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Quatre ministres magnifiques (Méhaignerie, Nallet, Rocard, Vasseur)

Je me doute bien que vous n’avez pas tous lu l’article dont je vais vous parler. Il s’agit d’une tribune publiée dans le journal Le Monde du 30 avril 2008. Elle est signée par quatre anciens ministres français de l’Agriculture : MM. Pierre Méhaignerie, Henri Nallet, Michel Rocard et Philippe Vasseur. Deux sont socialistes, deux sont libéraux, la balle est donc pour moi.

Pour plus de sûreté, je vous mets sous mon propos le texte lui-même, car on ne sait jamais, avec le Net. La référence volatile d’un petit clic pourrait disparaître sans préavis, et nous aurions alors perdu un morceau d’histoire, ce qui serait infiniment dommage. Je ne peux ni même ne veux faire ici la critique complète de la prose des anciens ministres. Cela serait long et fastidieux, et vous savez lire comme moi.

Allons au but : ils cherchent à combattre le retour des famines de masse, provoqué à 100 % par le système agricole qu’ils défendent bec et ongles depuis plus de trente ans. Eh oui, le temps passe, et ce pauvre Méhaignerie, ci-devant ingénieur agronome, a été secrétaire d’État, puis ministre de l’Agriculture entre le tout début de 1976 et la chute fatale de Giscard en 1981. Vasseur a été deux ans ministre de l’Agriculture dans les gouvernements Juppé, entre 1995 et 1997. Difficile de dire plus de mal de lui qu’il n’en écrit lui-même sur son blog. Je vous recommande, pour la profondeur de la pensée, ce morceau sublime. Tempêtant en juillet 2007 contre le bioéthanol tiré de la canne à sucre brésilienne, il notait avec finesse : « Ce serait tout de même un comble que la France « grande puissance agricole » se mette à rouler avec de l’éthanol importé ! ». Je le dis à tout hasard, c’est du premier degré.

Passons à Rocard. On ne devrait pas pouvoir tirer sur une ambulance, mais puisque la loi le permet, j’épaule et je vise. Rocard. Qui aura tout raté. Qui aura prétendu faire la révolution et termine sa vie en commissionnaire de Sarkozy. Mais qui fut au passage ministre de l’Agriculture de la gauche au pouvoir de 1983 à 1985. Et de l’Aménagement du territoire avant. Et même Premier des ministres après. Quant à Henri Nallet, il tint la charge suprême agricole à deux reprises, de 1985 à 1986, puis de 1988 à 1990. Cette gentille bande des quatre vient donc de publier un texte rempli et même dégoulinant d’humanisme. Avec un titre parfait, dont je leur envie la force et la clarté : « Que faire contre la faim ? ».

Qui l’a écrit ? J’aimerais le savoir. L’un d’eux ? Possible. L’un de leurs innombrables nègres du passé ? Possible, probable. Ce n’est pas grave. Le contenu est d’une telle richesse que je dois me concentrer un peu. Comme l’avait fait Chirac quelques semaines auparavant – lui aussi, tiens, un ancien ministre de l’Agriculture -, nos quatre héros plaident pour l’agriculture vivrière. Vous savez bien, cette petite invention locale qui permet de nourrir les hommes depuis 8 000 ans.

Pardi ! Si ces pauvres garçons du Sud se mettaient à produire pour eux et leurs proches, plutôt que pour ce système mondialisé de concurrence infernale, cela n’irait-il pas mieux, tout bien réfléchi ? Mais si, voyons ! Par ailleurs, si les vilaines institutions internationales – Banque mondiale, OMC, OCDE, FMI – que la France déteste tant arrêtaient de faire des misères à tout le monde, est-ce qu’on ne mangerait pas davantage ? Mais si, enfin, c’est l’évidence !

Seulement, n’est-ce pas, il y a tout de même quelques conditions. On ne produit pas de la bonne nourriture avec de bons sentiments. La clé – ô que ces grands hommes méritent leur destinée ! – du progrès repose sur un impératif : il faut « acheter des machines, des engrais, des semences à partir de programmes d’aides ». Venus d’Europe ? Cela n’est pas précisé, mais cela ne sera pas nécessaire. Car seule l’Europe est assez philanthropique pour de telles actions de grâce. Les Américains, eux, sont des gredins, qui se sont jetés sur les biocarburants, au risque certain de déséquilibrer le marché alimentaire mondial.

L’Europe, elle, ferait le contraire. Non pas en abandonnant tout soutien à une filière criminelle, mais au contraire, en la poursuivant. Car quand les Américains font des biocarburants, bah, ils se comportent en Américains. Tandis que nous aiderions, en suivant cette voie audacieuse, à stabiliser le prix des céréales à un haut niveau, tout en liquidant de fâcheux excédents. Ce serait beau, ce serait grand, ce serait, en un mot comme en cent, Français.

J’ajouterai deux ou trois phrases plus nettes. Ces quatre hommes ont modelé depuis des lustres l’agriculture française et en ont fait la deuxième plus grande exportatrice au monde. Notre paysannerie a disparu, notre pays est pollué jusqu’aux plus profondes de ses nappes phréatiques, nos produits ont constamment déferlé sur les marchés du Sud, dopés par des subventions publiques dont ils sont les premiers responsables.

Le modèle industriel de l’agriculture fait certainement partie de nos plus grands désastres nationaux. Et ces hommes suggèrent de l’appliquer au reste du monde, notant sans y penser : « L’Europe n’a pas agi autrement lorsque, au lendemain de la seconde guerre mondiale, il lui a fallu reconstruire son appareil productif agricole et nourrir une population urbaine croissante ». Leur grande idée cinglée est donc de recommencer là-bas ce qui a si bien marché ici, pour le plus grand bien de l’industrie agricole made in France. Je les crois sincères. Je suis tout près de les plaindre, car à ce stade, n’est-ce pas, la cruauté est bien inutile. Au passage, notons qu’ils radotent une vérité profonde qui a du mal à pénétrer les esprits : la gauche comme la droite pensent exactement la même chose.

Ci-dessous, la tribune de nos chers et tendres anciens ministres.

Que faire contre la faim ?

Les émeutes de la faim en Afrique, en Asie et en Amérique latine ont déclenché un mouvement de compassion dans l’opinion publique qui pousse les responsables de la communauté internationale à prendre des mesures d’urgence en faveur des populations les plus touchées. Mais l’émotion retombée, si des mesures plus radicales et structurelles ne sont pas prises, les drames auxquels nous assistons pourraient se reproduire, à une plus grande échelle encore, sous le simple effet de la croissance démographique et l’augmentation de la demande des pays émergents. La gravité potentielle de cette situation mérite qu’on cherche, au-delà de nos divergences politiques légitimes, des idées simples autour desquelles les responsables de la planète pourraient unir leurs efforts.

Il a suffi d’un faible déficit de production de céréales (- 10 %) au moment où quelques pays émergents comme la Chine augmentaient leur demande pour provoquer une forte hausse du prix du marché, amplifiée par la technique financière des produits dérivés et les possibilités de spéculation.

Ainsi, après une quarantaine d’années de baisse des prix mondiaux des céréales (- 60 %), alors que la production augmentait (+ 100 %), deux ans ont suffi pour que les prix doublent… Le caractère très volatil des prix agricoles, contre lequel on cherche à se prémunir depuis le XVIIIe siècle, a un effet ravageur dans un monde totalement concurrentiel, où les prix des transactions s’établissent sur les coûts de production des producteurs les plus compétitifs. A son point le plus bas, la tonne de blé valait, il y a quelques années, 50 dollars… A ce prix, aucun paysan producteur de cultures vivrières des pays en développement ne peut résister à la concurrence des céréales importées. Il abandonne la production et part grossir la foule des urbains pauvres. Et quand le prix remonte (aujourd’hui 400 dollars la tonne), ce sont les salariés et les chômeurs de ces mêmes pays qui ne peuvent plus acheter… Les gouvernements de certains pays en voie de développement se sont longtemps satisfaits de cette situation qui permettait de nourrir au plus bas prix les populations urbaines. Ce n’est plus possible dans la situation actuelle du marché, et les peuples affamés se révoltent.

Ce sont donc l’instabilité des prix agricoles et la concurrence des grands pays producteurs qui ont découragé les agriculteurs des pays du Sud. Les grandes institutions internationales (Banque mondiale, OMC, OCDE, FMI…) peuvent bien aujourd’hui faire de beaux discours sur le développement agricole, elles ont contribué, pour leur part, au cours des années 1980 et 1990, à le rendre impossible dans les pays pauvres en les mettant à la merci d’un marché inaccessible et déloyal…

80 % des 3 milliards de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté habitent dans les zones rurales, et la plupart sont des paysans. L’objectif majeur doit donc viser à les encourager à produire pour se nourrir et nourrir leurs concitoyens. Comme le suggère la FAO, il faut profiter de la haute conjoncture des prix agricoles pour favoriser leur « décollage » et acheter des machines, des engrais, des semences à partir de programmes d’aides. Puis leur permettre de maintenir des niveaux de prix rémunérateurs pendant une période assez longue assurant la stabilité sans laquelle il n’y a pas de développement agricole possible.

L’Europe n’a pas agi autrement lorsque, au lendemain de la seconde guerre mondiale, il lui a fallu reconstruire son appareil productif agricole et nourrir une population urbaine croissante. Elle a mené une vigoureuse politique publique d’encouragement à la production, assuré la stabilité des prix et protégé ses producteurs par un tarif extérieur commun. C’est ainsi qu’elle est parvenue à sauvegarder depuis un demi-siècle la sécurité de son approvisionnement alimentaire.

Le développement des agricultures vivrières est donc la tâche urgente et prioritaire que doit se donner la communauté internationale, car c’est d’abord dans ces pays que la population va croître très vite dans les prochaines années. C’est dans le Sud que se jouera l’avenir alimentaire de l’humanité. Il ne peut pas être laissé aux seuls soins du marché, des surplus du Nord et des bonnes opérations des spéculateurs. Il faut qu’il soit l’affaire des paysans du Sud et de leurs responsables avec le soutien et la protection des pays mieux dotés. Il faut que les actes suivent et que l’aide publique au développement revienne au coeur des politiques de solidarité.

Cet effort pour l’autonomie alimentaire des pays du Sud correspond à l’intérêt bien compris des pays du Nord. En effet, si la demande alimentaire est pour partie satisfaite localement en Afrique et en Asie, les grands pays producteurs du Nord pourront à leur tour modifier radicalement leurs politiques agricoles dans le sens exigé par l’opinion publique : plus de qualité et moins de pollution consécutive au grand mouvement d’intensification qui a permis à la fois la libéralisation des marchés et la baisse des prix. Ils pourront même, sans mauvaise conscience, consacrer une petite fraction de leurs terres arables à produire des biocarburants afin de contribuer à la diversification nécessaire de leurs sources d’énergie, dès lors que leur bénéfice pour l’environnement est globalement démontré.

Si le programme de biocarburants des Etats-Unis a détourné de la consommation humaine une partie du maïs, provoquant la hausse du prix de cette céréale consommée par les Mexicains, les projets européens en matière de biocarburants n’auront pas les mêmes effets. Les céréales que l’on se propose de transformer en carburants représentent 5 % à 7 % de la production européenne, exactement les surplus dégagés jusqu’ici par le marché et bradés aux pays déficitaires avec des subventions à l’exportation qui ont justement mis à mal les productions agricoles du Sud ! On ne peut donc pas reprocher à l’Europe à la fois de vendre à bas prix ses surplus et d’affamer l’humanité lorsqu’elle décide de les utiliser à d’autres usages !…

Ajoutons que les biocarburants contribueront à stabiliser les prix des céréales et des graines à un niveau relativement élevé, ce qui est absolument nécessaire pour les paysans du Sud. Enfin, certains biocarburants, produits à partir d’oléagineux, fournissent des tourteaux riches en protéines qui se substituent aux céréales et aux tourteaux de soja importés pour l’alimentation animale.

L’agriculture européenne doit donc s’inscrire résolument dans un effort global pour mettre en oeuvre, comme vient de le demander l’ONU, « une nouvelle politique agricole mondiale » : développement massivement encouragé des agricultures du Sud, réorientation des agricultures du Nord vers plus de respect de l’environnement et des économies d’énergie, renforcement et gestion multilatérale de l’aide alimentaire d’urgence…

Ce programme, simple, forme un tout. Il y a interdépendance entre le développement de l’agriculture vivrière au Sud et la réorientation de l’agriculture au Nord. Il peut, aujourd’hui, être entendu de l’opinion publique et recevra l’appui de la majorité des agronomes et des économistes ruraux. Pour en décider, il faudra cependant une détermination politique farouche, mais elle commande, en partie, le reste de l’histoire. La présidence française de l’Union sera une occasion de placer l’Europe au premier rang de cette belle bataille pour l’humanité.

Pierre Méhaignerie, Henri Nallet, Michel Rocard et Philippe Vasseur ont été ministres de l’agriculture

Faire ce qu’on peut faire (sur ce foutu aéroport)

En décembre dernier, ici, j’ai parlé du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Avant de passer la parole à des opposants vivant sur place, et qui ont décidé de résister, je souhaite vous dire mon point de vue d’aujourd’hui. Une bagarre commence, qui peut se révéler très importante. Peut : je ne suis pas devin. Mais il est clair que dans cette histoire s’affronteront deux visions du monde. D’un côté, ceux qui veulent continuer leur fuite en avant, nous traînant de force avec eux. Et de l’autre, les inconscients qui ont décidé de sortir des rangs, et d’emprunter quoi qu’il en coûte un autre chemin. Nous.

Je vous invite à regarder cette affaire avec les yeux du premier jour. Je vous invite à entrer dans la danse au plus vite, de la manière qui vous sera possible. Ce peut être un coup de fil, une visite, la participation aux premiers rendez-vous sur le terrain, le 1er mai, puis le 29 juin. Ce que vous voulez, mais faites-le ! Il faut selon moi transformer ce projet insupportable en un enjeu national et européen. Si nous gagnons, ce sera une date. Et si nous perdons, une autre.

Ultime précision. À ma connaissance, il existe plusieurs structures de résistance, et je vous renvoie à deux sites sur Internet : celui de l’Acipa et celui de Solidarités Écologie. Des associations comme Greenpeace Loire-Atlantique, la LPO, Bretagne Vivante (dont je suis membre), des syndicats comme la Confédération paysanne en sont.

Mais tout cela ne serait rien sans les habitants du lieu, qui se bougent. Et cela change tout. Ils sont décidés, déterminés, ils ont quelque chose à dire. Et nous devons les écouter. Ce qui suit est l’appel qu’ils lanceront le 1er mai, après un rassemblement organisé au lieu-dit Le Limimbout. Appelons cela, entre nous et pour rire, un scoop. Si vous avez le temps, faites partie de la fête. Et sinon, voici une adresse électronique : christiane.andre625@orange.fr. Et un téléphone : le 02 40 57 21 22. Un message de soutien serait déjà un geste. Tous ensemble ! Oui, tous ensemble !

L’aéroport de Nantes, c’est NON

Le monde s’enfonce dans une crise climatique angoissante, mais notre classe politique continue de parler une langue morte. Les gens qui défendent le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pensent l’avenir avec les mots d’un passé qui ne reviendra pas. Ils sont les héritiers de ceux qui attendaient l’armée allemande derrière la ligne Maginot, et qui se trouvèrent débordés en une nuit de mai 1940 par les blindés du général Guderian. Comme eux, ils se trompent d’époque.

Nous pourrions rire, si ce n’était aussi grave, du discours des promoteurs du nouvel aéroport. Comme la Toinette du Malade imaginaire, qui répond « le poumon » à toutes les questions posées sur la santé d’Argan, ils répètent, hébétés par eux-mêmes : la croissance, la croissance, la croissance.

Ils ne savent pas, parce qu’ils ne le sauront jamais, que notre planète atteint déjà ses limites physiques dans des domaines vitaux. Le transport en fait partie. Dans un monde fini, ceux qui poussent encore à la destruction des espaces et des espèces sont de redoutables aveugles.

La question de l’aéroport n’est pas de droite ou de gauche. Elle est une affaire humaine, et pour cette raison, nous nous en emparons. Ailleurs dans le monde, comme autour de l’aéroport londonien d’Heathrow, les mêmes que nous ont décidé d’agir : nous sommes l’espoir en mouvement, quand ils n’incarnent que le renoncement. Tous : le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault comme le Premier ministre actuel François Fillon.

Le pouvoir ne cesse de nous rabâcher que nous vivons bien au-dessus de nos moyens, que nous avons mangé notre pain blanc. Avoir un hôpital de proximité serait devenu un luxe intolérable : on en supprimera donc 250. Redon, Châteaubriant, Ancenis font partie de la liste ; mais un aéroport pour aller rejoindre les plages méditerranéennes, est une inéluctable nécessité, un intérêt public. L’économie marche sur la tête. Il est grand temps que les hommes reprennent en main leur destin.

Nous savons que ce combat, commencé il y a 35 ans, sera encore long et difficile. Et c’est pour cette raison que nous lançons ce 1er mai 2008 un appel à toute la France, à toute l’Europe. Il faut soutenir le mouvement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avec toutes les forces disponibles. Et par des moyens rarement utilisés à l’échelle que nous envisageons : l’occupation du territoire, la désobéissance civile, le refus complet et définitif.

Le compromis n’est pas possible, car ce combat qui continue, et qui concerne chacun, est entre une vie possible et un cauchemar certain. Nous vaincrons, non parce que nous sommes les plus forts, mais parce qu’il n’y a pas d’autre solution.

Les habitants qui résistent

Pour faire une bonne farce (Borloo en chef cuisinier)

Pour réussir une bonne farce onctueuse, qui ravira vos papilles, il faut d’abord un paradoxe. Oui, pour réussir ce plat qui vous entraînera au paradis des grands chefs, il faut commencer par trouver des gens qui ont faim. Disons cent millions, ou un milliard, ne nous fâchons pas sur les doses.

La recette peut débuter comme suit : il est 20h49 hier, mardi 22 avril 2007, et une dépêche tombe, comme on dit dans le jargon. Je la ramasse, je la lis, j’exulte, puis je me reprends. Le ministre français de l’écologie Borloo fait ce qu’on appelle une annonce. Il est forcé, notez bien. Car c’est désormais de tous les côtés de la terre – si l’on excepte les écologistes français, occupés à autre chose – que montent des cris de colère contre les biocarburants. Qui affament un peu plus ceux qui mangeaient déjà fort peu et très mal.

Borloo fait donc une annonce forcée. Depuis Rome, où se tient le Forum international de l’énergie. Et où tout le monde ou presque a reconnu les liens entre les biocarburants et la crise alimentaire. Mettez-vous à la place d’un homme qui entend bien poursuivre une carrière politique nationale et peut-être européenne. Et sachez que tous, tous ces gens-là pensent au moins une fois par semaine au sort de Laurent Fabius, dont le destin a basculé après l’horrible affaire du sang contaminé, où sa responsabilité a longtemps paru engagée.

Leur flip profond, l’un de leurs flips en tout cas, c’est que leur nom soit emporté dans une tourmente qui n’aurait pas été repérée en temps voulu par leur écurie de course. Et les émeutes de la faim peuvent faire partie d’un scénario catastrophe.

Alors on parle, à défaut d’agir. Et un Borloo parle d’un dossier sur lequel il n’a pratiquement aucune prise. Le responsable public du sujet, en France, c’est Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, qui pour le moment se tait. Borloo parle, mais c’est pour ne rien dire.

Certes, comme c’est un politicien madré, il emploie les mots que les journalistes futés que nous connaissons tous mettront à la broche, doreront à coeur, et serviront au déjeuner. Hum, comme ce sera alors délicieux ! Mais il ne dit rien. Si : que la France va faire une pause à propos des biocarburants de première génération, mais que les engagements pris seront tenus. Une pause sur quoi ? Mystère total. Portant sur quelle(s) production(s), à partir de quand, jusqu’où ? Mystère total et inévitable, puisqu’il s’agit d’un bluff d’une impudence inouïe.

La seule mesure sérieuse qui pourrait être prise serait de décréter l’arrêt immédiat des subventions publiques à l’industrie criminelle des biocarburants. À quoi l’on pourrait ajouter le lancement d’un travail pluridisciplinaire, sous contrôle d’une autorité indépendante indiscutable, pour rassembler les informations d’ores et déjà certaines sur le vrai bilan énergétique et écologique des nécrocarburants. Mais cela, on ne le fera pas. Car ce serait l’amorce d’une rupture historique entre la France des ministères et le lobby surpuissant de l’agriculture industrielle.

Borloo ? Du vent. Du vent et quelques bulles.

Rama et Bernard, de la Tragédie française

Cet article pourrait bien figurer sur le blog que je consacre aux biocarburants, mais enfin, le voici. Je vous invite, si vous avez une minute, à lire un texte paru hier dans le quotidien Libération. Il est signé de quatre de nos ministres : Kouchner, Jouyet, Yade, Joyandet. C’est une sorte de larmoyant plaidoyer pro domo : nos (toutes) petites excellences se demandent comment la France éternelle doit agir au regard des actuelles émeutes de la faim dans tant de pays du Sud.

J’en extrais ce morceau de choix : « Au nom de sa vocation universelle, au nom de la préservation d’équilibres politiques et migratoires précaires, en tant que principal producteur européen, la France ne peut pas accepter que l’on meure de faim au XXIe siècle ». Et puis quoi ? Et puis nos ministres annoncent la grande nouvelle qui fera d’eux des héros du Panthéon des droits humains : ils annoncent avoir réuni un groupe de travail. Un groupe de travail !

Oublient-ils au passage la cause centrale de l’insupportable crise en cours ? Oublient-ils les biocarburants, venus déstabiliser un marché alimentaire mondial tendu comme un arc depuis des années ? Pas même. Le bureaucrate de service, celui qui a écrit pour les quatre ministres la tribune de Libération, ce bureaucrate inconnu a parcouru quelques documents authentiques. Et il note exactement « un effet “biocarburant” consommant des surfaces de plus en plus étendues ». Sans doute faut-il y voir la main du Saint Esprit, puisque rien n’est dit du rôle barbare des bagnoles du Nord dans l’irruption du phénomène. Et rien du rôle de la France, l’un des plus grands producteurs agricoles au monde, acteur-clé de l’industrie criminelle des biocarburants. Et rien de la responsabilité écrasante de Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, qui soutient ardemment et publiquement cette entreprise de guerre à l’humanité.

Je ne sais comment qualifier Kouchner et les autres. Le spectacle médiatique de ces jours, Tibet compris, me lève le coeur comme rarement au cours de ces dernières années. Tandis que des frères humains meurent pour des causes essentiellement politiques, d’innombrables petits marquis dansent au-dessus des flammes. J’ai honte une nouvelle fois de ce pays et de ses dites élites. J’ai radicalement honte.

Et pour en revenir à Kouchner, que puis-je ajouter ? Comment un homme pareil peut-il incarner dans l’esprit commun la défense intransigeante du droit et de la morale ? La crise écologique est aussi une crise très grave de l’esprit. En tout cas, cette façon atroce de parader tout en laissant se commettre l’irréparable doit bien porter un nom. Je pense à nos émeutes de la faim du printemps 1789, et au sort fait aux accapareurs. Je n’aime pas la violence, malgré les apparences, et je ne souhaite pas qu’on coupe le cou de quiconque. Mais moi, je mange.

Nathalie, de la Comédie française

Jean-François Le Grand m’a bien fait rire, mais j’espère qu’il ne m’en tiendra pas rigueur. D’un côté, c’est sans doute un homme estimable, mais de l’autre, il est aussi un prince du comique, bien qu’involontaire. Imaginez ! Ce sénateur UMP découvre la lune et, comble, nous le dit. Au cours du débat insupportable sur les OGM à l’Assemblée nationale, notre homme a défailli, car, et c’est une citation, « certains ont fait main basse sur l’UMP afin de défendre des intérêts mercantiles, « ripolinés » pour les rendre sympathiques : on a parlé de l’avenir de la science, de celui de la recherche… La force de frappe de Monsanto et des autres semenciers est phénoménale. Il fallait voir la violence des réactions de Bernard Accoyer (président de l’Assemblée nationale) et d’autres au lendemain de l’avis rendu par le Comité de préfiguration. Il suffit de comparer les argumentaires des uns et des autres – identiques – pour comprendre l’origine de leur colère. Ils ont été actionnés. J’ai été approché par Monsanto, et j’ai refusé de leur parler. Je veux rester libre ».

N’est-ce pas sublime, mais vraiment sublime ? Poursuivons. À la suite de cette déclaration, le président de l’Assemblée nationale tonne. Écoutez le bruit, cela vaut le dérangement : Bernard Accoyer juge « inacceptable » le fait de « considérer que parce que tel ou tel parlementaire défendrait telle ou telle position, telle ou telle conviction, il serait à la solde d’intérêts privés ou de groupes de pression ». Molière ou Labiche ?

Ensuite, confusion générale, entourloupes à tout-va, jusqu’au cri de la pauvre Kosciusko-Morizet, découvrant à son tour ce que tout le monde sait, à commencer par elle, et pour cause. La droite est la droite. La droite adore les lobbies industriels. La droite se moque de l’avenir de cette planète autant que la gauche, ce qui la mène loin. Je vais vous étonner un peu : je la crois sincère, en son genre roué. Oui, sa dénonciation de la lâcheté évidente de Borloo et de Copé, énoncée dans Le Monde, puis retirée sous la pression de Fillon, cette dénonciation sent le vrai.

Le vrai, mais aussi le faisandé. Car c’est chaque jour que de tels épisodes se produisent, mais c’est hier seulement que madame Kosciusko-Morizet s’en est avisée. Parce qu’elle en était la victime, bien entendu. Parce que celle qui était lâchée lâchement par son ministre de tutelle, c’était elle ! Pour le reste, rien. La bouffonnerie est à son comble : les écologistes officiels du Grenelle de l’environnement ont gonflé la baudruche Borloo, pensant qu’ils profiteraient au passage du courant d’air.

Et que reste-t-il, sinon cette évidence que le combat en est au point mort ? Mais qui le dira ?