Archives de catégorie : Politique

L’Espagne en pleine movida politique

Ces deux articles ont été publiés par Charlie Hebdo le 11 décembre 2014


Incroyable mais vrai. En Espagne, où les politiciens peuplent les prisons par dizaines, un nouveau parti,
Podemos, menace aussi bien la droite que la gauche. Surprise : c’est un mouvement antiraciste, féministe, écologiste, antifasciste. ¡ Y que viva !

Ce n’est peut-être qu’un feu de paille, mais il réchauffe le cœur, ce qui n’est pas si mal. L’Europe crève de nationalistes et de fascistes plus ou moins bien déguisés, mais pendant ce temps, l’Espagne respire un tout autre air. Podemos – « Nous pouvons » – mouvement né en janvier 2014, a envoyé cinq députés européens à Bruxelles dès mai. C’était déjà retentissant, mais les derniers sondages présentent aujourd’hui Podemos comme le premier parti d’Espagne, avec près de 30 % d’intentions de vote. Un parti antiraciste, antifasciste, féministe, écologiste au moins dans le discours.

Les plus foldingues imaginent un gouvernement Podemos après les élections générales de l’an prochain. D’ores et déjà, les deux partis qui se partagent les postes, le Partido Popular – la droite affairiste, au pouvoir – et le Partido Socialista Obrero Español – la gauche affairiste, en mal d’alternance – flippent leur mère, espérant que Podemos ne résistera pas à ses divisions internes, à l’évidence fortes.

D’où vient l’alien ? De la rue, ainsi que l’explique Pablo Echenique dans l’entretien qu’il a accordé à Charlie. L’Espagne a ses traditions, qui ne sont pas les nôtres. Il y a près de 80 ans, quand ce vieux salaud de Franco se révoltait contre la République – le 17 juillet 1936 -, la Confederación Nacional del Trabajo, cette fameuse CNT anarchiste, regroupait plus d’1 500 000 membres. À comparer avec les 30 000 encartés du parti communiste stalinien. Ceux de Podemos ne revendiquent pas ouvertement  cette glorieuse filiation, mais les grandes idées ne meurent (peut-être) pas.

Où va l’Espagne ? Elle paraît s’éloigner en tout cas des lamentables expériences politiques passées. On n’a pas idée en France du degré de corruption atteint sur place. Une économie basée sur une pyramide de Ponzi a fait pousser comme champignons des centaines de programmes immobiliers fantômes, qui ne seront jamais habités. Au bord du littoral massacré, les lotissements pourrissent, sans être même raccordés au système de distribution d’eau. L’aéroport de Ciudad Real, au sud de Madrid, a englouti 1 milliard d’euros avant d’être mis aux enchères en 2013 faute de passagers. Dans quelles poches sera passé l’argent public ainsi gaspillé ?

À Madrid, la presse titre depuis des mois sur des scandales à répétition qui touchent aussi bien la droite que la gauche. Le dernier en date, sans doute le plus vaste, s’appelle « Operación Púnica » depuis que la justice a commencé d’envoyer en taule des dizaines de politiciens. Au cœur de l’affaire, Cofely, filiale de GDF-Suez. Son directeur-général a été arrêté, et notre presse française adorée se tait.

Podemos, la meilleure surprise de ces dernières années.

ENTRETIEN

« Avant le mouvement des Indignés, j’étais un idiot politique »

On rencontre le nouveau député européen Pablo Echenique-Robba dans un bar où il siffle une deuxième bière, aidé par une assistante. Cette figure de Podemos ne peut pas boire tout seul, car il circule à bord d’un pesant fauteuil roulant de 110 kilos. Il est né avec une énorme saloperie appelée Amyotrophie spinale, sorte de faiblesse des muscles. Mais le cerveau paraît en excellent état. Chercheur au CSIC – équivalent espagnol de notre CNRS -, physicien de haut niveau, il a soudain basculé dans la politique. À part cela, il est drôle, déconneur, entouré d’une nuée de jeunes qui font plaisir à voir. Parmi eux, Adrian Pacin, qui lui glisse à l’oreille : « Charlie, c’est le meilleur des journaux ». On y va.

Charlie : Quel âge as-tu et d’où viens-tu, politiquement parlant ?

Pablo Echenique : J’ai 36 ans, et je viens d’une sorte de néant. Comme bien des gens en Espagne et dans le monde, et jusqu’à ces dernières années, j’étais un idiot politique. J’aspirais à une vie normale, sans problèmes. Et puis est arrivé le M15.

Charlie : Je précise pour les lecteurs. Le M15, c’est le mouvement du 15 mai (2011), celui qu’on appelé en France Los Indignados.

P. E-R : Je dois te dire que cela a été très spectaculaire, car à la vérité, tout est parti d’une toute manif de jeunes – 200 personnes peut-être – sur la place Puerta del Sol, dans la nuit du dimanche 15 mai. Ils ne demandaient que des choses banales, comme un toit, un revenu pour vivre, un travail, des écoles. Mais la police du gouvernement socialiste en place a tenté de les virer de la place, et alors a commencé une Assemblée de rue improvisée, qui a décidé de rester et de dormir là. Quelques jours plus tard, il y avait des foules immenses sur toutes les places d’Espagne, ou presque. Moi, je suis descendu aussi sur la place de ma ville, Saragosse, mais avec mon fauteuil roulant, je ne pouvais pas entrer dans les tentes pour y dormir (rire important). Alors les gens ont  commencé à se parler, à critiquer le système de consommation, le capitalisme, et comme l’occupation a duré des mois, les discussions aussi.

Charlie : Un mouvement de jeunes ?

Oui, au départ, certainement. Mais il a vite compté des gens plus vieux, et au bout d’un temps assez bref, les sondages ont indiqué que 80 % de la population espagnole comprenait et approuvait le M15. Entre nous, heureusement que le moi de mai espagnol ne ressemble pas au moi de mai finlandais. Il s’est agi d’une fête en plein air, avec beaucoup de musique, de danses, de rire. Ce qui a tous réunis, c’est ce slogan repris des millions de fois : « No somos mercancía en manos de políticos y banqueros ». Nous ne sommes pas des marchandises entre les mais des politiciens et des banquiers. Nous revendiquions le droit d’être des gens normaux en face de dirigeants de multinationales qui passent d’un avion privé à un hôtel de Monte-Carlo, en passant par un yacht. Ça peut te paraître naïf, mais n’oublie pas que le M15 a mis en mouvement des tas de gens qui n’étaient pas politisés.

Charlie : Pourquoi ça a marché ? Tu as une idée ?

Je crois qu’Internet a joué un grand rôle. Je sais que le monde n’a pas commencé avec ce réseau, et qu’il y a toujours eu des luttes, mais Internet a permis de ne pas s’adresser seulement à une petite élite éduquée, mais directement à de larges couches de la population. Le monopole de la parole publique a explosé. Toutes sortes de choses qui ne pouvaient être dites par les moyens d’expression traditionnels, dominés par des groupes de presse, ont enfin pu circuler. Nous avons ainsi pu unir des fronts qui restaient séparer : les luttes de femmes, le combat des handicapés, les bagarres ouvrières, les revendications de santé publique…

Charlie : Je vois que tu ne cites pas l’écologie…

Oh que si ! Je suis très écologiste moi-même, et sur le long terme, je suis pour la décroissance. On ne peut pas continuer ainsi sur une planète aux ressources finies. Mais à court terme, je crois nécessaire de se battre pour ce qui nous unit tous. Comme le dit le philosophe Carlos Fernández Liria en résumant le programme de Podemos, « que se cumpla la ley ». Il faut faire respecter la loi. Pour tous les Espagnols, il y a la question clé de la fraude fiscale, dont on dit qu’elle pourrait atteindre 250 milliards d’euros par an. On attaque les garagistes et les plombiers, alors que 80 % vient des grandes fortunes espagnoles, contre lesquelles rien n’est fait.

Charlie : Il reste pour toi une différence entre la droite – le PP – et la gauche – le PSOE ?

Sur le plan des réformes de société, ce n’est pas la même chose. Mais pour ce qui concerne l’économie, c’est pareil. À titre personnel, je refuse toute alliance électorale. Aux élections générale de 2015, ou nous formons le gouvernement, sans eux, ou nous devons incarner une opposition sans état d’âme.

Pourquoi on ne peut pas s’entendre avec eux

La rupture ne saurait être plus totale. En ce qui me concerne, jamais je ne pourrais plus faire un pas dans la direction de ces gens-là. Eux, les socialistes. Je sais que bien des événements peuvent surgir, qui modifieront peut-être cette fière sentence. Peut-être. Ou pas. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que leur imaginaire de pacotille, leurs lamentables positions morales et politiques les placent dans un territoire mental où je n’ai jamais posé le moindre orteil.

Dans le papier de l’AFP que je vous mets ci-dessous, on voit donc Valls lancer un chantier Pierre et Vacances, sur le modèle, à très peu de choses près, des Center Parks. Oui, comme celui de Roybon, en Isère, dont le chantier est occupé par une poignée de zadistes que je salue évidemment. Dans ce texte, tout est perverti, à commencer par cet affichage « éco-touristique » que reprend sans rien y comprendre la journaliste. Nous en sommes bel et bien là : les mots ne veulent plus rien dire. Le Pen est écologiste. Valls est écologiste. Mélenchon, qui veut industrialiser la mer, est écologiste. Le parti communiste, qui a toujours soutenu le programme électro-nucléaire français, notamment via son emprise sur EDF, est écologiste. Les Verts, obsédés par le moindre poste, la moindre place, sont écologistes.

J’ai connu par le plus grand hasard le lieu où Fabius, alors Premier ministre, a imposé cette grande misère humaine appelée Disneyland. Ces plaines briardes étaient certes aux mains de l’agriculture industrielle, mais elles représentaient en tout cas une prodigieuse promesse d’avenir. Des milliers d’hectares d’une des terres les plus riches au monde ont été sacrifiés sur l’autel du néant. Je me souviens encore de Fabius, il y a trente ans, vanter le projet, parler des emplois, justifier les colossales aides publiques de l’époque, dont la création d’une station de RER dédiée. Voilà que cela continue, et que 60 millions d’euros d’argent public iront rejoindre les fouilles sans fond de Gérard Brémond, patron de Pierre et Vacances, 77 ans aux prunes. Ce pauvre garçon entend détruire jusqu’à la dernière minute de sa vie.

—————————————————

Valls lance le grand chantier « éco-touristique » des Villages Nature

Villeneuve-le-Comte (France) (AFP) – 12.12.2014 17:59 – Par Audrey KAUFFMANN

Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des « Villages Nature »

voir le zoom : Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des Villages Nature

Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des « Villages Nature » (afp.com – Miguel Medina)

voir le zoom : Un appartement témoin des Villages Natures à Bailly-Romainvilliers, près de Disneyland Paris, le 11 décembre 2014

Un appartement témoin des Villages Natures à Bailly-Romainvilliers, près de Disneyland Paris, le 11 décembre 2014
(afp.com – Miguel Medina)

voir le zoom : Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des Villages Nature

Le Premier ministre Manuel Valls le 11 décembre 2014 à Bailly-Romainvilliers pour la pose de la première pierre du chantier des « Villages Nature » (afp.com – Miguel Medina)

Manuel Valls a posé jeudi la première pierre du chantier des « Villages Nature », apportant son soutien à ce gigantesque concept de destination « éco-touristique » qui doit ouvrir en juillet 2016 à côté de Disneyland Paris, au sud-est de la capitale française.

Le chantier, installé entre deux forêts domaniales de Seine-et-Marne, est censé créer un lieu de loisirs conçu en forme de « cité végétale » et centré sur la nature, avec hébergements en cottages et appartements, parc aquatique, lagon extérieur, jardins suspendus, immeubles à l’architecture végétale, ferme bio, forêt « sportive », commerces…

La première phase de ce programme commun des groupes Pierre et Vacances et Euro Disney, qui brandit la thématique du développement durable, concerne 175 hectares et un investissement d’environ 500 millions d’euros. Si la phase ultime se concrétise, d’ici une décennie, le site pourrait couvrir au final jusqu’à 500 hectares et représenter deux milliards d’euros d’investissements.

C’est le plus grand projet de « resort » touristique en Europe. Il cible d’ailleurs largement la clientèle européenne, et espère un demi-million de visiteurs dès sa première année d’exploitation.

Pour M. Valls, qui s’exprimait sur le chantier du site à Villeneuve-le-Comte en Seine-et-Marne, ce projet classé Opération d’intérêt national (OIN) est « un exemple de ce qui doit être fait pour concilier l’économie et l’écologie, le développement de nouvelles activités et la protection de la nature ».

Dominique Cocquet, directeur général de Villages Nature, explique qu’il s’agit là d' »écrire une nouvelle page en matière de tourisme, qui prenne en compte les grands défis environnementaux du XXIe ».

« On est dans la modernité. Ce n’est pas la campagne ou un bout de safari », dit-il.

Aux yeux du Premier ministre, « cette offre de loisirs plus en retrait, plus proche de la nature, correspond bien aux aspirations de notre époque ». M. Valls a salué le fait qu’il y ait eu un « premier grand débat national pour un projet touristique », estimant que, « de ce point de vue là, ce projet est également exemplaire ».

Dix ans de gestation, sept enquêtes publiques et « aucun recours » malgré certains bémols écologistes: les élus locaux et régionaux et les promoteurs présents jeudi se congratulaient.

Au moment où plusieurs autres grands projets en France sont contestés, parfois violemment — aéroport de Notre-Dame-des-Landes, barrage de Sivens, Center Parcs en Isère… — Manuel Valls en a profité pour dénoncer la « prise en otage » pratiquée selon lui par des opposants à certains de ces chantiers en France, qualifiés par Europe Ecologie-les Verts (EELV) de « grands projets inutiles ».

Pour développer le projet Villages Nature, environ 60 millions d’euros d’argent public doivent être injectés, dans la voirie et les infrastructures en priorité.

Un engagement conséquent, justifié selon les élus par l’argument économique de l’emploi et de « l’attractivité » de la destination, qui va attirer des devises.

La première phase de Villages Nature, à elle seule, doit permettre la création de 2.000 emplois dans le bâtiment et 1.600 emplois directs pour l’exploitation touristique, a souligné Gérard Brémond, le président de Pierre et Vacances/Center Parcs.

Pour Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile-de-France, « ce projet est un peu du trois en un: bon pour l’emploi, bon pour l’environnement et bon pour l’égalité des territoires », a-t-il dit.

Le député de Seine-et-Marne Christian Jacob a pour sa part interpellé le Premier ministre sur le fait que certains aménagements promis pour améliorer des infrastructures à proximité du site se font attendre.

Dans un premier temps, un millier de cottages seront implantés autour d’un « Aqualagon » qui devrait devenir l’un des parcs aquatiques couverts les plus grands d’Europe avec ses 11.500 m2.

A l’extérieur, un lagon extérieur de 3.500 m2 sera chauffé en certains endroits par géothermie à plus de 30 degrés. Un projet qui suscite certaines critiques. « Faire de la géothermie pour chauffer un lac, c’est stupide », juge le président des élus écologistes d’EELV d’Ile-de-France, Mounir Satouri.

La géothermie alimentera aussi le chauffage et l’eau des logements, « sans émission de CO2 », selon les promoteurs. Villages Nature sera « une destination absolument unique », a promis Tom Wolber, le patron d’Euro Disney.

© 2014 AFP

Henri Trubert m’a téléphoné

Allez, je vous dis (presque) tout. Hier matin, mon téléphone antédiluvien sonne. C’est Henri, Henri Trubert, mon éditeur de la maison Les Liens qui libèrent (www.editionslesliensquiliberent.fr). Il était chez Fayard quand j’ai écrit en 2007, avec François Veillerette, un livre sur les pesticides, Révélations sur un scandale français. Quand je dis qu’il était chez Fayard, je pense en vérité qu’il nous a reçus, puis publiés, dans des conditions de confiance parfaites. Depuis, je le tiens pour un ami.

Hier donc, il m’appelle pour me demander d’être prêt. Il vient de lire l’article du journal Le Monde que vous trouverez ci-dessous, et qu’une lectrice de Planète sans visa, Marie-R – merci ! -, a déjà signalé. Il constate l’évidence que ce papier important recoupe parfaitement le sens de mon dernier livre, Un empoisonnement universel (Comment les produits chimiques ont envahi la planète). L’ayant constaté, il souhaite remuer Paris et obtenir que je passe sur les télés – Canal, TF1, que sais-je, mais au JT comme on dit – de manière à commenter à ma manière ces épouvantables informations.

Henri est ainsi, et je l’aime ainsi. Il y croit. Il a tort. Ces questions n’entrent dans aucune case de l’univers médiatique. Attention, je ne suis pas en train de me plaindre. Ce système aveugle et imbécile m’a laissé parler en septembre, au moment de la sortie du livre. Plutôt beaucoup. Non, il ne s’agit pas de moi, c’est beaucoup plus grave. On peut dire à peu près n’importe quoi, même la vérité, mais à la condition que cela soit bref et figure coincé entre ces insignifiances qui rendent le tout à peu près indestructible. Y a-t-il quelque chose à faire ? Tout de suite, je ne vois pas. Mais la suite n’est pas encore écrite. Lisez plutôt ce qui suit, qui exigerait bien entendu une réunion extraordinaire de notre si pathétique Conseil des ministres. Lisez.

————————

La pollution met en danger le cerveau

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Stéphane Foucart

Des enfants exposés in utero à des niveaux élevés de deux phtalates présentent en moyenne un quotient intellectuel (QI) inférieur de plus de six points à celui d’enfants moins exposés. Cette conclusion préoccupante est le fruit d’une étude au long cours, conduite par des chercheurs de l’université Columbia (New York), et publiée mercredi 10 décembre dans la revue PLoS One.

Les phtalates sont des plastifiants présents dans de nombreux produits courants – objets en PVC, textiles imperméables, cuirs synthétiques, mais aussi rouges à lèvres et à ongles, bombes de laque ou certains shampooings. Ils sont interdits dans les jouets, en Europe comme aux Etats-Unis, mais rien n’est fait pour éviter l’exposition des femmes enceintes.

L’étude a porté sur 328 New Yorkaises, dont l’urine a été analysée au cours du troisième trimestre de grossesse pour y mesurer la concentration en quatre phtalates. Les tests de QI ont été réalisés auprès de leurs enfants à l’âge de sept ans. Pour les 25 % de ceux nés de mères dont les taux de DnBP et DiBP étaient les plus élevés, le QI était respectivement de 6,6 et 7,6 points inférieur à celui du quart des enfants dont la mère montrait la concentration la plus basse de ces deux phtalates. L’étendue des concentrations n’avait rien d’inhabituel et se situait dans l’échelle de celles mesurées au niveau national par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC).

« Ampleur troublante »

« L’ampleur de ces différences de QI est troublante, note Robin Whyatt, qui a dirigé l’étude. Une baisse de six ou sept points pourrait avoir des conséquences substantielles sur la réussite scolaire et le potentiel professionnel de ces enfants. »

Cette étude n’est que la dernière en date d’un corpus toujours plus vaste de travaux qui pointent l’impact sur le développement cérébral de différents polluants, au premier titre desquels figurent les perturbateurs endocriniens. La montée de l’incidence de l’autisme pourrait être l’un des symptômes de l’imprégnation de la population – notamment de l’enfant à naître – par ces produits chimiques.

De toutes les maladies non transmissibles, l’autisme est l’une de celles dont la fréquence augmente le plus rapidement. Si vite qu’il est même difficile d’y croire. En mars, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains, l’équivalent de notre Institut de veille sanitaire (InVS), rendaient publiques les dernières estimations de la prévalence des troubles du spectre autistique chez les garçons et les filles de 8 ans aux Etats-Unis. Selon ces chiffres, un enfant sur 68 est désormais touché par cet ensemble de maladies du développement, regroupant l’autisme profond, les syndromes de Rett et d’Asperger, etc.

Augmentation quasi exponentielle

Le plus impressionnant n’est pas tant le chiffre lui-même, que la rapidité de son évolution : il est supérieur de 30 % à celui publié seulement deux ans auparavant (un enfant sur 88) par le même réseau de surveillance mis en place par les CDC, et a plus que doublé en moins d’une décennie. Au cours des vingt dernières années, les données américaines suggèrent une augmentation quasi-exponentielle de ces troubles, aujourd’hui diagnostiqués « vingt à trente fois plus » que dans les années 1970, selon le rapport des CDC. 40 % de ces enfants dépistés aux Etats-Unis présentent un quotient intellectuel (QI) inférieur à 70.

D’autres troubles neuro-comportementaux sont également en forte croissance ces dernières années. Outre-Atlantique, l’hyperactivité et les troubles de l’attention touchaient, selon les chiffres des CDC, 7,8 % des enfants entre 4 et 17 ans en 2003. Ce taux est passé à 9,5 % en 2007, puis à 11 % en 2011. Par comparaison, en France, leur fréquence est estimée entre 3,5 et 6 % pour les 6-12 ans.

Aux Etats-Unis, un enfant sur six est concerné par un trouble du développement (troubles neuro-comportementaux, retard mental, handicaps moteurs, etc.).

Dans un ouvrage scientifique tout juste publié (Losing Our Minds. How Environmental Pollution Impairs Human Intelligence and Mental Health, Oxford University Press, 2014) Barbara Demeneix, directrice du département Régulations, développement et diversité moléculaire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), soutient que cette augmentation rapide de la fréquence des troubles neurocomportementaux est, en grande partie, le résultat de l’exposition de la population générale à certaines pollutions chimiques diffuses – en particulier les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Selon la biologiste, cette situation n’est, en outre, que la part émergée d’un problème plus vaste, celui de l’érosion des capacités cognitives des nouvelles générations sous l’effet d’expositions toujours plus nombreuses à des métaux lourds et à des substances chimiques de synthèse. Le sujet est, ces dernières années, au centre de nombreuses publications scientifiques. Philippe Grandjean, professeur de médecine environnementale (université Harvard, université du Danemark-Sud), l’une des figures de la discipline et auteur d’un livre sur le sujet (Only One Chance. How Environmental Pollution Impairs Brain Development — and How to Protect the Brains of the Next Generation, Oxford University Press, 2013), va jusqu’à évoquer une « fuite chimique des cerveaux ».

La thyroïde en cause

« L’augmentation de la fréquence de l’autisme que l’on mesure ces dernières années est telle qu’elle ne peut pas être attribuée à la génétique seule et ne peut être expliquée sans faire intervenir des facteurs environnementaux, dit Barbara Demeneix. De meilleurs diagnostics et une meilleure information des médecins et des familles permettent certainement d’expliquer une part de cette augmentation, mais en aucun cas la majorité. » Et ce d’autant plus que les critères diagnostiques utilisés par les CDC sont demeurés identiques entre 2000 et 2013. « En France et en Europe, il n’existe pas de suivi historique de la prévalence de ces troubles aussi précis qu’aux Etats-Unis, mais il est vraisemblable qu’on assiste aussi à une augmentation de leur incidence », ajoute Barbara Demeneix.

Autre argument fort suggérant que l’augmentation de fréquence de l’autisme ne relève pas d’un biais de mesure : le sexe-ratio est constant. Les garçons sont toujours cinq fois plus touchés que les filles. Or, si l’accroissement constaté était artéfactuel, une modification du sexe-ratio aurait de grandes chances d’être observée.

Comment expliquer une telle épidémie ? Pour la biologiste française, l’une des causes majeures est la prolifération de molécules de synthèse capables d’interférer avec le fonctionnement de la glande thyroïde. « Depuis de nombreuses années, mon travail consiste à comprendre comment un têtard devient une grenouille. Les molécules-clés de ce processus sont les hormones thyroïdiennes, qui jouent un rôle crucial dans les transformations lourdes du développement, explique Barbara Demeneix. En cherchant à comprendre comment ces hormones agissent dans la métamorphose du têtard, je me suis posé le même type de questions sur leur importance dans le développement du cerveau humain. »

Lire aussi : Pollution : « L’intelligence des prochaines générations est en péril »

Les hormones thyroïdiennes sont connues pour moduler l’expression des gènes pilotant la formation de structures cérébrales complexes comme l’hippocampe ou le cortex cérébelleux. « Nous savons avec certitude que l’hormone thyroïde joue un rôle pivot dans le développement du cerveau, précise le biologiste Thomas Zoeller, professeur à l’université du Massachusetts à Amherst et spécialiste du système thyroïdien. D’ailleurs, la fonction thyroïdienne est contrôlée sur chaque bébé né dans les pays développés et la plupart des pays en développement, ce qui montre le niveau de certitude que nous avons dans ce fait. Pourtant, malgré le fait que de nombreuses substances chimiques ayant un impact documenté sur la thyroïde soient en circulation, les autorités sanitaires ne font pas toujours le lien avec l’augmentation des troubles neurocomportementaux. »

Dans Losing Our Minds, Barbara Demeneix montre que la plupart des substances connues pour leur effet sur le développement du cerveau interfèrent bel et bien avec le système thyroïdien. Ces molécules ne sont pas toutes suspectées d’augmenter les risques d’autisme, mais toutes sont susceptibles d’altérer le comportement ou les capacités cognitives des enfants exposés in utero, ou aux premiers âges de la vie. C’est le cas des PCB (composés chlorés jadis utilisés comme isolants électriques, lubrifiants, etc.), de certaines dioxines (issues des processus de combustion), de l’omniprésent bisphénol A, des PBDE (composés bromés utilisés comme ignifuges dans l’électronique et les mousses des canapés), des perfluorés (utilisés comme surfactants), des pesticides organophosphorés, de certains solvants, etc.

« Le travail de Barbara Demeneix est très important, estime la biologiste Ana Soto, professeur à l’université Tufts à Boston (Etats-Unis) et titulaire de la chaire Blaise Pascal 2013-2014 de l’Ecole normale supérieure. Elle a conduit un travail bibliographique considérable et c’est la première fois que l’ensemble des connaissances sont rassemblées pour mettre en évidence que tous ces perturbateurs endocriniens, mais aussi des métaux lourds comme le mercure, sont capables de perturber le fonctionnement du système thyroïdien par une multitude de processus. »

Substances très nombreuses

Les composés bromés peuvent inhiber l’absorption d’iode par la thyroïde qui, du coup, produit moins d’hormones. Les molécules chlorées peuvent en perturber la distribution dans les tissus. Le mercure, lui, peut inhiber l’action des enzymes qui potentialisent ces mêmes hormones… Lorsqu’une femme enceinte est exposée à ces substances, son fœtus l’est également et, explique Barbara Demeneix, « le risque est important que la genèse de son cerveau ne se fasse pas de manière optimale ». Pour limiter au mieux les effets de ces substances, la biologiste insiste sur la nécessité d’un apport d’iode conséquent – absent du sel de mer – aux femmes enceintes, garant de leur bon fonctionnement thyroïdien.

Le problème est que les substances susceptibles de perturber ces processus sont très nombreuses. « Les chimistes manipulent des phénols auxquels ils ajoutent des halogènes comme le brome, le chlore ou le fluor, explique Barbara Demeneix. Or les hormones thyroïdiennes sont composées d’iode, qui est aussi un halogène. Le résultat est que nous avons mis en circulation des myriades de substances de synthèse qui ressemblent fort aux hormones thyroïdiennes. »

Les scientifiques engagés dans la recherche sur la perturbation endocrinienne estiment en général que les tests mis en œuvre pour détecter et réglementer les substances mimant les hormones humaines sont insuffisants. D’autant plus que les effets produits sur les capacités cognitives sont globalement discrets. « Si le thalidomide [médicament retiré dans les années 1960] avait causé une perte de 10 points de quotient intellectuel au lieu des malformations visibles des membres [des enfants exposés in utero via leur mère], il serait probablement encore sur le marché », se plaisait à dire David Rall, ancien directeur de l’Institut national des sciences de la santé environnementale américain (NIEHS).

Lire aussi : Pollution : les coûts faramineux de la perte de QI

L’érosion du quotient intellectuel de même que les troubles neurocomportementaux comme l’hyperactivité et les troubles de l’attention ou l’autisme « sont le talon d’Achille du système de régulation, souligne le biologiste Thomas Zoeller. Ce sont des troubles complexes, hétérogènes et aucun biomarqueur caractéristique ne peut être identifié. Du coup, il y a beaucoup de débats sur la “réalité” de l’augmentation de leur incidence. Ce genre de discussions ne décide pas les agences de régulation à être pro-actives, en dépit du fait que l’incidence des troubles du spectre autistique augmente si rapidement que nous devrions tous en être inquiets. »

L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), l’organisme intergouvernemental chargé d’établir les protocoles de test des substances chimiques mises sur le marché, a cependant appelé, fin octobre, au développement de nouveaux tests susceptibles de mieux cribler les molécules interférant avec la thyroïde. Et ce, avec « une très haute priorité ».

L’affaire ne concerne pas uniquement l’intelligence des prochaines générations mais leur santé au sens large. « Les épidémiologistes remarquent depuis longtemps que les gens qui ont un quotient intellectuel élevé vivent plus longtemps, et ce même lorsqu’on corrige des effets liés à la classe sociale, dit Barbara Demeneix. Or selon la théorie de l’origine développementale des maladies, notre santé dépend en partie de la manière dont nos tissus se sont développés au cours de notre vie intra-utérine. Les facultés cognitives pourraient ainsi être une sorte de marqueur des expositions in utero et pendant la petite enfance à des agents chimiques : avoir été peu exposé signifierait un quotient intellectuel élevé et, du même coup, une plus faible susceptibilité aux maladies non transmissibles. »

Ségolène Royal en amuseur public (sur le bisphénol A)

En complément des quelques lignes précédentes. Madame Royal amuse la galerie – consentante, il est vrai – en proclamant qu’elle va abolir un arrêté préfectoral qui interdit les feux de cheminée à Paris à partir du 1er janvier 2015. Dans le même temps, son gouvernement se heurte au lobby du plastique, qui refuse d’obtempérer (ici).

Résumons. Un, le bisphénol A est un toxique, entre autres perturbateur endocrinien. Deux, on en trouve dans des centaines de produits d’usage courant. Trois, notre pauvre petit pays décide de l’interdire dans les emballages alimentaires à compter du 1er janvier 2015. Quatre, il existe des dizaines de substituts au poison. Cinq, l’industrie, qui sait sa puissance, envoie paître Royal et ses gens.

Constatons ensemble que la même date – 1er janvier – vaut pour les feux de cheminée et le bisphénol A. Sans jeu de mots, je crois que madame Royal a allumé un plaisant contrefeu. Comme elle ne peut rien contre les puissants, elle excite des médias dociles, de manière à occuper l’espace et à montrer quelle poigne elle a au moment même où sa faiblesse ontologique se montre en majesté.

Bis repetita : à quoi servent les socialistes ?

À quoi servent les socialistes ?

Titre de la Une du journal Le Monde qui paraît aujourd’hui :

Le fossé entre riches et pauvres n’a cessé de se creuser depuis trente ans

Comme la réduction des inégalités est la raison de discourir des socialistes, notamment français, la question en titre de ce semblant d’article est purement rhétorique. Ces gens devraient se cacher, ils plastronnent. Et pendant ce temps perdu, tout devient plus difficile sur le front décisif du climat. Sur celui de la biodiversité. Sur celui de la vie.