Jean-Marie Lehn. Prix Nobel de chimie 1987. Un immense scientiste qui se croit pourtant un maître de la vie. Un grand scientifique, il est vrai, doté de qualités intellectuelles indiscutables, grâce auxquelles il ne croit plus nécessaire de se soumettre aux règles communes. Ce sentiment absurde et si fort de toute-puissance est, on le sait, celui des gosses. Quand il perdure chez un Lehn, salué par toutes les gazettes et une bonne part de la société, il est avant tout terrifiant. C’est le syndrome bien connu du docteur Folamour. Mais avant de revenir à Lehn – vous comprendrez aisément pourquoi -, un mot sur la nouvelle du jour.
Deux biologistes américains, Denis A. Malyshev et Floyd Romesberg, ont créé une chimère de plus, mais différente des autres. Car il s’agit d’un organisme vivant dont le patrimoine génétique n’avait jamais existé auparavant (ici). C’est la consécration d’un nouveau terrain d’aventure (ici) appelé « biologie de synthèse ». Pour sommes-nous à ce point inertes, pour ne pas dire complices ? Pourquoi n’avons-nous pas la force élémentaire de nous révolter, quitte à tout casser ? Je vous laisse répondre.
Pour en revenir à Lehn, je vous propose de regarder avec moi ce qui s’est passé le 5 mai 2009. Ce jour-là, il participe au premier rang d’un colloque organisé conjointement par le prestigieux Collège de France, créé en 1530, et l’entreprise Solvay, transnationale belge de la chimie. Thème de la rencontre sponsorisée : « De la chimie de synthèse à la biologie de synthèse ». L’enthousiasme, palpable, est général. L’intervention de Lehn, qui dure une trentaine de minutes, évite tout jargon et se révèle éclairante. Car le prix Nobel est transporté fort loin. La synthèse chimique est comparée à une partition, à un jeu d’échecs aussi raffiné qu’élégant.
Dans sa conclusion, le professeur Lehn cite pour commencer cette phrase de Leonardo da Vinci, grand peintre, grand ingénieur, grand scientifique mort il y a près de 500 ans : «…Dove la natura finisce di produrre le sue spezie, l’uomo quivi comincia con le cose naturali, con l’aiutorio di essa natura, a creare infinite spezie… ». Et Lehn d’enchérir sans gêne sur Leonardo : « L’homme créera de nouvelles espèces, non-vivantes et j’en suis convaincu, vivantes ». Ainsi parlait notre prix Nobel le 5 mai de l’année 2009 : la chimie officielle ne demande qu’à créer sur Terre chimères et dragons, hydres et griffons, Gorgones et harpies, sans oublier Charybde et Scylla. La chimie doit créer – et créera si les Lehn l’emportent – des organismes vivants sortis de l’imagination des spécialistes. Ça vient de commencer.