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Europacity, la reine des bouses (une si belle idée Auchan)

Cet article a été publié dans Charlie-Hebdo du 10 octobre 2012

À Gonesse, riante cité coincée entre les aéroports de Roissy et du Bourget, Auchan veut créer un lieu enchanté, avec 500 boutiques, une piste de ski, un parc nautique, un golf, une gare. Avec deux fois plus de visites qu’à Eurodisney.

Tâchons de rester calme, et commençons par une idée de balade pour les heureux habitants de la région parisienne. Jusqu’au 27 octobre, rendez-vous à l’exposition « EuropaCity 2012 Alliage(s) et Territoire(s) ». On y verra jusqu’où peut aller le génie urbain, surtout quand il a pour alliés Auchan et ses hypermarchés. Soit Gonesse, une ville de la banlieue nord-est de Paris – près de 30 000 habitants -, enterrée par le monde officiel, coincée entre l’aéroport du Bourget et celui de Roissy. Regardons de plus près deux cités de la ville, Les Marronniers – réfugiés d’Irak et de Turquie – et la Fauconnière, peuplée de Noirs et d’Arabes. Un pont les sépare, que tout le monde appelle la passerelle des embrouilles. Baston compris et pire si affinités.

Le maire, installé depuis 1995, est socialo. Jean-Pierre Blazy est redevenu député en 2012, après une éclipse de cinq ans qui lui a visiblement rongé les sangs. Incapable, il n’est certes pas le seul, de régler si peu que ce soit les problèmes de sa banlieue, il s’est laissé embobiner d’une manière stupéfiante par des commerciaux endimanchés d’Immochan, filiale immobilière d’Auchan. Ce groupe pèse plus de 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires et ne sait plus quoi faire de la thune que les pauvres viennent claquer chez lui.

D’où l’idée des cerveaux de la boîte, imaginée en 2008, et fourguée dans la foulée à un Blazy tout ébahi – hypothèse charitable – par sa beauté et sa profondeur. Premier mouvement : récupérer au bas mot, dans le triangle qu’on appelle la Patte d’oie, 700 hectares d’une terre encore cultivée, et dont la qualité du sol est d’exception. Place ensuite à la table à dessin. En deux coups de cuiller à pot, Blazy et Auchan se mettent d’accord sur le projet Europacity. En résumé, la chose deviendrait un paradis commercial de 500 boutiques – 170 au Forum des Halles -, comprenant une dizaine d’hôtels, un vaste golf, un parc aquatique, un musée de l’Europe, un cirque permanent, une piste de ski artificielle, sans compter la station d’un métro automatique droit venu de Paris, ainsi qu’une gare au milieu des champs actuels. Le tout bâti sur un promontoire d’où l’on pourra admirer, si l’on a envie de se pendre, le Sacré-Cœur et la Défense.

Entre 25 et 40 millions de visites sont attendus chaque année, contre 15 actuellement chez Eurodisney, ce pauvre garçon. Dans un premier temps, l’œuvre coûterait 1,7 milliard d’euros. Où en est-on ? Une bataille au couteau oppose en ce moment même quatre cabinets d’architectes, qui doivent être départagés avant la fin de l’année. Quatre formes sublimes sont en compétition : un carré, un ovale, un triangle et un serpentin. La langue de belle-mère a été inexplicablement oubliée.

C’est un projet de gauche, ne pas oublier. Soutenu par tout le PS régional, et par Patrick Braouezec, ancien ponte du PC passé chez Mélenchon, qui a remis un Label Grand Paris à Blazy et à Europacity. C’est bien mérité, car comme le dit Auchan dans son incomparable propagande (ici), « EuropaCity tisse les usages – culture, loisirs, hôtels, séminaires, évènements, shopping – pour une expérience unique, un parcours immersif, ludique et pédagogique. Articulé autour du thème « de l’art de vivre à l’européenne », de ses cultures, de ses valeurs, de son ouverture au monde, EuropaCity constitue un lieu exceptionnel, un trait d’union humain, totalement innovant, généreux et durable ».

Aussi incroyable que cela semble, les opposants existent. Rassemblés dans un vaste collectif (ici), ces ennemis du progrès pointent quelques menus problèmes qu’on ne peut tous évoquer. Concurrent direct de centres commerciaux voisins – O’Parinor (Aulnay), My Place (Sarcelles) ou Aéroville (en construction) -, Europacity ne pourra s’imposer que contre eux. Les infrastructures géantes de transport prévues pousseront toujours plus à l’urbanisation de cette zone agricole. La terre, parlons-en une seconde : l’Île-de-France ne produit que 1,6 % de ce qu’elle mange. Demain, 0% ?

En ces temps de bulle de l’immobilier commercial, de crise et de chômage de masse, le risque de fiasco est plutôt évident. Et un éventuel succès signifierait « toujours plus de démesure, plus de luxe, toujours plus de clients » dans un « prétendu “lieu de vie” (avec des activités de loisirs et de culture bas de gamme) ». C’est la merde.

C’est la guerre (à Notre-Dame-des-Landes)

Vous êtes sans nul doute au courant. Ce matin, des centaines de flics et de militaires, appuyés par des hélicoptères, ont délogé par la force un grand nombre d’habitants de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, où ce pauvre imbécile de Jean-Marc Ayrault, ancien maire de la ville, aujourd’hui Premier ministre, entend bâtir un second aéroport (voir ici, ici et ). En agissant de la sorte, le triste gouvernement de la France vient de franchir un pas qui, pour moi, révèle l’ampleur du gouffre entre eux et nous. Cette expression, « eux et nous », a beaucoup servi dans le passé des idées, et pas toujours, loin s’en faut, d’heureuse manière. Il n’empêche qu’elle m’est venue spontanément. Car entre ceux qui défendent un avenir possible pour les hommes et tous les êtres vivants d’une part, dont je suis, et les autres, il existe un univers. Quand je dis les autres, inutile d’insister je pense, cela fait beaucoup de monde. Mais c’est ainsi que je vois les choses, qu’y puis-je ?

Foin d’illusions : le gouvernement socialiste est un adversaire. Et même un ennemi. L’incroyable opération militaire lancée contre les habitants de Notre-Dame-des-Landes n’a rien à voir, évidemment, avec les tueries d’Alep, les massacres de la République démocratique du Congo, ni même les ignobles opérations menées au Brésil, en Argentine, au Paraguay pour chasser les petits paysans de leurs terres et y imposer le soja transgénique. Non, rien à voir.

Pour autant, il s’agit à mes yeux d’un acte de guerre, dans un sens précis : il marque une frontière, infranchissable. Il désigne deux camps irréconciliables, qui défendent assurément deux manières de voir la vie ensemble, et l’avenir qui nous attend. Pour leur part, les socialistes sont maîtres de tout le jeu politique alors que leur candidat à l’élection présidentielle n’a recueilli, au premier tour, que 25 % des électeurs inscrits. Au pouvoir, ils se montrent incapables de seulement imaginer régler les problèmes du modèle qu’ils défendent pourtant. Cette économie, cette banlieue, ce racisme fou, cette lancinante question des retraites, ce prix de l’énergie, ce nucléaire, cet effondrement de l’industrie automobile, ce chômage de masse interminable, mais c’est leur legs ! Le leur et celui de leurs jumeaux de l’UMP, car tous deux se partagent le pouvoir depuis des décennies sans que rien n’ait bougé, sans que rien n’ait jamais été résolu.

Ces derniers jours, burlesques au possible, ont vu le gouvernement chanceler sous des coups de butoir en papier mâché. Ridicules « pigeons » défendant les patrons de start-up, ridicule Peillon réclamant un débat sur le shit, ridicule Tartempion s’embourbant au sujet de la taxe télé dans les résidences secondaires, etc. C’est bien parce que Jean-Marc Ayrault est incapable, et risible à force, qu’il a cru malin de monter l’odieuse opération aéroportée contre ceux de Notre-Dame-des-Landes. Quand tout s’effondre, quand tout démontre que la politique ancienne ne peut rien et ne sait pas davantage, reste l’apanage essentiel de l’État : la coercition. Autrement dit ce monopole de l’usage prétendument légitime de la force.

On peut aussi le dire autrement. Ayrault, nécessairement soutenu en la circonstance par Hollande, a voulu montrer qu’il bandait encore. C’est vulgaire ? Que oui, ce l’est. Mais personne ne saurait l’être davantage que Jean-Marc Ayrault, qui masque de la sorte sa si cruelle impuissance politique. Je l’accuse, en plus de tout le reste, de violer allègrement la loi du pays qu’il représente si mal. Car en effet, la France est dotée depuis juillet 2005 d’une loi sur l’énergie dont j’extrais, de l’article 2, cette phrase : « En outre, cette lutte [contre le dérèglement climatique] devant être conduite par l’ensemble des Etats, la France soutient la définition d’un objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2050, ce qui nécessite, compte tenu des différences de consommation entre pays, une division par quatre ou cinq de ces émissions pour les pays développés ».

De ce point de vue, Notre-Dame-des-Landes n’est pas seulement une lamentable ânerie, qui nous ramène de manière fantasmatique au temps où le climat semblait éternel. Franchement, est-il compatible de miser, avec de l’argent public, sur le développement du trafic aérien, et de prétendre diviser par cinq nos émissions de gaz ? Franchement. Mais ce foutu aéroport est aussi et surtout un symbole. Le symbole éclatant que culturellement parlant, au sens le plus profond, les socialistes ne lâcheront rien. Parce qu’ils en sont incapables. Parce qu’ils ne savent pas même ce que l’expression « crise écologique » contient d’inévitables contraintes au regard desquelles les leurs – par exemple le déficit public – perdent toute signification.

Bien entendu, mais faut-il, ici du moins, insister, les écologistes officiels EELV ne valent guère mieux. Ils ont abdiqué à propos de l’aéroport au moment où leurs petits chefs signaient un déshonorant accord électoral avec le parti socialiste. Et si j’écris déshonorant, ce n’est pas, non pas, pour me faire plaisir. C’est parce que lorsqu’on prétend que le feu est au lac, on ne se tourne pas vers le bac à sable pour y faire des pâtés. Alors que la crise infernale du climat est à nos portes, se vendre pour un ministère et demi est une insulte faite aux hommes.

Et pour le reste, bien sûr, MOBILISATION ! Non-violente, cela va de soi pour moi, mais MOBILISATION tout de même. Nous n’avons, nous les écologistes sincères, pas le droit de reculer. La bataille de Notre-Dame-des-Landes, qui ne fait que commencer, doit être gagnée. Perdre ici serait lâcher partout ailleurs. Ce combat est à mes yeux une cause sacrée. ¡ Sin jamás retroceder, adelante!

PS : j’attends les commentaires de tous les foutriquets écologistes enrubannés et décorés présents à la Conférence environnementale du mois dernier. Le mois dernier. Elle est bien belle, la transition écologique de cet excellent monsieur Hollande.

MM.Chávez, Ceresole, Mélenchon, Paranagua (et Mme Morel-Darleux)

Donc, l’élection présidentielle du Venezuela. Si je parle ici, sur Planète sans visa, de cet événement lointain, c’est que, du point de vue de l’écologie, qui est le mien, il y a beaucoup à dire. Nombre d’altermondialistes d’Occident – parfois se disant écologistes – voient dans la personne de Chávez, réélu il y a quelques jours avec 54 % des voix, un exemple. Et chez nous, M.Mélenchon en rajoute chaque jour ou presque. Je dois avouer une raison plus personnelle. J’ai assez bien connu, jadis, ces terres des Amériques situées au sud du Río Grande. J’ai vu de près ce que le castrisme et ses avatars donnaient sur place. J’ai cotoyé des guerilleros devenus présidents. J’ai compris sans grande difficulté comment le stalinisme né en Union soviétique avait pu empoisonner les avants-gardes armées nées dans les années 60 et 70 du siècle passé. Et avec quels désastreux effets. Si j’écris cela, ce n’est évidemment pas pour en faire un argument d’autorité. Cela ne me désigne aucunement comme plus lucide. Mais ces souvenirs si vifs expliquent en partie pourquoi je parle à nouveau de ce Chávez.

Où l’on voit madame Morel-Darleux visiter le village Potemkine

Bon. Commençons. Par la politique, mais je parlerai aussi d’écologie à la fin. Je déteste les militaires qui font de la politique tout en restant des militaires. Il est vrai que je n’aime guère les militaires, mais certains deviennent des démocrates. Pas Chávez. Il me semble simplement hallucinant que des responsables du Parti de Gauche mélenchonien, se réclamant de l’écologie pourtant, ne voient pas l’évidence. En la circonstance, je vise explicitement madame Corinne Morel-Darleux, en charge de l’écologie chez M.Mélenchon. Elle s’est rendue au Venezuela début octobre, et en rend compte sur son blog (ici). Cela lui sera difficile à lire, je pense, mais son récit relève du tragicomique accompli. Elle n’a évidemment rien vu – qui lui aurait montré les envers du vaste village Potemkine ? -, mais enfin, il fallait qu’elle l’écrive. Vous jugerez, si vous en avez le temps. De la même manière que tant de dupes, d’imbéciles et de salauds – pour ma part, je crois madame Morel-Darleux une dupe – allaient à Moscou entre 1930 et 1953 vanter les exceptionnelles réussites de Staline, elle raconte le vide complet, tout en se gaussant, il faut le faire en cette occurrence, du traitement infligé au pays par la presse française.

Dans un papier du Monde, justement, interrogée par une journaliste lui demandant quoi penser d’un rapport critique sur le pouvoir de Chávez signé Human Rights Watch (ici), elle répond ne pas en avoir eu connaissance. Ce n’est pas grave, notez bien, mais en revanche son commentaire l’est : « Ce que je sais, c’est ce que j’ai vu. Il y a des domaines où l’expertise concrète est aussi intéressante ». Comme Fabrice del Dongo à Waterloo, elle n’a évidemment rien entendu qui permette de comprendre quoi que ce soit. Mais elle croit le contraire, et l’affirme avec une audace qui me fait penser qu’elle ne sait rien d’Ante Ciliga, du grand Panaït Istrati et de sa métaphore des œufs cassés, de mon si cher Victor Serge, de l’André Gide de Retour de l’U.R.S.S., de David Rousset, premier utilisateur en France du mot Goulag. Je n’insiste pas davantage, car la barque me paraît pleine.

Où l’on découvre que le grand Chávez est l’ami indéfectible d’un nazi argentin bien connu

La politique, toujours, à moins que cela ne soit la morale. Une chose est difficilement contestable : Chávez défend et pratique une conception autoritaire et verticaliste de la politique. Tout remonte à lui, et tout redescend de lui. Bien sûr, c’est du caudillisme, une forme politique bien connue dans l’Amérique dite latine. Mais Chávez y a ajouté sa patte personnelle, car cet homme a été en partie formé à la politique par un fasciste argentin, négationniste de la Shoah, ami des militaires putschistes et assassins de 1976 : Norberto Ceresole (ici). Ceresole avait défini un programme qui ressemble étrangement à celui du Venezuela chaviste, qui repose sur le triptyque : Caudillo, ejército, pueblo (ici, en espagnol), c’est-à-dire le Chef, l’armée, le peuple. Je ne donne pas les détails ici, sauf sur un point essentiel, fourni par Chávez lui-même. M.Mélenchon, dont je parlerai plus loin, et tous les aficionados de chez nous du chavisme refusent évidemment de s’expliquer sur un sujet pareil, qui les entraînerait en plein marécage. Mais Chávez a quant à lui mangé le morceau, en direct, à la télé. Sachez que le caudillo impose à toutes les chaînes hertziennes, le dimanche à 11 heures, de diffuser Aló Presidente, une émission où il parle sans être jamais interrompu, jusqu’à huit heures d’affilée.

Or le 21 mai 2006, au milieu du show Aló Presidente, Chávez déclare bel et bien à propos de Ceresole, mort trois ans avant : « Yo nunca olvido a aquel argentino a quien satanizaron, fue un gran amigo, ¿saben?, un intelectual de respeto ». Ce qui veut dire : « Je n’ai jamais oublié cet Argentin diabolisé, qui fut un grand ami, vous savez ? Un intellectuel respectable. ». Le texte de l’émission avait été effacé des archives de la présidence vénézuélienne la dernière fois que je l’ai cherché (j’ai une copie, que vous trouverez ici), il y a plusieurs mois, mais on me dit qu’elle est de nouveau disponible. Je n’ai pas l’envie de vérifier. Comme chez le défunt maréchal Staline, comme dans le 1984 de ce si cher George, ce qui ne plaît plus n’a jamais existé. Chávez avait pourtant pour grand ami, sans conteste, un nazi. Ses amis français pourraient se demander pourquoi, et rapprocher ce fait de l’amitié débordante du même pour quelques unes des plus belles crapules d’aujourd’hui, comme le Biélorusse Loukachenko – embastilleur du célèbre professeur Bandajevsky – ou l’Iranien Mahmoud Ahmadinejad, lequel a salué la réélection de Hugo Chávez comme étant celle d’un « frère ». Loukachenko aime bien Hitler, comme il l’a déclaré en 1995 au quotidien allemand Handelsblatt. Et Ahmadinejad déteste jusqu’à la haine les Juifs.

Où l’on lit une tribune de MM.Mélenchon et Ramonet, où l’on fait connaissance avec la diffamation la plus haineuse

La politique encore. M.Mélenchon a cosigné avec Ignacio Ramonet, dans Le Monde du 4 octobre une tribune intitulée Hugo Chavez, un homme diffamé. Vous la trouverez en intégralité à la fin de cet interminable article d’aujourd’hui. Je la trouve pour ma part digne de L’Humanité des temps anciens, et sous ma plume, certes, ce n’est pas un compliment. Les procédés utilisés, pour moi qui connais cette chanson, ne sont pas décents. Mais qui a  prétendu que ces deux-là connaissent le sens de cet adjectif ? Restons mesuré : le texte ne contient que des généralités, idéologisées jusqu’à la racine. Et relance, pour la milliardième fois, l’antienne de deux camps séparés par une barricade, les bons et les méchants. Leur « socialisme » contre l’Empire du Mal américain, version exactement symétrique de la vision du monde promue par Reagan en 1980. Je ne souhaite pas insister sur ce qui est pour moi une évidence : cette non-pensée, qui a tant servi, à gauche, les intérêts des stalinismes, est l’adversaire définitif de l’écologie telle que je la conçois. Et n’a rien à voir avec la défense réelle des peuples, consubstantielle à cette même écologie-là. Contrairement à eux, nous les écologistes sincères, défendons les peuples, tous les peuples, contre tous leurs oppresseurs. Et non seulement les hommes, mais les autres peuples du monde vivant.

La politique enfin. M.Mélenchon se fâche avec plaisir, on le sait. Je veux dire un mot de son ignoble attaque contre le journaliste du Monde Paulo A. Paranagua. Je précise que je connais pas ce dernier, que je ne l’ai jamais rencontré, que je ne sais rien de lui. Bref. Quand M.Mélenchon rentre en août d’une tournée qui l’a mené au Venezuela et à Cuba, il trouve la belle énergie d’écrire sur son blog (ici) : « Quelques giclées de fiel médiatique m’en sont revenues qui m’ont bien amusé par leur bestiale et routinière méchanceté. Laissons cela. Je m’en amuserai publiquement le moment venu. On ne peut prendre au sérieux la prose qui a donné le « la » sur ce thème, celle de l’ancien tueur repenti, l’homme qui erre dans les cocktails d’ambassades pour gémir « la révolution cubaine m’a volé ma jeunesse ». C’est cet olibrius, méprisé par toute la gauche latino, qui est aujourd’hui le grand chef de l’Amérique latine au journal « Le Monde » : Paolo Paranagua ».

Rions avant de pleurer : il ne s’agit pas de Paolo – un prénom italien certes utilisé en Argentine -, mais de Paulo. Pour le reste, c’est crapuleux. Mélenchon balance, accusant un homme d’être un tueur repenti. Un tueur, imaginez-vous bien ? La diffamation, je le rappelle pour ceux qui l’ont oublié, est une atteinte à l’honneur d’une personne. Le reste est aussi lamentable, mais tout de même moins grave. Une telle infamie, dans un pays qui se respecterait davantage, mobiliserait largement contre le chef du Front de Gauche. Mais rien. Aussi, pourquoi se gêner ? Dès le 30 septembre 2010, Mélenchon s’était attaqué avec la plus grande bassesse au même journaliste : « C’est le retour attristant à la tradition de l’ancien criminel de droit commun argentin, Paulo Paranagua, que l’amicale des anciens de la ligue communiste révolutionnaire au Monde avait fait embaucher. Son passé de voyou dans la branche dure de « l’ejercito revolutionario del pueblo » (ERP) attendrissait les révolutionnaires germano-pratins, nonobstant les crimes et provocations de cette soi-disant armée du peuple ! Repeint en « journaliste » spécialisé sur l’Amérique latine, ce type n’était plus salué par aucun militant de gauche et dans les cocktails mondains même les droites locales latinos le tenaient en dérision du fait de sa stature de renégat et de l’intensité de son larbinage pro-américain. ». Avant de commenter, notons que M.Mélenchon a décidément des problèmes avec la langue castillane, car évidemment, revolutionario s’écrit revolucionario et d’ailleurs ejercito ejército.

Je constate, par plaisant euphémisme, que ce n’est pas l »essentiel. Le texte de M.Mélenchon, outre qu’il est une agression presque incroyable, relève des plus parfaites calomnies chères à l’époque stalinienne. Aucun fait, aucune date, aucun lieu, mais des imputations d’une extrême saleté. Je le répète, je ne connais pas M.Paranagua, que je salue au passage néanmoins. Car si je ne le connais pas, j’ai eu l’occasion naguère de rencontrer, loin de la France,  des membres de cette ERP tant vomie par M.Mélenchon. Et, ma foi, ce qu’il écrit n’a pas de sens. L’ERP a été la branche armée d’un parti d’extrême-gauche, le Partido Revolucionario de los Trabajadores (PRT), fondé en 1965, qui devint membre de la Quatrième Internationale – celle d’Alain Krivine et de la Ligue communiste révolutionnaire – et le resta jusqu’en 1973. Par la suite, ce mouvement fit partie d’un regroupement de la gauche révolutionnaire latina, appelée Junta Coordinadora Revolucionaria, qui rassemblait, au temps des dictatures militaires, outre le PRT-ERP,  le MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaria) du Chili, l’ELN de Bolivie et le MLN-Tupamaros d’Uruguay.

Cela vous paraît fastidieux, je le crains, mais il s’agit d’histoire. D’une histoire que M.Mélenchon ignore, ou qu’il méprise. Il est vrai qu’à cette même époque, il était le petit chef, à Besançon, de la secte OCI, qui ne rechignait jamais contre des violences à l’encontre des militants issus de mai 68. Je le confesse, j’ai pris des coups de bâton sur la tête, donnés par des sbires de l’OCI, que je n’ai jamais tenue, même quand j’étais pourtant couillon, pour une organisation de gauche. En mai 68, du reste, l’OCI avait refusé de participer aux barricades, pour quelque obscure raison que M.Mélenchon doit bien connaître. Bref, l’Argentine. Si M. Paranagua a bien été membre du PRT, ce n’est nullement un déshonneur. Ce fut un engagement extrême, qui connut son lot d’affreuses conneries et d’incroyables irresponsabilités – pour ce que j’en sais -, et qui finalement incarna un modèle militariste, verticaliste, autoritaire de la vie, qui n’est pas si éloigné de ce que Chávez réalisa au Venezuela. C’est un paradoxe, et il est plaisant.

Au-delà, l’aventure tragique du PRT-ERP est indissociable de ces années où une génération politique croyait pouvoir bâtir une société différente par les armes. L’erreur était complète, mais il faut savoir que les militaires argentins, après le coup d’État de 1976 ont enlevé, torturé et finalement assassiné 5 000 membres environ de ce PRT-ERP auquel, selon M.Mélenchon, Paulo A.Paranagua aurait appartenu. Je ne crois pas inutile de rappeler ce contexte d’extrême violence sociale et politique, qui commença en Argentine à la fin des années 60.

Où l’on constate, non sans surprise, qu’un nazi est préférable à un guerillero argentin 

Résumons. En 2010, puis à l’été 2012, M.Mélenchon accuse sans aucun élément concret M.Paranagua d’être un tueur repenti et un voyou. Cela ne lui suffit pas, car le 6 octobre sur son blog (ici), en réponse au journal Le Monde, qui a défendu son journaliste de mièvre façon, il note : « Paulo Paranagua a été membre d’une organisation dont les méthodes de combat incluaient le meurtre d’agent de police et de gardien de banque. Est-ce faux ? Si c’est faux pourquoi Gilles Paris ne le dit-il pas ? Il ne le dit pas parce que c’est vrai et qu’il le sait. Monsieur Paulo Paranagua a été emprisonné pour cela au régime de droit commun. Est-ce faux ? Si c’est faux pourquoi Gilles Paris ne le dit-il pas ? Cette seule situation, sans que j’ai besoin d’en ajouter davantage dans les détails dont je dispose, suffit à pouvoir caractériser, dans l’esprit de polémique qu’il a lui-même créé, de « terroriste repenti ». Car c’est une chose d’être un guérillero qui affronte des militaires et la police politique et une autre de s’engager dans des actions du type de celles qu’a mené le groupe dont a été membre monsieur Paulo Paranagua ».

Est-ce encore plus dégoûtant ? Oui. Paranagua aurait été au régime de droit commun. Cet épouvantable roublard de M.Mélenchon ne donne aucune date, aucune précision. En quelle année ? Sous la dictature, dans les bouillonnantes années qui l’ont précédée ? Dans les deux cas, cela ne veut rien dire. Le statut de politique, qui était évidemment celui d’un militant armé – quel qu’il soit – n’avait aucune raison d’être accordé à un adversaire résolu. Si l’on dressait la liste des militants politiques envoyés au cachot sous des motifs de droit commun, on pourrait sans doute relier la Terre à la Lune. Voyez le cas de l’Affiche Rouge et des FTP-MOI de 1942. Ajoutons que M.Mélenchon susurre, à l’aide d’une sinistre allusion, qu’il y a pire encore, grâce à ces « détails dont [il dispose] », mais sans évidemment s’exposer à la moindre réponse. M.Mélenchon, qui est pourtant fêté par ses adorateurs comme un fin bretteur, s’entortille lui-même dans la toile qu’il a tissée. M.Paranagua est un voyou, mais son organisation est politique et s’attaque aux banques pour se financer, ce qu’ont fait la plupart des mouvements révolutionnaires de l’époque moderne. Joseph Staline, si longtemps cher au cœur des amis communistes de M.Mélenchon, n’était-il pas un braqueur de banques ? Si. Et n’arrive-t-il pas, au cours de ce genre d’attaques, que des policiers et des employés de banque soient blessés ou tués ? Si. Relisez avec moi : « Paulo Paranagua a été membre d’une organisation dont les méthodes de combat incluaient le meurtre d’agent de police et de gardien de banque ». M.Mélenchon est un roué, je le savais déjà. Cette phrase assassine ne signifie rien d’autre que, lorsqu’on exproprie une banque, il peut y avoir des victimes. Et donc, il ne faut pas les toucher ? Mais qui aurait financé ces révolutions que M.Mélenchon prétend tant aimer ? Et je n’insiste pas sur l’usage du mot terroriste, accolé comme on le sait à tous les résistants de la Terre.

Bon, stop, j’en suis bien d’accord, du moins pour ce qui concerne la politique à l’ancienne dont M.Mélenchon est l’un des pires représentants. Encore deux bricoles. Un, vous avez lu plus haut que le président du Parti de Gauche a signé une tribune affirmant sans rire que Chávez était le chef d’État le plus diffamé au monde. À bien suivre le mouvement, M.Mélenchon a quant à lui le droit, car il a tous les droits, de diffamer avec la plus extrême violence M.Paranagua. Mais Il faudrait quand même se prosterner devant ce haut représentant du peuple, qui a obtenu le vote de 6 % des électeurs inscrits à la dernière élection présidentielle française. Oh, ce sera une autre fois, pour ce qui me concerne. Terminons par l’Argentine. Comme je crois l’avoir démontré, Chávez considère comme un grand ami un nazi argentin. Et cela ne gêne pas M.Mélenchon. En revanche, ce dernier est révulsé par le fait qu’un homme a pu prendre les armes contre un gouvernement péroniste corrompu jusqu’à la moelle – de 1973 à 1976 -, puis une junte militaire fasciste, entre 1976 et 1983. Réfléchissez donc avec moi : Ceresole le nazi d’un côté; M. Paranagua le guerillero de l’autre. M.Mélenchon est un grand moraliste.

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Où l’on revient – fatalitas ! – aux idéaux de madame Morel-Darleux

De l’air ! Passons donc à l’écologie. Je ne parlerai pas, car j’ai abusé de votre patience, de cette boliburguesía – la bourgeoisie bolivarienne – qui se développe à toute allure sous le règne de Chávez. Sur fond de corruption massive liée à la manne pétrolière, un agressif capitalisme de rente flambe en ce moment du côté de Caracas. De grosses fortunes, point trop éloignées du pouvoir en place, se forment, qui sont candidates au pouvoir quand le valeureux militaire sera défait, mis à la retraite, ou bien mort. On en reparlera, croyez-moi. Ce pays est un château de cartes soutenu par une bizarrerie géologique ordinaire : il est gorgé de pétrole. Quand gronde l’immense crise écologique qui menace de tout emporter, quand déferle d’un bout à l’autre de la planète le dérèglement climatique, est-il acceptable de gaspiller le pétrole de cette façon ?

L’essence vaut au Venezuela 0,017 euro le litre. La gabegie énergétique y est reine. Rien n’est fait pour seulement ralentir cette course à l’abîme voulue par Chávez. Ce militaire ne sait rien, évidemment, de l’écologie, mais tout de la manipulation de masse. En 2009, à la conférence mondiale sur le climat, à Copenhague, il déclarait du haut de la tribune : « Eh bien, monsieur le président, le changement climatique est, sans doute, le problème environnemental le plus dévastateur de ce siècle : des inondations, des sécheresses, des orages violents, des ouragans, le dégel, la montée du niveau moyen de la mer, l’acidification des océans et des vagues de chaleur, tout cela accentue l’impact des crises globales qui nous frappent ». Et puis, au retour à Caracas, il relançait les fructueux contrats pétroliers à destination de cet Empire américain si constamment décrié, permettant que l’on vende dans les rues de l’essence à 0,017 euro le litre. Toute la vérité vraie de Chávez tient dans ce raccourci. Enfin, un mot des centaines de milliards de barils de pétrole cachés dans les sables du bassin de l’Orénoque, fleuve vénézuélien. Exploiter ce pétrole extra-lourd serait une vraie catastrophe de plus – il n’en manque pas – pour le combat contre le dérèglement du climat. Et bien entendu, sur Terre, une pollution inévitable de l’un des plus beaux écosystèmes du globe. Mais de cela,  Chávez se contrefout, et il a toujours refusé de discuter de l’avenir de ces fabuleux gisements. Tout indique qu’il est prêt à les exploiter.

Pardi ! Le pétrole, c’est du pouvoir concentré. Il lui permet de financer son vieux copain Castro, de briller de tous les feux de ses médailles sur la scène internationale, d’acheter la paix des pauvres chez lui, in fine d’acheter en masse personnes et consciences. Le bilan du pétrole vénézuélien, lorsque, fatalement, il sera fait, dira tout. Mais M.Mélenchon ne sera bien entendu plus là pour commenter. Pour mieux me faire comprendre, un Chávez écologiste aurait mobilisé l’argent du pétrole pour réaliser le premier tournant authentique d’une société vers une formation sociale soutenable du point de vue écologique. Il aurait lancé un programme géant en faveur des énergies renouvelables – solaire et vent -, doté de milliards d’euros apportés par la rente pétrolière. Au lieu de faire bâiller son peuple au cours des oraisons interminables d’Aló Presidente, il aurait lancé d’innombrables programmes télévisés, pédagogiques, permettant de mobiliser autour des véritables enjeux de notre époque. Il aurait sanctuarisé, dans sa fameuse Constitution bolivarienne, l’Amazonie vénézuélienne, en expliquant pourquoi. Il aurait fait de l’agro-écologie le moteur premier d’une reconquête d’un Venezuela saoulé par les telenovelas de guimauve et les publicités géantes pour le mode de vie américain et les grosses bagnoles modernes. Etc ? Bien sûr, etc, ad libitum.

Quand je vois donc une madame Morel-Darleux, qui se pense écologiste, et qui croit l’être, répondre benoîtement, après quelques jours passés sur place : « « Ce que je sais, c’est ce que j’ai vu. Il y a des domaines où l’expertise concrète est aussi intéressante »,  je me dis que la lutte pour la libération de l’esprit, par l’écologie, ne fait que commencer. Je vous salue tous.

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La tribune de MM.Mélenchon et Ramonet dans Le Monde du 4 octobre 2012

Hugo Chavez est sans doute le chef d’Etat le plus diffamé du monde. À l’approche de l’élection présidentielle au Venezuela, le 7 octobre, ces diffamations redoublent d’ignominie. Tant à Caracas qu’en France. Elles témoignent du désespoir des adversaires de la révolution bolivarienne devant la perspective (que les sondages semblent confirmer) d’une nouvelle victoire électorale de Chavez. Un dirigeant politique doit être jugé sur ses actes, et non sur les rumeurs colportées contre lui. Les candidats font des promesses pour se faire élire ; rares sont ceux qui, une fois élus, les tiennent. Dès le début, la promesse électorale de Chavez a été claire : travailler au profit de ceux, majoritaires dans son pays, qui vivaient dans la pauvreté. Et il a tenu parole.

C’est le moment de rappeler ce qui est vraiment en jeu dans cette élection au moment où le peuple vénézuélien va voter. Le Venezuela est un pays très riche en raison des fabuleux trésors de son sous-sol, en particulier les hydrocarbures. Mais presque toutes ces richesses étaient accaparées par les élites dirigeantes et des entreprises multinationales. Jusqu’en 1999, le peuple n’en recevait que des miettes. Les gouvernements successifs, démocrates-chrétiens ou sociaux-démocrates, corrompus et soumis aux marchés, privatisaient à tout va. Plus de la moitié des Vénézuéliens vivait sous le seuil de pauvreté (70,8% en 1996). Chavez a placé la volonté politique au poste de commande. Il a mis les marchés au pas et stoppé l’offensive néolibérale puis, grâce à l’implication populaire, il a permis à l’Etat de se réapproprier les secteurs stratégiques de l’économie. Il a recouvré la souveraineté nationale. Et a ensuite procédé à une redistribution de la richesse au profit des services publics et des laissés pour compte.

UN ÎLOT DE RESISTANCE DE GAUCHE AU NEOLIBERALISME

Politiques sociales, investissements publics, nationalisations, réforme agraire, plein emploi, salaire minimum, impératifs écologiques, accès au logement, droit à la santé, à l’éducation, à la retraite… Chavez s’est également attaché à la construction d’un Etat moderne. Il a mis sur pied une ambitieuse politique d’aménagement du territoire: routes, chemins de fer, ports, barrages, gazoducs, oléoducs. En matière de politique étrangère, il a misé sur l’intégration latino-américaine et privilégié les axes Sud-Sud, tout en imposant aux Etats-Unis des relations fondées sur le respect mutuel… L’élan du Venezuela a entrainé une véritable vague de révolutions progressistes en Amérique latine, faisant désormais de ce continent un exemplaire îlot de résistance de gauche contre les ravages du néolibéralisme. Un tel ouragan de changements a complètement chamboulé les structures traditionnelles de pouvoir au Venezuela et entrainé la refondation d’une société jusqu’alors hiérarchique, verticale, élitaire.

Cela ne pouvait lui valoir que la haine des classes dominantes, convaincues d’être les propriétaires légitimes du pays. Avec leurs amis protecteurs de Washington, ce sont elles qui financent les grandes campagnes de diffamation contre Chavez. Elles sont allé jusqu’à organiser – en alliance avec les grands médias qu’elles possèdent – un coup d’Etat le 11 avril 2002. Ces campagnes se poursuivent aujourd’hui et certains secteurs politiques et médiatiques européens les reprennent en chœur. La répétition étant – hélas – considérée comme une démonstration, des esprits simples en viennent à croire que Hugo Chavez incarnerait « un régime dictatorial où il n’y a pas de liberté d’expression ».

Mais les faits sont têtus. A-t-on déjà vu un  » régime dictatorial  » élargir le périmètre de la démocratie au lieu de le restreindre ? Et donner le droit de vote à des millions de personnes dépourvues jusque là de carte d’électeur? Les élections au Venezuela n’avaient lieu que tous les quatre ans, Chavez en organise plus d’une par an (14 en 13 ans). Dans des conditions de légalité démocratique reconnues par l’ONU, l’Union européenne, l’Organisation des Etats américains, le Centre Carter, etc. Chavez démontre qu’on peut construire le socialisme dans la liberté et la démocratie. Il en fait même une condition du processus de transformation sociale. Il a prouvé son respect du verdict populaire en renonçant à une réforme constitutionnelle refusée par les électeurs lors d’un référendum en 2007. Ce n’est pas un hasard si la Foundation for Democratic Advancement (FDA), du Canada, dans une étude publiée en 2011, situe désormais le Venezuela en tête du classement des pays qui respectent la justice électorale.

Le gouvernement d’Hugo Chavez consacre 43,2% du budget aux politiques sociales. Résultat: le taux de mortalité infantile a été divisé par deux. L’analphabétisme éradiqué. Le nombre de professeurs des écoles multiplié par cinq (de 65 000 à 350 000). Le pays détient le coefficient de Gini (qui mesure les inégalités) le plus performant d’Amérique latine. Dans son rapport de janvier 2012, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC, un organisme de l’ONU) établit que le Venezuela est le pays sud-américain – avec l’Equateur -, qui, entre 1996 et 2010, a le plus réduit le taux de pauvreté. Enfin l’institut américain de sondages Gallup classe le pays d’Hugo Chavez, 6e nation « la plus heureuse du monde ».

Le plus scandaleux, dans l’actuelle campagne de diffamation, c’est de prétendre que la liberté d’expression serait bridée au Venezuela. La vérité c’est que le secteur privé, hostile à Chavez, y contrôle largement les médias. Chacun peut le vérifier. Sur 111 chaînes de télévision, 61 sont privées, 37 communautaires et 13 publiques. Avec cette particularité que la part d’audience des chaînes publiques n’est que de 5,4%, celle des privées dépassant les 61% … Même chose pour la radio. Et 80% de la presse écrite sont contrôlés par l’opposition ; les deux quotidiens les plus influents – El Universal, El Nacional – étant hostiles au gouvernement. Tout est, certes, loin d’être parfait dans le Venezuela bolivarien. Où existe-t-il un régime parfait ? Mais rien ne justifie ces campagnes de mensonges et de haine. Le nouveau Venezuela est la pointe avancée de la vague démocratique qui a balayé les régimes oligarchique de neuf pays dès le lendemain de la chute du mur de Berlin quand d’aucuns annonçait « la fin de l’histoire » et « le choc des civilisations » comme seuls horizons pour l’humanité.

Le Venezuela bolivarien est une source d’inspiration où nous puisons sans aveuglement ni naïveté. Mais avec la fierté d’être du bon côté de la barricade et de réserver nos coups à l’empire malfaisant des Etats Unis et de ses vitrines si chèrement protégées au Proche-Orient et partout où règnent l’argent et les privilèges. Pourquoi ses adversaires en veulent-ils tant à Chavez ? Sans doute parce que, tel Bolivar, il a su arracher son peuple à la résignation. Et lui donner l’appétit de l’impossible.

Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de gauche, député européen ; Ignacio Ramonet, président de l’association Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac.

James Hansen, héros improbable pour temps impossibles

Je me répète : je ne suis pas là. Je suis ailleurs, quelque part, ailleurs. Mais ce qui suit était prévu avant mon départ, et je ne peux laisser passer de temps. Le rédacteur-en-chef de la revue suisse La Revue durable – Jacques Mirenowicz – me fait, vous fait la faveur de publier ici l’entretien que Susana Jourdan et lui-même ont mené avec James Hansen, et qui a paru dans le dernier numéro.

Un mot de la revue. Elle est si excellente – je précise que je suis fort loin d’être d’accord avec tout, à commencer par le titre, si discutable – que je ne peux que vous inviter, en confiance, à vous abonner. Si vous avez assez de sous, cela va de soi. Je laisse pour tous l’adresse sur le net de la revue (ici), ainsi que le PDF d’une lettre adressée aux grands-parents de la Terre, sur laquelle Jacques Mirenowicz a insisté (ici). À mon tour de me montrer décidé : l’abonnement à La Revue durable est un cadeau que vous vous faites à vous-même.

Et je passe à cet entretien avec James Hansen. Hansen est un être que je respecte sans détour, et que j’admire. Je n’admire pas souvent, mais alors sincèrement. Ce grand climatologue est né en 1941 et il dirige l’institut Goddard d’études spatiales de la NASA américaine depuis 1981. Le 9 novembre 1987, voici donc un quart de siècle, il lance au beau milieu d’un Sénat des États-Unis incrédule une bombe absolue : selon lui, les émissions de gaz à effet de serre émises par les activités humaines menacent toutes nos civilisations.

Les sénateurs s’en tapent, comme aussi bien l’on se doute. Il remet cela le 23 juin 1988 et, cette fois, ses propos font le tour du monde. Depuis, beaucoup de gaz ont coulé sous les ponts, et Hansen n’en finit plus d’alerter, conscient qu’aucun politique américain – ou d’ailleurs – ne prend le sujet au sérieux. En 2005, il annonce l’imminence d’un point de basculement au-delà duquel commence un autre monde, irréversiblement. L’administration Bush, au service des intérêts pétroliers, tente de le faire taire. Il continue. En 2009, ce papy si sage est brièvement emprisonné pour avoir protesté contre un projet de mine de charbon. Mais il ne peut plus arrêter. Pour cause. Sa cause est sacrée.

Je sais bien que l’emploi de ce mot ne peut que choquer les braves esprits cartésiens de notre vieille France. Je l’utilise à dessein. Bien entendu, rien n’indique avec une certitude à 100 % que James Hansen a raison. Peut-être se trompe-t-il en partie, cela ne me gêne pas de l’écrire, même si je sais la valeur de son jugement, appuyé sur des faits. Considérons le fond : des milliers de scientifiques ont forgé un consensus solide autour d’un constat sidérant : la stabilité du climat est menacée alors qu’elle a toujours été la garante, depuis des milliers d’années, de l’essor des civilisations humaines.

Face à cette perspective apocalyptique, il est au moins deux attitudes possibles. Le déni sous toutes ses formes, dont Claude Allègre illustre un excès pratiquement indépassable. Ou bien la mobilisation consciente pour réduire massivement, dès aujourd’hui, dès hier même, nos émissions. Car l’enjeu, voyez-vous, est sans commune mesure avec ce que l’humanité a eu à endurer dans son passé si tourmenté, guerres mondiales comprises. Si même, et je ne le crois pas une seconde, les sceptiques avaient raison, il serait bon, nécessaire, prodigieusement utile de reprendre en main les activités industrielles humaines, qui ont d’évidence échappé au contrôle.

C’est pourquoi je vous invite à lire, toutes affaires cessantes, l’entretien avec Hansen. Je vous précise que je mets le début de ce texte dans le corps même de cet article, mais que l’intégralité est cachée dans le document suivant, sur lequel il vous faut cliquer :james-hansen-larevuedurable-46.pdf.

Voici donc le début. Et souvenez-vous de la revue suisse.

Directeur de l’Institut Goddard d’études spatiales de la Nasa, le grand spécialiste du climat James Hansen le déplore : un gouffre sépare ce que les spécialistes du climat savent de ce que les décideurs et les populations des pays industrialisés comprennent de la situation. Inébranlable conscience morale, ce chercheur de très haut vol alerte depuis vingt-cinq ans ses congénères sur le péril que l’absence de prise en charge adéquate de la dérive climatique fait courir à l’humanité entière.
En vain pour l’heure, alors que chaque jour qui passe diminue les chances de l’espèce humaine de s’en sortir à bon compte. Lorsqu’en juin 2008, James Hansen s’adresse, en tant que « simple » citoyen, à une commission du Congrès des Etats-Unis, il espère in?uencer le successeur du sinistre George W. Bush. Son message : une hausse de température moyenne sur Terre de 2°C par rapport au niveau préindustriel est « la recette pour un désastre global ».
Or, ce but de contenir la hausse de la température à 2°C, qui est au cœur de l’Accord de Copenhague de décembre 2009… est en passe de devenir inatteignable. Tout n’est pas tout à fait perdu, insiste James Hansen, mais il faut prendre la mesure du danger et se déterminer à agir. Une voie de sortie – étroite – existe encore. Grand-père déterminé à ne pas laisser ses petits-enfants sans défense, il n’hésite pas à sortir de son statut de scienti?que « pur » pour expliquer et soutenir à nouveau ici, en son nom propre de citoyen concerné par l’avenir alors qu’il atteint le soir de sa vie, cette voie de sortie.

JAMES HANSEN/Il est encore temps de stopper la course à l’abîme

LaRevueDurable : Au vu de la politique internationale, l’objectif de limiter la hausse de température moyenne à +2°C apparaît désormais presque illusoire. Or, vous jugez qu’une telle élévation conduirait l’humanité au désastre.

Pourquoi ?

James Hansen : Les données sans doute les plus fondamentales qui illustrent que 2°C de hausse de la température par rapport à l’époque préindustrielle est un scénario pour un désastre, c’est l’histoire de la Terre qui les fournit. La dernière fois qu’elle était plus chaude de 2°C, au début du pliocène [il y a environ 5 millions d’années, ndlr], la planète avait une tout autre allure : le niveau de la mer était plus haut d’au moins 15 mètres. Un tel changement surviendrait bien sûr sur la durée avec une ligne de côte changeant sans cesse. Mais cela signi?e que toutes les villes côtières seraient sinon inhabitables, du moins soumises à d’énormes dommages économiques.
De nombreuses autres implications accompagneraient un réchauffement global de 2°C. Pour preuve, le signal des effets de la hausse de température actuelle commence déjà à se détacher du bruit de fond. Ce qui était un été caniculaire exceptionnel il y a cinquante ans, n’arrivant que 0,2 ou 0,3 % du temps, ou ne couvrant que 2 ou 3 % d’une région, a maintenant lieu environ 10 % du temps sur de vastes territoires.
En 2003, l’Europe de l’Ouest, surtout la France, a souffert d’une canicule correspondant à une anomalie de trois écarts types, voire plus, par rapport à la courbe moyenne normale des températures. L’été 2010, Moscou et une énorme région d’Europe de l’Est, d’Asie de l’Ouest et du Moyen-Orient ont vécu une anomalie de trois écarts types. L’été 2011, l’Oklahoma, le Texas et le nord du Mexique ont connu une anomalie de trois écarts types.

LRD : Et bien sûr, cette tendance va se poursuivre.

JH : Oui, parce que la planète est en situation de déséquilibre radiatif. C’est-à-dire que la surface de la Terre retient plus d’énergie (issue du soleil) qu’elle n’en renvoie dans l’espace. Les gaz à effet de serre provoquent ce déséquilibre parce que, dans l’atmosphère, ils agissent comme une couverture qui piège une partie des radiations de chaleur. Résultat : la planète se réchauffe. Chaque année n’est pas toujours plus chaude que l’année précédente, mais la moyenne des températures sur chaque décennie montre un réchauffement à l’œuvre, qui entraîne une hausse des épisodes caniculaires. Depuis trente ans, la distribution des anomalies glisse vers des températures plus hautes d’une quantité qui augmente à chaque décennie.
Cette tendance va se poursuivre : les anomalies de trois écarts types vont, au cours du siècle, couvrir des régions de plus en plus vastes. Et la hausse moyenne des températures aura des effets globaux majeurs : fonte des calottes de glace, poursuite de la migration des zones subtropicales chaudes et arides vers les pôles, extinction de très nombreuses espèces…

LRD : Ce qui est terri?ant, ce sont les points de bascule. Une hausse de 2°C signifiet-elle qu’on atteindra des points de rupture au-delà desquels il sera impossible de revenir en arrière, avec des conséquences tragiques sur les conditions de vie humaines ?

JH : C’est notre propos fondamental : +2°C conduira à coup sûr à dépasser le point de bascule de la stabilité des calottes de glace. Voilà pourquoi le niveau de la mer va monter. Le Groenland et l’Antarctique perdent d’ores et déjà de la masse au rythme de quelques centaines de kilomètres cubes de glace par an. A l’échelle globale, cela reste modeste : le niveau moyen des mers monte aujourd’hui de plus de 3 centimètres par décennie. Mais cela est très rapide au regard de l’évolution récente.

Une si belle forêt dans le 9-3 (que faire de la Corniche des Forts ?)

Je ne sais pas encore ce qu’il faut imaginer, mais je peux déjà vous faire partager mon sentiment à propos de la Corniche des Forts, dont le joyau est une forêt de 40 hectares, d’un tenant. Nous sommes en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Le 9-3. L’un des lieux les plus pourris de notre si vertueuse République. Le 9-3, il y a ceux qui en parlent et ceux qui connaissent. Je connais, par force. J’ai grandi ici, dans une cité HLM, et j’ai ensuite habité Gagny, Montfermeil – 5 rue Picasso, dans la si fameuse cité des Bosquets -, Clichy-sous-Bois, Bondy, Noisy-le-Sec, Drancy, Tremblay-en-France, Livry-Gargan, les Pavillons-sous-Bois. Entre autres, car j’en oublie, soyez sûrs que je dis vrai.

Je connais le 9-3 et j’éprouve à chaque fois que je songe à ce département sacrifié la même rage contre les forces de la gauche historique. Je veux dire le parti communiste, qui y comptait, au temps de ma jeunesse, 9 députés sur 9 et 27 maires sur 40; et le parti socialiste, qui a pris la suite. La question qui suit n’est jamais posée : qui a la responsabilité du désastre urbain qu’est ce département ? Qui paiera jamais le prix politique d’une telle défaite de l’esprit humain ? La gauche vertueuse se planque, voilà tout, car c’est elle bien sûr qui a accepté, accompagné, souhaité parfois ces innommables cités dont elle croyait stupidement qu’elles seraient à jamais des réservoirs de voix. Misère, quelle sombre connerie !

La droite, n’en parlons pas. Si, un mot : je me suis battu physiquement contre ses sbires, notamment ceux de la bande de Robert Calmejane, député-maire de Villemomble dans les années 70, situé à l’extrême-droite de l’UMP de l’époque, qui s’appelait UDR. Cet homme aussi médiocre qu’insupportable avait créé dans les années 50, pour le compte du patronat de l’automobile, un syndicat maison appelé Confédération française du travail (CFT). Lancé en fanfare en 1959 à Poissy, dans les usines Simca, aujourd’hui disparues, cette merde avait gagné ma banlieue, et par exemple l’usine Citroën d’Aulnay-sous-bois. Celle dont on parle tant. Celle dont on dit à la radio : PSA-Aulnay.

Je connais fort bien cette usine, car j’y ai distribué des tracts sous la menace distincte – parfois conjointe – des fascistes de la CFT et des staliniens de la CGT. Cela laisse des traces ? Pardi ! j’ai pris des coups, sans le regretter aucunement. La liberté est un combat, je le rappelle au moment où tant de gens ont des vapeurs, et se montrent prêts à céder aux assauts d’un nouveau totalitarisme. Et voilà, une fois de plus, que je m’égare. Désolé, mais je n’y puis rien. Je voulais dire que je sais par toutes les fibres de mon être la détestation de la société officielle, blanche, riche, bien élevée, pour la racaille de la banlieue. Je n’ai pas besoin d’explication. Je saisis instantanément. Par exemple, quand je vois que la socialiste Élisabeth Guigou est députée de Pantin, je sens comme le mépris pour les marges de notre monde perdure, bien au-delà des proclamations.

Donc, et pardonnez que j’y insiste, je sais ce qu’est en 2012 un département abandonné. C’est ici qu’apparaît un miracle. Entre Romainville, Les Lilas, Pantin, Noisy-le-Sec existe un lieu nommé La Corniche des Forts. Je ne connais pas bien – je vais y remédier – l’histoire de ce territoire, mais l’essentiel consiste en d’anciennes carrières de gypse abandonnées. Le gypse permet d’obtenir du plâtre, et le plâtre, c’est la ville, n’est-ce pas ? En 1886, Vincent Van Gogh rejoint à Paris son frère Theo, qui habite Montmartre, et il peint sur place la butte, bien sûr, et du même coup les carrières de gypse de sa face nord. Regardez plutôt le tableau qu’il nous a laissé.

van gogh gypse montmartreAu passage, notez avec moi que ce Montmartre de 1886 – mes deux grands-pères étaient déjà de ce monde – ne ressemblent guère à la farce touristique d’aujourd’hui. Et poursuivons. 40 hectares, donc, entourés de cités et d’extrême promiscuité. Je m’y suis rendu. Ô, illégalement, comme vous pouvez l’imaginer. Un tel pays se doit d’être encabané, et il l’est. De solides remparts empêchent le peuple des alentours d’y pénétrer. Avec, au reste, d’excellentes raisons, car les anciennes carrières dissimulent un peu partout des chausse-trapes, des ravins, des entonnoirs par lesquels on peut en effet chuter, et se fracasser. N’exagérons rien. Quoi qu’il en soit, grâce à David – et qu’il en soit remercié -, j’ai pu entrer en soulevant l’une des herses barrant l’entrée, et je me suis baladé le nez à l’air, tandis qu’un des derniers soleils d’été jouait son émolliente musique.

Je ne laisserai jamais ma place dans ces circonstances-là. Car je me trouvais dans un écart nouveau, peuplé d’arbres quelquefois grandioses, et de lianes, et de fleurs, et de papillons, et de quantité d’insectes tourbillonnants. Le plus confondant, c’est que lorsque l’on a quitté les abords assaillis d’immeubles, dès que l’on a plongé dans l’immensité des plantes, on n’entend plus le cri pourtant perpétuel de la ville. Les érables sycomores défient les robiniers; les frênes et les ormes jouent les adolescents fougueux, et l’on s’émerveille de voir en vol, criaillant comme à son habitude, une buse variable. Ici ! Le plus frappant, pour qui demeure dans une ville où le relief a été comme gommé – franchement, Ménilmontant vous évoque-t-il une colline ? -, c’est que les creux et bosses, de même que les plateaux, sont réhabilités. On sait au bout de 500 mètres que l’on a renoué avec le monde magique de l’épaisseur. De la hauteur. Des dimensions. L’artifice s’efface à chaque pas.

J’ai pris un très vif plaisir à visiter cet endroit si singulier. Et j’éprouve une très grande peine à vous raconter la suite. La suite s’appelle : Base de loisirs. Il serait simple d’écrire que des élus imbéciles ont décidé de sacrifier un bout de nature de plus, mais les choses sont, comme souvent, plus compliquées. Il y a environ 20 ans, le Conseil régional d’Île-de-France décidait de transformer la Corniche en une base de loisirs. Eau, pelouses rases, consommation d’un ersatz de nature, et bagnoles partout. Des élus Verts de cette époque, en qui j’ai toute confiance en 2012, ont joué leur rôle dans cette proposition. Je pourrais verser dans l’anachronisme, mais je passe mon tour. Pierre Mathon et Hélène Zanier, que je tiens pour des amis (ici), étaient alors conseillers régionaux d’Île-de-France, et ont joué leur rôle dans cette histoire. Avec le recul, on peut s’interroger, mais c’est dans le même temps trop facile, car en 1992, dites-moi donc, qui se souciait de la biodiversité ? Le mot lui-même, inventé quelques années auparavant, restait on ne peut plus confidentiel.

Le monde a depuis changé de base. Et Hélène comme Pierre partagent le désir de faire de la Corniche des Forts une situation unique. Le théâtre d’une offrande sincère faite aux prolétaires et à leurs descendants. Rien n’indique que les dominés de notre monde aient moins besoin que ceux qui tiennent le manche de respirer un air authentique, de voir des arbres poussés dans l’anarchie soignée d’une nature réelle, d’entendre le chant du coucou. Oui, mais nous voilà coincés par des plans, désormais ridicules, esquissés en un autre temps. Et depuis, il faut bien dire que la médiocrité des esprits n’aura fait que s’étendre. Chaque commune riveraine de la merveille que j’ai décrite veut son espace, pour s’étendre, pour étendre un peu le bilan municipal dans la perspective de l’élection municipale de 2014. Et comme à peu près aucun édile ne sait ce qu’est la nature, ce que représente son incommensurable valeur, le projet de base de loisirs reste seul en piste.

C’est d’autant plus navrant qu’un tel objectif vaut ce que valaient les piscines municipales dans les années 60 et 70. Rien d’autre qu’un signe de distinction. Pas davantage qu’un argument publicitaire au bas d’un bilan. La banlieue anciennement ouvrière de Paris ne vaut-elle pas mieux ? Ne peut-on en 2012 imaginer meilleur sort pour cette forêt sublime qu’un arasement généralisé, suivi d’une atroce banalisation de l’espace ? Si la réponse est non, je vous le dis, cessons de parler. Et pour ce qui me concerne, cessons d’écrire. Comme j’ai la faiblesse de croire autrement, je poursuis encore. La tragédie n’est pas bien loin. En décembre, doivent commencer des travaux de terrassement géants portant sur les 40 hectares. Des engins arracheraient le sol au nord, et conduiraient le long d’une chaussée spécialement construite pour l’occasion, sur le site même, le remblai ainsi constitué juqu’au sud.

Pourquoi ? Pour combler les galeries de carrières de gypse, où habitent pour l’heure les chauve-souris. De façon, dans l’esprit des promoteurs du désastre, à préparer le terrain à la future base de loisir. Futur(e) est à prendre au conditionnel, car le 9-3 est l’un des départements les plus endettés de France, pour cause notamment d’emprunts toxiques, et il n’est pas question de trouver les – environ – 80 millions d’euros que coûterait cet équipement d’un autre âge. Autrement dit, on s’apprête dans quelques semaines à claquer autour de 10 millions d’euros dans la perspective d’une réalisation qui ne verra peut-être jamais le jour. En ayant au passage écrasé une terre fabuleuse d’arbres et de plantes, d’animaux, de beauté extrême à un jet de pierre des cités HLM. On appelle cela, dans ma langue à moi, un crime.

Bon, j’ai décidé, sagement je crois, de ne pas prendre les élus du conseil régional – PS, PC, divers gauche, EELV – de front. Après tout, chacun a bien le droit de changer de point de vue. Je souhaite ardemment qu’un compromis soit trouvé, qui pourrait prendre la forme d’un moratoire sur les travaux prévus en décembre. Deux ans de réflexion, par exemple, ne pourraient que nous aider tous à réfléchir à l’avenir souhaitable de la Corniche des Forts. Commencer les travaux signifierait au contraire clore un dossier passionnant. Les différer – au moins – serait reconnaître qu’il y a matière à discussion. Nous en sommes là, et je vous tiendrai au courant. La guerre n’est pas déclarée, et la paix est non seulement possible, mais hautement préférable. En attendant, si vous en avez le temps, lisez les quelques liens que je vous mets ci-dessous. En vous saluant tous.

http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art541_1.htm

http://www.ornithomedia.com/magazine/mag_art541_2.htm

Les travaux de terrassement prévus à partir de décembre 2012 :

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