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Le Pakistan et la nappe phréatique (Et Attali en prime)

À peine revenu du pays des bois – je vous raconterai, mais plus tard -, voilà que je tombe sur un coup d’État. Où ? Mais là-bas, voyons, du côté des Afghans et des Indiens, quelque part en bas à droite, quand on considère l’Europe comme le centre du monde.

Je veux parler du Pakistan, pour sûr, et de cet excellent allié de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme, notre ami à tous Pervez Musharraf. Il est vrai qu’il s’agit d’une pure ganache, d’un militaire professionnel, vif partisan de la violence et de la dictature. Mais avons-nous bien le choix ?

Donc, un général. Qui ne supporte les élections que lorsqu’elles lui sont favorables. Et qui les abolit d’un mouvement de chars au moment qu’elles menacent sa toute-puissance. Un véritable ami, comme on n’en fabrique plus assez. Je n’entrerai pas ici dans le détail quotidien des choses, qui réserve comme de juste son lot de surprises. Je n’y ai pas ma place.

En revanche, regardant la scène d’un peu plus loin, je m’autoriserai à vous livrer quelques éléments qui feraient réfléchir si une telle activité avait encore cours sous nos admirables cieux. Et pour commencer, un souvenir personnel. Au début de 1990, je travaillais pour l’hebdomadaire Politis, né deux ans plus tôt. C’était assez rigolo : rue Villiers-de-l’Isle-Adam, dans l’ancien quartier prolétaire parisien de la place Gambetta, il faisait froid. Mais froid. Nous occupions un ancien atelier dépourvu de chauffage, il fallait disperser de maigres calories dans l’air, grâce à de pauvres bouteilles de butane, et la vérité, c’est qu’on vivait couverts. Comme c’était bien !

En cette superbe préhistoire, le journal s’appuyait, entre autres, sur des pigistes méritants. C’est-à-dire des journalistes capables de travailler sans être sûrs de rien, et surtout pas d’être payés. Parmi eux, l’Allemand Mycle Schneider, qui s’imposait dans ces années disparues comme un bon connaisseur des affaires nucléaires du monde. Un jour de janvier 1990, il est arrivé avec une histoire exclusive. Au moment même où le président Mitterrand débarquait à Islamabad, capitale du Pakistan, pour une visite officielle, Mycle (prononcez Mickael) déballait l’histoire de la bombe pakistanaise.

Je viens de relire ce papier, et il est toujours aussi formidable (Politis, 93, page 50). Mycle racontait par le menu le rôle de la France socialiste dans la possession, par un État que je qualifierai, sans crainte d’être contredit, d’instable, de la bombe nucléaire. N’y insistons pas, ici du moins : cette politique, imbécile autant que criminelle, signe la faillite de l’ère Mitterrand davantage que bien d’autres abandons.

En ce début d’année 1990, Jacques Attali ne prêchait pas encore l’ultralibéralisme, la liberté totale du grand commerce, la fin du principe de précaution et la création de nouvelles cités dispendieuses en énergie. Non, il se contentait de rêvasser, pour le compte de son maître, sur l’endiguement des trois grands fleuves du Bangladesh – partie du Pakistan jusqu’en 1971 – et de refuser l’ancêtre du Vélib, ce grand succès vélocypédique attribué au maire de Paris.

Je m’éloigne ? Certes, mais j’ai bien le droit de rire. Attali, qui n’aime rien tant que se présenter comme un homme bouillonnant d’idées et de projets, perpétuellement en marche vers un avenir qui court encore plus vite, Attali est un humoriste. En octobre 1989, comme le rapporte Courrier International ( n° 887, page 12) l’inventeur argentin Pedro Kanoff obtint un rendez-vous à l’Élysée avec Jacques Attali, noble conseiller du Prince. Kanoff avait imaginé un plan de déplacement urbain qui, trait pour trait, décrivait ce que serait vingt ans plus tard le Vélib.

N’était-ce pas une occasion unique, pour un homme au service grandiloquent de la prospective ? Si. Mais non. Attali éconduisit l’importun au bout de quelques minutes, sur ces mots d’anthologie : « Nous souhaitons changer, mais nous ne sommes pas fous…ce que vous proposez va contre l’industrie de l’automobile et du pétrole. Et nous ne pouvons pas le faire ».

Passons. En 1990, donc, Mycle pointe les écrasantes responsabilités de la France dans la fabrication de la bombe pakistanaise. En 1995, Attali publie un livre, que j’ai lu en son temps, intitulé Économie de l’apocalypse (Fayard). Il y décrit un monde plongé dans le chaos du nucléaire, notamment militaire. J’en retiens cette phrase, aussi amusante qu’elle est foldingue sous la plume d’Attali : « Lorsque le Secrétaire Général de l’ONU m’a demandé de préparer un rapport sur la prolifération et le trafic nucléaires, je ne m’attendais pas à tirer des conclusions aussi terrifiantes ».

Toujours avec moi ? Eh bien, nous voici en 2007, et le Pakistan a encore la bombe. Laquelle risque de tomber demain matin dans les mains de l’ISI, les services secrets militaires pakistanais, qui mangent depuis des lustres dans la même assiette que les preux chevaliers d’Al-Qaïda.

Je lis ces jours-ci un livre d’Éric Laurent, Bush, l’Iran et la bombe (Plon). Si vous êtes pressé, rendez-vous pages 119 et suivantes. On y voit comment le Pakistan de M.Khan – un expert mis au premier plan par Mycle en 1990 – a constamment aidé l’Iran des mollahs à fabriquer la bombe nucléaire. Si demain, et je prie qu’il n’en soit pas ainsi, une guerre a lieu entre les États-Unis – avec la France sarkozyste dans le rôle du caniche ? – et l’Iran, qui osera rappeler les vraies responsabilités du drame ?

Qui mettra en parallèle la prolifération, prélude aux guerres atomiques, et l’absurde promesse de notre président à tous les États du monde de leur vendre notre technologie nucléaire supposément civile ? Peut-on compter sur Jean-Pierre Elkabbach et Patrick Poivre d’Arvor ? Je l’espère bien, au moins autant que vous.

Enfin, un mot sur le Pakistan réel, assez éloigné de l’imagerie journalistique ordinaire. Ce pays est à l’agonie, et pour des raisons qui n’intéressent personne. Cette nation agricole compte 160 millions d’habitants, et elle a perdu ces dernières années sa précieuse autonomie alimentaire. Le Pakistan est désormais contraint d’importer des céréales. Or sa production actuelle est tout ce qu’il y a d’artificiel, car il a dilapidé en quelques décennies ses réserves souterraines d’eau, qui n’ont aucune chance de se renouveler dans des délais compatibles avec l’appétit de ses habitants. Le niveau des nappes phréatiques dans la plaine du Pendjab, décisif en toute hypothèse, baisse de 1 à 2 mètres chaque année depuis au moins vingt ans. Une ville comme Quetta (http://www.irinnews.org), proche de l’Afghanistan des taliban, sera bientôt à sec. Et bientôt, très bientôt, le Pakistan verra sa production céréalière baisser. Il n’y pas l’ombre d’un doute.

Autrement dit, un pays surpeuplé, tenté par l’islamisme radical, va connaître la faim. Et il aura été doté par nos soins d’une arme épouvantable, face à l’Inde, elle-même équipée de missiles nucléaires. Question qui n’appelle pas de réponse : des responsables aussi irresponsables que les nôtres méritent-ils notre confiance ?

La vacance de Monsieur Hulot

Commençons par le début : j’aime et défends Nicolas Hulot. Et je le fais depuis des années, y compris dans des journaux hostiles à lui, pour lesquels j’ai travaillé.

Pourquoi ? Parce qu’il vient de loin et qu’il est sincère. De très loin, c’est-à-dire de l’univers frelaté de la pub et de TF1, séance génuflexions en sus. Mais justement. Cet homme a entrepris une longue marche, très singulière, qui l’a conduit à prendre conscience de l’essentiel, et d’en parler à des millions de téléspectateurs à chacune de ses émissions. Puis, j’ajoute qu’il croit ce qu’il dit, je le sais.

Ceux qui pensent que le bouleversement nécessaire des consciences consiste à rassembler quelques amis d’accord sur tout, ceux-là ne m’intéressent pas. Autrement dit, les éructactions et vociférations qu’on entend si souvent contre Hulot m’indignent. Je me doute qu’il n’a pas besoin de moi pour se défendre, mais je le ferai à l’avenir autant que de besoin.

Ce préambule achevé, je peux me permettre toutes les critiques, et je ne vais pas m’en priver. Nicolas Hulot est à mes yeux un naïf. Un homme qui privilégie le contact personnel, la psychologie, le face-à-face. Il a cru Chirac pendant des années quand celui-ci lui affirmait, les yeux dans les yeux, qu’il n’y avait pas de cause supérieure à celle de la planète, dévastée par la crise écologique. Il avait tort : en douze ans de pouvoir, son ami sincère n’aura rien fait.

Et voilà Sarkozy. Et rebelote. Sarkozy ne sait rien de la situation écologique du globe. Je peux envisager qu’il a compris à quel point la situation était mauvaise. Mais son tropisme, mais sa vie de chaque jour, mais ses conseillers, mais ses rarissimes lectures, tout le conduit à oublier le peu qui a pu s’installer.

C’est à cet homme que Hulot a donné sa confiance. Ainsi d’ailleurs qu’à Borloo, qui ne vaut ni mieux ni pire dans le domaine qui m’importe. Or Hulot, coaché depuis des années par le polytechnicien Jean-Marc Jancovici, estime à juste titre que le dérèglement climatique est la question de loin la plus importante. D’où son insistance à réclamer une taxe sur le carbone, bon moyen sans doute de limiter peu à peu, mais de plus en plus, les émissions de gaz carbonique.

Oui, mais voilà : Hulot s’est piégé lui-même, assurant à de nombreuses reprises que cette taxation du carbone serait « le point de mesure du succès ou de l’échec du Grenelle ». Jusqu’à la dernière seconde, il a cru que Sarkozy, convaincu, accepterait cette proposition phare. Mais non. Elle a été au contraire soigneusement évitée.

Et à ce moment de l’histoire, franchement, Hulot aurait dû dire la vérité. Pas de taxe, pas d’annonce triomphale. Mais ce n’était plus possible, les choses étaient allées trop loin. Hulot, Besset, Veillerette, FNE, Greenpeace, le WWF étaient plongés dans une euphorie dopée au champagne médiatique. Ils ne pouvaient qu’applaudir les beaux discours, oubliant tout. Que le volontarisme n’est pas une politique. Qu’une politique suppose une base sociale sans laquelle elle s’effondre. Que la communication est une chose, quand la réalité en est une autre.

Nous avons entendu, je l’ai écrit jeudi, des militants chevronnés annoncer une chimérique victoire sur les pesticides, avant que de battre en retraite piteusement. Nous avons entendu Greenpeace soutenir, et c’est une honte totale, que des avancées auraient été obtenues pour ce qui concerne les agrocarburants. Et tant d’autres détestables gentillesses offertes sur un plateau doré aux communicants de l’Élysée.

Attention, je ne dis pas que le Grenelle n’est rien. Bien des surprises peuvent surgir d’un tel événement, à la fois virtuel et réel. Il faut que les annonces décantent. Et même si je suis dubitatif pour le moins, espérons que certaines décisions prendront forme. Reste que les associations écologistes ont rendu un mauvais service à notre cause commune. Car il ne fait pas de doute qu’elles auront contribué à répandre massivement des illusions. Sur la politique. Sur le sens de mesures strictement nationales. Sur l’intérêt des solutions techniques et technologiques, qui nous éloignent dramatiquement du sujet essentiel.

Tous ces gens, parmi lesquels d’excellentes personnes, rêvent visiblement d’une révolution en charentaises, sans bruit ni fureur, sans révolutionnaires surtout. Une sorte de mutation sans précédent connu au long des deux millions d’années de l’histoire des hommes, mais qui resterait indolore. On ne peut pas répéter du soir au matin que le temps nous est compté, et agir exactement comme si nous pouvions aller nous recoucher jusqu’à la prochaine envolée de notre bon maître de l’heure, Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er. Non, on ne peut pas.

Pyrrhus, Procruste et Sisyphe (sans oublier Thésée)

Pyrrhus 1er – Pyrrhos chez les Grecs – était un étrange général. Car il gagnait tout en perdant. Il lui vint même à l’esprit qu’il pourrait conquérir l’Empire romain, à une époque où – autour de 280 avant JC -, Rome restait une colossale puissance. Il infligea au moins deux raclées aux légions, il est vrai, mais au prix de telles pertes qu’il dut inventer un stratagème pour ne plus avoir à combattre. On lui prête un mot célèbre : « Si nous devons remporter une autre victoire sur les Romains, nous sommes perdus ». Depuis cette époque lointaine, une victoire à la Pyrrhus est une histoire plutôt difficile à saisir. Incertaine et même douteuse.

Bien entendu, je veux vous entretenir du Grenelle de l’Environnement, qui s’achève ce jour. À l’heure où j’écris ces mots, je découvre un communiqué de l’Alliance pour la planète, qui regroupe nombre d’ONG, parmi lesquelles le WWF ou Greenpeace. Son titre : Victoire sur les pesticides ! L’Alliance « félicite Jean-Louis Borloo de son engagement à réduire de 50 % les pesticides en dix ans ». Et mon ami François Veillerette ajoute – son association, le MDRGF est membre de la coalition – que « La France, premier pays consommateur de pesticides en Europe, s’engage enfin sur la voie d’une agriculture moderne et respectueuse de l’environnement et de la santé ».

On attend d’autres déclarations dans la journée, dont celle de Sa Seigneurie Nicolas S., et je ne jouerai pas les Pythies. Néanmoins, j’ai dit, écrit et même répété que ce gouvernement surprendrait son monde par des annonces fortes. Je suis à peu près sûr qu’il lâchera quelque chose sur les OGM et de même sur les émissions de gaz carbonique. Quant aux travaux pour de nouvelles normes énergétiques dans l’habitat ancien, c’est déjà acquis : cela, même Jacques Chirac l’aurait fait. Depuis le début, il est une condition essentielle d’un Grenelle réussi : que le pouvoir en place paraisse sérieux, déterminé, jusques et y compris en face des lobbies industriels. Nous devrions donc être étonnés. Attendons.

Faut-il pour autant applaudir ? Une autre historiette : sur la route d’Eusis à Athènes, Thésée fait une halte chez Procruste, qui lui offre son lit. Mais quel lit ! Procruste a la détestable habitude d’étirer les bras et les jambes de ceux qui sont trop petits pour occuper toute sa couche. Et de couper les membres qui pourraient dépasser. La morale de cette fable est évidente : le cadre préexiste et s’impose en toute occasion.

Si Thésée ne se laisse pas faire, tout indique que les participants du Grenelle ont oublié le message. Car ils se seront montrés des invités parfaits, acceptant le cadre qui leur était imposé. Du début à la fin et quel que soit le résultat final. Je ne jugerai pas aujourd’hui l’annonce sur les pesticides, mais je peux dire que je ne suis pas d’accord avec l’enthousiasme de François Veillerette. Car s’il suffit d’un propos de politicien professionnel pour applaudir, mamma mia, où sommes-nous donc rendus ?

Les pesticides sont un poison planétaire, cumulatif et global. Faut-il négocier la diminution de notre niveau d’intoxication ? Je ne crois pas. Au moment où la FAO elle-même reconnaît que l’agriculture biologique est capable de nourrir toute la planète, je trouve curieux – restons pour une fois mesuré – qu’on ne moque pas un plan qui prévoit de passer de 2 à 6 % de la Surface agricole utile (SAU) dédiée à la bio en France. Et en cinq ans. Mais sans doute suis-je un extrémiste ?

Et puis, tout de même : l’industrie agrochimique a parfaitement compris depuis des lustres que le temps béni de l’impunité avait passé. Son objectif est et demeure de s’adapter à de nouvelles situations, avec des opinions publiques très remontées. Outre qu’il faut regarder dans les coins les moins éclairés – pour cause -, je fais le pari que ces dix ans donnés à l’industrie lui permettront surtout de mettre sur le marché de nouvelles molécules, plus actives à des concentrations plus faibles. Un tel projet pourrait s’accorder à la perfection à ce que vient d’annoncer Borloo.

Mais de toute manière, franchement, qui sera comptable dans dix ans du bilan de ce Grenelle ? Sarkozy, en toute hypothèse, ne sera plus en poste – il nous reste au pire à tenir 9 ans et quelques mois. Borloo ? Hum. Kosciusko-Morizet ? Hum. Les ONG seront là, elles, pas de doute. Je vois qu’elles sont équipées comme les chats, de manière à toujours retomber sur leurs pattes. Si le gouvernement ne lâche rien, c’est qu’il est aux ordres des lobbies. Il faut renforcer le pouvoir des associations. Et s’il donne quelque chose, c’est que les ONG ont su faire pression. Donc, il faut continuer, adhérer et en tout cas financer le mouvement.

En entrant dans le grand lit de Sarko-Procruste, les associations écologistes se condamnaient à légitimer le processus et à reconnaître sa validité. C’est chose faite. Reste à évoquer deux grandes figures éternelles. La première s’appelle Sisyphe, que toute le monde connaît. Vivant aux enfers, ce malheureux est condamné à pousser un rocher jusqu’au sommet d’une montagne. Mais il n’y parvient jamais, car la pierre dévale au bas de la pente avant que d’être arrivée en haut.

Évidemment, ce n’est pas franchement rigolo. Je crois qu’en partie, tel est le sort qui attend ceux qui prétendent changer l’ordre des choses. Rien n’est jamais fini, rien n’est jamais acquis, tout recommence à jamais. Comme la vie, jusqu’à maintenant en tout cas. Concernant le Grenelle, je n’hésiterai jamais à reconnaître, si cela doit advenir, que je me suis trompé. Certains amis personnels, comme Jean-Paul Besset par exemple, porte-parole de Nicolas Hulot, semblent certains qu’un grand tournant est en cours. Je dois avouer que j’aimerais le croire, lui, plutôt que moi. Nous jugerons ensemble, et pas pour le cadre de la photo, pas sous la pression imbécile du journal de 20 heures et des flashes. Répondre aux défis de la crise écologique n’a rien à voir avec l’étude des sondages, la communication, la démocratie dite d’opinion, pas davantage avec ce fatras de mesures techniques et technologiques qui démobilisent la société et l’entretiennent dans l’illusion qu’il suffit d’adapter à la marge pour que tout continue à jamais.

Non, mille fois non. Nous sommes dans le labyrinthe. Je suis, vous êtes, nous sommes tous des Thésée. Perdus comme lui dans le dédale inventé par Dédale. Mais vous savez que l’histoire se termine bien. Je crois malgré tout, peut-être contre l’évidence, que la pelote d’Ariane est là, quelque part. Reste à la trouver.

Mais qui est donc Claude Allègre ?

Non, amis lecteurs, Allègre n’est pas ma tête de Turc. Il en est bien d’autres. Mais comment vous dire ? Il est un symbole, et c’est celui de l’irresponsabilité de la presse, fût-elle de qualité, comme on dit outre-Manche. Vous avez suivi comme tout le monde la remise récente de prix Nobel. Celui de la paix a été donné à Al Gore, qui fut vice-président des États-Unis pendant huit ans, à l’époque Clinton.

Je ne l’aime guère. J’avais lu à sa sortie en Amérique son livre Earth in the balance, paru en 1992. Et le plus drôle, c’est que j’en avais fait une critique enthousiaste. Mais oui ! C’était la première fois, dans ma vie, que je lisais une analyse sérieuse de la crise écologique sous la plume d’un grand politique. Une citation du livre vous situera le tout. Gore écrivait : « We must make the rescue of the environment the central organizing principle for civilization ». Autrement dit, il fallait faire de la sauvegarde de l’environnement le principe d’organisation central de la civilisation.

J’avais applaudi, et j’avais tort. Car cinq ans plus tard, au grand raout sur le climat de Kyoto, Gore représentait l’Amérique. Et il se coucha comme de juste devant les intérêts du business. Reste, car je suis un pragmatique, que je suis heureux qu’il ait reçu le Nobel de la paix. Le message planétaire est puissant, et je pressens, malgré tout, que Gore est dans un véritable engagement. Au fond, que demander de plus à des gens venus de si loin ?

Et voilà Claude Allègre. Je vous ai embêté il n’y a pas si longtemps avec un très long texte sur lui et Tazieff : vous pouvez éventuellement vous y reporter (https://fabrice-nicolino.com). L’attribution du Nobel à Gore lui a permis une nouvelle salve d’éructations. Ce ne serait que risible, car c’est aussi risible, si ses propos n’avaient été recueillis comme sérieux. Je ne citerai que l’éditorial du journal Le Monde (14-15 octobre 2007), en page 2. Les adversaires de Gore, écrit l’auguste quotidien, « peuvent compter sur le renfort de quelques scientifiques, tel l’ancien ministre socialiste Claude Allègre, qui ne perd pas une occasion d’exprimer son scepticisme quant au changement climatique et à son origine humaine. Au-delà des querelles entre experts, les observateurs qui suivent les conflits en Afrique constatent que le réchauffement du climat et ses effets sur les équilibres écologiques sont à l’origine de conflits entre des nomades et des sédentaires ».

Un peu long ? Peut-être, mais j’avais besoin de ces deux phrases. Dans la première, on parle de « quelques scientifiques », comme si Allègre était un scientifique en général. Or, il ne sait strictement rien du climat. Je n’exclus pas qu’il soit plus ignorant que moi. Et dans la deuxième, l’expression qui tue est : « au-delà des querelles entre experts ». Là, nous touchons du doigt le spectre de la désinformation. Car il n’y a aucun débat d’experts. Et Allègre, au reste, n’en est pas un. Il existe d’une part un consensus mondial – rarissime dans l’histoire des sciences -, tel qu’exprimé par le GIEC, qui a lui aussi reçu le Nobel. Et puis de l’autre, quelques clampins dans le genre d’Allègre. Telle est la vérité.

Je n’insiste pas sur la responsabilité d’autres journaux, qui relaient la vilaine hargne de Claude Allègre. En revanche, je vous signale que Jean-Marc Jancovici, véritable connaisseur du dossier, vient de mettre en ligne (www.manicore.com) un article désopilant, mais infiniment sérieux, sur Allègre. Si vous en avez le moyen, faites circuler, car on se marre, car on se tient les côtes faute de trouver une autre réaction possible.

Rions ensemble une seconde, car c’est lundi, n’oublions pas. Voici le début, consacré au dernier livre d’Allègre, où il aborde la question du climat : « Il est difficile de dire si la consternation, l’admiration ou l’ébahissement est le terme plus approprié pour caractériser ce qui vient à l’esprit une fois refermé ce livre. Ce dernier comporte une telle densité d’âneries au centimètre carré de page imprimée qu’il en devient une énigme. A-t-il seulement été écrit par un adulte, ou bien par un petit-neveu d’Allègre dont ce dernier n’aurait pas relu les propos ? (…)

Cette avalanche d’inepties pose du reste un problème spécifique à qui veut s’essayer à une critique : par où commencer quand, sur des chapitres entiers, chaque page (je dis bien chaque page) contient une démonstration qui n’en est pas une, un procès d’intention, une citation rapportée de manière inexacte (ce qui évidemment rend ensuite la critique plus facile !), ou encore une absence de précision – délibérée ? – qui rend impossible l’identification même de l’individu ou de l’entité visés (le pronom « on », qui dispense opportunément de préciser qui a dit quoi exactement, est employé à jet continu, et quand « on » ne sait pas qui est visé exactement, il est difficile de savoir quoi répondre…). »

Pas mal, non ?

Attali, pitre et paltoquet

Je ne veux pas jouer à l’homme cultivé, mais j’aime Chateaubriand, du moins celui des si fameuses Mémoires d’outre-tombe. Ce matin, entendant parler de Jacques Attali à la radio, et de ses propositions révolutionnaires pour relancer la croissance en France, c’est à l’homme de Saint-Malo que j’ai de suite pensé. Et à cette phrase que vous avez peut-être lu cent fois, qui figure – j’en suis presque sûr – dans son œuvre. Mais où chercher ? Cette phrase, la voici, et si je me trompe, qu’on me pardonne : « Il y a des temps où l’on ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause du grand nombre de nécessiteux ».

Eh bien, j’assume : j’ai pour Attali du mépris, un sentiment qui fait davantage de mal que de bien. Je rouvre pour me calmer – c’est-à-dire rire – un livre qui ne rajeunira personne. Dans son Précis de récupération (éditions Champ Libre), Jaime Semprun consacrait en 1976 un article à Attali, déjà. Voici les premières lignes : « Dans ses ouvrages successifs, comme dans les innombrables interviews, colloques, entretiens et tables rondes où il a couru étaler son idiotie multidimensionnelle, Attali s’est imposé sans contestation possible comme un des types les plus représentatifs de la pseudo-science tapageuse qui, dans la France d’aujourd’hui, se pousse partout au premier plan (… ) ».

Voyez, l’affaire ne date pas d’hier. Je pourrais aisément dire encore du mal. Parler de sa relation passablement obscène au pouvoir et aux supposés grands hommes. De ses élucubrations et plagiats. Des murs de marbre de Carrare qui l’obligèrent à quitter la tête de la Berd, une banque. De ses bons conseils au marchand d’armes Pierre Falcone, destinés in fine au marché de la guerre angolais. Et même de sa très hypothétique rédemption auprès de Muhammad Yunus, le promoteur du microcrédit.
Je pourrais donc déblatérer des heures, mais à quoi bon ? Un mot tout de même du Bangladesh, patrie justement de Yunus. En 1989, en quelques minutes, Attali imagina pour son maître de l’époque, Mitterrand, un plan d’endiguement des trois grands fleuves du Bangladesh. C’était déjà de la grande œuvre humanitaire. J’ai étudié de très près ce sujet il y a plus de quinze ans, et je vous ferai lire bientôt ce que j’avais alors découvert. Entre autres, que les études hydrologiques avaient été biaisées pour aider des entreprises françaises dans la recherche de marchés prometteurs. Ce projet d’endiguement n’a jamais vu le jour. Par chance. Tout indique qu’il aurait été une très grande catastrophe humaine et écologique. Mais qu’importait à Attali, puisque cela faisait plaisir à son maître ?

Je suis long, je sais. Et j’en arrive à cette invraisemblable commission Attali. Elle va donc remettre à Son Altesse Sérénissime Sarkozy 1er un rapport sur les moyens de relancer la croissance en France (1). Attali et ses petits amis proposent de donner toute liberté aux grandes surfaces, et d’une façon générale, de ne plus tolérer aucun frein à la concurrence. Voyons, ne sommes-nous pas tous égaux ? Le céréalier de la Beauce et le paysan chinois trimant sur son lopin ne sont-ils pas des frères ?

Ce que propose Attali, c’est la guerre de tous contre tous. Et que le meilleur gagne ! Au passage – mais où est le passage ? – Attali réclame la fin du principe de précaution, qui entraverait la marche en avant de l’économie, euphémisme qui désigne la destruction du monde en cours. Ce paltoquet rêve d’une croissance de 5 % par an. Nous sommes à moins de 2 %. Une telle augmentation jetterait sur le marché réel, en France, des dizaines de milliers de bagnoles de plus, des autoroutes en bubble gum, des téloches à coins biscornus, des téléphones immédiatement jetables, des saucisses Herta, des vacances à la Grande Motte, d’autres Érika, sans compter un immense dégueulis pour recouvrir le tout. Je ne serais pas le dernier à vomir dans l’encolure de ce grand penseur que la terre entière nous envie.

(1) http://www.lesechos.fr