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Vive l’Inde, vive la Chine, vive la prospérité !

C’est du lourd, de l’indigeste qui s’accroche à l’estomac. Je crois bien que j’aimerais passer ma vie à raconter d’autres histoires – pour les enfants par exemple -, ce que je fais d’ailleurs, quand il me reste du temps. On va finir par me prendre pour un obsédé du malheur, et ce ne sera que justice. Je le suis. Obsédé. Par le malheur. Ne cherchons pas plus loin.

En décembre dernier, le cabinet de conseil en stratégie Boston Consulting Group publiait une liste impressionnante de 100 multinationales du Sud, nouveaux challengers mondiaux de la concurrence de tous contre tous. Sans surprise vraie, 41 étaient chinoises et 20 indiennes, la plupart cotées en Bourse.

On s’en fout ? Non. Car croyez-moi, PetroChina, TCL, Thai Union Frozen Products, Lukoil, Bharat Forge détruisent plus violemment encore, si c’est possible, que nos grandes compagnies. Ce n’est pas affaire de morale, mais d’âge. Les nôtres se sont usées – je n’écrirai jamais civilisées – au contact des peuples et des pays. Pas les nouvelles venues. Pas encore. Elles en veulent. Elles veulent cracher du profit, davantage encore, dominer le territoire, entrer dans l’histoire absurde de la possession sans fin et sans but. En achetant si besoin – il est besoin – les coeurs et les âmes. Et elles y parviennent sans difficulté.

Parmi les nouveaux parrains du monde réel, Tata. Un groupe indien dans lequel tout se mélange, de l’informatique à l’hôtellerie, en passant par l’agroalimentaire, la sidérurgie, les télécoms. Chiffre d’affaires annuel ? 28,8 milliards de dollars. En 2007, sa filiale sidérurgique, Tata Steel, a racheté l’anglo-néerlandais Corus. Et Tata Motors va racheter Jaguar et Land Rover à Ford.

Mais la grande nouvelle, qui a ébahi une fois de plus le journaliste automobile, c’est la Tata Nano. Le groupe indien met en vente une bagnole neuve à 1700 euros, record du monde battu et même ridiculisé (http://archives.lemonde.fr). Je ne vais vous faire la liste de ce que cette voiture ne contiendra pas. L’essentiel est qu’elle roule et va déferler sur les marchés du Sud. Évidemment, puisqu’elle a été conçue pour cela.

Je crois qu’il s’agit d’une des pires nouvelles de ces dernières années. Le Sud, le Sud officiel qu’on fête dans la presse officielle de ce monde officiel, le Sud choisit donc l’aventure, un peu plus. Des petits-bourgeois indiens, par millions, vont connaître le grand frisson automobile. Il n’y aura donc pas d’argent pour les paysans, ni pour les pêcheurs, ni pour les tigres et les forêts, ni pour les sols et les nappes. Pas un sou, pas un seul pour la restauration écologique d’un pays dévasté par l’irrigation imbécile et le vaste désastre de la Révolution verte. On aura à la place des rocades, des parkings, des cancers, des usines. Pour quelques années encore, avant le grand effondrement.

En Chine, les nouvelles sont elles aussi radieuses. Que n’apprend-on pas ? Ou plutôt, que ne confirme-t-on pas ? La Chine est foutue. La Chine officielle – là-encore – n’a aucun avenir. Shangaï et les autres villes-Potemkine de là-bas, qui font pourtant saliver tous nos braves responsables et la plupart de nos excellents journalistes, sont perdues. Pourquoi ? Mais parce que l’eau manque et manquera toujours plus. 400 des 600 plus grandes cités chinoises en manquent structurellement et des dizaines de millions de paysans en sont régulièrement privés (http://archives.lemonde.fr).

Bon, qu’attend donc la technologie pour régler ce menu problème ? Elle ne le pourra pas. La Chine représente un peu moins du quart de la population mondiale, mais ne dispose que de 7 % des réserves d’eau planétaires. Encore faut-il préciser que les bureaucrates qui tiennent ce pays d’une main de fer gèrent cette ressource si rare comme des malades mentaux. À coup de barrages géants, à coup de pollutions bibliques, sans aucun plan véritable. Cela ne peut pas durer, et cela ne durera pas. Peut-être – qui sait ? – encore dix ans, ou quinze. Mais la croissance chinoise va vers une fin tragique. Il va falloir expliquer à des centaines de millions de gogos que le rêve n’était qu’un cauchemar.

Je sais, ce n’est pas gai. Je sais, c’est franchement désolant. Mais je n’ai rien d’autre en magasin, et puis j’ai promis de dire les choses, telles qu’elles m’apparaissent en tout cas. Au passage, cela nous change des roulements de biceps hexagonaux. De tous ceux qui ne parviennent pas à penser réellement le monde. Je ne cite personne. Je ne vise personne. Et le pire de tout, c’est que c’est vrai. La liste serait de toute façon trop longue.

Lester Brown ou la naïveté au pouvoir

Je ne sais si vous connaissez l’Américain Lester R.Brown, mais je vais faire comme si c’était la première fois. Brown est un agronome qui a conseillé l’administration américaine – jusqu’au président – pendant des décennies. Devenu écologiste sur le tard, comme René Dumont, il a créé un institut fameux, le WorldWatch, et écrit plusieurs livres.

Parmi ces derniers, Who will feed China, en 1995. Oui, demandait alors Brown, à peu près seul au monde, qui pourra nourrir l’immense population chinoise ? Il tentait de montrer ce que donnerait, sur fond de croissance démentielle, le changement de régime alimentaire. Car, devenant plus « riches », une fraction importante des Chinois mangent et mangeront toujours plus de viande et d’oeufs, boiront davantage de bière, etc.

Or ils sont déjà 1,3 milliard et 13 millions de plus chaque année (à l’époque). Brown rappelait avec force que « produire » une tonne de poulet coûte deux tonnes de céréales, et quatre pour le même poids de porc. À l’horizon 2030, la Chine serait obligée d’importer entre 200 et 369 millions de tonnes de céréales chaque année. Bien plus, en toute hypothèse, que ne pourrait alors en offrir le marché mondial.

Je vous passe quantité d’événements intéressants, dont le départ de Brown du WorldWatch Institute – il a créé le Earth Policy Institute -, car je ne veux aujourd’hui parler que de son dernier livre, paru chez Calmann-Lévy, Le plan B (Pour un pacte écologique mondial). Il vaut d’autant plus la peine d’être lu qu’il offre deux ouvrages pour le même prix. Avouez que c’est rare.

Dans le premier, Brown décrit la crise écologique en cours. Encore ? Oui, une fois encore. Mais Brown parvient à nous intéresser, car il choisit le plus souvent de bons exemples, ou des angles inédits qui nous permettent de sentir le gouffre sous nos pieds. En particulier, il excelle à montrer les signes inquiétants dans la marche concrète des sociétés humaines. Lesquelles manquent déjà de terre – le Rwanda, le Darfour -, d’eau – les riverains du Nil -, de forêts, amenant quantité d’États au bord extrême de la désintégration.

Il est de même convaincant lorsqu’il décrit la raréfaction du pétrole et le dramatique dérèglement du climat. Il l’est, car au fond, ce n’est pas un intellectuel, mais une sorte de praticien planétaire. Il connaît de près les réalités, à commencer par celles du Sud. À commencer par celles des paysans du Sud, sur qui tant de choses reposent. Certes, il se montre au passage indifférent au sauvage, à tout ce qui n’est pas humain, ce qui lui fait sous-estimer la décisive question de la biodiversité. Un agronome reste un agronome, les mânes du vieux Dumont ne me contrediront pas. Il n’empêche : un livre, solide.

Mon avis est qu’il aurait dû s’arrêter là. Car le deuxième, qui fait suite, est un hymne à la naïveté inconsolable de l’espèce humaine. Brown en appelle à une rapide révolution écologique, ô combien radicale, mais qui se déroulerait sans changements politiques et sociaux. Il est dans cette croyance que l’on peut convaincre son interlocuteur à l’aide de schémas, de diagrammes et de discours correctement charpentés.

En résumé, et c’est lui qui en parle, nous aurions besoin d’un Churchill. D’un chef de guerre imposant un grand tournant. Hélas, Brown ignore totalement l’histoire et ses confusions. Il ne saisit pas même que Churchill avait la partie facile. Oui, excusez-moi : facile. L’ennemi était connu, il était aux portes, et tous les Britanniques savaient ce qu’ils défendaient. L’homme au cigare pouvait en outre s’appuyer sur un consensus national puissant, autour des valeurs de la démocratie. De cette démocratie en tout cas. Tel n’est évidemment plus le cas.

Brown, qui est tout sauf un rebelle, en appelle à la création d’un « marché honnête », qui dirait la vérité écologique des prix. Et la nouvelle économie dont il parle ressemble étrangement à l’ancienne. C’est son droit, certes oui, mais le livre refermé, on est saisi par l’incompréhension. À l’opposé des marxistes et posmarxistes, mais de manière symétrique, il a une lourde tendance à épargner le système tout en pointant sans cesse la responsabilité individuelle.

Il me semble qu’il se montre là un excellent Américain. Entendons-nous : le peuple américain a autant de qualités et de défauts que tout autre. Mais enfin, on peut le critiquer. Or les États-Unis sont un pays naïf et volontariste, qui croit plus que nous dans le messianisme et la possibilité de vaincre tous les obstacles matériels. L’idée d’un changement social voulu et assumé – nous appelons cela une révolution – est étrangère à l’univers de Brown, qui en reste à des incantations de grand enfant. Ce serait bien de faire ça, car il le faut. Ce serait mieux de stabiliser le climat, de « bâtir des cités pérennes », de « nourrir correctement 7 milliards d’individus », car cela arrangerait les affaires humaines.

Comment y arriver ? Mystère. Le conflit, la confrontation, l’éventuel affrontement ont simplement disparu dans le dessin animé d’un avenir rêvé. Je note que Nicolas Hulot a préfacé Brown. Je note que le Grenelle de l’Environnement est conforme en tout point à l’imaginaire si audacieux de Lester R.Brown. Je note que nous n’avons pas fini de nous prendre la tête.

Malheureux tous ces simples d’esprit

Il faut s’y faire, nous n’aurons pas la médaille. Nous, les critiques de ce monde impossible. Car nous serons toujours aux avant-postes, à la proue du grand navire, sondant le fond. Solitaires. Appelons cela un destin. Nous n’avons rien fait pour cela, et en réalité, nous ne méritons aucune récompense. C’est ainsi. Mais cela n’interdit pas de cogner, on s’en sera peut-être rendu compte ici.

J’ai sur ma table un vilain livre fatigué, dont la couverture médiocre rappelle le papier Kraft. Il s’agit d’un salmigondis de déclarations, tracts et articles, le tout paru en 1974 chez Jean-Jacques Pauvert, pour soutenir la candidature de l’écologiste René Dumont aux élections présidentielles. Son titre (raté) ? À vous de choisir.

Pour être sincère, c’est à peu près illisible. Le jargon y domine. Les visions y sont souvent datées, et manquent hélas de souffle. Et pourtant. Et pourtant, relisant une partie des textes rassemblés, j’en suis resté stupéfait. Interdit, si vous voulez. Car c’est aussi sublime, admirable, prophétique, vrai, supérieur, et de loin, à tout ce qui pouvait être raconté à l’époque.

En ce temps, justement, tous ceux qui tiennent le crachoir étaient déjà là, ou s’affairaient dans les coulisses. Tous. Buffet, Hue, DSK, Royal, Mélenchon, Emmanuelli, Chevènement et tant d’autres à gauche. Bayrou, Sarkozy, Chirac, Fillon à droite. Qu’on me comprenne : ce n’est qu’un échantillon, mais représentatif je crois. Auquel il faudrait ajouter des héros comme B-HL, André Glucksmann ou Alain Duhamel.

Que se passait-il en France en cette année 1974 ? Georges Pompidou allait mourir, obligeant à de nouvelles élections présidentielles. Le parti communiste, encore surpuissant, attaquait à l’arme automatique Alexandre Soljenitsyne, dont L’archipel du Goulag venait de paraître en russe, le 28 décembre 1973. Le chef stalinien Georges Marchais vouait aux enfers soviétiques tous ceux qui osaient prétendre que l’Urss était un camp. Pour lui et ses amis, le seul problème véritable était qu’on ne produisait pas assez. L’avenir, prolétarien en diable, serait aux hauts-fourneaux, à la sidérurgie, au béton armé, au nucléaire, à la profusion. Les écologistes étaient de simples petits-bourgeois, dont l’histoire débarrasserait tôt ou tard les hommes.

Côté socialiste, un certain François Mitterrand appelait à rompre avec le capitalisme. À nationaliser. Et à produire comme jamais. Vous ne croiriez pas le ton des envolées, lorsqu’il s’agissait de signer le désopilant Programme commun (1972). Pourtant, tous les fins politiques, à commencer par Lionel Jospin, qui commençait sa carrière dans l’ombre de Mitterrand, admiraient avant que d’applaudir.

L’écologie ? Les socialistes ne connaissaient pas même le mot, lui préférant la désastreuse expression « qualité de la vie ». J’ai retrouvé les 110 propositions de François Mitterrand pour les élections de 1981. Attention, 1981, pas 1974. En 1974, il n’y avait rien, pour la raison insupportable, à leurs yeux, que l’écologie jouait contre l’emploi, et l’industrie.

En 1981, quand la gauche s’apprête à prendre le pouvoir, le PS consacre 3 de ses 110 mesures à ce qu’il appelle « les équilibres naturels ». C’est si grotesque que je m’empresse de les reproduire in extenso :

101. Une charte de l’environnement garantissant la protection des sites naturels, espaces verts, rivages marins, forêts, cours d’eau, zones de vacances et de loisirs, sera élaborée et soumise au Parlement après une large consultation des associations et des collectivités locales et régionales avant la fin de l’année 1981.

102. La lutte contre les pollutions de l’eau et de l’air sera intensifiée. Les entreprises contrevenantes seront pénalisées.

103. Les normes de construction de machines et moteurs dangereux à manier et générateurs de bruit seront révisées et strictement appliquées.

J’espère que vous riez autant que moi. En 1981, les grands savants socialistes ne savaient strictement rien du phénomène le plus important jamais advenu dans l’histoire humaine, au cours des deux millions d’années passées. Assurément, cela relativise.

Concernant la droite, c’est pareil, bien entendu. Giscard, l’homme de l’Algérie Française, et Chaban, l’homme de l’État UDR – l’UMP de ce temps englouti – ne rêvaient que d’une seule et unique chose : achever ce qui tenait encore debout. Par tous moyens techniques et financiers disponibles. Le premier l’ayant finalement emporté, nous eûmes le plus grand programme électronucléaire jamais entrepris, sans le moindre débat public sur le sujet. Giscard ! Dire qu’une génération entière d’Alain Duhamel l’a présenté comme l’homme le plus intelligent du pays. Imaginez les autres.

Reste le cas Dumont. Le petit livre dont je vous ai entretenu au début est décidément un improbable chef-d’oeuvre. Il vante l’agriculture biologique et pourfend tous les gaspillages. Il annonce page 60 que le climat pourrait bien se trouver bouleversé par l’augmentation des émissions de gaz carbonique ( en 1974 !). Il décrit l’avenir souhaitable des énergies renouvelables, dont le solaire et le vent. Il affirme que la croissance sans limites est absurde et criminelle. En bref, il dit la vérité.

Non pas toute la vérité. Mais davantage de vérités que la totalité des classes politique, médiatique et intellectuelle de l’époque. Incomparablement ! Tous les autres sont ridicules, à jamais. Ou le seraient si la mémoire était un bien collectif, perpétuellement entretenu par les hommes.
On sait qu’il n’en est rien, ce qui permet à quelques dames, dont l’inénarrable Ségolène Royal et l’archibureaucrate Marie-Georges Buffet, et à tant de messieurs – voir les cas Adler, Allègre, Attali, B-H L, Colombani, Daniel, Dantec, Debray, Ferry, Finkielkraut, Gallo, Hollande, Houellebecq, Imbert, Jospin, Julliard, July, Kahn, Manent, Minc, Nabe, Revel, Rosanvallon, Sarkozy, Slama, Sollers, Sorman,Taguieff, et on en oublie hélas un millier au moins – de pérorer comme si rien n’avait changé ni ne changerait jamais.

Bon, je l’ai dit dès le départ : c’est ainsi. Et je ne me plains pas. Personne ne m’a obligé, je suis où je souhaite être. Et puisque je parle de moi, je pense qu’il est juste de dire ce que je faisais en 1974. J’avais alors 18 ans, et ne pouvais voter. Mais je n’aurais pas donné ma voix à Dumont. Non. Je croyais, avec une ferveur à peu près totale, à la révolution sociale. Étais-je néanmoins écologiste ? Possible. Très possible, mais c’est à vous de juger. En 1972, j’ai participé – j’avais 16 ans – à la première manif à vélo dans les rues de Paris, contre la bagnole.

J’y étais allé en tandem avec Jean-Paul Navenant, depuis la banlieue lointaine, et je me suis retrouvé sur la Seine avec mon ami Kamel, à bord d’un minuscule canot pneumatique. Je me rappelle les CRS, un peu plus tard, vers le Louvre, qui tentaient de nous assommer. Kamel avait sur la tête le canot, que nous n’avions pas eu le temps de dégonfler.

Dès le départ, c’est-à-dire pour moi à l’été 1972, je fus du grand combat pour le Larzac. Et je me dépensai également contre le nucléaire triomphant de ces années anciennes, de Malville à Plogoff. En réalité, ma conscience à moi s’était éveillée à la lecture d’un numéro du mensuel Actuel, paru en octobre 1971. Sa Une clamait un mot unique : Beuark ! Avec un dessin représentant un couple juché sur une voiture s’enfonçant dans un océan de merde.

C’est là que j’ai vu écrit, pour la première fois, le mot Écologie. Mais j’ai pensé aussi que seule la révolution viendrait à bout du désastre. Et j’ai fait ce que je pouvais pour qu’elle advienne au plus vite. Comme on a vu depuis, cela n’a guère marché. En tout cas, et c’est seulement cela que je voulais vous dire – je suis un authentique bavard -, tentez de regarder tous les braves aveugles qui nous gouvernent d’un autre oeil. Ils ont eu tort hier, ils ont évidemment tort aujourd’hui. L’écologie n’est pas la garantie d’avoir raison. Elle est seulement la certitude que la pensée, bonne ou bancroche, se déploie dans le cadre qui convient. Et pour ceux qui vivent cette longue saison en ma compagnie, il n’y a pas l’ombre d’un doute : l’humanité, pour des raisons complexes et ténébreuses, détruit la vie sur terre.

Le grand bastringue du Medad (Borloo as a guest star)

Avis navré : cet article ne contient aucune allusion aux prouesses sexuelles de qui que ce soit. Mais faut pas croire, je pourrais.

Cette fois, attention les yeux, et défense de rire avant d’avoir arrêté de pouffer. L’État accouche d’un nouveau bébé joufflu à souhait : le ministère de l’Écologie, de l’Aménagement et du Développement durables (Medad). Je sais, c’est moins distrayant que les aventures pénibuildées de N et C (le mystère ne nuit pas à l’amour). L’intitulé complet du Medad est un peu étouffe-chrétien, mais quand on aime autant que moi les structures officielles et les hiérarchies, on est assurément comblé. Je le suis. Pas nécessairement de la façon souhaitée par le grand réformateur, tant pis.

Bon, je vais essayer de vous expliquer. Le Medad regroupe désormais en son sein 35 directions centrales d’administration, réparties auparavant dans plusieurs ministères distincts. Celui de l’Écologie, bien sûr, mais aussi celui de l’Équipement, des Transports et de l’Industrie. Ah la belle idée ! Enfin, enfin, l’écologie est prise au sérieux et prend sa place dans un ensemble cohérent. Qu’elle soit prise au sérieux ne souffre pas discussion – en fait, elle inquiète, elle gêne -, mais quant à occuper la place qu’elle mérite, tu r’passeras d’main, t’auras des berlouffes.

Cette dernière expression ch’ti – du Nord – était utilisée dans mon enfance, et on voit bien ce qu’elle veut dire : polope, balpeau, que dalle. Et voici pourquoi. Historiquement, l’ossature administrative de la France, au plan technique, repose sur trois grands corps d’ingénieurs d’État. J’ai nommé : les Mines, les Ponts et Chaussées, le Génie rural et les eaux et forêts (Gref). Beaucoup de ces ingénieurs intègrent les écoles liées à leur spécialisation après être passés par Polytechnique. C’est à eux et à quelques autres que Pierre Bourdieu pensait en forgeant il y a vingt ans l’expression Noblesse d’État.

Détaillons. Les Mines ? L’idée d’un corps spécifique est né au milieu du XVIIIème siècle, parce que la France manquait de grands gestionnaires et techniciens pour gérer les mines et la métallurgie. L’école des Mines a finalement ouvert ses portes en 1783. Tout au long de son existence, le corps des Mines a été au service de l’industrie et du ravage concomitant, étendant sans cesse son empire sur la machine, les machines, la vitesse, la puissance matérielle. Les Mines sont consubstantiels à la destruction écologique de notre petit pays.

Les Ponts et Chaussées ? L’acte de naissance remonte à 1716, et devait permettre – et a permis – le percement d’un réseau routier national. L’école a curieusement été ouverte un peu plus tard, en 1747. Les canaux, les barrages, mais aussi, plus récemment, les châteaux d’eau et les ronds-points, c’est eux. Les autoroutes qui lacèrent et morcellent à jamais des ensembles écologiques cohérents, aussi.

Le Génie rural ? En cherchant bien, ses premiers pas remontent à 1291 et à Philippe le Bel, inventeur des « maîtres des eaux et forêts ». Les ingénieurs du Gref, après la Seconde guerre mondiale, ont assuré la mise en oeuvre de la disparition de la paysannerie en France, et le remodelage radical du paysage et de la nature ordinaire. Le maïs, le remembrement, l’arasement des talus boisés et des haies, la transformation de la forêt en objet industriel, le « recalibrage » des ruisseaux et rivières, le drainage des zones humides leur doivent beaucoup.

Ces trois corps d’ingénieurs, l’aurez-vous remarqué ?, ont survécu à tout. Aux révolutions, aux guerres, aux changements de régime, aux plus brutales secousses sociales. Combien sont-ils au total ? Je n’ai pas le chiffre actuel sous la main, mais nous ne devons pas avoir plus de 2 000 grands ingénieurs en activité. Or ils tiennent des parts essentielles de la réalité, et ils exercent par la force des choses un monopole de l’expertise technique en France. Les conséquences en sont immenses. Quand on lance Superphénix, c’est parce que trois d’entre eux ont signé un rapport disant à quel point ce projet propulserait la France dans un avenir (ir)radieux. De même pour le canal Rhin-Rhône. Ou la dévastation de la Bretagne. Ou l’ouverture de décharges aussi exemplaires que celle de Montchanin. La liste n’a pas de point final.

Ces ingénieurs, dont le savoir technique peut être impressionnant – pas toujours -, commandent à la France, et à ses politiques. Un ministre passe et fait des risettes. Eux restent, et tracent les plans. Bien entendu, et ce n’est pas même une critique, seulement un constat, ils estiment être mieux armés que quiconque pour décider. En notre nom. À notre place. Voir la différence de moins en moins évidente, mais tout de même, entre oligarchie et démocratie. Il est vrai qu’ils savent que tout passe, et qu’ils demeurent.

Il y a de cela quinze ans, j’ai longuement rencontré Jacques Bourdillon, qui venait juste de quitter le service de l’État. J’avais rendez-vous avec lui dans des bureaux de la rue du Général-Camou, tout proches de la Tour-Eiffel, à Paris. Ingénieur général des Ponts et Chaussées, Bourdillon venait de prendre une retraite – publique – méritée, mais c’était pour mieux commencer une nouvelle vie dans le privé. Je fais durer le suspense, je suis sadique. Juste avant de quitter le ministère de l’Équipement et des Transports, notre ingénieur avait laissé un immense cadeau appelé : « Les réseaux de transport français face à l’Europe ».

L’heure était grave, vous pouvez m’en croire. Car la France était – en 1991 – menacée de marginalisation économique. Pardi ! L’Allemagne, l’Angleterre, le Bénélux, le nord de l’Italie même nous taillaient des croupières, creusant un insupportable retard sur nous. Par chance, Bourdillon veillant sur notre sort, il y avait des solutions. Il suffisait d’investir massivement dans de nouvelles infrastructures – ponts, ports, routes, rocades et autoroutes – et nous reprendrions sûrement la main. Combien ? Oh, pas tant : 1560 milliards de francs en quinze ans, soit plus de 100 milliards par an. Soit 15,38 milliards d’euros. Par an. Une paille. Où travaillait donc Jacques Bourdillon, en ce jour de gloire où je le visitai ? Plutôt, pour qui ? Scetauroute, bureau d’études commun à toutes les sociétés d’autoroute. Ne pas chercher le mal à tout prix. L’intérêt privé, l’intérêt commun, c’est tout un. Pour un Jacques Bourdillon en tout cas.

Revenons-en aux oignons du Medad. Le ridicule ministère de l’Écologie de papa est en train de sombrer sans gloire. Le plus drôle, dans un certain sens, c’est que la plupart de ses dignitaires appartenaient déjà à l’élite des trois corps. Lesquels se partageaient depuis des lustres, à l’ancienne, en féodaux, les postes de responsabilité dépendant du ministère, comme par exemple la direction des grandes agences régionales de l’eau. Néanmoins, et c’est l’évidence, il n’avait pas de moyens. Nul doute qu’il en aura dans l’avenir, mais ces moyens-là, venus de l’extérieur, sont à l’opposé de toute idée de préservation. Ils sont exclusivement au service de la croissance et de l’industrie. Ses tenants, éduqués dans des écoles où l’écologie est considérée comme un frein et parfois un obscurantisme, vivant par ailleurs en cercle fermé depuis des générations, vont tout dévorer, avant de digérer, en grands fauves qu’ils sont.

On en reparlera, croyez-moi. Mais d’ores et déjà, sachez que la microscopique Inspection générale de l’Environnement (30 personnes), qui rassemblait les hauts fonctionnaires de l’Écologie, souvent éclopés, disparaît. Elle sera intégrée au Conseil général des Ponts et Chaussées – une sorte de Comité central -, fort lui de 400 membres. Chemin faisant, les 35 directions regroupées dont je vous parlais en préambule, disparaissent aussi, refondues en 5. Simplification ? Amélioration de l’efficacité ? Encore quelques jours, et le Père Noël passera par le trou de la serrure, malgré sa bedaine. Non, sans rire, c’est assez moche.

Moche, car sont refondues trois directions centrales du défunt ministère, qui avaient tout de même quelque sens, malgré leur faiblesse historique. Un, la Direction de la nature et du paysage (DNP). Deux, la Direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR). Trois, la Direction de l’eau. Faut-il ajouter un dessin ? L’eau, la nature, la prévention seront au sens premier sous-traités. Les directions décentralisées de l’Environnement – les Diren – rejoindront de leur côté les Drire, les anciennes directions de l’Industrie. En un très bref résumé, on offre sur un plateau, à des ogres, deux ou trois morceaux de viande fraîche. Ce que j’appelle un face-à-face équilibré.

Évidemment, un tel bouleversement ruine à l’avance les chances – inexistantes, selon moi – du Grenelle de l’Environnement. Je précise : si j’avais cru à cette mise en scène, une telle réforme, régressive, m’aurait contraint à modifier mon discours public. Et c’est à cela, exactement à cela, que j’invite l’Alliance pour la planète, la Fondation Hulot, France Nature Environnement et tous autres. Ouvrez les yeux et fermez la télé de Son Altesse Sérénissime. Ouvrez les yeux, et parlez enfin pour dire quelque chose. Dans le cas contraire, que je n’espère nullement, il faudra bien se poser de nouvelles questions.

Nicolas, Carla et les petits mickeys que nous sommes

Je ne devrais pas, je sais. Parler des aventures sexuelles de SAS (Son Altesse Sérénissime) Nicolas 1er et de mademoiselle Carla, cela ne se fait pas. Mais justement, je n’en parlerai pas. En revanche, il n’est pas interdit, sans sombrer dans le voyeurisme, de poser une ou deux questions périphériques. D’abord, sur le lieu où notre maître a daigné convoquer ses domestiques, accessoirement photographes. Peut-être l’ignorez-vous, mais les photos du couple de l’année – ou du siècle, ou de la demi-heure ? je ne sais plus – ont été offertes au peuple en liesse depuis le parc Disneyland, situé en Seine-et-Marne.

J’ai quelque mal à imaginer une adresse plus tragique, en France du moins. La plaine de la Brie, l’une des plus riches au monde, a d’abord été massacrée par l’agriculture industrielle, en grand. Puis est arrivé Laurent Fabius, Premier ministre de la France à l’été 1984, par la grâce du roi François. Nul autre politique de premier plan n’aura davantage aidé au triomphe briard de Walt Disney Productions. Fabius est l’homme de cette monstruosité, au service de l’aliénation de masse et de l’industrie transnationale. Notez avec moi que Fabius est aujourd’hui, comme hier, avant-hier, et pour l’éternité, un écologiste. Si. Puisqu’il le dit.

Disneyland n’est pas seulement le triomphe absolu de la laideur, auquel s’ajoute un immense programme de promotion immobilière. Ce projet inhumain a également stérilisé des milliers et des milliers d’hectares d’une des terres agricoles les plus favorables qui soient. Et dans le monde tel qu’il est désormais, un tel acte porte un nom : il s’agit d’un crime.

Donc, Disney. Sarkozy et Bruni, bras dessus-bras dessous. Pourquoi ce sentiment d’accablement ? Mais parce que notre président démontre une fois de plus, qui semble ne jamais être de trop, qu’il vit dans un temps absolument dérisoire. Plus rien ne compte qui puisse dépasser l’image du jour, effaçant celle de la veille, juste avant d’être balayée à son tour. Nous sommes, lisez ou relisez, dans l’univers abominé de Winston Smith, le héros du 1984 d’Orwell. Personne ne rappellera, car personne ne se souviendra bientôt, que Cécilia était il y a quelques semaines, dans les textes de son cher époux d’alors, C. Pas Cécilia. C. La fleur, la tendre, la belle, l’inoubliable.

La voilà au tombereau, comme un chou-fleur périmé, prête à la décharge. Bien entendu, cela pue, inutile de se le cacher. C’est infâme, indigne d’une relation au cours de laquelle un enfant aura été conçu. Et en nous rendant spectateurs de ce dégoûtant spectacle – il y avait urgence ! Nicolas baise Carla depuis au moins un mois ! -, Sarkozy nous rend fatalement complices.

Cela pue de tous côtés, assurément. Mais en outre, on voit bien, au passage, combien notre président est incapable de seulement effleurer la réalité de la crise écologique. Car cette dernière est complexe, très complexe, planétaire ô combien. Et elle exige de prendre en compte des milliers de paramètres, dont certains nous sont pourtant cachés. Dont certains, non des moindres, impliquent ceux qui nous ont précédés. Dont d’autres concernent ceux qui ne sont pas encore nés. La crise, cette crise commande une énergie intellectuelle et morale qui reste encore à rassembler, si par miracle elle existe quelque part.

Sarkozy n’est lui qu’un pénible bouffon. Un histrion obscène, toujours au bord d’embrasser Jean-Marie Bigard sur la bouche. Il ne peut que passer à côté des questions réelles, et dans ce domaine du moins, il ne nous décevra pas. Avis à tous les couillons, restons poli, qui lui ont décerné un brevet d’honorabilité au cours du désatreux Grenelle de l’Environnement que vous commencez à connaître. À ce propos, je vous signale une analyse d’un véritable écologiste, que je n’ai jamais rencontré, mais que je considère pourtant comme un ami, Christian Berdot (http://www.amisdelaterre.org). Je crains qu’il ne nous reste du pain sur la planche.