009. Nous n’en sommes plus très loin, et probablement en avez-vous entendu parler (ici).

Les Verts, ridiculisés par les dernières élections, vont probablement monter à bord, ainsi que José Bové et des responsables d’ONG écologistes, acteurs du Grenelle. Et vogue la galère ! Je vous assure qu’il me serait aisé de me moquer de chacun d’entre eux, et de manière cruelle. Cohn-Bendit est par exemple devenu un (minuscule) pilier du monde réel de la destruction. Un homme qui a totalement renoncé à changer quoi que ce soit d’important. Les preuves en sont si massives, si visibles que je ne les cherche pas. Cohn-Bendit accompagne la marche à l’abîme en sifflotant. Je lui en veux d’autant plus qu’il a jadis été au contact de vrais penseurs, comme l’inoubliable Cornelius Castoriadis. Il sait donc ce qu’est la critique. Il sait ce que certains ont dit de notre univers, il a même prétendu à l’occasion partager leur point de vue. Mais il sifflote. Soit.

José Bové, de son côté, accepte de remiser son bric-à-brac des présidentielles pour mieux revenir au centre du jeu médiatique. Et d’apporter ce qui lui reste de prestige à des embrassades bouffonnes. J’en suis triste, conscient qu’une place exceptionnelle était à prendre en France après le démontage du MacDo de Millau en 1999. C’est désormais trop tard. Jean-Paul sera donc avec les deux autres sur les estrades, et deviendra, sauf coup du sort, député européen.

Bon, changeons de registre. Ce qui m’est insupportable, dans cette opération politicienne, c’est les affreuses illusions qu’elle disperse une fois de plus. Des élections européennes, avec présence écologiste, il y en a depuis 1979, soit près de trente ans. Cette année-là, la regrettée Solange Fernex menait une liste dénommée Europe Écologie, le même intitulé choisi, provisoirement du moins, par Cohn-Bendit et l’ami Besset. Ahimè ! Hélas ! Voulez-vous me dire ce qui a changé depuis ? Voulez-vous me dire ce qui changerait demain si cette liste ridicule de 2009 obtenait 10, 12, 15, 18 % des voix ? Je vous donne sans hésiter ma réponse : rien.

Les promoteurs de la liste, Jean-Paul en tête, croient avec une naïveté que je croyais réservée aux naïfs, que le changement pourrait venir de cette petite activité des humains qu’on appelle la politique. Oui, ils semblent penser que ce terrain, aujourd’hui bouleversé de fond en comble, criblé de trous d’obus, aussi impraticable qu’un court de tennis battu par des vents de 200 km à l’heure, serait le bon. C’est là, dans l’enceinte du parlement européen – au fait, j’espère que le menu du midi vaut au moins le déplacement à Strasbourg, les gars – que pourraient s’inverser les tendances lourdes de l’époque. Que pourraient être empruntés de nouveaux sentiers, qu’une autre voie serait recherchée.

Baliverne ! Balivernes à tous les étages et pour tout le monde. Ce dont nous avons un besoin crucial et décisif, c’est d’une révolution culturelle et morale. Nous devons, c’est un impératif catégorique, trouver la manière utile, efficace, de mettre en mouvement des pans entiers de la société. Lui assigner des objectifs neufs, des désirs compatibles  avec un avenir possible, l’entraîner, au moins en partie, à rompre avec l’imaginaire de ce monde en complète déréliction. Car enfin, car voyons, soyons sincères une seconde au moins. De deux choses l’une. Ou, comme tant d’auteurs n’ont cessé de l’écrire au fil des décennies, le temps nous est compté. Plus même que nous ne le pensions, car la dégradation des grands écosystèmes est désormais très avancée, et la crise climatique pratiquement hors de contrôle. Jean-Paul ne juge pas autrement, je m’autorise à l’écrire ici. Mais en ce cas, il faut imaginer, créer, renverser la table, éructer, rassembler les révoltés. Ou bien, tout cela n’est que billevesée. Le discours écologiste, resucée des éternelles peurs millénaristes, serait à mettre entre parenthèses, à traiter comme un symptôme parmi d’autres d’une société inquiète d’elle-même. Ou, ou. Mais pas les deux, de grâce.

L’élection de 2009 est une honteuse capitulation, une énième occasion ratée de prendre les risques nécessaires. Risques, oui, car rien ne nous sera jamais acquis. Mais liberté, aussi. Cette folie de notre espèce, cette manière de changer le réel ne ressemble à rien d’autre qu’elle-même. Et je l’aime.

Le Prince Charles, le général Ludd et moi

Vous savez quoi ? Si nous étions moins français dans notre manière de voir le réel, je crois pouvoir dire que nous nous porterions mieux. Si nous cessions de voir le monde au travers des lunettes déformantes d’une histoire nationale que nous jugeons admirable et parfois même incomparable, eh bien, nous en saurions davantage sur l’état réel de la planète.

Ainsi des OGM. Nous sommes si fiers des Faucheurs volontaires ! À juste titre, d’un certain côté, puisque tant d’autres se couchent instantanément devant l’ordre marchand. Mais nous oublions au passage à quel point le déferlement de la manipulation génétique est planétaire, tragiquement planétaire. Dernier exemple à ma connaissance : le Vietnam résistant aux B52 – du temps de mon adolescence – est aujourd’hui parti pour en remontrer à la Chine sur la « croissance ». Ce pays martyr expérimente les pires folies du temps.

Pour simplement nourrir son bétail, le Vietnam importe 2,4 millions de tonnes de soja par an, ce qui en fait le champion de toute l’Asie. Ô mânes de Dien-Bien-Phu, de la plaine des Jarres et de la piste Ho Chi Minh ! Les bureaucrates du parti au pouvoir, imitateurs grotesques de cet Occident qui leur a fait découvrir les joies de la dioxine, veulent atteindre 70 % de cultures OGM dans la production nationale du soja d’ici à 2020. Les vendeurs d’OGM leur ont dit que c’était bien, et nos excellents amis en place l’ ont cru. Il faut dire que de gros chèques libellés en dollars, et destinés à des comptes numérotés offshore, favorisent le cours des affaires mondiales.

Le Vietnam. Et le prince Charles. Si je peux me permettre, il n’est pas tout à fait ma tasse de thé favorite. Or, j’aime le thé. Mais le prince Charles, donc, très probable futur roi d’Angleterre. Il vient d’accorder un entretien remarquable à un quotidien de droite, très lu dans les milieux patronaux et à la campagne, ce qui en reste du moins. Dans the Daily Telegraph (ici, en anglais),  Charles – pardon pour cette coupable familiarité – pilonne comme rarement les OGM. Selon lui, les organismes génétiquement modifiés menacent la planète de la pire catastrophe écologique de son histoire.

C’est un point de vue, qu’on peut discuter à l’infini. Car en ce vaste domaine du malheur général, les alarmes sonnent partout en même temps. Il n’empêche que le grand coup de gueule du Prince fait chaud au coeur. Car il s’en prend aussi, surtout, à la formidable puissance accumulée par les transnationales de l’alimentation, et en appelle au sursaut par les petits paysans : « Dépendre de groupes gigantesques pour la production alimentaire plutôt que de petits fermiers ne peut déboucher que sur un désastre total ». J’adhère, je dois le reconnaître.

Et Charles ne s’arrête pas en si bon chemin, précisant pour les mal-entendants : « Si c’est ça [l’invasion par les OGM] l’avenir, ne comptez pas sur moi ! (…) Nous finirons avec des millions de petits paysans du monde entier chassés de leur terre en direction de villes tentaculaires, d’une horreur indicible, dégradées, ingérables, insoutenables et non fonctionnelles ». Lancé à vive allure, il attaque y compris ces scientifiques imbéciles – ce mot est de moi, pas de lui – qui croient dompter l’avenir et jusqu’aux effets de la crise climatique avec les OGM. Selon lui, la science a conduit à une surexploitation de la nature, qui détruit les équilibres les plus essentiels.

Vous pensez bien qu’une telle charge ne pouvait laisser indifférents les nombreux amis du progrès génétique sans rivage. Même en plein mois d’août. Une mention spéciale pour le parlementaire travailliste Des Turner, qui appartient à l’importante commission Science et technologie du parlement britannique. Dénonçant le supposé obscurantisme de Charles, il a précisé sa haute pensée en déclarant : « It’s an entirely Luddite attitude to simply reject them (GM crops) out of hand ». Ce qui signifie : « Simplement rejeter d’emblée les OGM relève d’une attitude complètement luddite ».

Voilà le gros mot lâché : luddite. En 1780, en Angleterre, un certain John – ou Ned ? – Ludd aurait détruit deux métiers à tisser. A-t-il seulement existé ? En 1811, en tout cas, des ecowarriors du temps passé ont exhumé son nom et envoyé des lettres à certains patrons du textile, signées le plus souvent General Ludd. Des lettres de menace, soyons franc. Des lettres menaçant de sabotage les usines et surtout les nouveaux métiers à tisser qui jetaient dans la misère noire les anciens artisans.

Et du sabotage, il y en eut ! Jusqu’en 1817, les luddites détruisirent à qui mieux mieux ces nouvelles technologies qui avaient – déjà – tout oublié des devoirs humains élémentaires. On pense qu’à un moment de cette grande révolte, l’Angleterre capitaliste naissante a mobilisé davantage de troupes contre les luddites que contre notre grand tyran Napoléon.

Bon, et puis après ? Ils ont perdu, comme nous savons, mais ils se sont bien battus. Depuis cette date, quand on veut disqualifier les ennemis de ce monde, de cette science, de ces technologies, on les accuse de plus en plus souvent de luddisme, du moins en terre anglosaxonne. En France, dans notre petite France provinciale qui déteste le vent du large, on se contente de dire, sur tous les tons possibles : « Alors les écolos, vous voulez revenir à la bougie et à l’âge des cavernes ? ». Après quoi, rigolade pour (presque) tous.

Mes deux conclusions de ce 15 août 2008, les voici. Un, j’aime bien ce quasi-roi d’Angleterre. Je me demande si j’aurais un jour l’occasion de lui serrer la main, mais je n’en suis pas certain. Et deux, je suis absolument, résolument, définitivement un luddite. Vous vous en doutiez, non ?

PS : Au fait, nobles amis écologistes du Grenelle de l’environnement, et ces OGM ? J’espère vivement que vous saurez fêter dignement le premier anniversaire de l’événement qui vous a rendus célèbres et enthousiastes. Octobre sera bientôt là, les gars !

Dansons joue contre joue (Pékin sous la brume)

Vous pensez bien, je l’espère, que je ne regarderai pas une seule image des JO, qui commencent aujourd’hui à Pékin. Si notre monde n’était affublé de ridicules lunettes qui lui font voir la vie comme il aimerait qu’elle soit, il verrait fatalement autre chose. Je reconnais que je ne suis pas allé chercher cela très loin. Au cours des deux derniers jours, malgré les flics par centaines de milliers, malgré l’interdiction d’une grande part de la circulation automobile, malgré la fermeture d’un nombre incalculable d’usines, malgré des mesures administratives qui n’avaient encore jamais été prises sur terre à cette échelle, où que ce soit, la brume a régné sur la capitale chinoise.

Je n’ai, pour ma part, besoin d’aucune autre image. Bien entendu, pour les autorités bureaucratiques, c’est normal. La chaleur et  l’humidité produisent de la brume. Bien entendu. Je note deux compléments. Un, hier matin en tout cas, le Nid d’oiseau, inventif petit nom donné au grand Stade national, était invisible depuis les routes qui l’encerclent. Deux, et pour l’histoire, tant c’est drôle, cette phrase du président du Comité international olympique (CIO), Jacques Rogge : « Il se peut qu’il y ait de la pollution ». Coluche pas mort.

PS : pourquoi danser joue contre joue ? Mais pour se voir, tiens !

Touché, coulé, escamoté (manoeuvre militaire)

Le 15 janvier 2004, à 12h25, Yves Gloaguen annonce sur le canal 2 de sa radio VHF : « Serge, viens vite, on chavire ! Fais vite, on chavire ! ». Yves est le patron du chalutier breton Bugaled Breizh, en pêche au large du cap Lizard, devant les côtes anglaises. Il parle à son copain Serge, le patron d’un autre chalutier, L’Éridan, qui n’est pas loin.

Quand L’Éridan arrive au secours, après avoir relevé précipitamment son chalut, il est trop tard. Le Bugaled a sombré, les cinq marins du bord sont morts. Commence une histoire folle, mais banale, très bien racontée dans un livre que j’ai lu, et que je vous recommande : Le Bugaled Breizh, par Laurent Richard et Sébastien Turay (First éditions). Je vous passe bien volontiers les innombrables détails. Tout, absolument tout indique qu’un événement singulier entre tous s’est produit. Le Bugaled n’a pas pu être la victime d’un accident de pêche. Les autorités amorcent en conséquence – et entre autres – un leurre, en l’occurrence un bateau philippin qui, peut-être, aurait harponné le Bugaled, etc.

Comme l’on sait, la vérité est ailleurs. Des manoeuvres militaires de l’Otan avaient lieu sur zone au même moment, qui impliquaient la présence de sous-marins nucléaires. Un croquignolet détail qui change tout le tableau de l’affaire. Dès le départ, toutes les techniques professionnelles de désinformation sont mises en oeuvre pour calmer les esprits surchauffés des familles. Pardonnez, je ne peux m’étendre. Au bout de cinq années, les juges d’instruction chargés du dossier viennent de provoquer un petit, tout petit séisme, admettant cette évidence pour qui connaît tant soit peu le dossier : le Bugaled a très probablement été entraîné sous l’eau à la suite d’une rencontre imprévue avec un sous-marin nucléaire (ici). Peut-être néerlandais. Peut-être britannique. Français, pourquoi pas ?

Dans tous les cas, l’armée française a grossièrement menti aux proches des victimes. Ce qui peut sembler étrange pour une institution au service du peuple et de la République. Oui, je me moque. En tout cas, je vous prie, retenez ce fait plutôt pénible : l’armée démocratique d’un pays démocratique peut raconter ce que bon lui semble pendant des années, se moquant ouvertement de devoirs pourtant élémentaires.

Est-ce nouveau ? Je vais vous surprendre : non. Le 14 mai 1987, le chalutier breton La Jonque cesse de donner de ses nouvelles. Cinq hommes à bord, comme pour Le Bugaled. La dernière fois qu’il en a donné, le bateau était au nord-ouest d’Ouessant, et la mer était belle. Le 17 mai, quand des avions militaires se lancent au secours des probables naufragés, il se passe un fait inouï : l’un d’eux, un Bréguet-Atlantic, repère un canot de sauvetage avec deux hommes à bord. Les hommes du Bréguet sont des spécialistes et connaissent évidemment la chanson par coeur : ayant survolé la mer à cent pieds – trente mètres – d’altitude, ils décrivent deux rescapés épuisés. Peuvent-ils se tromper à ce point ? Vous connaissez la réponse comme moi.

Et pourtant, une autre version sera finalement imposée de force. Les bandes magnétiques contenant les échanges entre le Bréguet et le centre de secours à terre sont étrangement effacées, et ne pourront servir à l’enquête. Quand je dis étrangement, je me rends bien compte que le mot n’est pas adapté aux circonstances. Quel responsable aurait l’idée d’effacer de la sorte une preuve judiciaire décisive ? Lorsque La Jonque sera finalement retrouvée sur des fonds sableux, le mystère sera encore plus complet. Car comment un chalutier peut-il crocher – accrocher – son filet dans du sable au point d’être entraîné à sa suite ?

Un dernier point sur ce drame pesant. Et ce radeau de survie ? Et ces deux hommes vus à 30 mètres de distance par de grands professionnels de la mer ? S’ils ont existé, que sont-ils devenus ? Je précise que des hypothèses infamantes ont circulé en Bretagne pendant des années. Oui, que sont devenus ces témoins potentiels et virtuels ? Beaucoup, quoi qu’il en soit, restent persuadés que La Jonque a croisé la route maritime d’un sous-marin nucléaire d’attaque. Pour son malheur.

Savez-vous ? Il existe en France un dogme d’une puissance telle que personne ne le questionne : notre armée ne saurait faire le mal, jamais. Nul ne l’évoque, mais il est présent dans toutes les têtes, et agit à l’insu même de ceux qui propagent le mensonge. Sauf lorsqu’un fait se passe sous les yeux du public, il est aussitôt nié. Et bientôt oublié. L’armée veut à tout prix faire croire que ses activités ne sont que bénéfiques. Mais comme il s’agit d’un mythe, il faut sans cesse bâtir des légendes et des balivernes pour lui permettre de perdurer. Ainsi, officiellement, rien ne saurait arriver dans les trois ports nucléaires que sont Toulon, Cherbourg et Brest.

N’est-ce pas un peu curieux ? Depuis des décennies, des sous-marins entrent et sortent, parfois au coeur d’une agglomération, sans qu’aucune fuite ou pollution ne soit signalée. On décharge, on révise, on répare sans gêne des réacteurs nucléaires dans la ville même – à Toulon par exemple -, mais sans jamais le moindre pépin. Sans produire le moindre effluent. Sans menacer la vie de qui que ce soit. Voilà ce que j’appellerais une bluette.

Ce système vient de loin, et il est peu probable qu’il change avant longtemps. Car il repose sur la place, exorbitante du droit commun ô combien, qu’a prise l’armée dans notre société. Cette terra incognita, habitée de centaines de milliers d’actifs ou de retraités, commande en fait des pans entiers du pays, sans qu’aucune critique ne soit seulement imaginée à son endroit. Elle règne, coopte ses responsables, organise « l’information » sur ses activités. Savez-vous qu’aucun journaliste ne peut suivre les activités de notre Grande Muette sans détenir une habilitation, accordée après enquête ? C’est donc l’armée qui choisit ceux qu’elle tolérera dans les conférences de presse, au cours des briefings, éventuellement sur le pont d’un porte-avions le temps d’une séance de propagande.

Je le gage, avec une grande tristesse : cette situation finira par une catastrophe. Je note au reste dans le livre écrit par Bruno Le Maire une phrase très éclairante. Le Maire, aujourd’hui député UMP, a été le directeur de cabinet de Dominique de Villepin lorsque celui-ci était Premier ministre, entre 2005 et 2007. Le Maire a livré un récit au jour le jour de son travail (Des hommes d’État, Grasset), et à la date du 17 janvier 2006, il rapporte un bout de discussion entre Sarkozy, Villepin et Debré (Jean-Louis). Cela vaut le détour : « La discussion tombe sur la proposition de plusieurs députés d’obliger les services secrets à rendre des comptes au Parlement. Nicolas Sarkozy, qui pianote sur son portable depuis plus de dix minutes, relève la tête. “C’est une très bonne idée. Au moins, on apprendra peut-être quelque chose sur ce qu’ils font. Parce que je ne sais pas, vous, Dominique, Jean-Louis, vous avez été ministres de l’Intérieur, on ne sait jamais trop ce qu’ils fabriquent, c’est un mystère”. Jean-Louis Debré hoche la tête : “Et c’est peut-être mieux comme ça, Nicolas” ».

Voilà. Notre démocratie. Nos armées. Notre nucléaire militaire. Une erreur est cachée dans ce tableau à trois faces. Saurez-vous la retrouver ?

Patrick Braouezec a besoin d’un chien (d’aveugle)

Je dois avouer que je me moque de M. Braouezec comme de ma première chemise. Non, ma première chemise, j’y tiens, j’y songe encore, et avec tendresse. Tandis que si je devais écrire ici ce que je pense vraiment de l’ancien maire de la ville de Saint-Denis, j’irais droit en prison, sans passer par je ne sais quelle case départ.

Qui est ce monsieur ? Un député communiste, opposant de longue date dans son parti-croupion, partisan de tous les rapprochements possibles avec la gauche dite radicale et des personnages comme José Bové. Il est adulé par les médias publics, il est adoré par le petit monde qui  a signé l’appel pathétique dont je vous entretenais il y a peu (ici). Moi, il y a beau temps que je ne prête plus aucune attention à ce genre de personnes.

Mais aujourd’hui, bien obligé. Mais aujourd’hui 6 août 2008, vers 8h25, buvant du thé en écoutant distraitement France-Inter, j’entends soudain ce monsieur, interrogé par un journaliste appelé Pierre Weill. Braouezec parle de la Chine, pérore serait plus exact. Weill : « Mais est-ce une dictature ? ». Et l’autre : « Non, je ne crois pas qu’on puisse dire cela. Il y a des problèmes de libertés… ». Weill : « Alexandre Soljenitsyne vient de mourir, y a-t-il un goulag en Chine ? ». Le député : « Non, je ne pense pas qu’il y ait un goulag en Chine… ».

À cet instant, j’ai tout arrêté, car je suis sanguin parfois, et les appareils radio d’aujourd’hui ne résistent pas à la violence de certains chocs. J’ai arrêté, stupéfait oui. Stupéfait je répète, car cela, je ne le croyais pas possible. Je ne pensais pas qu’un stalinien aussi remanié – chirurgie esthétique, botox et autres artifices – que Braouezec pouvait dire de tels mensonges avec un tel aplomb. Ce n’est pas la peine que je perde mon temps : le Goulag chinois s’appelle le Laogai (??, abréviation de laodong gaizao ?? ??). Ce goulag-là compte au moins un millier de camps, où sont bouclés des millions de serfs. Six, peut-être. On saura le vrai chiffre lorsque cette dictature  qui n’existe pas aura été abattue.

Tenez, cette dernière pour la route : pendant longtemps, le régime de Pékin faisait payer par les familles la balle qui tuait les condamnés à mort. Je ne sais si c’est encore le cas, il faudrait demander à ce monsieur Braouezec, coqueluche de la gauche et si noble figure morale. En tout cas, des milliers de prisonniers sont assassinés légalement chaque année en Chine. Un record du monde. Un record olympique. Pouah !

PS : Cet article n’a pas de rapport avec la crise écologique, objet de ce rendez-vous. Pas de rapport direct, s’entend. Car en réalité, le lien existe bel et bien. Il n’y a pas d’avenir possible et souhaitable sur cette terre sans révolution morale. Et cette révolution-là, que j’appelle de la totalité de mes voeux, ne peut pas, en chemin, oublier la vérité.