Archives de catégorie : Politique

Je reviens une seconde à mon livre

Pour les sourds et malentendants – graves -, pour les aveugles et malvoyants – nombreux -, je rappelle que je sors ces jours-ci un livre sur la contamination chimique généralisée, Un empoisonnement universel (comment les produits chimiques ont envahi la planète), aux éditions Les liens qui libèrent (LLL). J’y reviens pour commenter une émission de France Inter à laquelle j’ai participé tout à l’heure (ici). Je précise que je ne me suis pas réécouté : je n’ai pas le temps, et en outre, je déteste m’écouter. J’espère que mon cas n’est pas désespéré.

Mon commentaire : misère ! Miserere mei, Deus ! Aie pitié de moi, mon Dieu ! Grâce à la bienveillance de Mathieu Vidard et de Lucie Sarfaty, j’ai pu correctement présenter mon livre dans La tête au carré, et qu’ils en soient remerciés. Quant au reste, je trouve simplement fou que le député Gérard Bapt ait fait les réponses qu’il a faites. Je précise pour ceux qui l’ignorent que Bapt, ancien médecin,  est en pointe sur les questions de santé publique en relation avec l’environnement. Il a aidé à rendre publique la triste affaire dite du Médiator (ici) et on aurait pu espérer de cet homme respectable ou qu’il conteste mon livre, ou qu’il trace des perspectives pour sortir du drame dans lequel nous sommes plongés.

Mais ni l’un ni l’autre. Il a fait l’éloge de mon travail, et il n’a pas énoncé le moindre début d’idée sur la manière d’avancer ensemble. Il n’en sait rien. Et d’ailleurs, disons-le sans détour, il ne sait à peu près rien du sujet évoqué. À plusieurs de mes questions précises, il s’est contenté de se réfugier dans ces détestables généralités de la novlangue politique, sans se rendre compte du mal qu’il fait au passage à sa fonction. Le pire : j’ai évoqué le vote de l’Assemblée nationale le 3 mai 2011, qui interdisait à la stupéfaction générale phtalates, parabènes et alkylphénols. Une telle décision, dérisoire au regard des enjeux, était pourtant spectaculaire dans le monde réel. La France aurait été la seule à prendre des mesures contre ces grands poisons.

Sauf que rien. Voté en première lecture par une Assemblée de droite – Sarkozy règne -, la loi est oubliée dans un placard et n’arrivera jamais au Sénat. J’ai déploré ce coup de force lobbyiste auprès de Bapt, mais surtout, je lui ai dit : « Mais vous, qu’avez-vous donc fait de ce projet quand votre famille politique l’a emporté à la suite de l’élection de Hollande à l’élection présidentielle ? » Bapt a évidemment botté en touche, car la terrible morale de l’histoire, ainsi que je le détaille dans mon livre, est que personne ne fait rien. Pour de multiples raisons qui aboutissent à l’inertie et à la tétanie. Étonnez-vous après cela du discrédit total des classes politiques !

Ce matin, interrogé sur l’antenne de Radio France Internationale pour une émission à venir, j’ai dû répondre à la question d’une excellente journaliste polonaise, Anna Rzeczycka-Piekarec. Comme elle me demandait : « Avez-vous le sentiment d’avoir écrit un livre important », je lui ai aussitôt dit oui. La forme peut être jugée mauvaise, cela va de soi. Mais sur le fond, sans aucun doute possible, c’est important. Très. michael kors pochette michael kors pochette

Marina Silva entre les mains d’un criminel

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 17 septembre 2014

Ancienne syndicaliste et ministre, écologiste de choc, la Brésilienne Marina Silva peut gagner la présidentielle d’octobre. Seul menu problème : elle copine de très près avec le criminel Schmidheiny, roi de l’amiante condamné à 18 ans de prison.

Cette histoire a un côté pile et un côté face. Et elle contient une authentique révélation. Mais commençons par la lumière. Le Brésil, puissance ô combien montante, élit en octobre son président de la République, qui sera une présidente. Soit Dilma Roussef, héritière très contestée du vieux chef Lula. Soit peut-être Marina Silva, qui représente le parti socialiste du Brésil depuis la mort accidentelle du candidat prévu, Eduardo Campos.

Marina Silva est un cas stupéfiant. Née dans une famille de gueux – des seringueiros surexploités dans les plantations d’hévéas -, elle n’a été alphabétisée qu’à l’âge de 16 ans, avant de devenir une syndicaliste de choc. Défendant avec ferveur la grande forêt amazonienne et ses habitants, elle a milité pendant des années avec Chico Mendes, écologiste assassiné par des tueurs au service des fazendeiros, les gros propriétaires terriens. Adhérant ensuite au Parti des travailleurs (PT), elle a été ministre de l’Environnement de Lula,  jusqu’à sa démission en 2008.

Elle reprochait alors au pouvoir de favoriser les intérêts des l’agro-industrie, notamment autour de trois questions essentielles : les OGM, les biocarburants et les barrages hydro-électriques géants, qui chassent de leurs terres des milliers d’Indiens d’Amazonie.
Depuis, elle n’a cessé de marquer des points, obtenant à la surprise générale près de 20 % des voix à la présidentielle de 2010. Tous les sondages la donnent pour le moment gagnante en cas de duel au deuxième tour avec Dilma Roussef, contestée de tous côtés. Une victoire de Silva aurait à l’évidence un impact colossal dans toute l’Amérique latine.

Mais le côté face fait flipper. Car dans l’ombre de Marina Silva se profilent de très étranges pousses. On va essayer de résumer, ce qui n’a rien de facile. Un, le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny a fait sa grande fortune grâce au groupe Éternit, propriété de sa famille. Éternit, c’est l’amiante, et la mort. En 2013, après un procès historique de plusieurs années, Schmidheiny a été définitivement condamné à 18 ans de prison par le tribunal de Turin. Le cher ange a été jugé coupable de la mort de 3000 prolos italiens exposés à l’amiante dans les usines de grand-papa, papa et fiston.

N’importe qui serait en taule, mais Schmidheiny n’est pas même recherché. Il a refait sa vie en Amérique latine, où il a créé Avina (http://www.avina.net) une fondation « philanthropique » qui « aide » les mouvements sociaux et écologistes dans tout le sous-continent. Ce Janus (au moins) biface a parallèlement créé le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), dont il est aujourd’hui le président honoraire. Or ce WBCSD regroupe les pires transnationales de la planète, dont Monsanto, Bayer, BASF, DuPont, BP, Shell, etc. À quoi sert ce bastringue ? À blanchir, en l’occurrence à verdir – on appelle ça du greenwashing – l’image des grands pollueurs à coup de propagande publicitaire. L’affaire se complique encore, car Schmidheiny a joué un rôle central, auprès de l’ONU, dans l’organisation des fameux sommets de la Terre, dont celui de Rio en 1992. Impossible ? Certain.

Quel rapport avec Marina Silva ? L’ancienne syndicaliste, ainsi que peut le révéler Charlie, est en cheville avec Avina, la fondation de Schmidheiny. Elle a ainsi participé à plusieurs réunions très importantes d’Avina, comme à Durban (Afrique du Sud), le 14 décembre 2011 et en juin 2012. Plus compromettant encore, Marina Silva était la vedette d’une conférence d’Avina à Santiago (Chili) le 14 mai 2014, il y a donc quatre mois, organisée dans le cadre d’une série de rencontres qui ont eu lieu dans toute la région, de Lima à Quito, passant par Bogotá, La Paz, Buenos Aires et Montevideo.

Ce n’est pas fâcheux, c’est désastreux. À ce stade, deux hypothèses. Ou Silva ne sait rien de Schmidheiny, ce qui serait comme un aveu d’ignorance crasse, très inquiétant. Ou elle sait, et croit pouvoir le manœuvrer, ce qui serait d’une naïveté confondante. On n’ose imaginer qu’elle a changé de camp. Schmidheiny, en tout cas, non. C’est un salaud.

Dessine-moi une planète et demie

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 27 août 2014, sous un autre titre.

Faut que ça saigne. Depuis le 19 août, « Jour du dépassement », nous tapons jusque fin décembre dans le stock en perdition des ressources naturelles. Pour vivre comme les Américains, l’humanité aurait besoin de cinq planètes. Ça va être coton.

Rions, c’est encore le mois d’août. Nos excellentes gazettes titrent –dans les coins – sur une nouvelle qui intrigue tout de même un peu : « la planète », comme ces gens écrivent, aurait tout bouffé, cette goinfresse, en seulement huit mois d’activités humaines. On appelle cela, en français approximatif, le « Jour du dépassement ». L’ONG Global Footprint Network, publie chaque année un document sur l’état des ressources disponibles. Les écosystèmes – disons les grands éléments vivants, comme les sols agricoles, les fleuves et rivières, les arbres et forêts, les océans sont capables de produire chaque année qui passe une certaine montagne de biens naturels. Justement ceux qui nous permettent de manger, de nous vêtir, d’habiter, de nous soigner, etc. Sans eux, rien, ballepeau.

Mais dans le même temps, les humains boulottent de plus en plus et détruisent à qui mieux, jusqu’à ce fameux « dépassement », qui tombe cette année le 19 août. Au-delà, ils attaquent le dur, c’est-à-dire la structure, les stocks en apparence infinis de champs, de prairies, de pêcheries. Essayant de se rendre intelligibles, les commentateurs parlent de « vie à crédit ».

Pour filer cette si lamentable métaphore, peut-on taper sans fin dans un capital qui diminue chaque saison un peu plus ? Peut-on se vautrer dans une dette écologique comme on le ferait au bistrot du coin ? Sur le papier, l’affaire ne dépasse pas un problème de cours élémentaire deuxième année. La quasi-totalité des responsables de tout bord, y compris nombre d’écologistes officiels, s’en cognent d’autant plus qu’à leurs yeux flapis, cela ne signifie rien. Mais ainsi qu’on se doute, ils ont tort.

En 1992, sur fond de sommet de la Terre de Rio – le premier -, paraît un article pionnier signé par le professeur américain William Ree (1). Commence une série d’études sur l’empreinte écologique des individus, des pays, puis de l’humanité entière. Souvent critiquée, « l’empreinte écologique » a l’immense mérite de rappeler quelques évidences. La première de toutes est qu’il existe des limites physiques infranchissables, quelle que soit la politique suivie. Et c’est d’autant plus chiant que c’est vrai. Très grossièrement, on calcule cet indice en estimant la surface biologiquement productive dont un individu ou un groupe ont besoin. Laquelle inclut des sols fertiles, des bois, de l’eau, sous la forme théorique d’un hectare global (hag).

Global Footprint Network est parvenu à affiner ces calculs et à proposer des résultats précis, censés « informer » les aveugles qui nous gouvernent, comme cet Atlas mondial, pays par pays. Le « Jour du dépassement » – Earth Overshoot Day – n’est jamais qu’une continuation logique, mais qui fout le trouillomètre à zéro, car chaque année, il intervient un peu plus tôt. En 1986 – première année de calcul -, le dépassement avait eu lieu le 31 décembre. Et le 20 novembre en 1995. Et le 20 octobre en 2005. Et le 23 septembre en 2008. Et le 22 août en 2012.

Si l’on se saisit d’une loupe, la leçon devient limpide. La Chine a d’autant moins d’avenir qu’elle consomme 2,2 fois ce que son territoire peut lui offrir en une année. Les Émirats arabes unis 12,3 fois. La France, 1,6. La croissance, c’est donc du vol, comme la propriété. Ceux qui ont les moyens d’extorquer arrachent aux autres de quoi maintenir un niveau de gaspillage « acceptable », sur fond de téléphones portables et d’écrans plasma. En espérant contre l’évidence que cela pourra durer.

Rappelons aux ramollos du bulbe qu’il faudrait cinq planètes pour que les 7 milliards de Terriens s’empiffrent comme les Amerloques. Et encore trois pour faire comme chez nous. Selon Global Footprint Network, « en 1961, l’humanité utilisait juste trois quarts de la capacité de la Terre à produire de la nourriture, des fibres, du bois » et même à absorber les gaz à effet de serre. Actuellement, au-delà d’inégalités de plus en plus foldingues, elle épuise une planète et demie pour la satisfaction de ses besoins.

Nous allons donc gaiement vers le krach écologique à côté duquel la crise de 1929 paraîtra un friselis de roses. Encore un peu de croissance, les tarés ?

(1) http://eau.sagepub.com/content/4/2/121.short?rss=1&ssource=mfc

EELV, ce parti vert qui ne sert à rien

L’illusion, en politique, semble increvable. Probablement parce qu’elle l’est. Ce jour commencent à Bordeaux les journées d’été d’Europe Écologie Les Verts (EELV). Je n’ai ni le courage ni le temps de vous parler de cette triste histoire de trente ans. Le parti Les Verts a en effet été fondé en 1984, par des gens dont certains étaient d’une radicale étrangeté, comme le défunt Guy Cambot, qui joua un rôle essentiel pendant près de quinze ans. Qui se souvient de Cambot pourtant, et de ses belles affaires africaines dans les années 60 du siècle écoulé, et de son indifférence totale pour l’écologie ?

Comme nul n’a tiré le moindre bilan des conditions passées, et ainsi que l’écrivit le philosophe espagnol (devenu américain) George Santayana, « Those who cannot remember the past are condemned to repeat it ». Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre. Permettez trois mots, qui seront emportés par le vent dès demain.

Cécile Duflot dans son livre à paraître : « J’ai fait le même chemin que des millions de Français. J’ai voté Hollande, cru en lui et été déçue… J’ai essayé de l’aider à tenir ses promesses, de l’inciter à changer la vie des gens, de le pousser à mener une vraie politique de gauche. Et j’ai échoué. Alors je suis partie ». Tout est faux, c’est-à-dire pure tactique. Il serait tout de même intéressant de savoir ce que Hollande a pu dire pour qu’elle le croie aussi imp(r)udemment. On le saura dans une autre vie. Notons l’aveu involontaire : elle aurait tout tenté pour qu’il lance une politique « de gauche ». Pas écologiste, donc, mais « de gauche ». Ma foi, c’est assez clair.

Jean-Vincent Placé, compère de la précédente. Les deux, dont le destin est lié en profondeur, se sont partagé le boulot. À lui, les appels au centre, c’est-à-dire, pour employer le langage convenu, la droite. De manière à contrôler au mieux les ardeurs ministérielles des députés Pompili et de Rugy – entre autres – qui ragent de ne pas avoir pu profiter des bienfaits d’une entrée au gouvernement. À elle, le mollettisme écolo, de façon à surfer sur le mécontentement des rares troupes militantes qui n’ont pas encore déserté la salle. Selon Le Point, Placé serait un grand cachottier (ici). Il aurait « oublié » de déclarer à la Haute Autorité de transparence de la vie publique l’existence d’une société commerciale lui appartenant. Le pompon à qui dressera la liste de toutes les casseroles déjà attachées à l’excellent écologiste qui se fout si complètement de l’écologie, dont il ne sait rien.

Yves Cochet, le seul que je connaisse un peu, s’est spécialisé depuis peu dans les grands prêches apocalyptiques. Notamment au sujet du pétrole. La logique voudrait qu’il combatte sur ce terrain décisif, mais ce serait méconnaître l’immense talent transformiste de l’ancien ministre. Dans un entretien donné au JDD, il déclare sans se poser aucune question personnelle (ici): « Nous avons récupéré le pire de la politique – le calcul, les carrières, les divisions, le manque de fond – mais nous n’avons pas de recul historique dû à l’histoire ». Et rien, bien sûr. Pas de mise en cause de qui que ce soit, sauf pour se plaindre du passé. À l’en croire, il n’aurait pu être candidat à la présidentielle en raison de votes truqués qui auraient profité à Voynet (en 2007). Ce n’est pas grave, c’est directement insupportable. Mais quelle conclusion en tire notre si grand mémorialiste ? Celle-ci : « Nous étions très amis avec Voynet pendant une vingtaine d’années et depuis nous nous sommes éloignés ». Voynet truande et conchie ainsi le vote démocratique, censé être la pierre angulaire de l’engagement EELV, mais on s’éloigne gentiment, sans faire le moindre bruit. Oh ! comme ce rebelle est charmant. Par ailleurs, il déplore qu’aucun écolo de sa petite entreprise n’ait l’envergure pour devenir président de la République. On voit la hauteur de vue ! La planète, selon ses propres dires  – auxquels il ne croit pas – s’enfonce dans une crise totale, mai, crotte, personne de chez lui ne pourrait être à l’Élysée.

Emmanuelle Cosse enfin, « patronne » du parti et surtout propriétaire en titre de deux muselières – Duflot et Placé. Elle est entrée dans le mouvement en 2009, et sur décision en coulisses des deux maîtres précités, elle fait de la figuration. Ni trop, ni trop peu. Dans un entretien à Libération ce matin, elle félicite Royal, qui vient de s’attaquer comme on devrait tous savoir aux loups, aux ours, aux vautours, et lance, apparemment fière d’elle-même : « Il suffit de regarder les indicateurs. Depuis deux ans, le choix d’apporter des liquidités aux entreprises ne produit pas son effet. En revanche, les effets pervers de cette politique arrivent : récession et difficulté à maintenir l’emploi. Manuel Valls essaie de tuer un débat qu’il ne peut pas tuer ». Le reste n’est que blabla.

Nous en sommes là, à ce point zéro, et il est bien inutile de se lamenter. L’heure est au combat, mais il est très dangereux d’avancer sous le feu sans avoir une claire vision du champ de bataille. EELV est un parti absolument sans intérêt pour qui cherche de vraies solutions.

Quand une journaliste fait son boulot

Cet article a été publié par Charlie Hebdo, le 13 août 2014, sous un autre titre

Les journalistes sont comme les boulangers. Il y a les bons et les autres. Mais quand on tombe sur une enquêteuse comme Stéphane Horel, on est obligé de regarder son documentaire. Horel fait aimer la télévision. Affreux.

On a le droit de rendre hommage sans donner dans le cirage de pompes. La journaliste Stéphane Horel (http://www.stephanehorel.fr), discrète comme une violette, est l’une des meilleures. Ses révélations à répétition sur le fonctionnement réel de l’Europe auraient déjà dû lever des armées, mais pour l’heure rien, ou presque.

Samedi passé – le 9 août -, France 5 a passé en catimini, à 19 heures, un documentaire d’une rare qualité, qui raconte une histoire essentielle dont tout le monde se fout. Celle des perturbateurs endocriniens. Stéphane Horel y décrit par le menu la manière concrète dont les institutions européennes sabotent tout ce qui peut gêner la marche triomphale de l’industrie. Or les perturbateurs endocriniens sont au cœur de la machine, ce qui explique le jeu criminel des transnationales.

Mais un point d’histoire. En 1991, la grande scientifique américaine Theo Colborn réunit dans un bled du Wisconsin – Racine – une poignée d’hérétiques et de marginaux, dont des biologistes. Avant tout le monde, ces pégreleux ont compris que les êtres vivants, humains compris, sont attaqués par un nouvel ennemi, qu’ils nomment aussitôt « perturbateur endocrinien ». C’est (presque) simple : des molécules chimiques de synthèse, présentes dans d’innombrables produits – cosmétiques, pesticides, plastiques, médicaments -, déséquilibrent des fonctions de base, provoquent cancers, infertilité, troubles neurologiques, favorisent l’obésité et le diabète. Comme le dit le film, ils « piratent le système hormonal et jouent avec la testostérone ou les oestrogènes ». Sur une liste à vrai dire interminable, les phtalates, le bisphénol A, les produits ignifuges utilisés pour les télés ou les ordinateurs.

Ce n’est pas grave, c’est dramatique. Car comme le montre Horel, l’Europe, infiltrée en profondeur par des lobbies amoraux, refuse d’agir. Et sabote même les efforts de ceux qui réclament des actes. On se contera ici de deux exemples, aussi écœurants l’un que l’autre. D’abord l’affaire Kortenkamp. En 2011, la Commission européenne, experte en rapports oubliés, en commande un au professeur Andreas Kortenkamp, bon spécialiste des perturbateurs endocriniens. Début 2012, il remet un texte aussi solide qu’honnête, qui est aussitôt placé en quarantaine. Parallèlement, un autre rapport – classique contre-feu – est demandé à un panel de « spécialistes ». Horel enquête et découvre que huit experts du groupe sur dix-huit ont des liens avec l’industrie transnationale. Et que onze d’entre eux n’ont jamais rien publiÈ sur les perturbateurs endocriniens.

L’autre histoire est plus folle. Entre juin et septembre 2013, 18 responsables de 14 revues de toxicologie et de pharmacologie européennes publient le même texte incendiaire. Ces pontes mettent en garde l’Europe, qui s’apprêterait – plus de vingt ans après l’alerte de Colborn ! – à prendre de timides mesures contre les perturbateurs endocriniens. En clair, il ne faut surtout pas, car selon eux, aucune étude ne serait concluante. Mais Horel publie le 23 septembre 2013 un article sensationnel dans Environmental Health News. 17 des 18 signataires « ont des liens passés ou actuels avec l’industrie ».

Son principal rédacteur, Daniel Dietrich, a conseillé une structure des industriels de la chimie, des pesticides et du pétrole, et même réalisé des études avec des employés de Dow Chemical ou Bayer, ces grands philanthropes. L’un des plus lobbies industriels de la planète, International Life Sciences Institute (ILSI), est aux manettes, financé par les secteurs agroalimentaire, chimique, pharmaceutique et des biotechnologies. Et toute velléité de santé publique est de nouveau oubliée par les agences européennes.

Est-ce ainsi que les hommes meurent ? On dirait bien. Malgré l’exemplaire boulot de Stéphane Horel, nul ne bouge. Que fout chez nous Marisol Touraine, ministre de la Santé ? Chaque jour pourtant, on comprend un peu mieux comment agissent les perturbateurs endocriniens, et l’on sait maintenant qu’ils sont toxiques à des doses infinitésimales. Bien au-dessous des normes officielles. Il est déjà très tard.