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Sur Philippe Martin, ministre de l’Écologie (une suite)

Permettez-moi d’en avoir un peu marre. J’ai écrit ici un papier sur le nouveau ministre de l’Écologie Philippe Martin, et l’on me tombe dessus avec des arguments de plus en plus étranges. Voilà, d’après un dernier commentaire, que Martin serait mon « vieil ami », etc. C’est ridicule, et si je prends le soin d’écrire ici, c’est dans l’espoir fou d’éviter ce genre de malentendus. Peine perdue.

Je vous prie donc de relire ce que j’ai écrit et dont je ne retire pas un mot. J’ai eu l’occasion de voir une personne – Philippe Martin -,  œuvrer, et j’en ai tiré la conclusion qu’il était une bonne personne. Et pour le reste, j’ai indiqué qu’il avait le choix entre une mission ministérielle ordinaire, qui le conduirait à l’oubli le plus rapide, et une voie infiniment plus étroite qui ferait de lui « l’un des quelques lumignons au milieu de la grande nuit où nous sommes ». Le tout est bardé de conditionnels, pour la raison simple que « le seul sujet qui intéresse est de savoir ce qu’il fera ». Oui, pardonnez mon pédantisme, mais c’est du futur. Du futur accolé à des conditionnels. Je souhaite donc qu’on me lâche la grappe.

Pour le reste, quoi ? J’aime les animaux, je n’aime pas la chasse, je déteste la corrida. L’agriculture industrielle me semble un désastre d’une nature si complexe, et si complète que je sais ne pas être capable d’en faire le tour. Elle marque sans l’ombre d’un doute l’affaissement d’une civilisation, la nôtre. Quand je pense à l’arrivée des tracteurs et des pesticides, il me vient souvent l’image du formidable historien que fut Fernand Braudel. Dans L’identité de la France, il note ceci : « Le chambardement de la France paysanne est, à mes yeux, le spectacle qui l’emporte sur tous les autres, dans la France d’hier et, plus encore, d’aujourd’hui », ajoutant : « La population a lâché pied, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l’on ne peut plus tenir ».

Tels sont mes sentiments personnels. Ceux qui me lisent le savent bien. Ceux qui me découvrent ne devraient pas avoir grand mal à l’apprendre. Mais je crois que l’on a tort de remplacer la raison par l’émotion. On peut très bien être contre la corrida et le foie gras et être un gros con. Non ? Je sais des fascistes bon teint qui se feraient tuer pour leur toutou, leur âne ou leur perroquet. Je sais également d’authentiques militants de la vie, des écologistes donc, qui n’ont aucune relation personnelle à la nature. Notez que cela me stupéfie, mais cela existe.

Je ne crois évidemment pas que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, tellement chargé de suffisance et de sottise, se transformera sous nos yeux en une unité de combat écologiste. Mais je pense, mais j’espère qu’une personne authentique peut entrouvrir une lucarne. Écrivant cela, j’ignore évidemment si Philippe Martin sera cette personne, comme j’ignore quelle serait la taille de cette très éventuelle lucarne. Je suggère simplement d’attendre un peu, ce que nous ferons de toute façon.

Philippe Martin, nouveau ministre (de l’Écologie)

Juste un mot concernant Philippe Martin, notre nouveau ministre de l’Écologie, en remplacement de Delphine Batho, qui a cru pouvoir faire joujou avec ses vieux amis*.

Si je parle de lui ce soir, c’est que je le connais. Bien assez pour avoir une excellente opinion de l’être humain qu’il est. Eh oui ! tout arrive sur Planète sans visa. Je sais la valeur de l’homme, et je le salue donc ici, sans la moindre hésitation. Seulement, la question n’est pas exactement de savoir si j’apprécie la personne nommée Philippe Martin. Le seul sujet qui intéresse est de savoir ce qu’il fera.

Deux obstacles majeurs sont sur sa route. Un, l’administration centrale du ministère de l’Écologie est entre les mains des grands corps techniques de l’État, et singulièrement ceux des Ponts et Chaussées, qui ont eu la malignité de fusionner avec les Ingénieurs du génie rural et des eaux et forêts (Igref) pour former le corps des Ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (Ipef). Même si certains individus gardent toute leur valeur, le corps, lui, est l’ennemi de l’écologie et de ses équilibres profonds. Et comme il est né en 1716 et qu’il est depuis enkysté dans l’appareil d’État, je crois pouvoir écrire qu’il est d’un autre poids que Philippe Martin.

L’autre obstacle s’appelle le parti socialiste, à commencer par le président en titre, François Hollande. La presque totalité de ces gens sont d’une inculture qui réussit encore à m’impressionner. Hollande lit L’Équipe tous les matins – vrai -, mais il ne sait rien de l’extrême gravité de la crise écologique. La nature n’existe pas. Les animaux non plus. La vie, à peine davantage. Son parti ne vaut pas mieux, qui est fait de baronnies et de vassaux, tous obsédés par le dérisoire pouvoir politique, ses avantages et ses chausse-trapes. Il n’y a rien à attendre de ce côté-ci. Mais rien.

Alors, que peut faire Philippe Martin ? C’est un grand garçon, et il n’a pas besoin de mes conseils. Mon avis en tout cas, qui s’adresse à tous, est qu’il peut entrer à sa façon dans l’histoire en se dissociant. Je ne parle pas de cogner contre chaque porte, ce qui ne sert à rien. Je me moque du montant du budget alloué à l’Écologie, qui n’a pas le moindre sens. Serait-il multiplié par trois que cela ne changerait rien aux tendances lourdes de ce pays, voué comme les autres à la destruction des écosystèmes. En revanche, sans s’enliser dans des combats sans intérêt, un homme conscient peut jouer un grand rôle d’éveilleur public.

Oui, je crois que Martin, qui n’a pas grand-chose à perdre – à mes yeux, en tout cas -, pourrait être un formidable messager. Il pourrait être le premier politicien français à prendre au sérieux la crise écologique. Il pourrait parler, faire circuler les paroles vraies, et assumer d’être différent de ses collègues du gouvernement. Il est social-démocrate – qui l’ignore ? – et nul ne songe à lui demander de devenir un autre. Il est social-démocrate, mais cela ne lui interdit pas d’aider, depuis son poste, à la formulation publique de quelques grandes urgences de notre temps. Le climat. La biodiversité. L’eau. Ce ne sont que trois exemples, mais ils disent assez l’ampleur de la tâche.

Philippe Martin peut n’être qu’un énième ministre, qui sera oublié dès qu’il aura tourné le dos. Ou bien l’un des quelques lumignons au milieu de la grande nuit où nous sommes.

* Par pitié, ici au moins ! Delphine Batho a démontré 100 fois qu’elle ne savait rien de l’écologie, et qu’elle s’en battait l’œil et le flanc gauche. Le fait qu’elle se fasse lourder ne signifie qu’une chose : elle n’a pas évalué le risque politicien qu’elle prenait. Et elle en paie le prix. Politicien. Qu’a-t-elle fait depuis un an ? Strictement rien. Probablement pensait-elle pouvoir jouer une carte personnelle dans ce gouvernement impuissant autant que baroque. On l’aura mal informée.

Le crime, le climat, la Chine et Fred Singer (avec AJOUT)

Un grand lecteur de Planète sans visa, devenu un ami bien réel, m’envoie une information presque incroyable : l’Académie chinoise des sciences vient de donner sa reconnaissance officielle à Fred Singer, grand maître planétaire de la désinformation. Mais avant que de commenter, regardez avec moi cette publication en chinois d’un rapport américain publié en 2009, Climate Change Reconsidered.

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Difficile d’exagérer l’importance de l’Académie des sciences sise à Pékin (ici). Elle emploie 50 000 personnes et le groupe qui édite la revue Nature (ici) la classe au 12ème rang des 100 institutions scientifiques, en se basant sur les articles publiés dans la presse mondiale spécialisée. Harvard est la première, Yale est 18ème, Oxford 14ème. De même qu’au plan économique, la Chine devient – est déjà – un géant de la science. Et le sera toujours plus. Faut-il préciser que publier un document de 1200 pages venant des États-Unis a forcément une signification politique ? Les États totalitaires, même lorsqu’ils semblent ne plus l’être, ont toujours accordé une grande importance aux signes. Car ce sont des signaux.

Au service de la désinformation

Qui est Fred Singer, le grand inspirateur, nullement caché d’ailleurs, du gros rapport  Climate Change Reconsidered ? Né en 1924, il va avoir 89 ans. Physicien reconnu, il a travaillé à de hauts niveaux de responsabilité dans l’industrie spatiale américaine, avant de bifurquer et de mettre son nom et son énergie au service des industries les plus criminelles qui soient. Par exemple celle du tabac : Singer n’hésitera pas à mettre en cause les liens pourtant évidents entre tabagisme passif et cancer. À la tête du Science and Environmental Policy Project (ici), une petite structure créée en 1990, il va systématiquement aider l’industrie transnationale à faire face aux scandales à répétition, que cela concerne les CFC, l’amiante, les pesticides, le dérèglement climatique.

Tel un Claude Allègre à la puissance 10 ou 100, Singer s’impose, depuis une quinzaine d’années, comme le grand négateur du changement climatique d’origine humaine. il n’a de cesse de discréditer le Giec (en anglais IPCC), ce Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, au point d’avoir lancé un Nongovernmental International Panel on Climate Change (NIPCC), pour s’en moquer bien sûr. Je ne peux que vous renvoyer, sur le sujet, à deux livres dont j’ai déjà parlé ici, Les marchands de doute (Naomi Oreskes et Erik Conway, Le Pommier) et tout récemment La fabrique du mensonge (Stéphane Foucart, Denoël).

Pourquoi diable un homme aussi proche de la mort que Fred Singer use-t-il ses derniers jours de la sorte ? Poser la question, c’est visiter une fois encore le pays du mal, dont la diversité des habitants paraît à peu près sans limite. Comment la tête d’un Singer est-elle organisée ? Comment un homme peut-il défendre de tels intérêts et pour quelle obscure raison ? Voyez, je ne crois pas que l’argent qu’il retire de ses opérations, bien réel, soit l’explication principale. Quoi qu’il en soit, et parce que je tiens la lutte contre le dérèglement climatique pour la mère de toutes les batailles humaines, Fred Singer est à mes yeux un grand criminel.

L’Académie à la botte des bureaucrates

Seulement, quand une institution aussi prestigieuse que l’Académie chinoise des sciences apporte son crédit à une telle entreprise, on retombe sur terre, où la politique reprend ses droits. Il va de soi qu’une décision aussi lourde de sens n’a pu être prise que par la tête même du parti communiste chinois. Au reste, sans en faire mystère, l’Académie dépend étroitement du Conseil des affaires de l’État, lui-même aux ordres du Premier ministre. Il faut donc apprécier cette publication pour ce qu’elle est : un crachat envoyé pleine face à ceux qui tentent de faire face à la crise écologique.

On sait qu’il existe des tensions entre bureaucrates chinois. Dès 1994, quand l’agronome Lester Brown avait publié son formidable essai nommé Who Will Feed China ? (Qui nourrira la Chine ?), il était clair qu’une partie de l’appareil d’État avait pris conscience de l’impasse du modèle économique choisi. En mars 2005, le ministre de l’Environnement de l’époque, Pan Yue, avait donné au journal allemand Der Spiegel un entretien si extraordinaire qu’il n’a, à ma connaissance, pas été repris dans la presse française (ici). Vous pensez bien que lorsque Le Nouvel Observateur, Le Point ou L’Express font des dossiers de 80 pages sur la Chine, il faut surtout ne pas effaroucher l’annonceur publicitaire. Lequel veut vendre des montres de luxe, des bagnoles haut de gamme et des parfums, et ne surtout jamais entendre parler d’un Pan Yue.

Car que disait donc ce dernier ? Eh bien, que le « miracle économique » serait bientôt terminé. Citation : « Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Où placer les guirlandes ?

Oui, les conflits à l’intérieur de la bureaucratie chinoise existent. Mais l’affaire Singer, ainsi que je propose de l’appeler, montre que ce sont toujours les mêmes qui gagnent. Et s’ils gagnent, c’est parce que ce pays fou est contraint d’avancer vers le grand krach écologique. Arrêter le porte-containers sans but ni gouvernail reviendrait à disloquer le pays, entraînant des troubles aux dimensions inimaginables. Le principe d’une machine infernale, c’est que personne n’est en mesure de la désactiver. Encore faut-il placer autour de l’engin quelques menues guirlandes et boules de Noël multicolores. Encore faut-il organiser méthodiquement le déni de la catastrophe en marche.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la publication des 1200 pages de l’officine Singer. S’il n’y a pas de réchauffement climatique, alors il n’y a aucune raison pour que la Chine réduise ses formidables émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a aucune raison pour que la Chine arrête de siphonner, dans un délire de croissance, les forêts d’Asie et d’Afrique et des Amériques. Aucune raison pour arrêter le pillage du pétrole et du gaz, et des terres, dans un saisissant remakemutatis mutandis -, de l’aventure coloniale de l’Occident.

182 espèces d’oiseaux, 47 de reptiles

Au moment où je vous écris, je pense au Mozambique, l’un des plus beaux, l’un des plus pauvres pays de la planète. Une équipe de scientifiques vient de passer trois semaines dans le parc national Gorongosa, sûrement l’une des zones les moins massacrées de notre monde. Ils y ont recensé 182 espèces d’oiseaux, 54 de mammifères, 47 de reptiles, 33 de grenouilles, 100 de fourmis, etc. Et parmi elles, un certain nombre d’espèces inconnues, je ne sais combien au juste (ici). Dans le même temps, comme le rapporte Courrier International (ici) les forêts de Mozambique sont pillées dans l’impunité la plus totale, et dans des proportions qu’on ne peut qualifier que de bibliques. Au premier chef par les Chinois, qui savent comment convaincre les politiciens locaux. Pardi.

Destruction, tel est le maître-mot de notre univers. Mais dans le même temps, et pour la raison que la vérité est insupportable, il faut nier, dénier, camoufler, désinformer, manipuler. De ce point de vue, aucun autre pays n’a davantage besoin du mensonge que la Chine. Mais que notre honneur national ne souffre pas trop : nous ne sommes pas loin derrière. Oh non.

AJOUT IMPORTANT LE 16 JUIN 2013 :

Grâce à un lecteur de Planète sans visa – Michel G., un grand merci -, il me faut apporter ici une précision essentielle. L’affaire du rapport chinois est plus complexe que ce que j’avais pensé. Car l’Académie chinoise des sciences (ici, en anglais) conteste avoir jamais donné son imprimatur au texte. À ce stade, il s’agirait donc d’un montage d’une grossièreté inouïe de Fred Singer et de ses nombreux amis. Notons qu’il y a aussi – et au moins – une autre hypothèse : que des factions se fassent la guerre à l’intérieur de l’Académie. Qu’un clan l’ait d’abord emporté, aussitôt victime d’une contre-attaque. Dans tous les cas, cela ne fait donc que commencer. La suite au prochain épisode.

De gros glaçons pour le Qatar

Paru dans Charlie Hebdo le 5 juin 2013

Pour Jean-Gabriel, évidemment, qui m’a mis sur la piste

En prévision de la Coupe du monde de foot de 2022, le désertique Qatar cherche de l’eau. Et il attend les premiers containers remplis de l’eau des glaciers de Patagonie chilienne. La mondialisation, c’est simple comme un verre d’eau.

Le Chili va vendre de la flotte au Qatar, qui prépare la coupe de monde de foot de 2022. Là-bas, c’est le désert, n’est-ce pas, et l’on va donc importer. Pas des bouteilles d’eau, mais des blocs de glace préalablement fondus, puis embarqués. Par la mer – forcément -, compter entre Punta Arenas (Chili) et Doha (Qatar) 14 371 kilomètres.

Pour bien saisir ce qu’est devenu le Chili, rendons hommage à son président actuel, Sebastián Piñera. Ce type a tout du Berlusconi : il a 2,5 milliards de dollars en fouille, il tient ou a tenu la chaîne de télé Chilevisión, la compagnie d’aviation LAN Airlines, le club de foot de Santiago Colo-Colo. Parti de rien, Piñera a prospéré sous le règne de Pinochet, quand les Chicago Boys – des économistes ultralibéraux – menaient le pays.

Les glaçons. En Patagonie chilienne, à l’extrême sud, on trouve un pays de glace de presque 17 000 km2, Campo de Hielo Sur. C’est bien joli, mais à quoi ça sert ? Le 11 mai, le quotidien du Qatar Gulf Times (1) annonce avoir recueilli les confidences de l’ambassadeur chilien Jean-Paul Tarud, de passage à Doha. Pour lui, les glaciers qui perdent leur eau douce en mer, par la fonte, c’est con. Il faut que le privé fasse quelque chose, car « les champs de glace du sud du Chili sont une vaste réserve d’une des eaux les plus pures au monde ». Et le journal de préciser qu’un premier envoi est prévu prochainement.

Les réseaux Twitter et Facebook chauffent d’un bout à l’autre de ce foutu pays, long de plus de 4 000 kilomètres. Devant l’ampleur de la protestation, Tarud dément ses propos et jure que le journal a brodé. Mais l’on apprend bientôt qu’une boîte privée, Waters of Patagonia, dispose de droits sur une partie du glacier géant, et qu’elle compte en profiter. Au reste, depuis que cette canaille de Pinochet a privatisé l’eau en 1981, rien n’empêche un « propriétaire » de l’eau de faire ce qu’il veut avec son « bien ». Avis sans frais de l’avocat chilien Winston Alburquenque, spécialiste des ressources naturelles : « Si vous le voulez, vous pouvez la prendre, la mettre dans des containers, et ensuite l’exporter ».

Le Chili va vendre ses glaciers, et dans le même temps, se contrefout des sécheresses bibliques qui ravagent le Centre et le Nord. En 2007, en 2008, en 2010, en 2011, en 2012, en 2013 – malgré de récents orages -, l’absence d’eau a ruiné sur place quantité de paysans et tué les animaux sauvages et domestiques par centaines de milliers. Dans la seule vallée de Huasco, environ 30 % du bétail serait mort au cours de l’année 2012.

Gloire donc au flegme de Rodrigo Ubilla, sous-secrétaire d’État à l’Intérieur, et « délégué présidentiel à la sécheresse » du grand Sebastián Piñera. En visite dans la zone la plus dévastée – autour de Coquimbo -, ce plaisant monsieur aux pouilleux de paysans qu’ils feraient bien « de se reconvertir dans cette activité très dynamique qu’est la mine ». Le propos n’a pas fait plaisir à tout le monde, mais dit la vérité sur Piñera et sa bande.

Chuquicamata, au nord, est la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert au monde, et reste la propriété de l’État depuis qu’un certain Salvador Allende, renversé par Pinochet en 1973, l’a nationalisée. Une manne pour les politiciens : le cuivre représentait 56,7 % des exportations chiliennes en 2010.

Dans ces conditions, on ne chipote pas. Grosses consommatrices d’eau, les mines passeront toujours avant les pedzouilles. Or, il faut 60 mètres cubes d’eau pour extraire une tonne de cuivre. Et beaucoup, beaucoup d’électricité. En Patagonie, là même où l’on vole la glace, un projet de cinq grands barrages hydroélectriques – Aysén – risque de détruire à jamais le paysage. L’électricité produite – 35 % de la consommation de tout le Chili en 2008 – devrait servir à alimenter les mines du Nord, par des lignes à haute tension. On n’arrête pas le futur (2).

(1) http://www.gulf-times.com/qatar/178/details/352150/qatar-could-import-fresh-water-from-chile
(2) On n’arrête pas le futur est le principal slogan de la Fédération française des travaux publics.

Batho, Touraine et Fioraso se foutent de nous (et du Mali)

Paru dans Charlie Hebdo le 29 mai 2013

Les perturbateurs endocriniens sont en train de balayer la santé publique, partout dans le monde. Mais en loucedé, les ministres français sabotent les chances d’un plan d’action efficace.

Le monde va changer de base. Grâce aux perturbateurs endocriniens. C’est splendide, c’est nouveau. Commençons le voyage par le Mali, pays amicalement dévasté par les islamistes, puis gentiment envahi par nos valeureux bataillons. Le journal en ligne maliba.com du 7 mai raconte que les gamines du pays sont pubères de plus en plus tôt. Interrogé, l’obstétricien Djedi Kaba Diakité raconte : « On connaît mal l’origine du phénomène, mais les résultats d’études convergent de plus en plus  vers (…) la pollution, l’usage de produits chimiques spécifiques comme le phtalate ou les phénols qu’on retrouve dans certains articles plastiques et dans l’alimentation. On les appelle les perturbateurs endocriniens ».

Les enseignants locaux constatent cette révolution, et estiment que 3 ou quatre fillettes de 12 ans sur dix sont concernées. Le journal malien note que ces mouflettes « sont désormais très sollicitées dans les discothèques, les rues et, hélas, dans les maisons closes de la capitale ». D’où la tronche de l’imam Mahamoud Dicko, président du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) : « C’est le moyen le plus sûr d’encourager la perversion et le phénomène des filles-mères. Nous ne saurions le cautionner ». D’autant que l’âge légal du mariage, aux termes du code de la famille malien, est au minimum de 16 ans. Et le monde entier est frappé par cette peste dont se foutent nos gazettes, gavées de pubs à la gloire de l’industrie chimique.

Résumons à très gros traits : le terme de « perturbateur endocrinien » a été forgé en 1991, au cours d’une conférence scientifique réunie à Wingspread (États-Unis) par la scientifique Theo Colborn. Cette dernière est affreusement chiante, car non seulement sa réputation professionnelle est inattaquable, mais elle ne cesse en plus de remuer la merde (1). Que sait-on en 2013 ? Largement de quoi  prendre au colback l’industrie chimique, qui a dispersé dans des milliers de produits, souvent d’usage courant – cosmétiques, jouets, meubles, peintures, biberons -, des molécules qui imitent les hormones naturelles et s’attaquent au passage aux équilibres les plus essentiels des organismes vivants.

Beaucoup de fonctions sont touchées, mais les plus spectaculaires atteintes visent la différenciation sexuelle et la reproduction. Un rapport conjoint de l’OMS et du Programme des nations unies pour l’environnement, publié en février 2013 (2), dresse une liste non exhaustive des effets possibles sur l’homme des perturbateurs endocriniens : cancer du sein, cancer de la prostate, cancer de la thyroïde, hyperactivité de l’enfant, Alzheimer, Parkinson, obésité, maladies auto-immunes, et bien sûr la puberté précoce.

On en restera là faute de place. Et c’est ainsi que le gouvernement est grand. Le nôtre. Car faudrait pas croire : en face d’un tel danger, Batho – Écologie -, Touraine – Santé -, Fioraso – Recherche – ont décidé de lancer une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). Après plusieurs réunions tenues depuis février, un plan d’action devrait même être présenté en juin devant le Conseil des ministres. Seulement, ça déconne, et grave.

Parmi la quarantaine d’invités à ces rendez-vous officiels, deux ne jouent pas le jeu. D’abord Michèle Rivasi, députée européenne d’Europe Écologie. Ensuite André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (RES). Ils ont même failli quitter la salle où se tenait le dernier raout préparatoire, le 17 mai (3), jugeant qu’on se foutait ouvertement de leur gueule. Car si une poignée d’écolos sont représentés aux réunions, la vraie puissance appartient aux services d’État et aux industriels, le plus souvent d’accord sur l’essentiel. Commentaire de Rivasi : « Quand j’ai découvert le document de travail, qu’on nous a communiqué seulement trois jours avant, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune référence à l’épidémie en cours, sur l’effet de seuil et les faibles doses, sur les fenêtres d’exposition, les effets transgénérationnels, etc ».

Du foutage de gueule, aucun doute.

(1) Un livre extraordinaire qui a fait flop au moment de sa sortie en 1998 : L’homme en voie de disparition ?, aux éditions Terre Vivante.

(2) State of the Science of  Endocrine Disrupting Chemicals

(3) Entretien accordé au Journal de l’Environnement du 21 mai (www.journaldelenvironnement.net)