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Pourquoi je ne serai jamais patriotard

Ce papier a été publié par Charlie le 18 novembre 2015

Les tueurs sont des agents du totalitarisme. Contre eux, pas de pitié. Contre eux, s’il le faut, des armes. Mais pas question de faire semblant de défendre un monde condamné, qui nous enfonce dans une crise sans issue. Il faut penser et repenser. Il faut agir et réagir. Mais pas avec n’importe qui.

La réunion allait se terminer, car les frères Kouachi s’apprêtaient à nous tuer. Mais par une coïncidence digne d’Alexandre Dumas, nous avons eu le temps de nous engueuler une dernière fois, à propos des djihadistes français. Autant que je puisse m’en souvenir, deux partis s’opposaient. Je revois mon pauvre cher Tignous s’emporter, s’empourprer. Il défendait l’idée que nous étions bel et bien responsables de l’apparition du monstre. Les banlieues n’étaient-elles pas devenues des lieux d’infamie et de relégation ? Avions-nous fait ce qu’il fallait ?

Mon pauvre cher Bernard Maris l’avait alors envoyé promener. Mais enfin, bordel, la France n’avait-elle pas donné beaucoup de son temps, de son énergie, de son argent aux cités-ghettos ? Qu’aurait-il fallu faire de plus, merde alors ? Quant à moi, j’ai simplement dit que j’en avais plus que marre de chercher des explications si filandreuses qu’elles valaient excuse. Hitler comme Staline, Gengis Khan comme Torquemada ont eu leurs problèmes, ainsi que beaucoup d’autres. Et alors ? Ensuite, Tignous et Bernard ont été massacrés sur place, j’ai pris trois balles, et le monde a paru changer de base.

Dix mois plus tard, je reprends mon propos. Il arrive un moment où l’on juge les actes, sans se soucier du reste. En tout cas, sans se laisser aveugler. Les attaques islamistes, à Paris comme à Bagdad ou Alep, sont la pointe avancée d’un totalitarisme nouveau, qui entend régner des siècles – tel le Reich de 1 000 ans – sur des sociétés démantibulées par la terreur. La première des réponses doit être de nommer le phénomène, sans se contenter de formules éculées sur la barbarie, ou même « l’islamofascisme ». Et l’ayant fait, il faut au plus vite unir, et combattre. On n’abat une muraille totalitaire qu’avec des instruments plus puissants qu’elle. Dont des armes, assurément.

L’union, mais avec qui ? De ce point de vue, l’histoire récente se montre troublante. Nul n’a vraiment vu en temps réel – pas même ses opposants – la nature profonde du fascisme hitlérien. Et bien des gauches françaises ont longuement cheminé avec le stalinisme, qu’il soit de Moscou, de Pékin ou de La Havane. Cette innommable perte de temps a permis au poison de se répandre bien au-delà des territoires où l’on aurait dû le confiner, de gré ou de force. De force ? La France redécouvre après 70 ans paisibles – du moins ici – que l’Histoire des hommes est le plus souvent tragique. Et qu’il faut parfois, comme aujourd’hui, accepter des batailles meurtrières pour éviter des guerres bien plus dévastatrices.

L’union, mais avec qui ? La question est redoutable. Et légitime. Hitler aurait-il été vaincu sans l’alliance avec Staline, qui aura servi, au passage, à légitimer le grand Assassin du Kremlin ? Au reste, ne serait-ce pas plutôt aux victimes des deux brasiers de répondre ? En France même, la résistance antifasciste n’a-t-elle pas rassemblé staliniens, gaullistes et chrétiens ? Le glorieux Conseil national de la résistance (CNR) est issu en droite ligne de ce salmigondis, ce qui fait réfléchir.

Comment oublier pourtant, fût-ce un instant, les montagnes de cadavres des aventures coloniales ? Même après la guerre contre le pire, même après 1945, la France « de gauche » a lancé ou couvert d’infernales tueries contre les Insoumis des colonies. En Algérie, à Madagascar, au Vietnam, au Cameroun, et dans bien d’autres lieux. Combien de martyrisés au napalm ou à la mitrailleuse lourde ? Combien de gosses, combien de femmes, combien de familles ? Comment oublier un instant notre indifférence aux morts récentes de l’Afghanistan ou de la Syrie ? Le « miracle » de ces drones, actionnés depuis de confortables bureaux de Washington ou de Paris-sur-Seine ? Comment oublier un instant ce crétin de Sarkozy partant mettre le feu en Libye, et toujours prêt à recommencer ailleurs, comme l’ont fait en Irak W. Bush et sa petite bande criminelle ?

Faire partie de la grande parade patriotique qui se profile sur fond bleu horizon ? Tout bien pesé, je n’en serai pas. Si les djihadistes frappent avec autant de haine et de réussite, c’est aussi parce que notre monde se décompose. Et à quelle vitesse ! Les innombrables promesses universalistes faites depuis deux siècles, tantôt à droite, tantôt à gauche, n’illusionnent plus personne. Sur cette Terre qui rétrécit à mesure que flambent les réseaux électroniques, les limites physiques sont atteintes. Jamais les gueux ne profiteront des douteux bienfaits de notre hyperconsommation de biens matériels. Il y faudrait trois, quatre ou cinq planètes, ce qui ne semble pas envisageable. Si ?

Malgré la confusion des âmes, qui ne sent que nous vivons les derniers jours de Pompéi ? À elle seule, l’angoissante crise climatique – après 10 000 ans de relative stabilité –  rebat toutes les cartes. Aucune barrière policière, quelles que soient les sinistres enthousiasmes lepénistes, ne retiendra longtemps les flots de réfugiés écologiques, qui se comptent déjà par dizaines de millions. Croit-on sérieusement que la jeunesse du Maghreb – simple exemple parmi bien d’autres – restera longtemps à sa place, sans avenir, sous un soleil de feu et de mort ?

Les nombreux François Hollande de notre si petit univers politique n’ont rien à proposer que la poursuite d’une course sans but ni fin prévisible. Celle de la grande bataille pour la possession de colifichets de toute sorte. Il faudrait, d’après nos maîtres provisoires, travailler, suer, éventuellement tuer pour acheter et racheter des objets inutiles qui contribuent en retour à la destruction du monde et de ses écosystèmes. Cette atroce maladie mentale est une manière de prôner la guerre de tous contre tous. Ou plus exactement la guerre d’un Occident pensé comme un réduit, qu’il faudrait défendre par les barbelés et les drones contre des hordes se pressant aux frontières.

S’il s’agit de tenir vingt ou quarante ans, le temps de mourir soi-même de vieillesse, c’est peut-être jouable. Mais il faudra alors s’allier au pire, et jouer les soutiers des sombres crapules du Front National. Si l’on veut en revanche parler demain au Sud, avec quelque chance d’y être entendu, il faut s’atteler dans la plus extrême des urgences à une révolution morale et politique. Et cette dernière ne pourra être qu’écologique, clamant l’évidente nécessité du Grand partage des espaces et des biens entre tous les hommes, toutes les bêtes, toutes les plantes.

Cela semblera grotesque à ceux qui n’ont jamais éprouvé la puissance des rêves humains. Et ils sont nombreux. Mais à ce compte-là, que penser de ces milliers de valeureux qui préparèrent dans l’ombre, au péril de leur liberté et de leur vie, notre grand soulèvement démocratique de 1789 ? Combien de colporteurs sur les routes, pour combien de libelles distribués clandestinement ? Notre XVIIIème siècle n’aurait évidemment pas connu la fin des privilèges sans ces combattants de la nuit, sapant année après année le mythe d’une royauté de droit divin.

D’évidence, le souffle historique venu de ces folles années est désormais épuisé. Et je gage qu’une partie de la terrible puissance des tueurs djihadistes n’est que le pendant de notre si grande soumission au règne de la marchandise. Sommes-nous déjà morts ? C’est bien possible. Si non, mettons-nous debout, face au crime et face à l’avenir. Nous devons mobiliser la meilleure part de nous-mêmes et imposer enfin des valeurs telles qu’aucune kalachnikov ne leur soit supérieure. Cela vaut la peine de penser. Et d’agir.

Farces et attrapes de la COP21

Cet article a été publié dans le numéro 1215 de Charlie-Hebdo.

Hollande, à peine rentré de Chine, jure qu’il a convaincu Pékin de lutter contre le dérèglement climatique. Mais il oublie opportunément de parler des exportations, du charbon, des objectifs bidon de la Conférence de Paris et d’un certain Maurice Strong. Les bouffons du climat sont de sortie.

Pour comprendre la délectable COP21 de décembre, tout oublier du bruit, et regarder de près trois questions vraiment majeures. La première concerne ce pauvre garçon – notre président François Hollande – à peine rentré d’une visite officielle en Chine. La version des communicants est que Hollande-les-petits-bras a convaincu un Empire de faire un geste pour le climat.
Ravalons un rire nerveux, et passons aux choses sérieuses (1). Si la Chine fait tellement peur aux gouvernements du Nord, ce n’est pas parce qu’elle est devenue le plus grand émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Non, ce qui les angoisse, c’est la baisse de sa croissance, qui ne devrait pas atteindre 7 % cette année, contre 10 % les années fastes.
Cette simple annonce a plongé la Bourse et ses amis au pouvoir dans la déprime, car qui peut acheter nos turbines, nos centrales nucléaires et nos avions ? Au tout premier rang, la Chine. Il faut que son économie croisse de manière démentielle pour que nos usines à détruire le monde tournent à plein régime. Est-ce bien compatible avec une vraie lutte contre lé dérèglement climatique ? Ben non, ballot.
Non, car la Chine ne se contente pas d’importer : elle vend aussi au monde entier, et bientôt des bagnoles made in China, sans quoi elle ne pourrait pas acheter. Les échanges commerciaux entre la Chine et la France sont une cata, avec un déficit annuel qui dépasse les 25 milliards d’euros. On vend 15, on achète 40. Mais on continue, comme on continuera encore et toujours auprès des pays dits émergents, car nos grands hommes ne voient pas d’autre issue que de fourguer le plus vite et le plus cher possible.
Comment fait la Chine, les petits amis ? Eh bien, elle s’appuie massivement sur le charbon de ses entrailles pour continuer sa course folle : elle consomme à elle seule autant de charbon que le reste du monde. Quelque chose comme 3,5 milliards de tonnes l’an. Et une centrale au charbon y ouvre tous les dix jours. Au plan mondial, la tendance est sans appel : demain au plus tard – dans deux ans, dans trois ? -, le charbon sera l’énergie la plus utilisée, devant le pétrole. Or qui l’ignore ? Le charbon émet 1,3 plus de C02 que le pétrole et 1,7 que le gaz. Ses émissions de gaz à effet de serre représentent 44 % de toutes celles provenant de l’énergie, contre 35 % pour le pétrole.
Hollande est donc venu demander un coup de main aux Chinois tout en les suppliant de ne rien en faire. Ce qu’on appelle une situation de double contrainte, qui n’est guère éloignée de la schizophrénie. Les Chinois, qui connaissent la chanson, réduiront d’autant moins leurs émissions qu’ils redoutent plus que tout une révolte massive de la société, pour le moment comme muselée par les télés plasma, les six périphériques de Pékin et les 20 000 chantiers permanents de Shanghai. Comme il faut produire de plus en plus massivement, il faut de plus en plus de charbon. Et comme on crame de plus en plus de charbon, on aggrave chaque jour un peu plus la crise climatique. Ajoutons pour les sourds et les malentendants que le commerce mondial est le grand moteur à explosion de la crise climatique. En vertu de quoi l’Europe et les États-Unis négocient le traité transatlantique (Tafta) qui vise à multiplier la production et les échanges.
La deuxième question concerne le grand bluff de la COP21, qui mise tout sur la limitation du réchauffement à deux degrés en moyenne annuelle. En dessous, ça irait encore. D’où vient ce chiffrage ? Pas très loin du trou du cul d’un négociateur anonyme (2). Ne reposant sur aucune base scientifique, il a été savamment mis en scène par des politiques, de manière à défendre des engagements « réalistes ». D’autant plus baroque que des effets non-linéaires sont attendus dès 1,5 degré d’augmentation. Non-linéaires, c’est-à-dire non proportionnels, et même non prévisibles. Un emballement général devient possible. Pourquoi une telle imbécillité ? Parce qu’il faut produire (voir plus haut).
La troisième question oubliée fait penser à la célèbre Lettre volée, cette grandiose nouvelle de Poe. Les roussins – la police – cherchent pendant des semaines un document qui se trouve nécessairement dans un appartement, sans le trouver. Pardi ! il est sur une table, bien en évidence. Mutatis mutandis, tout est à disposition à propos du système onusien de « lutte » contre le dérèglement climatique. Ceux qui veulent savoir le peuvent. Qui a organisé le tout premier des Sommets de la Terre, celui de Stockholm en 1972 ? Maurice Strong.

Qui a créé puis dirigé le Programme des nations unies pour l’environnement (Pnue) ? Maurice Strong. Qui a organisé le Sommet de la Terre de Rio, édition 1992 ? Maurice Strong ? Qui est devenu sous-secrétaire général de l’ONU ? Maurice Strong. Qui a ouvert ès qualité la première conférence mondiale sur le climat, celle de Kyoto, en 1997 ? Maurice Strong (www.mauricestrong.net/index.php/kyoto-conference-introduction).
Mais qui est-il donc ? Sans détour, un homme des transnationales. Et quelles ! Strong, né en 1929 au Canada, a dirigé ou présidé un nombre impressionnant d’entreprises dégueulasses, souvent fondées sur l’exploitation d’énergies fossiles comme Dome Petroleum, Caltex (groupe Chevron), Norcen Resources, PetroCanada. Quelquefois dans le même temps qu’il parlait pour le compte de l’ONU ! On a confié les clés à quelqu’un qui avait un intérêt direct à ne pas limiter les émissions de gaz !
Et ce n’est pas tout. Bras droit de Strong pour Rio-1992 ? Stephan Schmidheiny, ancien patron de la société Éternit, spécialiste de l’amiante. Le tribunal de Turin (Italie) l’a condamné à 18 ans de prison ferme en 2013 pour sa responsabilité écrasante dans la mort de 3000 prolos italiens (3).
Et chez nous ? Brice Lalonde, nommé Ambassadeur en charge des négociations climatiques par Sarkozy en 2007, a été cadre très supérieur de l’ultralibérale OCDE. Jadis écolo « de gauche », il est devenu partisan des gaz de schiste, considérables émetteurs de gaz à effet de serre. Comme de juste, il est devenu l’organisateur en chef du deuxième Sommet de la Terre de Rio, en 2012.
Reste le cas grotesque de Laurence Tubiana. Nommée par Hollande représentante de la France pour la COP21, cette sympathique techno de choc a surtout créé et longtemps dirigé un monstre, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Parmi les membres fondateurs, on trouve la très grande industrie, dont les célèbres amis du climat et des abeilles, Bayer et BASF.
En résumé express, les transnationales tiennent la « négociation » en cours : on parie que la COP21 prépare déjà un triomphal communiqué de clôture ?

(1) La Chine vient d’admettre qu’elle avait grossièrement menti sur sa consommation de charbon. Il faudrait ajouter aux chiffres officiels la bagatelle de 600 millions de tonnes par an.
(2) Stéphane Foucart, in Le Monde, 5 juin 2015
(3) Jugement cassé pour cause de prescription

Hollande et la haine (bonhomme) du vivant

Mais quel président ! Dieu du ciel, quel petit personnage ! Je vous invite à lire l’entretien que François Hollande a donné au Chasseur français de novembre. Merci à Raymond Faure de m’en avoir adressé la copie, que vous lirez ci-dessous. Peut-être est-ce un peu en désordre, et je plaide de toute façon coupable, car j’atteins vite mes capacités techniques. N’importe, non ?

Le fond de l’affaire est tragicomique. Notre président est là en campagne électorale, et adresse tous les mamours du monde au million de chasseurs français, dont la plupart enverront bouler, quoi qu’il arrive, les candidats de notre maître provisoire. Or donc, on apprend de la bouche élyséenne que les chasseurs aiment et protègent la nature et que les zadistes ont fait de la France un « terrain d’exercice de groupes venus de loin et qui contestent l’idée même de progrès ». Tout est rose, dans le propos présidentiel, aussi rose que la peau des cochons industriels farcis d’antibiotiques. Le système agro-alimentaire est parfait, c’est la saison des cèpes, notre vin est somptueux, etc. Ses conseillers lui ont inspiré les réponses les plus imbéciles qui soient, mais à la vérité, ce sont visiblement celles qui viennent spontanément aux lèvres de Hollande. Pouah !

Une mention pour sa diatribe contre les Loups. L’espèce est protégée – dommage, hein ? -, mais comme ce vilain animal se multiplie et s’attaque aux moutons – ce que ne font pas les abattoirs, n’est-ce pas ? -, eh bien, il faut buter les surnuméraires. On a compris que l’heure du massacre avait une nouvelle fois résonné dans les campagnes, et que la tuerie serait menée à son terme grâce à l’aide professionnelle des chasseurs. Voilà un type qui demain, se lancera dans des discours pareillement préfabriqués sur la biodiversité et la crise climatique. Jocrisse, va !

Un dernier point personnel : lorsque j’étais sur mon lit d’hôpital, après avoir reçu trois balles des frères Kouachi, j’ai reçu un appel téléphonique de François Hollande. J’avais envisagé de le voir, mais d’évidence dans un moment d’égarement, car je n’ai évidemment rien à lui dire. Et au fond de moi, je ne suis pas peu fier d’avoir été si peu considéré par nos Excellences après la fusillade du 7 janvier 2015. Je ne suis pas aveugle : quantité d’officiels se sont succédé auprès des rescapés de Charlie. Ou se sont montrés en compagnie des survivants debout du journal. Pour ma part, j’ai été – heureusement – épargné. Le coup de fil présidentiel a sans doute été suggéré en une sorte de rattrapage par quelque conseiller se pensant avisé. Mais moi, je les avise tous que je ne ferai jamais partie de leur monde, fût-ce à la marge.

Comment je vais ? Je crois bien avoir perdu mon sens de l’équilibre, car je me suis étalé dans les grandes largeurs, à deux reprises. Ça fait mal ? Eh bien oui. Mes amitiés à vous tous. Vraies.

 

Chasseur Franc?ais nov. 2015 (1)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (2)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (3)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (6)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (4)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (9)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (7)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (8)Chasseur Franc?ais nov. 2015 (5)

 

Du vent et surtout plein de fric

Ah là là, ne me parlez plus d’éoliennes, les amis. J’ai écrit l’article qui suit, paru dans Charlie Hebdo voici trois semaines, et j’ai reçu pas mal de plaintes en retour. Pour être juste, également des mots de soutien, à peu près aussi nombreux. Mais il me reste un goût d’amertume, car enfin, j’ai eu la vilaine impression d’un pénible remake de ces années où il fallait appartenir à un camp. Nombre de mes critiques me reprochent explicitement d’être passé de je ne sais quel côté de je ne sais quelle barricade. Extrait représentatif : « Je te tutoie car nous avons mené des combats communs et j’avais l’impression que nous étions du même camp ».

Je mentirais en disant que cela ne m’atteint pas. Mais je suis décidé à continuer, car quel crime ai-je commis ? D’abord, ainsi que je l’ai expliqué à un de mes contempteurs, Claudio, qui s’exprime quelquefois ici, je suis parti d’une info du Syndicat des énergies renouvelables (SER), que j’ai estimée fausse. Et elle l’est. Ensuite, j’ai fait un court papier dans lequel j’ai présenté une facette de l’éolien que ses défenseurs refusent de voir : la place grandissante de l’industrie la plus lourde et les magouilles dont sont les victimes  de simples gens souvent sans défense. Lesquels sont soutenus par une Fédération Environnement Durable (FED), de droite, avec laquelle je ne dois guère partager grand-chose. Ai-je écrit qu’ils étaient merveilleux, et que je les soutenais de tout cœur ? Nullement. J’ai écrit que ses 1057 associations avaient des histoires extraordinaire à raconter, qui disent comment circule le pouvoir réel, et au détriment de qui.

C’était déjà trop. J’aurais dû, d’emblée, écrire au feutre rouge que FED est un rassemblement de salopards et que les éoliennes sont notre bel avenir à tous. Seulement non, on aura frappé à une mauvaise porte. Le soutien de certains aux éoliennes me semble un avatar de l’idéologie progressiste qui aura tant fait de mal. Puisqu’elles sont mues par le vent, elles tournent le dos au nucléaire et nous prépare un monde heureux où les énergies renouvelables seront reines. Et que dans ces conditions, il faut serrer les rangs, malgré qu’on en ait. Mais il se trouve que je ne crois plus aux contes de fée.

En résumé, on peut soutenir l’idée des éoliennes – c’est mon cas, sans réserve – et critiquer durement la manière dont leur développement se fait. La place d’Alstom, d’EDF et d’Areva dans le tableau dit bien que l’on assiste à une expropriation en bonne et due forme. Il ne s’agit plus, s’il s’est jamais agi, de défendre une énergie décentralisée, adaptée aux besoins modestes de petites communautés humaines, mais de remplir les poches des Grands de l’énergie en augmentant encore leur puissance. Je prends le pari : l’essor prodigieux des éoliennes ne permettra en aucune façon de réduire notre consommation énergétique, manière pourtant essentielle de lutte contre le dérèglement climatique. Tout au contraire, cet essor permettra d’offrir aux pauvres couillons que nous resterons tous, davantage de possibilités de gaspiller l’électricité. Nous assistons déjà à un empilement de nucléaire, de pétrole, de gaz, d’hydroélectricité, de solaire et de…vent. Non ?En bref, l’énergie éolienne est aussi un rapport social et ce que promeut le modèle actuel signifie toujours plus de contrôle et toujours moins de liberté pour chacun d’entre nous.

J’ajoute encore deux détails. Il y a 25 ans, j’ai mouillé ma chemise, au-delà du raisonnable, pour les riverains de l’infernale décharge de Montchanin, en Saône-et-Loire.Tous les pouvoirs étaient coalisés contre les victimes d’un cauchemar. Le ministre de l’Environnement était un certain Brice Lalonde, que j’ai eu la joie de pouvoir malmener au cours d’une réunion publique houleuse. La petite ville était socialiste depuis 1906, et le maire avait pourtant imposé au pied des jardins une décharge industrielle ultradangereuse où étaient entassées, quand je m’y suis rendu en 1989, la bagatelle d’un million de tonnes d’ordures. J’ai vite compris que l’association locale était tenue par des gens de droite, dont mon si cher Pierre Barrellon. Était-ce une raison pour les laisser crever sur place ? Je n’ai jamais eu avec eux la moindre discussion politique générale, et c’est tant mieux. Ils étaient formidables, ils se battaient, ils avaient raison. Je pense que c’est la même chose dans beaucoup d’endroits où des truands de l’énergie tentent d’imposer à des communautés tranquilles la cohabitation avec des mâts de 130 mètres de haut.

Bien sûr, Claudio Rumolino, bien sûr qu’il existe des PME de l’éolien qui ne partagent pas nécessairement les vues du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais leur silence devant la main-mise en cours me paraît devoir les disqualifier.

PS : J’ajoute, et franchement, cela me fait sourire, que mes nombreux critiques attaquent un texte riquiqui qui n’a jamais prétendu faire un point général sur les éoliennes. Ce n’était qu’un maigre article, mais il m’aura appris beaucoup. Et voilà donc ce papier, paru dans Charlie :

 

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Les éoliennes ? On est très loin des rêves de Reiser il y a quarante ans. Au lieu de l’autonomie énergétique pour tous, Areva, EDF, Total, Alstom ont fait main basse sur le pactole. Ça rapporte et ça ment. Beaucoup.

C’est pas tout à fait du vent, mais ça rafraîchit. Selon un audacieux communiqué de Syndicat des énergies renouvelables (SER), « la France vient de franchir le cap des 10 000 mégawatts éoliens raccordés au réseau (…)  Le parc éolien français permet d’alimenter en électricité un peu plus de 6 millions de foyers, soit plus que (…) la population de la région Ile-de-France ».
Les communicants du SER sont d’habiles filous, car tout est vrai, bien que tout soit faux. Le premier mouvement est simpliste, mais permet d’entuber le journaliste feignasse : 10 000 mégawatts, mazette, c’est du lourd ! Le deuxième est là pour achever le gogo : 6 millions de foyers, c’est au moins 13 millions de personnes ! Rien à dire, sauf que c’est bidon. En 2014, la production électrique nette, en France, a atteint 540,6 Terawattheure (TWh), dont 17 TWh grâce aux éoliennes. 3,1 % du total.
Sans entrer dans les détails, il faut ajouter qu’aucun foyer n’est alimenté directement par les éoliennes, car des problèmes techniques – à commencer par les facéties du vent – interdisent une production en continu. Dans l’état actuel, l’électricité éolienne est donc un tout petit complément. Ben alors, pourquoi ce grand bluff du SER ? Parce qu’il lui faut épater le monde, et chaque jour un peu plus. Tu vas voir, ami lecteur, ça vaut le dérangement. Les éoliennes, même si ça ne ressemble pas, c’est comme une vache à lait. Le marché atteint environ trois milliards d’euros  par an et le parc installé dépasse 5 000  grosses éoliennes, chiffre qui pourrait doubler d’ici quelques années seulement. Qui dirige le SER ? Jean-Louis Bal, qui a fait ses nobles classes dans le public – il dirigeait le service des Énergies renouvelables à l’ADEME, l’Agence de l’environnement – avant de mettre son carnet d’adresses au service de l’industrie.
Et quelle industrie ! On trouve au conseil d’administration du SER une magnifique bande de philanthropes : EDF et Areva, mais aussi Alstom – les turbines du délirant barrage des Trois Gorges, c’est elle -, la Compagnie nationale du Rhône – les gros barrages dégueu de chez nous – , Total et Sofiprotéol-Avril pour les nécrocarburants. Ce très puissant lobby a comme on se doute de nombreux amis dans les ministères de gauche comme de droite. Et il a réussi un tour de force qui n’est pas à la portée d’un débutant. Via une obscure « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), ponctionnée sur les factures d’électricité, EDF achète sur ordre la production éolienne à un prix deux fois supérieur à celui du marché. Qui paie pour la grande industrie ? Nous, patate. Compter 5 ou 6 milliards d’euros chaque année selon les grands teigneux de la Fédération environnement durable (FED).
Cette dernière (http://environnementdurable.net) est peut-être bien de droite et elle a le grand malheur d’être soutenue par le vieux Giscard, ce qui est bien chiant. Mais ses 1057 associations ont souvent des histoires hallucinantes à raconter. Notamment à propos de ces armées de commerciaux déchaînés par l’appât du gain, qui font le tour de France en toutes saisons pour appâter de nouveaux candidats. Et il s’en trouve aisément, car les mieux organisés de ceux qui louent leurs terrains peuvent empocher jusqu’à 100 000 euros par an. Hum.
On reviendra sur ce dossier démentiel, mais il faut encore parler de la corruption, qui accompagne gentiment les installations de mâts pouvant atteindre 130 mètres de haut. Dans son rapport de 2013 publié à l’été 2014, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) notait sans emphase : « Le développement de l’activité éolienne semble s’accompagner de nombreux cas de prise illégale d’intérêts impliquant des élus locaux ». La combine est simple : un maire rural fait voter le principe d’un parc éolien, et comme par extraordinaire, on le retrouve ensuite sur des terrains appartenant à lui-même ou à ses proches. Depuis dix ans, les condamnations d’élus pleuvent, mais tout le monde s’en fout. C’est si bon, le fric.
Je t’entends mal ? L’écologie, dans tout ça ? Avec Alstom, Areva et Total ? Je vois que tu es blagueur.

François Hollande, en Majesté de l’imbécillité

Mon livre Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture commence fort bien sa route, et je sais ce que je vous dois, lecteurs et amis de Planète sans visa. Puis-je insister ? Les premiers jours sont décisifs. Autrement dit, si – et j’insiste sur le si – vous avez envie de lire ce texte, le mieux serait maintenant. Voyez.

Grâce à Marie-Josée, qui m’envoie sans cesse de très pertinentes informations, j’ai pu lire l’entretien ci-dessous avec François Hollande, notre président, daté de février. C’est lamentable de la première à la dernière ligne. Nous sommes gouvernés par un imbécile. Écrivant cela, je sais bien que Hollande a sa part d’intelligence, comme quiconque. Mais comment définir quelqu’un qui ne voit rien ? Un aveugle ? Certes, mais pourquoi accabler les aveugles, qui « voient » souvent bien mieux que les autres ? Lui, notre président, préfère regarder ailleurs, ce qui le désigne comme un pauvre homme. Est-ce que je le plains ? Quand même pas. Il est surtout pitoyable. Extrait : « Jamais je n’accuserai l’agriculture d’être à l’origine du réchauffement de la planète ». Comme si une seule personne sensée accusait l’agriculture d’une responsabilité globale ! Ce truc, car c’est un bas truc politicien, lui permet de disqualifier un adversaire imaginaire de manière à mieux étouffer les critiques réels de l’industrialisation de l’agriculture. Bah !

Lundi 23 février 2015 | interview

François Hollande : « Il faut produire plus et produire mieux »

Dans une interview à Agra Presse, le président de la République affirme clairement qu’il est possible de concilier une agriculture compétitive et les impératifs écologiques. Il veut, pour cela notamment, lancer une « stratégie de recherche agricole » et assouplir les contraintes qui s’imposent aux exploitants. Il annonce que « les mesures concernant la pénibilité ne seront pas applicables en 2015 et, à partir de 2016, une approche plus collective et forfaitaire sera privilégiée. »

L’année 2015 est marquée par l’impératif écologique lié au sommet de Paris sur le réchauffement climatique. Quelle mission supplémentaire demandez-vous à l’agriculture d’assumer sur la question environnementale ?

J’invite les agriculteurs à se saisir pleinement des enjeux de la conférence sur le climat. Qu’ils ne considèrent pas l’accord qui en sortira comme comportant des nouvelles contraintes mais comme offrant des opportunités supplémentaires pour promouvoir l’agriculture française. J’ai d’ailleurs veillé à ce que les spécificités du secteur agricole soient reconnues dans la plate-forme du Conseil européen pour la préparation de cette conférence. Notre agriculture, qui est déjà soucieuse de ses émissions de gaz à effet de serre, peut se mobiliser encore davantage pour stocker davantage de carbone dans les sols, conduire une sélection génétique pour produire des plantes plus résistantes à la sécheresse, traiter davantage les déchets agricoles avec la méthanisation.

« Nous avons besoin de réserves et d’équipements qui permettent d’approvisionner en eau nos territoires. »

Jamais je n’accuserai l’agriculture d’être à l’origine du réchauffement de la planète. Mais j’ajouterai toujours que l’agriculture peut contribuer à sa diminution. Il faut produire plus et produire mieux, c’est le sens de la stratégie d’agroécologie proposé par Stéphane Le Foll.

Les agriculteurs ne comprennent pas les procès qui leur sont faits, par exemple dans des cas emblématiques comme le barrage de Sivens ou la ferme des 1 000 vaches. Quelle est votre position sur ce type de dossier ?

Ma volonté est d’éviter des affrontements. Ces conflits ne servent ni la cause de l’agriculture ni la cause de l’écologie. Nous avons besoin de structures agricoles qui, notamment en matière d’élevage, accueillent des regroupements. Mais nous n’avons pas besoin d’usine d’élevage. Ce serait la pire des images pour l’agriculture française. Donc il doit y avoir un équilibre. Les agriculteurs y sont attachés et ils ne veulent pas se faire imposer un modèle industriel qui ne serait pas le leur.

Sur les barrages et l’approvisionnement en eau, la question n’intéresse pas uniquement les agriculteurs. Elle est posée à l’ensemble des territoires qui connaissent des risques de sécheresse. Nous avons besoin de réserves et d’équipements qui permettent d’approvisionner en eau nos territoires. Pas simplement l’espace rural. Encore faut-il que les projets soient à la bonne taille, sur les meilleurs lieux et qu’ils puissent avoir été concertés pour qu’ils ne soient pas contestés. Il est paradoxal d’attendre qu’un équipement soit presque en chantier pour le bloquer. Et que surviennent en plus des débordements de violence comme à Sivens. À la suite de ce drame, j’ai pris deux décisions. La première consiste à améliorer les conditions du débat public pour ce type d’investissements ; la deuxième vise à réduire les délais. On ne peut pas avoir des projets qui sont décidés à l’année N et qui s’exécutent à l’année N+10, dans la colère et la frustration.

Ne faudrait-il pas davantage de régulation des marchés pour permettre aux agriculteurs de mieux répondre aux exigences environnementales ?

D’abord, la France a obtenu en 2013 une renégociation de la Pac qui était, à bien des égards, inespérée. Autant en ce qui concerne sa place dans le budget européen que ses modalités d’application. Nous avons pu renforcer la régulation des marchés, augmenter le couplage des aides tout en introduisant le verdissement. Mais face à des cours de plus en plus volatiles et qui sont insupportables pour beaucoup de producteurs, nous devons, à crédits constants, réguler davantage. Les pouvoirs de la Commission européenne ont été renforcés, elle doit s’en saisir. J’ai donc écrit au président (de la Commission européenne) Jean-Claude Juncker pour que des mesures de gestion des marchés soient prises. L’Europe doit adopter rapidement une décision concernant le stockage privé pour la viande porcine pour redresser des cours particulièrement bas et pour compenser les effets de l’embargo russe. C’est la pérennité de nombreuses exploitations qui est en cause.

« J’ai écrit au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker pour que des mesures de gestion des marchés soient prises. »

À ce sujet, après l’accord de Minsk, s’il est respecté, peut-on espérer une prochaine levée de l’embargo russe ?

Depuis plusieurs semaines, j’ai engagé des démarches auprès des autorités russes pour une levée progressive de cet embargo. Si je m’engage autant pour la paix en Ukraine, c’est bien sûr pour que nous en terminions avec une guerre qui a déjà fait plus de 5 000 morts. Mais c’est aussi pour que nous retrouvions des relations amicales et commerciales avec la Russie. J’ai l’espoir que si l’accord de Minsk se confirme – mais nous avons beaucoup d’incertitudes dans cette période – nous puissions aller très vite vers une reprise de nos échanges.

Plusieurs pays très compétitifs comme les Etats Unis misent sur des systèmes assurantiels pour le revenu de leurs exploitants. La France ne devrait-elle pas faire un effort plus important dans cette direction ?

Oui. Face à la volatilité des prix, aux désordres climatiques, nous avons besoin de donner aux agriculteurs de la stabilité. Notamment par des mécanismes d’assurance. Mais je ne veux pas laisser les agriculteurs seuls face à des opérateurs privés au risque de les voir supporter encore des charges supplémentaires. Dès la campagne 2015-2016, un « contrat socle » leur sera proposé à un prix abordable grâce à la participation de l’Etat. C’est une solution nécessaire pour diffuser les systèmes assurantiels. L’objectif, c’est une mutualisation des risques. Les producteurs de grandes cultures ont été les pionniers dans ce domaine. Nous devons donc travailler à ce que cette garantie puisse être élargie sans que cela n’affaiblisse les exploitations qui y ont déjà eu recours. Au-delà de 2020, la question des assurances devra être traitée sur un plan européen, par la PAC. Une des conclusions de la Conférence de Paris sur le climat pourrait porter, justement, sur des systèmes assurantiels sur le plan mondial et régional.

Sur les questions environnementales, les agriculteurs ont le sentiment que la France sur-transpose de manière excessive les réglementations européennes. Ne pensez-vous pas que c’est effectivement le cas ?

« Au-delà de 2020, la question des assurances devra être traitée sur un plan européen, par la PAC.»

Elle l’a trop fait dans le passé. Elle a ajouté des contrôles aux contrôles et alourdi les charges des exploitants. Or les formalités administratives ont aussi un coût financier. D’où l’ouverture de trois chantiers par le gouvernement : le premier concerne l’environnement et la simplification des règles. Je pense notamment à la définition des cours d’eau mais aussi au régime des installations classées. Un alignement des dossiers d’étude d’impact sur ceux de nos principaux partenaires européens signifiera moins de papiers, des décisions plus rapides, des délais de recours raccourcis. Ainsi, pour les élevages de volailles, le seuil à partir duquel l’autorisation sera nécessaire passera de 30 000 à 40 000 dès juin prochain. Le second chantier a trait à la réglementation sur le travail. Les mesures concernant la pénibilité ne seront de fait pas applicables en 2015 et, à partir de 2016, une approche plus collective et forfaitaire sera privilégiée. En ce qui concerne l’apprentissage des mineurs, des simplifications seront apportées dès le mois de mai.

« Les mesures concernant la pénibilité ne seront de fait pas applicables en 2015 et, à partir de 2016, une approche plus collective et forfaitaire sera privilégiée. »

Le troisième chantier concerne les contrôles pour stabiliser les règles, privilégier les contrôles sur pièces par rapport aux contrôles sur place, favoriser la concertation entre administrations et réaliser sans armes les contrôles sur les exploitations.

…et en ce qui concerne les nitrates ?

Concernant les nitrates, j’ai demandé aux ministres de l’Écologie et de l’Agriculture de revoir les extensions de zones vulnérables par rapport à ce qui était prévu en juin. Précisons que ce n’est pas parce qu’un territoire est classé en zone vulnérable qu’il est impossible à une exploitation agricole de travailler. L’exemple m’est souvent donné de l’Allemagne dont l’intégralité du territoire est classée en zones vulnérables mais dont l’agriculture est tout de même compétitive.

Plutôt que de subir de nouvelles réglementations en matière d’environnement, les agriculteurs demandent surtout des alternatives technologiques et scientifiques. Ne devrait-on pas amplifier nos efforts de recherche en matière agricole ?

Oui. Nous avons l’obligation d’investir davantage dans la recherche. Je veux faire de l’innovation un principe fondamental pour notre agriculture. Nous mobiliserons nos centres de recherche qui sont reconnus sur le plan mondial, l’Inra, l’Irstea, le Cirad. Et nous ferons en sorte de mieux diffuser ces innovations. Les agriculteurs seront eux-mêmes associés à ces travaux et à leur application.

« Concernant les nitrates, j’ai demandé aux ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture de revoir les extensions de zones vulnérables par rapport à ce qui était prévu en juin. »

Dans cet esprit, je veux proposer une stratégie de recherche agricole qui mettra l’accent à la fois sur la compétitivité et sur l’environnement. Elle établira un lien entre les organismes de recherche, l’industrie française et les professionnels de l’agriculture. L’agriculture de demain, c’est l’agroécologie qui va mobiliser aussi bien l’agronomie que la robotique, le bio-contrôle, les biotechnologies et le numérique. C’est aussi favoriser des démarches plus collectives comme les groupements d’intérêt économique et écologique prévus par la loi pour l’avenir de l’agriculture. Savoir que l’agriculture est un domaine d’avenir sur le plan technologique, c’est aussi, pour les agriculteurs, une fierté et une reconnaissance pour ce qu’ils font déjà. Ils expérimentent, ils inventent, ils innovent. Jusqu’à présent, la politique agricole était une combinaison de soutiens aux produits, de compensation des handicaps, de régulation des marchés. Il y aura un nouveau volet dans la politique agricole : il portera sur la recherche et le développement des nouvelles technologies.

« Au-delà de 2020, la question des assurances devra être traitée sur un plan européen, par la PAC. »

L’an dernier vous aviez eu un discours très encourageant à l’égard des biotechnologies et des OGM en particulier. Depuis, il ne s’est pas passé grand-chose hormis une directive européenne qui permet à tout pays membre de l’UE de prohiber les OGM sur son sol.

La réalité, c’est que les consommateurs, qu’ils soient français ou européens, sont hostiles aux OGM qui existent aujourd’hui. Ils les considèrent, à tort ou à raison, comme n’apportant pas d’avantages réels mais comportant au contraire des risques pour l’environnement. C’est pour cela que ce sujet constitue l’une de nos lignes rouges dans la négociation commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis. Mais dans la lutte contre le réchauffement climatique, les biotechnologies peuvent nous permettre d’être plus sobres dans la consommation énergétique, de stocker davantage de carbone, de développer de nouvelles méthodes de production. C’est pourquoi notre pays doit poursuivre son effort de recherche publique sur les biotechnologies, ce qui suppose que les chercheurs français puissent faire leur travail en toute sérénité et conserver une expertise sur ces technologies, de manière à éviter leur mauvais usage, voire dénoncer ceux qui les instrumentalisent. L’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole. Le Haut Conseil des Biotechnologies sera un lieu utile pour faire partager ces enjeux à l’ensemble des acteurs.

Les temps sont difficiles pour les agriculteurs. A la veille du Salon de l’agriculture, que pouvez-vous leur dire pour les encourager, si ce n’est les rassurer ?

« L’objectif est d’intégrer les avancées de la science dans le travail agricole. »

D’abord, je suis conscient que pour beaucoup de ceux qui vont participer au Salon, en exposant leurs animaux et en mettant en valeur leurs produits, c’est une période très difficile qu’ils traversent. Je pense aux éleveurs, aux producteurs de fruits et légumes, et même aux céréaliers qui ont connu des baisses de cours tout à fait défavorables à leurs exploitations. Et, pour autant, ils tiennent bon. Ces agriculteurs attendent aussi des actes des pouvoirs publics. D’abord, le pacte de responsabilité s’appliquera cette année à l’agriculture française. Ensuite, 2015 sera largement consacrée à la mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune qui va augmenter les compensations dans les zones difficiles.

« Les distributeurs ne peuvent pas demander en permanence des rabais à leurs fournisseurs pour abaisser encore les prix. »

Enfin, pour les éleveurs, la France déploiera tous ses efforts pour lever des restrictions là où elles existent, supprimer les embargos qui n’ont pas de fondement sanitaire.

Pour les agriculteurs qui sont les plus fragiles, des solutions immédiates seront apportées pour alléger leurs charges et leur permettre de passer ce cap.

Mais je ne voudrais pas que cette conjoncture préoccupante nous fasse oublier que la filière agroalimentaire française est performante, dynamique, qu’elle continue à créer de l’emploi, qu’elle est excédentaire sur le plan commercial. Nous allons démontrer encore une fois notre exceptionnel rayonnement en matière agricole lors de l’exposition universelle de Milan.

Les distributeurs devraient-ils être plus souples à l’égard de leurs fournisseurs agricoles et agroalimentaires ?

Les distributeurs bénéficient du CICE (1), ils ont eu les aides du pacte de responsabilité, il ne faudrait pas qu’ils essaient de les toucher deux fois : une fois parce qu’ils sont employeurs et une autre fois parce qu’ils sont acheteurs. Ils ne peuvent pas demander en permanence des rabais à leurs fournisseurs pour abaisser encore les prix. J’ai demandé au gouvernement de veiller à ces compléments de marge et de favoriser des relations contractuelles plus équilibrées entre la distribution et l’agriculture.

(1) Crédit d’impôt Compétitivité emploi

François Hollande appelle les agriculteurs à s’engager dans l’agroécologie

DANS un échange écrit entre la FNSEA et la présidence de la république et diffusé via Actuagri, François Hollande appelle les agriculteurs à s’engager sur la voie de l’agroécologie « pour une agriculture compétitive » et « moins gourmande » en énergie et en pesticides. « On n’avancera pas si l’on ne réconcilie pas l’économie et l’écologie », affirme le président de la République selon des propos rapportés par l’AFP ; « l’enjeu, c’est de tirer parti de la science et des technologies pour valoriser les ressources rares et pour recourir à des produits moins nocifs ; c’est la définition même de l’agroécologie », explique le président de la République. « Les agriculteurs ont déjà fait de grands efforts en matière de respect de l’environnement » mais « je souhaite que se diffusent les bonnes pratiques pour une agriculture compétitive tout en étant moins gourmande en énergies et en produits phytosanitaires », ajoute François Hollande.

HERVÉ PLAGNOL