Archives de catégorie : Politique

Le pape est avec nous (une Encyclique miraculeuse)

À Dominique Lang

C’est un très grand jour. Celui de la publication de l’Encyclique du pape François, appelée Laudato si – Loué sois-tu -, « sur la sauvegarde de la maison commune ». Qu’est-ce qu’une Encyclique ? Un texte souverain qui engage le pape, et derrière lui, en théorie du moins, toute l’Église et le 1,2 milliard de catholiques de la planète. Or cette Encyclique-là, par quelque miracle que je ne prétends pas expliquer, est écologiste.

Vous avez bien lu : écologiste. Je sais bien que l’on peut y trouver toutes les limites que l’on veut, mais avec ce texte, le pape François fait un mouvement prodigieux dans notre direction. Vous lirez les quelques extraits saisis au vol – désolé, non, je n’ai pas eu le temps de tout lire – et vous comprendrez pourquoi je considère dès ce jour François comme un formidable allié dans l’immense combat en cours pour la défense de la vie.

J’imagine que certains d’entre vous se récrieront. Comment ? Se prosterner devant le calotin des calotins ? J’assume sans aucune gêne. Je sais que bien des questions forment un vaste fossé entre lui et moi. Et de même entre la hiérarchie catholique et des mécréants de mon espèce. Mais ceux qui ne voient pas le changement venir risquent de finir bien seuls, ce que je ne leur souhaite pas.

Ma position est claire : il faut bâtir des alliances autour de valeurs, ce qui exclut beaucoup de monde, il est vrai. Dans le temps qui reste avant les vraies dislocations, il est inconcevable que nous puissions convaincre assez de monde pour renverser la table. Notez que ce serait ma préférence. Renverser la table, je veux dire, et donner la leçon qu’ils méritent à tous les médiocres salopards qui tiennent si mal les rênes de nos affaires communes.

Nous n’avons plus le temps. Et nous avons donc un besoin immédiat de renfort, d’aide, de compréhension, de mouvement, et j’ose le mot, d’amour. L’Église Catholique a beaucoup de choses à se faire pardonner – parmi lesquelles de grands massacres -, mais elle est toujours debout. Nous ne savons parler aux grandes masses humaines qu’elle influence et parfois guide. Son virage écologiste, s’il se maintient, sera un fabuleux accélérateur de conscience.

L’accélération est un moteur, qui comme son nom latin – m?tor – l’indique, remue. En l’occurrence, les esprits et les cœurs. Les paroles, d’évidence sincères, de François, sont désormais à la portée de tous. Rien ne sera plus comme avant. Je sais ce bout de phrase usé jusqu’à la corde, mais c’est bien cela que je veux dire. Rien ne sera jamais plus comme avant, car nul ne pourra effacer ce qu’une grande conscience humaine a pu un jour écrire. Chaque homme sur cette Terre pourra désormais s’appuyer, quoi qu’il arrive, sur cette immense et majestueuse tirade.

Malgré ma radicalité résolument totale, je ne crois pas être un sectaire. À la fin de 2008, j’ai lancé avec mon ami Dominique Lang – un prêtre catholique – une revue nommée Les Cahiers de Saint-Lambert (Ensemble face la crise écologique). Vous en saurez plus ici. Pour des raisons absurdes, cette revue a cessé de paraître à l’été 2011, mais elle avait le vent en poupe, croyez-moi. Elle matérialisait la nécessaire rencontre entre catholiques – Dominique – et écologistes – moi. Dominique était le directeur, Olivier Duron l’excellentissime directeur artistique, et moi le rédacteur-en-chef. Je vous le dis sans trépigner : je suis fier des dix numéros parus, dont vous trouverez le PDF du dernier ici.pdf.

Je me répète, mais la cause est la bonne : ce jour est historique, et je m’endors dans un bonheur simple et vrai. Et toutes mes excuses à ceux qui n’aimeront pas, que je crois assez nombreux.

——————————————-

EXTRAITS DE L’ENCYCLIQUE DU PAPE FRANÇOIS (je le répète, je n’ai pas lu le texte dans sa totalité, de loin)

La poésie

Si nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et ses multiples causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité.

La propriété privée

Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une ‘‘règle d’or’’ du comportement social, et « le premier principe de tout l’ordre éthico-social ». La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée.

La richesse de la culture

Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer de nouvelles villes soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas toujours bon vivre. Il faut prendre en compte l’histoire, la culture et l’architecture d’un lieu, en maintenant son identité originale. Voilà pourquoi l’écologie suppose aussi la préservation des richesses culturelles de l’humanité au sens le plus large du terme.

Sur les écologistes

Le mouvement écologique mondial a déjà fait un long parcours, enrichi par les efforts de nombreuses organisations de la société civile. Il n’est pas possible ici de les mentionner toutes, ni de retracer l’histoire de leurs apports. Mais grâce à un fort engagement, les questions environnementales ont été de plus en plus présentes dans l’agenda public et sont devenues une invitation constante à penser à long terme.

Des points de rupture

Il suffit de regarder la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration de notre maison commune. L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes d’un point de rupture semblent s’observer, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon isolée. Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable de divers points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de l’action humaine.

L’anthropocentrisme

Les Évêques d’Allemagne ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on pourrait parler de la priorité de l’être sur le fait d’être utile »42. Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres […] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses ».

Le dérèglement climatique

Le changement climatique est un problème global aux graves répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité. Les pires conséquences retomberont probablement au cours des prochaines décennies sur les pays en développement. Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni de faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du climat provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours s’adapter, et cela affecte à leur tour les moyens de production des plus pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer avec une grande incertitude pour leur avenir et pour l’avenir de leurs enfants.

Une solidarité universelle

Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle.

Quand Cécile Duflot rêve d’un mirage

[Je ne vais guère mieux que la dernière fois. La désormais certitude, c’est que tout cela durera bien plus longtemps que ce que j’avais espéré. Chaque fois que je me réveille, j’ai droit à une poignée de secondes qui me font croire que rien n’est arrivé. Et puis mes satanées jambes se réveillent, elles aussi. Miserere.]

Juste un court commentaire, car il m’importe. J’apprends ce que vous savez peut-être déjà : Cécile Duflot, reine de l’embrouille – mais toujours sous couvert de parfaite camaraderie -, rêve de créer un mouvement comme l’Espagnol Podemos (ici). Je dois dire que cela ne manque pas d’humour. Bien que voyant les évidentes limites de Podemos, j’ai eu l’occasion d’en dire du bien. Et il est un poil trop tôt pour en dire du mal, ce qui arrivera sans doute.

Si je moque avec autant d’entrain Cécile Duflot, c’est qu’elle est à l’exact opposé de ce qu’est Podemos. Car elle est en effet une pure apparatchik, qui n’a obtenu son poste et sa célébrité que grâce aux extraordinaires moyens de son Créateur, c’est-à-dire Jean-Vincent Placé. Écrivant cela, je ne veux pas dire qu’elle ne vaut rien. Simplement que, ce qu’elle a, elle le doit à sa soumission. J’ajoute que pour garder le pouvoir dans des écuries d’Augias aussi peuplées que celles de son parti, il faut impérativement jouer le jeu. Qui est affreux. Qui n’est fait que de chausse-trapes, de trahisons, d’alliances aussi lamentables que celles des pires radicaux-socialistes de l’histoire.

Le plus consternant, peut-être, est que Duflot n’est pas Placé, malgré tout. Elle a une petite conscience environnementaliste, sans doute réelle. J’insiste sur le vocable environnementaliste, qui désigne tous ceux qui ne considèrent que la part des humains. En la circonstance, chez Duflot, la part des humains vivant en France. Ou plutôt celle des humains vivant en France et s’intéressant encore à la pantomime politicienne quotidienne. Dites-moi un peu pourquoi nous ne voyons jamais ces braves gens d’EELV mener campagne sur l’Apocalypse chinoise, dont nous sommes pourtant coresponsables ? Ou sur la pêche industrielle, désastre d’entre les désastres ? Ou sur les achats massifs de bois tropical dans nos magasins ? Pourquoi n’ont-ils même jamais profité d’un moment favorable pour pousser, dans les négociations avec les socialistes, les intérêts de l’agro-écologie ?

Je vais vous dire ce que vous savez déjà : ces gens pensent d’abord à leur sort, ensuite à quelques bricoles qui ne risquent pas de les éloigner trop des caméras et des postes. Je suis trop dur ? Nul ne sera plus dévastateur à leur encontre qu’eux-mêmes. S’ils ne m’insupportaient tant, ils me feraient pitié. Or donc, Duflot à la tête d’un Podemos à la française ? Mais ignore-t-elle que ce mouvement est né dans la rue et qu’il a pour mérite essentiel, à ce stade, d’avoir fait émerger une génération nouvelle ? Ada Colau, la très probable prochaine maire de Barcelone, a le même âge que Duflot, mais pardon ! Elle n’a pas passé sa vie à magouiller dans les réunions fermées. Elle s’est battue toute sa vie pour les pauvres de la ville, et seul un destin farceur vient de la tirer de l’anonymat le plus total. Quel rapport avec Duflot ? Aucun.

Je ne sais pas ce qui se passera. Mais si Duflot réussit à créer quelque chose d’autre que son parti nécrosé, cela ne pourra pas ressembler à Podemos. Peut-être la propagande, celle que relaient tant de journalistes politiques incultes, réussira-t-elle à le faire croire aux crédules. Peut-être. Mais ce ne sera qu’une méchante plaisanterie de plus. Quant à ceux – « intellectuels », membres d’associations, militants divers – qui accepteraient de jouer un rôle dans la comédie, qu’ils sachent au moins que la critique, cette démarche profondément honorable, existe encore.

¡Claro que si se puede! (une leçon espagnole)

Dès hier soir, je regardais de près la presse espagnole, encore incrédule. Madrid semblait à portée de mains d’une inconnue de la veille, Manuela Carmena, et Barcelone entre celles d’Ada Colau. Ces deux villes, pour une multitude de raisons, comptent plus, pour moi, que bien d’autres. Et voilà que des élections régionales et municipales chassaient enfin les corrompus du Parti populaire (droite) et les vieux croûtons catalanistes (de droite) du pouvoir local. Je n’ai pas le temps de détailler – mes jambes m’interdisent de rester longtemps au clavier -, mais Carmena et Colau semblent être deux femmes prometteuses. La première a 71 ans et la seconde 41, et elles viennent du mouvement de fond lancée par Los Indignados et  Podemos en 2011.

Si vous en avez le temps, jetez un regard sur quatre papiers de Planète sans visa :

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1848

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1141

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1143

https://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1140

Quelle leçon(s) pour la France ? J’avoue que je n’en sais rien. Mais mon vif plaisir aura été augmenté par l’ultime déconfiture des restes du désastreux parti stalinien local. Aucun des tenants de Podemos ou des coalitions victorieuses là-bas n’est un professionnel de cette politique que je vomis. Cela laisse donc de l’espoir. Une telle chose devait se produire en France, les Mélenchon et autres Pierre Laurent seraient enfin mis au rancart. Mais quelle joie !

Alstom, la corruption, Chevènement et Mélenchon

Suis à l’hosto, pour ceux que ça intéresse. Il ne me reste plus qu’à marcher.

———————————————

Avis ! Le journal Le Nouvel Observateur s’améliore (un peu). Vous me direz que ça pouvait difficilement être pire, et j’en conviendrai avec vous. En tout cas, je vous signale un article solide dans le numéro 2635 de la semaine du 7 au 13 mai. Titre : Alstom, “une décennie de corruption”. Avant de détailler les belles méthodes de ce groupe si important dans notre histoire industrielle, je vous invite à me suivre dans les présentations.

Chevènement en baderne tricolore

Celui qui parle finalement le mieux d’Alstom, c’est cette baderne patriotarde appelée Jean-Pierre Chevènement. Après avoir mangé dans la main des staliniens dans les années 70, celui qui incarnait alors la « gauche » du parti socialiste finit sa vie en uniforme rouge garance, trompettant la France à tout bout de champ. Inutile de le nier, il est drôle. Comme il a longtemps été l’élu de Belfort, il ne cesse depuis de défendre le sort d’Alstom – sa branche Énergie a été rachetée il y a un an par les Américains de General Electric -, dont les usines historiques se trouvent dans la ville. Mais avec quels arguments ! Dans un entretien à la chaîne télévisée Public Sénat, en avril 2014, il lâche tout de go : « Alstom n’existe que par l’Etat. Alstom, c’est la France. Ce sont les locomotives fabriquées à Belfort depuis 1880. Et toutes celles qui ont suivi. Les turbines, y compris celles du nucléaire ».

On y voit déjà plus clair. Les turbines Alstom font tourner 30 % du parc nucléaire mondial. Du monde ! J’y ajoute pour faire bon poids les grands barrages hydro-électriques, ceux qui détruisent les écosystèmes et les rivières, ceux qui chassent de chez eux, à coup de bâtons, de matraques ou de flingues, des millions de gueux. On trouve sur le site d’Alstom cette phrase imaginée par je ne sais quel fanatique communicant : « Aujourd’hui plus de 25 % de la capacité hydroélectrique totale au monde dépend de turbines et d’alternateurs Alstom ». Les Trois-Gorges, cet ignoble barrage chinois, c’est Alstom. Celui de Belo Monte, au Brésil, idem. Et tant d’autres ! Je vous signale sur le sujet un article excellent d’Olivier Petitjean (ici) pour BastaMag.

Une petite amende de 772 millions de dollars

Et je continue. Cette boîte géante de 93 500 salariés (chiffres 2011) pratique, à la vérité comme beaucoup d’autres, une corruption massive sans laquelle elle aurait fait faillite depuis longtemps. Je reviens pour les faits à l’article de l’Obs, cité au début de ce papier (de Caroline Michel). Alstom, excellents amis de Planète sans visa, vient d’être condamné à une amende stupéfiante de 772 millions de dollars par la justice américaine pour corruption. On peut certes se dire – un Chevènement se dit peut-être – qu’il s’agit d’un coup fourré made in America. Seulement, ce n’est pas le cas. Alstom, en effet, a plaidé coupable, reconnaissant les faits comme « vrais et exacts ». Oui, entre 2000 et 2011, Alstom a truandé, traitant avec des pseudonymes figurant dans les documents sous le nom de Vieil Ami, Homme tranquille, Paris, Genève, Londres. En Égypte, en Arabie Saoudite, à Taïwan, en Indonésie, etc. Commentaire de James M.Cole, procureur général amerloque : « Le système mis au point par Alstom s’est étendu sur plus d’une décennie et à travers plusieurs continents. Nous avons été effarés par son ampleur, son audace et ses conséquences dans le monde entier. »

La version officielle d’Alstom – faut bien dire quelque chose, quand on se fait gauler -, c’est qu’il s’agit de vieilles histoires. 2011, au pays de l’oubli organisé, c’est du passé. Mais d’autres enquêtes sur Alstom sont en cours – en Angleterre, en Slovénie – dont on regardera le résultat avec un certain appétit. Le patron en titre d’Alstom, Patrick Kron, jure n’avoir aucune responsabilité dans ces malheureux incidents à répétition, car l’essentiel se serait passé avant qu’il ne prenne les rênes. Si vous en avez la possibilité, vous lirez la réponse de l’Obs à la question suivante : « Patrick Kron pouvait-il ne pas savoir ? ». Il a touché à lui seul quatre millions d’euros quand il a vendu une partie d’Alstom : encore bravo. Enfin, et si vous savez suffisamment l’anglais, sachez qu’on peut trouver en ligne un document officiel américain que je n’ai fait que parcourir, et qui semble très distrayant (ici).

Mais où sont passées les barbouzes d’Elf ?

Voici venue l’heure de quelques questions. Une petite partie, je le crains, car cette affaire en pose un trop grand nombre. La première : Alstom est-il la seule, dans les entreprises transnationales françaises, à agir de la sorte ? Je reconnais que c’est rhétorique, car les preuves surabondent du contraire. Par exemple, Total, de cet excellent défunt qu’est Christophe de Margerie. En 2000, Elf est absorbé par Total avec son service secret interne, qui joua un rôle direct et souvent barbouzard dans le destin de plusieurs pays africains producteurs de pétrole. Au premier rang desquels le Gabon, où notre cher grand pays avait osé envoyer comme ambassadeur un certain Maurice Robert, vieux pilier de ce qu’on n’appelait pas encore la DGSE (ici). Je vous laisse divaguer librement sur les méthodes sympathiques de ces hommes, qui mirent par exemple le Cameroun à feu et à sang, faisant sur place quelque chose comme 100 000 morts (ici).

Total, donc, mais aussi ces multinationales de l’eau bien de chez nous, qui ont su opportunément changer de nom. Ni vu ni connu, j’t’embrouille. Veolia – 187 000 salariés – s’appelait la Compagnie générale des Eaux à la belle époque où son P-DG, Guy Dejouany, était mis en examen pour corruption active. Si on veut en savoir plus, grâce à Jean-Luc Touly, c’est ici. Assurément, les choses ont changé, mais je note à ce sujet, avec une évidente surprise, que Veolia a été mise en cause dans la construction d’un tramway en Cisjordanie, en compagnie de notre bon ami Alstom (ici). Total, donc, et Veolia, et bien entendu la Lyonnaise des Eaux, qui préfère aujourd’hui se présenter sous le nom de son patron, Suez Environnement.

Alain Carignon en « visiteur du soir »

Je n’insiste pas sur la Lyonnaise, dont le P-DG d’il y a vingt ans, Jérôme Monod, fut pris dans la tourmente Alain Carignon à Grenoble. En deux mots, Carignon, maire RPR de Grenoble entre 1983 et 1995, a été condamné en 1996 à cinq ans de taule pour corruption et subornation de témoins. Le drôle avait vendu l’eau municipale de la ville à la Lyonnaise, qui avait renvoyé l’ascenseur. Monod, avant de prendre la tête de la Lyonnaise, avait en toute simplicité été le secrétaire général du RPR. Quant à Sarkozy – il est rare qu’il ne soit pas dans le coin -, il a fait de Carignon, lorsqu’il était notre président, un « visiteur du soir ». C’est-à-dire un mec qui passe prendre un verre après les heures de bureau, pour donner des conseils. On apprécie.

Total, donc, et Veolia et la Lyonnaise et j’arrête là. Il va de soi que le schéma vaut pour toutes les entreprises qui jouent au gigantesque Bingo de la mondialisation capitaliste. Toutes ? Toutes. La vérité de ce monde, l’une de ses vérités les plus enracinées, c’est qu’il faut acheter les consciences avant que d’exterminer les formes de vie. Ne croyez surtout pas que les pauvres et moins pauvres du Sud réclament à grands cris les productions de ces salauds. On leur fait avaler de force une mixture concoctée au moment des deals entre corrompus et corrupteurs. Marche ou crève, petit d’homme !

Le nucléaire français aux mains de General Electric

Imaginez une seconde avec moi. On met autour d’une table des décideurs. Un gars – ou une fille – de la Banque Mondiale, un sous-patron d’Alstom, un ou deux ou trois ministres du pays-cible, quelques techniciens capables de lire une carte et d’affirmer la main sur le cœur que tel fleuve est insupportablement sous-équipé en hydro-électricité. En quoi la décision finale pourrait-elle être un problème ? Il suffit de pouvoir puiser dans une caisse noire, et justement, comme cela tombe bien, il y en a à tous les étages. Ainsi marchera le monde à l’abîme tant que nous ne serons pas capables d’une révolte tout à fait radicale. On verra donc.

Dernière info : selon le journaliste Jean-Michel Quatrepoint – un gars tout ce qu’il y a de sérieux -, la France a vendu sans nous prévenir le contrôle des réacteurs nucléaires aux États-Unis. À une boîte privée – General Electric – qui peut décider demain ce qu’elle veut, ou à peu près. Citation : « On peut dire ce que l’on veut, mais c’est désormais le groupe américain qui décidera à qui et comment vendre ces turbines [nucléaires]. C’est lui aussi qui aura le dernier mot sur la maintenance de nos centrales sur le sol français. La golden share que le gouvernement français aurait en matière de sécurité nucléaire n’est qu’un leurre. Nous avons donc délibérément confié à un groupe américain l’avenir de l’ensemble de notre filière nucléaire…». L’entretien complet est ici.

L’éloquent silence de Mélenchon

Je crois avoir déjà largement abusé de votre temps. J’ai commencé avec ce si sympathique Chevènement, mais avec lui, c’est presque trop simple. En vérité, toute la classe politique française s’est vautrée dans un soutien patriotique à Alstom, quand General Electric montrait ses dents acérées. Ne parlons même pas des clampins qui nous gouvernent. Ni de la droite qui aspire tant à prendre leurs places. Voyons plutôt du côté de Mélenchon : notre Great Leader Chairman – façon villages Potemkine – a réclamé pendant toute la crise la nationalisation d’Alstom, présentée mille fois comme un « fleuron national ». Extrait de son blog : « Après avoir laissé General Electric piller Alstom, [le gouvernement] doit défendre les intérêts fondamentaux de la nation ».

Lui si prolixe, lui si enflammé, lui si rigoureux dans la défense des principes, ne trouve rien à dire à la corruption massive assumée par son petit chéri de groupe capitaliste. La leçon, bien qu’un peu morose, est limpide : ces gens sont indifférents au sort des peuples qui pleurent, gémissent et meurent sous le knout des puissants. Ces gens, tous ces gens au-delà d’apparentes bisbilles, sont d’accord avec l’organisation du monde. Le paysan chinois, le paysan indien, le paysan brésilien, le paysan égyptien, le paysan éthiopien peuvent aller se faire foutre. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils font, dans le silence de mort des médias. Mais moi, bien que cela n’aille pas loin, je maudis tous ceux qui donnent la main au désastre. Ou qui se taisent. J’aimerais réellement beaucoup traîner toute cette canaille au tribunal de la conscience humaine que j’appelle tant de mes vœux. Allez, cela viendra. L’horreur, c’est de devoir attendre.

Jean-Vincent Placé, François de Rugy et le dégoût de la politique

 Toujours à l’hosto ? Toujours. J’ai retrouvé ici deux amis de Charlie blessés avec moi. Philippe, gravement touché à la mâchoire, et Simon, frappé à la colonne vertébrale, sont bien plus à plaindre que moi. Il est question qu’on boive un verre tous les trois, dans la chambre de Simon. Ce serait bien bon.

Commençons par Placé, qui n’a jamais été écologiste et ne le sera évidemment jamais. Si j’écrivais ce que certains responsables d’EELV m’ont confié parfois sur son compte, on ne le croirait pas. Comme je n’ai pas de moyen de vérifier, je m’abstiens donc, mais j’ai ma petite idée. Commençons par un portrait de lui, paru dans le journal Le Monde du 7 décembre 2011. Un portrait. Il a accepté de recevoir la journaliste Anne-Sophie Mercier, et on peut donc penser qu’il aura souhaité lui proposer un visage disons appétissant. Or, écrit-elle, « Lui-même n’en n’est peut-être pas conscient, mais en deux heures de temps, interrogé sur son parcours et ses passions, il ne parle jamais… écologie ».

Étonnant, ou non ? La suite est presque mieux, car on apprend au passage que ce monsieur est un véritable nationaliste – il dirait sans doute patriote -, qui « doit être le seul membre de la direction d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à avoir le drapeau tricolore dans son bureau, ainsi qu’un coffret contenant un petit soldat représentant Napoléon de retour de l’île d’Elbe ». Ce n’est plus étonnant, mais directement stupéfiant, car enfin, le drapeau ! Pour un écologiste, c’est grotesque. Pour un Placé, c’est de toute beauté. Et Napoléon, en plus. Le délirant conquérant, qui a saigné la France et une partie de l’Europe est donc, pour el Jefe, un beau personnage.

 De profundis pour Margerie

La suite, toujours sur Placé. Nous sommes le 20 octobre 2014, et le patron de Total vient de mourir dans un accident d’avion. Un écologiste comme moi tâche de ne surtout rien oublier des activités criminelles, légales ou non, de Total (ici). Mais Placé ose la phrase incroyable ci-dessous, encore en ligne sur son compte twitter. Un grand capitaine d’industrie, presque un frère de combat. C’est plus inouï encore que scandaleux. Voici :

Hommage à un grand capitaine d’industrie francais très lucide sur la situation de la planète et de l’avenir de l’ humanité

Enfin, pour conclure sur notre grand Manitou, cet extrait d’un sien article paru dans l’édition du 24 décembre 2014 du Nouvel Observateur. Il s’agit d’un hommage appuyé au coureur cycliste Thibaut Pinot. Placé est un fan de cyclisme, et comme je l’ai été entre 9 et 13 ans, je peux comprendre, un tout petit peu comprendre. Mais certainement pas ceci, sous sa plume : « Je connais beaucoup de passionnés de la petite reine. Mais je n’en connais qu’un qui voue un tel culte au tour: Christian Prudhomme, son extraordinaire directeur général, qui met sa gentillesse et son professionnalisme au service de ce , admirable chef d’orchestre de notre Tour de France, sans lequel le Tour ne serait plus le Tour. Vive le Tour et vive la France! Il ne manque plus qu’une victoire finale française… »

Quel commentaire trouver ? L’immonde foire commerciale du Tour, qui caricature les travers les plus terribles de la pub et de la manipulation, est donc un « patrimoine exceptionnel ». Tout le monde sait, et Placé lui-même – évidemment ! – que les 4 000 kilomètres du Tour de France ne peuvent exister sans des cames de plus en plus sophistiquées, qui supposent des dealers, des médecins marrons, des escrocs, des truands, des chantages, de la violence au moins psychologique. Placé s’en fout, car il rêve – décidément, une obsession – de voir flotter l’oriflamme tricolore.

Martin Bouygues est-il bien mort ?

 Voyons maintenant le cas distrayant de François de Rugy, ce député écologiste qui réclame à cor et à cris qu’on vienne à bout – policièrement parlant – des zadistes de Notre-Dame-des-Landes et d’ailleurs (ici).  Je dois avouer que c’est un excellent client de Planète sans visa. L’une de ses dernières facéties m’a fait rire aux éclats, ce qui n’est pas rien. Nous sommes le 28 février 2015 et Martin Bouygues vient de mourir. Un couple d’heures seulement, car la nouvelle, propagée par l’AFP, est fausse.

M. de Rugy, qui est si pressé d’obtenir un poste digne de son dévouement, décide, dans le très court laps de temps imparti, d’imiter grossièrement son chef bien-aimé – ou bien-détesté ? -, Jean-Vincent Placé. Ce dernier pleurait en octobre la mort de Margerie, grand capitaine d’industrie. Eh bien, n’écoutant que son grand cœur tendre, de Rugy écrit sur son compte twitter :

Bon, il est bien amusant, ce cher homme. Mais en réfléchissant, que penser de ce brevet donné à l’un des plus grands bétonneurs de la Terre ? Je dis bien : de la Terre. On doit à Bouygues, entre mille autres belles constructions, un palais des Congrès à Hong Kong, la mosquée Hassan II au Maroc, un complexe immobilier géant au Qatar, et si j’en avais le temps, je vous dirais tout le bien qu’il faut penser du fondateur, Francis, qui prétendait en son temps employer des truands un petit peu tueurs pour impressionner les récalcitrants.

La belle invention pourrie des PPP

Faut-il ajouter un mot sur TF1 Bouygues, cette gigantesque entreprise de décérébration nationale ? Je pense que  vous en avez assez, et je n’y insiste donc pas. Mais monsieur de Rugy voit loin, bien au-delà de ces mesquines considérations morales qui gênent la marche des affaires. Monsieur de Rugy est un grand admirateur des Partenariats-Public-Privé ou PPP pour les intimes. Créés par le mémorable Jean-Pierre Raffarin en 2004, quand cet athlète de la politique était Premier ministre, ils sont très simples à comprendre. Une entreprise, de préférence très grosse, réalise une construction qui intéresse le domaine public. En échange, l’État lui accorde la gestion du machin pendant des décennies et perçoit un loyer annuel.

Les PPP peuvent servir à construire des prisons, des hostos, des équipements militaires, des routes, des lignes de chemin de fer ou des canaux, etc. Le funeste projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes est lui aussi un PPP, imaginé au vaste profit de l’entreprise Vinci. Mais le Bouygues de monsieur de Rugy n’est jamais très loin des contrats, car ils sont juteux. Ainsi du projet nommé le « Pentagone français », qui vise à faire du quartier parisien de Balard un haut lieu de nos vaillantes armées. Bouygues y a gagné un chantier majeur. Je précise, parce que c’est somptueux, qu’une collectivité – l’État et tout autre structure publique – qui s’engage dans un PPP qui s’étend pourtant sur des dizaines d’années, n’a pas le droit de le remettre en question. Faut réfléchir. Faudrait.

Éloge écologiste des transnationales du BTP

Et quand je dis que monsieur de Rugy est un grand admirateur, ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Dans une vidéo tournée par le très sérieux club PPP (ici) au cours de ses journées de 2012, notre parfait écologiste vante la complémentarité, maître-mot selon lui des relations entre public et privé. Et il affirme nettement la supériorité du privé quand il s’agit de bâtir un équipement public servant à plusieurs fonctions. Selon lui, les élus ne sauraient pas faire. Bouygues ou Eiffage ou Vinci si.

Monsieur de Rugy aurait-t-il été abusé par quelque ami peu regardant ? Ayant découvert la malignité des PPP et leur éminente contribution à la destruction du monde existant, peut-être aura-t-il juré qu’on ne l’y reprendrait plus. Eh bien, à la vérité, non. L’année suivant son passage aux Journées PPP, il donne un entretien au Journal des PPP numéro 23 (octobre 2013). On y taquine de très près le sublime. Comme on lui demande – à lui ! – comment faire évoluer les PPP, il répond aussitôt, avec des trémolos dans la voix qu’on ne peut qu’imaginer : « Il faut tout d’abord dépasser l’idée que privé = profit et profit = de l’argent sur le dos des élus (…) Je pense qu’il n’y a pas de fossé ni de barrière infranchissable entre les élus et les acteurs privés et qu’on peut très bien avoir différentes formes de coopération, en tout cas des projets menés en commun, au service des citoyens ». Rappelons, car c’est le rôle des emmerdeurs : des prisons, des routes et canaux, un ministère de la Défense, Notre-Dame-des-Landes.

Ma foi, qu’en pensez-vous, très sincèrement ? Vous pourrez lire ci-dessous un article – payant – paru sur le site de Mediapart en juin 2014. Nul doute que cela vous fera penser. Placé et de Rugy, grands inspirateurs du dégoût en politique.

 —————————————————–

L’ARTICLE DE MEDIAPART

Le grand raout du lobby des partenariats public-privé

|  Par Lucie Delaporte

Le club des PPP a célébré mardi 17 juin les dix ans de l’ordonnance créant les partenariats public-privé. Alors que l’horizon s’obscurcit, l’influent lobby a tenu à raconter la belle épopée de ce « jeune outil de la commande publique » tout en proposant, sobrement, d’en changer le nom.

Il a fallu attendre près de trois longues heures de discours, avant de sabrer le champagne et d’entamer les petits fours. Ce mardi 17 juin, le club des PPP avait mis les petits plats dans les grands pour célébrer les 10 ans de l’ordonnance de 2004 portant création des partenariats public-privé (PPP) au Cercle national des armées, à Paris.

« Dix ans de l’ordonnance des contrats de partenariats, on ne voulait pas manquer la date », lance le maître de cérémonie Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du club des PPP, attendri devant les dix bougies de ce jeune « outil de la commande publique » qui a permis aux majors du BTP de réaliser de bien belles opérations ces dernières années. Mais lui a aussi valu quelques-uns de ses plus récents scandales : naufrage de l’hôpital francilien (un de nos articles ici), soupçons de corruption dans l’attribution du marché du Pentagone de la défense ou du grand stade de Lille… Sans compter les nombreux rapports de la Cour des comptes soulignant combien les PPP constituent, la plupart du temps, un marché de dupes pour la puissance publique.

Ce jour-là, c’est évidemment une tout autre histoire qu’on se raconte. Celle d’une belle épopée contre l’idéologie et le conservatisme pour faire émerger d’ambitieux projets de travaux publics.

Marc Teyssier d'Orfeuil, délégué général du Club des PPPMarc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des PPP

Devant un parterre composé pour l’essentiel de représentants du BTP, mais aussi de quelques élus et de hauts fonctionnaires de Bercy, Marc Teissier d’Orfeuil appelle donc, les unes après les autres, les bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau des PPP depuis leur création.

Jérôme Grand d’Esnon, l’un des plus actifs artisans, en coulisse, de la création des contrats de partenariats vient d’abord rappeler combien « à l’époque le projet était connoté idéologiquement » : « Au départ il y avait un contexte très violent, beaucoup d’hostilité de la gauche, il a fallu beaucoup de ténacité. » L’homme, qui fut le secrétaire général de l’association de financement de la campagne de Jacques Chirac en 1995, après avoir été directeur des affaires juridiques de la mairie de Paris à la grande époque des scandales du financement du RPR, a été celui qui a mené à Bercy la réforme des marchés publics dans le gouvernement Raffarin. Il officie désormais comme avocat conseil dans un cabinet d’affaires où il s’occupe notamment des grands contrats publics.

Autre figure inconnue du grand public, mais tout aussi essentielle dans le développement des PPP, Noël de Saint-Pulgent raconte lui aussi la dure bataille qu’il a dû mener pour faire accepter ce nouvel outil de la commande publique à la tête de la MAPP, la mission d’appui des PPP à Bercy, qui depuis l’origine est à la fois chargée de les promouvoir et de statuer sur leur bien-fondé… « Avez-vous senti ce poids de l’idéologie à ce moment-là ? » l’interroge, plein d’empathie, Marc Teyssier d’Orfeuil. « C’est effectivement un débat qui a dérapé. Il y a eu autour des PPP une passion bien française qui nous a beaucoup gênés », admet cet « X Pont » qui avait fait jusqu’alors carrière dans l’assurance et l’organisation d’événement sportifs. Noël de Saint-Pulgent, qui est par ailleurs président de l’association d’entraide des familles nobles de France, souligne aussi combien les décisions successives du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel – qui ont limité leur utilisation – ont été pénalisantes.

Le bilan de ces dix dernières années reste néanmoins positif pour lui. « On n’a pas à rougir de ce qu’on a fait. Il y a très peu d’échecs. Et puis des échecs, il y en a partout, regardez la maîtrise d’ouvrage publique, le Philharmonique ! » souligne-t-il en référence à la laborieuse construction de la salle de philharmonie à la Villette. Pourtant, reconnaît-il, le PPP a toujours mauvaise presse : « Il faut toujours travailler à son acceptabilité politique et sociale, c’est vrai. Même si les choses progressent auprès des vrais gestionnaires de gauche comme de droite d’ailleurs. »

À la tribune, le président du club des PPP – en bon communicant – enfonce le clou sur le ratage de la maîtrise d’œuvre publique. « Le philharmonique, c’est au final 300 % du prix ! L’hôpital francilien, les 80 millions supplémentaires ne représentent que 20 % du coût total. »

François Bergère, ancien directeur de la MAPPFrançois Bergère, ancien directeur de la MAPP

C’est ensuite au tour de François Bergère, autre acteur essentiel du développement des PPP en France, de dresser le bilan de la décennie écoulée. « Quel recul sur dix ans ? On pouvait difficilement aller beaucoup plus vite. » Il faut se pencher de près sur le pedigree de François Bergère pour savourer toute l’ambiguïté de ce « on ». Cet ancien directeur de la Mission d’appui des PPP à Bercy a en effet été un des plus grands lobbyistes des PPP au sein de l’administration. Aujourd’hui, en quittant la MAPP, il retourne à la Cour des comptes, son corps d’origine. Il va rejoindre la chambre chargée de contrôler notamment les sulfureux PPP de l’université de Versailles Saint-Quentin (notre enquête ici)…

L’ancien secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce, Hervé Novelli, qui avait fondé le groupe PPP à l’Assemblée nationale, est ensuite chaleureusement accueilli comme celui qui permit, grâce son projet de loi de 2007, de supprimer un certain nombre d’obstacles au recours aux PPP. Il regrette que l’État comme les collectivités locales soient encore bien timorés sur le sujet et invite à se fixer comme objectif un doublement  du nombre de PPP conclus chaque année : « Il faut passer à l’acte II des contrats de partenariats ! Il faudrait aussi que des gens réfléchissent à nouveau à tout ça », affirme-t-il, déplorant que « l’effervescence intellectuelle autour des PPP (ait) un peu disparu ».

« C’est le moment de mettre le paquet en matière de communication »

Malgré la bonne humeur un peu forcée en ce jour anniversaire, chacun sait dans l’assistance que les perspectives pour les PPP ne sont en réalité guère réjouissantes. « Les beaux jours de l’investissement public sont derrière nous », admet François Bergère. « Nous sommes dans une crise des finances publiques considérable et qui ne va pas aller en s’arrangeant », opine Noël de Saint-Pulgent.

Ce que personne ne dit à la tribune, c’est qu’en dehors d’un sérieux problème d’image, les PPP ont aussi perdu beaucoup de leur attrait auprès de la puissance publique depuis qu’un arrêté de décembre 2010 interdit d’en faire un moyen de masquer son déficit. Depuis cette date, les loyers versés doivent en effet figurer dans les comptes au titre de l’endettement.

« C’est le moment de mettre le paquet en matière de communication », annonce donc plein d’entrain Marc Teyssier d’Orfeuil, qui tutoie tous les parlementaires présents ce jour-là. Il faut dire que ce lobbyiste à la tête de l’agence Com’Publics passe beaucoup de temps auprès d’eux à des titres divers, puisqu’il dirige aussi le club des amis du cochon, le club des voitures écologiques, le club des eaux minérales naturelles…

Pour redorer le blason des PPP, son club a tout prévu. Comme l’acronyme « PPP » commence à sérieusement sentir le soufre, ce jour-là tout le monde semble s’être donné le mot : on ne parle plus que de CP (pour contrat de partenariat).

Le club des PPP a aussi commandé une série de vidéos pour vanter les mérites des PPP, « que vous pourrez présenter à vos prospects », explique le maître de cérémonie. Autant d’outils pour faire la pub des PPP « auprès des acteurs locaux », assure Marc Teyssier d’Orfeuil. Parce que « pour l’État, on s’en chargera ! », assure le lobbyiste qui devait rencontrer le 2 juillet prochain Emmanuel Macron et qui rencontrera sans doute, affirme-t-il, Jean-Pierre Jouyet.

Dans l’une des vidéos présentées, on apprendra de la bouche de Xavier Bezançon, délégué général du syndicat des entreprises de BTP (EGF BTP) – et « auteur d’une thèse sur les PPP » – que les partenariats public-privé ont toujours existé « depuis les Romains en passant par Colbert ». Plus tard, on découvrira en fait que le Stade de France aurait été l’un des premiers PPP, à moins que ce ne soit finalement la Tour Eiffel… Qu’importent ces petites approximations, l’essentiel est de raconter aux « prospects » une belle histoire. Nul besoin, surtout, de trop insister sur le fait que les PPP ont été en réalité calqués sur les PFI (Private finance initiative) britanniques, qui ont connu de tels déboires outre-Manche (corruption, malfaçons, etc.) qu’ils sont aujourd’hui pratiquement à l’arrêt.

Alors que les PPP sont nés sous le gouvernement Raffarin, et se sont réellement envolés sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le club des PPP a tenu en ce jour anniversaire à montrer qu’il dispose aussi de très bons soutiens à gauche. L’événement était d’ailleurs parrainé par le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg qui, compte tenu de son emploi du temps, n’a pu être présent mais s’est fendu d’une lettre transmise avec l’invitation par le club des PPP à tous les participants.

L’ancien maire socialiste de Grenoble, Michel Destot, ne tarit donc pas d’éloges à la tribune sur cette solution qui constitue selon lui, « une bonne réponse à la complexité ». « C’est même tout simplement du bon sens » dans la mesure où les collectivités territoriales ne peuvent faire face à ces investissements. Pour lui, un des terrains à développer, c’est le PPP dans le cadre de la politique de la ville, « pour raccourcir les délais et pour rapprocher les entreprises de BTP de ces quartiers ». « Mon bilan est qu’on n’a pas été assez allant » finit par reconnaître le député de l’Isère. Mais il en est sûr, comme beaucoup dans l’assemblée : le développement des PPP à l’international est une des conditions du rétablissement de la balance extérieure de la France.

Le député socialiste de Seine-Saint-Denis, Razzy Hamadi, qui était annoncé au programme, n’est finalement pas venu. Cet habitué du club des PPP aurait pu parler du faramineux contrat de PPP de construction de collèges signé par Claude Bartolone dans le département qu’il défend ardemment. En octobre 2013, il participait aux rencontres internationales du PPP, où les participants devaient débourser entre 7 000 et 35 000 euros pour approcher les « élus concernés » (voir la plaquette de présentation de l’événement)…

Razzy Hamadi, député socialiste de Seine-Saint-DenisRazzy Hamadi, député socialiste de Seine-Saint-Denis

Seule note dissonante de l’après-midi, celle, mezzo voce, d’André Chassaigne, le député communiste du Puy-de-Dôme qui joua gentiment sa partition de contradicteur : « Si j’ai bien compris, dans cette assemblée, je suis le méchant. » Un méchant pas trop méchant quand même, puisqu’il affirmera dès le départ connaître assez peu le sujet, auquel, « en tant qu’élu rural », il n’a jamais été confronté. Sans citer aucun exemple précis, il résume rapidement son propos : « Je pense que c’est toujours gagnant d’un côté, pas toujours de l’autre. » Un frisson parcourt bien l’assemblée lorsqu’il plaide pour un pôle public bancaire, mais Marc Teyssier d’Orfeuil reprend vite le micro pour remettre tout cela en perspective : « La vraie question dans ce que tu dis, elle est philosophique, c’est « qu’est-ce que le service public ? ». » Et de plaider pour un État qui arrête de vouloir tout faire et délègue un peu plus aux professionnels.

Pour le final, le club des PPP avait promis une « surprise ». C’est donc à un imitateur d’Alain Souchon que fut confiée la lourde tâche de conclure dans la bonne humeur la rencontre en chantant, sur l’air de la chanson « J’ai dix ans », avec des rimes étudiées : « On essaye d’être innovant/Et que tout le monde soit content…/Si tu nous crois pas, hé, t’as qu’à voir nos PPP ! » Enfin, le buffet était ouvert. Enfin, les cartes de visite allaient pouvoir s’échanger.