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La CGT aime tant le nucléaire (et le gaz de schiste)

Je rappelle, à toutes fins utiles, que Bernard Thibault est non seulement le secrétaire général de la CGT, mais aussi membre – longtemps très influent – du parti communiste depuis 1987. À ce titre, il fait également partie du Front de Gauche de M.Mélenchon. Lequel ne manquera pas de nous faire savoir ce que tout cela signifie. Mon point de vue est simple : l’imaginaire social de la gauche française est en fait le même que celui de la droite. De la croissance, des objets inutiles, des bagnoles pour aller perdre sa vie au boulot, des cancers made in France (ici).

Je crois qu’il faut retenir comme un emblème de cette gauche absurde, totalement dépassée par les événements la phrase de Thibault que vous trouverez ci-dessous : « [La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim] ne sera acceptable que si elle est socialement gérable ». Je rappelle, à toutes fins utiles, que la grande centrale ouvrière de M.Thibault – la CGT, donc – a siégé ès qualités au Comité permanent amiante (CPA), lobby créé par l’industrie pour tenter de fourguer encore quelques années de plus son produit massivement cancérigène. Grâce à quoi l’amiante n’a été interdit en France qu’en 1997. Au moins 3 000 personnes meurent chaque année d’avoir été exposées à cette fibre. Des dizaines de milliers vivent avec des plaques pleurales, des asbestoses, des cancers broncho-pulmonaires, etc. Jamais personne n’a seulement osé mettre en accusation la CGT pour avoir donné la main à un patronat criminel. Pourquoi se gênerait-elle, dites-moi, avec le nucléaire ou le gaz de schiste ?

Il y a une distance définitive entre le mouvement écologiste tel que je le défends et des organisations syndicales simplement incapables de défendre la vie de leurs mandants. Et la nôtre. Ne parlons pas des non-humains.

Thibault : « Ne pas fermer la porte » au gaz de schiste

Créé le 16-09-2012 à 11h03 – Mis à jour à 11h03

Le secrétaire général de la CGT met en garde le gouvernement contre des choix liés à des « coalitions » entre les partis de la majorité.

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. (CHARLES PLATIAU / POOL / AFP)

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault. (CHARLES PLATIAU / POOL / AFP)

Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, estime qu’il ne faut « pas fermer la porte » aux recherches sur le gaz de schiste et met en garde le gouvernement contre des choix liés à des « coalitions » entre les partis de la majorité, en allusion aux écologistes, dans une interview au « Journal de Dimanche ».

« Nous ne devons pas fermer la porte aux recherches dans le domaine de l’énergie, y compris pour les gaz de schiste. Investissons au moins pour explorer. S’il s’avère, à partir de recherches incontestables, pour des raisons environnementales ou de sécurité, qu’il n’est pas souhaitable d’extraire ces gaz, cela ne me pose pas de problème », affirme le numéro un de la CGT.

« Une problématique politique »

Mais, selon lui, « renoncer à l’exploration est un peu inquiétant. Nous allons finir, alors que notre pays a de véritables atouts énergétiques, par être de plus en plus dépendants dans ce domaine ».

« Chacun a conscience qu’on est là dans une problématique politique qui met en jeu les relations entre partis formant la majorité présidentielle », estime Bernard Thibault, en allusion à EELV.

« Il ne faudrait donc pas que la solution apportée à certains problèmes soit seulement le résultat de coalitions plus politiques qu’efficaces pour l’avenir du pays », dit-il.

« Une annonce précipité »

« Tous les éléments d’appréciation doivent être mis sur la table et présentés aux Français avant de faire des choix uniquement idéologiques », prévient-il.

Bernard Thibault redit aussi son « regret » d’une « annonce précipitée » de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim fin 2016.

« Cette fermeture ne sera acceptable que si elle est socialement gérable ». Selon lui, « on parle un peu trop aisément de reconversion professionnelle » mais « des personnes exerçant des métiers depuis des décennies ne peuvent pas forcément se reconvertir dans une activité alternative ».

Le président François Hollande a annoncé vendredi la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) fin 2016 et le rejet de permis d’exploration de gaz de schiste.

Lendemain désabusé de conférence d’État

 Je suis tellement saoulé par ce lendemain de Conférence environnementale que je n’ai pas le goût de commenter. Les journaux, à commencer par celui qu’on présente comme le meilleur, Le Monde, les écologistes officiels, et bien entendu les socialos de service, tout le monde s’esbaudit. C’est merveilleux, c’est extraordinaire, c’est historique. Les rares mesures annoncées ne pourront être jugées que vers la fin du quinquennat Hollande, comme la rénovation thermique des logements. Le reste n’est que grossière manipulation. Les gaz de schiste ? J’ai déjà expliqué ce qui se cache derrière l’abandon des permis délivrés. Piégés par leur précipitation – la loi de juillet 2011 -, les socialistes ne pouvaient sans crise politique permettre l’exploitation par la fracturation hydraulique. Mais ils présentent cela comme une grande nouvelle. Sans aucun doute, Hollande a de bons « communicants ».

Le reste est encore plus scandaleux. Rien sur le nucléaire, sinon la fermeture déjà promise d’une centrale en 2016 ! Dire qu’un Yannick Jadot s’en contente ! Rien sur la santé publique, pourtant dévastée par la chimie de synthèse. Rien sur les pesticides, pour cause, étant donné le deal passé avec Beulin et la FNSEA. Rien sur les biocarburants, évidemment, qui affament un peu plus les vrais pauvres du monde. En somme, la même farce cruelle qu’avec le Grenelle de l’Environnement, en 2007. Tous ceux qui applaudissent gardent et garderont leur strapontin, ici ou là. Et comme je ne crois pas dans une justice immanente, je sais qu’ils passeront à travers les gouttes et continueront de se pavaner. Bon, je crois sincèrement que je m’en fous, compte tenu des enjeux dramatiques de la crise.

Si je devais décerner la médaille du ridicule, elle irait sans aucun doute à Cécile Duflot, dont vous lirez ci-dessous la réaction enamourée. Le pire, ce me semble, c’est qu’elle paraît sincère.

Cécile Duflot salue le discours «historique» de François à la conférence environnementale

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Réactions d’ONG, de syndicalistes et d’élus après le discours de François Hollande en ouverture de la conférence environnementale, vendredi à Paris.

Cécile Duflot salue le discours «historique» de François à la conférence environnementale

Cécile Duflot, la ministre du Logement, ancienne secrétaire nationale de EELV (Europe-Ecologie-les-Verts), a estimé sur son compte Twitter que le discours de François Hollande, lors de la conférence environnementale, « est historique et infiniment émouvant à entendre pour une écologiste »

 

Jean-François Julliard, directeur exécutif de Greenpeace-France : « Il y a une ambition, de bonnes directions, mais encore beaucoup de points d’interrogation. On a le sentiment d’avoir été écoutés. La date de 2016 pour fermer Fessenheim, pour nous c’est trop tard, mais au moins il y a une date. Sur le rejet des permis d’exploration des gaz de schiste, ce qu’on aimerait comprendre maintenant, c’est: est-ce que cela veut dire qu’il n’y aura aucun permis donné pour explorer des hydrocarbures non conventionnels (principalement gaz et huiles de schiste) pendant le quinquennat? ».

 

Bruno Genty, président de France Nature Environnement : « Le discours trace un cap et fait preuve d’une volonté politique pour réussir la transition écologique. Au-delà, se pose la question des moyens dont on va pouvoir bénéficier pour réussir cette transition. Un satisfecit donc sur la vision et sur un certain nombre d’engagements comme sur les gaz de schiste, mais des questions sur comment on va faire, avec quels moyens et quel agenda ».

Nicolas Hulot, Fondation Nicolas Hulot : « Il y eu des déclarations à la hauteur des enjeux notamment le fait que, comme le président Obama l’a fait, le président français a dit que la crise écologique ce n’est pas un mythe ou une opinion mais un fait scientifique; c’est bien de l’entendre, parce que je ne crois pas que chacun soit convaincu que cette crise est majeure. Sur les gaz de schiste, en l’état des conséquences environnementales et sanitaires de l’utilisation des gaz et pétroles de schiste, il aurait été impensable d’ouvrir la boîte de Pandore. »

Christophe Aubel (Humanité et biodiversité) : « J’ai un sentiment positif car en matière de biodiversité, un cap est donné. Notamment avec l’annonce de la création de l’Agence de la biodiversité, qui est une manière d’entrer dans l’action. Il reste des décisions très concrètes à prendre et j’espère que le discours du Premier ministre en sera l’occasion ».

Laurence Parisot (Medef)  : « Ce qui nous préoccupe, c’est que le président a mis de côté, ou en tous les cas s’est très peu exprimé, sur le modèle économique qui peut aller avec les objectifs qu’il a fixés’. Le président a semblé fermer complètement la porte, pas simplement à l’exploitation des gaz de schiste mais au débat sur le sujet. Cela me semble contraire à l’esprit de débat (…) et contraire à l’idée de progrès ».

Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT : « Lorsque le président prend l’engagement d’un million de logements aux nouvelles normes énergétiques, nous disons banco, mais nous n’avons pas les moyens humains, financiers, pour former et recruter des professionnels dans ce domaine; cela nécessite de prendre de fortes mesures immédiatement pour que cela puisse être le cas; sinon on risque d’avoir un constat d’échec le moment venu par rapport à un objectif politique annoncé. »

François Chérèque, secrétaire général de la CFDT : « On doit ouvrir le débat public (sur la transition énergétique). Dans ce contexte, la décision de fermer Fessenheim en 2016, c’est peut être une décision prématurée. C’est après le débat qu’on doit décider quelle centrale on doit fermer, si on doit en fermer une ».

Yannick Jadot, député européen EELV : « C’était un beau discours qui fixe clairement un cap de transition écologique. On attendait de mettre de côté sérieusement les gaz de schiste, de mettre la priorité sur les économies d’énergie et de relancer les énergies renouvelables. On ne ferme pas Fessenheim comme on ferme une boulangerie. Si Fessenheim est totalement fermée en 2016, ça ira… »

Et une con-fait-rance environnementale, une !

La bouffonnerie est reine. Rions donc comme à Carnaval. Pleurons de même, puisque, de toute façon, notre impuissance est totale. Pour ce qui me concerne, je regarde avec stupéfaction la pantomime qui se prépare. Comment ? Vous n’êtes pas au courant ? Je résume pour les sourds et mal-entendants : M.Hollande réunit vendredi 14 et samedi 15 septembre, au palais d’Iéna de Paris, une Conférence environnementale. Sur le modèle, mais en parodie, du Grenelle de l’Environnement voulu par Sarkozy en septembre 2007. Je vous glisse sous forme de PDF deux documents que l’on a le droit de juger hilarants. Un sur le déroulement (organisation des débats.pdf), l’autre qui donne la liste des participants (invités.pdf).

Mon premier commentaire sera évident : le simple fait que se tienne pareil conclave marque une défaite du mouvement écologiste. En effet, le cadre imposé par les socialistes est digne de l’émission télévisée des années 70 qui s’appelait Chefs-d’œuvre en péril. On y considérait la France des villages et l’affreuse atteinte du temps sur les nobles monuments légués par l’Histoire. Il s’agissait de dépenser quelques picaillons pour sauvegarder un clocher ou l’aile d’un château. Ma foi, cela ne mangeait pas de pain. Refaire le coup près de cinquante ans plus tard n’est pas seulement ridicule : il s’agit d’une insulte jetée au visage des centaines de millions – qui seront bientôt des milliards – de victimes de la crise écologique planétaire.

Hollande and co, qui se moquent tant de l’écologie qu’ils ne savent pas ce que c’est, prétendent donc, avec l’aval des écologistes officiels qui participent, incarner une vision nationale des écosystèmes. C’est baroque, inutile de s’appesantir, mais comme il faut entrer dans les détails, allons-y. La question de l’énergie ? Les pauvres âmes qui nous gouvernent ne pensent qu’à une chose : gagner un point de croissance pour éviter d’être jetés au prochain scrutin. Le dérèglement climatique ? Plus tard, un jour, peut-être. Je sais que Hollande a vu à plusieurs reprises Christophe de Margerie, patron de Total, par l’entremise de Jean-Pierre Jouyet, cousin de ce dernier et patron de la Caisse des dépôts et consignations (ici).

C’est on ne peut plus normal compte tenu de leurs rôles respectifs, mais que se sont-ils dit ? Selon ce que j’ai glané – je ne suis pas certain -, ils ont abordé la question des gaz et pétrole de schiste. Côté cour, Hollande et ses amis refusent toute exploitation en France, où la technique de fracturation hydraulique est interdite par une loi votée par la gauche et la droite l’an passé. Côté jardin, les mêmes misent sur un retournement de l’opinion, qui sur fond d’augmentation continue du prix du gaz domestique, pourrait accepter des forages en France. À la condition, par exemple, que les pétroliers bidouillent une technique présentée comme différente de la fracturation hydraulique. En façade, donc, intransigeance gouvernementale face aux gaz de schiste. Et en privé, encouragements donnés à Total pour malaxer l’opinion publique. L’affaire Bezat montre que nous sommes face à un plan concerté. En deux mots, Jean-Michel Bezat, journaliste au Monde, y publie le 26 juillet un reportage réalisé aux États-Unis – 700 000 puits en activité, des régions entières transformées en Lune aride – sur les gaz de schiste. Surprise relative – Bezat est un grand admirateur de l’industrie -, ce reportage est très favorable au point de vue des pétroliers. Et puis plus rien.

Et puis on apprend que le voyage de Bezat a été payé par Total (ici). On, mais pas les lecteurs du si déontologique quotidien du soir, qui n’ont évidemment pas le droit de pénétrer dans l’arrière-boutique. En résumé : Total prépare le terrain, en accord avec Hollande, pour qui l’exploitation des gaz de schiste en France serait une bénédiction électorale. Et une violation grossière de la loi Énergie de juillet 2005, qui prévoit une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en France à l’horizon 2050. Mais que représente la loi au regard d’une possible réélection ?

Revenons à la Conférence qui commence demain. Si j’ai abordé en commençant le dossier des gaz de schiste, c’est parce qu’il est emblématique. Comme l’est le nucléaire, défendu sans état d’âme par ce gouvernement, ainsi que par le précédent. Reportez-vous plus haut au déroulement des festivités. La table-ronde numéro 1 s’appelle : « Préparer le débat national sur la transition énergétique ». On devrait mettre au centre de toute discussion la crise climatique et les extrêmes dangers d’une industrie sans contrôle, le nucléaire. Or non. On va comme à l’habitude blablater, de façon à « définir les enjeux du débat national », puis « définir les grandes règles du débat national ». En 2012, après tant de centaines de rapports, tant d’alertes et de mises en garde, d’engagements passés – le référendum sur le nucléaire promis par Mitterrand en janvier 1981 -, nous en sommes encore au point mort.

Et nous le resterons, je vous en fiche mon billet. Deux ministres en exercice participent à cette table-ronde truquée : Delphine Batho, ministre de l’écologie, et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Les deux sont en faveur du nucléaire. Le second clairement en faveur de l’exploitation des gaz de schiste. Et de même madame Batho, qui, en hypocrite accomplie, fait semblant de croire que le dossier ne bouge pas. La fracturation hydraulique n’est-elle pas interdite par la loi ? À côté des deux ministres, une « facilitatrice » du nom de Laurence Tubiana. J’ai écrit sur elle en 2008, si cela vous intéresse : c’est ici.

Ceux qui acceptent de siéger dans ces conditions sont des dupes ou des manipulateurs. Peut-être les deux. Il n’y a pas de débat sur l’énergie, car les décisions ont déjà été prises. Ce que le pouvoir veut, c’est une caution. Il l’aura. Les écologistes officiels qui ont servi la soupe à Sarkozy il y a cinq ans peuvent bien aujourd’hui feindre qu’on ne les y reprendra plus. Si, on les y reprendra, aussi longtemps que les structures dégénérées qu’ils conduisent existeront. Voulez-vous qu’on parle des autres tables-rondes ? Bon, soit. L’intitulé de la deuxième est saisissant. La biodiversité s’effondre partout, mais, cocorico, on va s’atteler à la mise en œuvre de « la stratégie nationale pour la biodiversité » de manière à « favoriser la prise de conscience citoyenne ». C’est tellement con que ce n’est même plus drôle. On trouve ceci sur le site de notre ministère de l’Agriculture : « Grâce à l’Outre-mer, avec 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), la France dispose du deuxième espace maritime mondial, après celui des USA. Dans l’Océan Indien, les zones sous juridiction française s’étalent sur une surface huit fois plus grande que celle de la métropole. Cet immense espace maritime, réparti dans tous les océans, dote la France d’une grande richesse en matière de biodiversité marine, ce qui constitue à la fois un atout et une responsabilité. »

Formidable, hein ? Alors que l’Europe, pour une fois inspirée, souhaite interdire progressivement le chalutage profond, notre France vertueuse s’y oppose. S’y oppose, à nouveau pour de sordides intérêts politiciens. Or le chalutage profond est une catastrophe écologique planétaire (ici). Autre menu exemple : le nickel est en train de tuer à jamais des espèces endémiques de Nouvelle-Calédonie, venues en droite ligne du  Gondwana, supercontinent créé il y a 600 millions d’années et dont la Nouvelle-Calédonie est l’un des ultimes morceaux, à la dérive depuis bien avant l’arrivée des hommes sur terre. Non, bien sûr que non, on ne parlera pas de biodiversité. Et pas même chez nous, dans notre vieille France où l’agriculture industrielle est reine. Le Foll, ministre de l’Agriculture, a dealé depuis des semaines avec la FNSEA, puissance dominante, au point de ne pas même inviter à la Conférence de demain la Confédération paysanne, pourtant proche de la gauche. Au point d’aller visiter le 3 septembre les industriels français des biocarburants, fiers défenseurs d’une filière criminelle (ici). Je dois bien reconnaître que ces gens me dégoûtent.

Le reste ? Quel reste ? Table-ronde 3 : « Prévenir les risques sanitaires environnementaux ». Ministre présente : Geneviève Fioraso, militante déchaînée du nucléaire, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse (ici). Les deux dernières tables-rondes, chiantes comme la mort dès leur énoncé, devraient causer fiscalité et gouvernance. Tout cela est à chialer. Mais comme je n’écoute que mon grand cœur, je n’entends pas vous quitter sans positiver un peu. Attention ! ce qui suit est à prendre au premier degré, malgré ce qui précède. Un certain nombre d’écologistes officiels, qui se rendront demain au palais d’Iéna, gardent ma sympathie. Notamment ceux du tout nouveau Rassemblement pour la planète (ici), comme André Cicolella, Nadine Lauverjat, Franck Laval ou François Veillerette. Ils vont tenter d’arracher quelques mesures dans le domaine de la santé, et même si je crois qu’ils se trompent sur le fond, ils ont mon estime et mon affection. Ceux-là du moins pensent à l’avenir.

Ce qu’est l’esprit de guerre (contre la nature)

Ne l’oublions jamais : tandis que des petits groupes tentent de rameuter de vastes foules en faveur de la nature, des bêtes – dont nous sommes – et des plantes, d’autres ne rêvent que d’achever le grand massacre. Placés sur les deux plateaux d’une balance Roberval, on verrait aisément que les deux ensembles ne sont pas de même poids. Les destructeurs sont bien plus nombreux. Encore bien plus nombreux.

Dans la nuit du 18 au 19 août, quelques sombres crétins au front bas ont buté des centaines de milliers de vies, sans le moindre état d’âme. Dans le Gers, le conseil général dirigé par le socialiste Philippe Martin mène une politique qui considère la biodiversité. C’est si rare que je le note. Précisons que je connais – un tout petit peu – Philippe Martin, et que j’apprécie sa personne. Pour ce que j’en vois. Cela ne vaut pas quitus, Dieu sait ! Je ne suis pas et ne risque pas de devenir socialiste un jour. Des centaines d’articles de Planète sans visa le montrent sans détour.

Bref. Cette nuit du 18 au 19 août, de vrais connards ont vidé une grande part de l’étang du Moura, à Avéron-Bergelle, qui occupe tout de même 17 hectares. Comment ont-ils fait ? Les barbares trouvent toujours une manière d’agir : en l’occurrence, ils ont pété la vanne de vidange, et le lac a peu à peu disparu. Or ce lac est la propriété du conseil général du Gers, et il est classé en Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique (ZNIEFF). Philippe Martin et ses amis le voulaient un modèle de gestion écologique et pédagogique. Au-dedans, au moment du crime – car c’est un crime, oui ou non ? -, il y vivait des centaines de milliers d’alevins, des milliers de carpes et d’anguilles adultes. Ainsi que des tortues cistudes, animal fort menacé chez nous.

Qu’ont-ils laissé, outre la mort et la désolation ? Une baraque de pêche incendiée, qui avait été bâtie au 18ème siècle par des moines cisterciens. On finira par croire que ces crapules ne respectent rien. Philippe Martin, président donc du conseil général, m’adresse quelques mots : « Certains des “tags” retrouvés sur les murs fumants de cette jolie petite “maison du pêcheur” datant du 18ème siècle laissent peu de doutes sur l’origine et les motivations des auteurs de cet acte (« Martin, pas d’eau pour les tortues » ou « Martin tu peux en acheter un autre », sans compter le traditionnel et si romantique « Martin = PD »…) ».

L’affaire se terminera – peut-être – devant le tribunal. Mais elle a d’ores et déjà une morale provisoire. Dans la lutte éperdue pour sauver les écosystèmes, il faut certes continuer à convaincre et à entraîner. Certes oui. Mais il serait sot, et fort vain, de croire que nous ne rencontrerons, sur notre route, que bravos et brassées de fleurs. L’ennemi de la nature existe.

Annie n’aime pas les sucettes (ni la Légion d’Honneur)

J’ai une très grande affection pour Annie Thébaud-Mony. Directrice de recherche – honoraire – à l’Inserm, elle mène inlassablement des combats à mes yeux cruciaux. Pour le désamiantage en France du Clemenceau. Contre la destruction d’un village d’Intouchables en Inde par Michelin. Pour la reconnaissance des dizaines de cancers du rein de l’entreprise martyre Adisseo (Allier). Contre le traitement inhumain infligé chez nous aux sous-traitants du nucléaire. Tant d’autres. J’ai l’honneur de participer avec elle à l’association Henri Pézerat (ici), du nom de celui – que je chéris tant – qui fut son compagnon jusqu’à sa mort en 2009. Et voilà qu’on vient de lui balancer la Légion d’Honneur.

L’affaire est tragi-comique. Une ministre se réclamant de l’écologie – Cécile Duflot – ne trouve rien de mieux à faire, quelques semaines après son entrée au gouvernement, que de distribuer des breloques par poignées (ici). Comment diable oser pareille chose ? Moi, j’en suis resté à la détestation définitive des décorations d’État, qui abaissent et avilissent même ceux qui les reçoivent. J’en suis resté à Benjamin Péret, surréaliste quand ce mot avait un sens. Dans son merveilleux Mort au vaches et au champ d’honneur, il écrit ceci : « La bouche revint alors près de moi et me dit : “Quelle poésie ! Et ça t’amuse, imbécile ? Je peux faire des vers de cette espèce toute la journée. Je me contente d’en écrire chaque année au 14 juillet et je les envoie au Président de la République. C’est pourquoi l’on m’a décorée de la Légion d’honneur comme une saucisse empaillée”».

Du même Péret, ce poème de 1929, paru dans le tome 12 de La Révolution Surréaliste, et qui s’appelle La loi Paul Boncour.

Partez chiens crevés pour amuser les troupes
et vous araignées pour empoisonner les ennemis
Le communiqué du jour rédigé par des singes tabétiques annonce
le 22e corps d’armée de punaises
a pénétré dans les lignes ennemis sans coup férir
À la prochaine guerre
les nonnes garderont les tranchées pour le plus grand plaisir des rengagés
et pour se faire trouer l’hostie à coup de balai
Et les enfants au biberon
pisseront du pétrole enflammé sur les bivouacs ennemis

Pour avoir hoqueté dans ses langes
un héros de trois mois aura les mains coupées
et la légion d’honneur tatouée sur les fesses

Tout le monde fera la guerre
hommes femmes enfants vieillards chiens chats cochons
puces hannetons tomates ablettes perdrix et rats crevés
tout le monde

Des escadrons de chevaux sauvages
d’une ruade chasseront les canons de l’adversaire
et quelque part la ligne de feu sera gardée par des putois
dont l’odeur conduite par un vent propice
asphyxiera des régiments entiers
mieux qu’un pet épiscopal
Alors les hommes qui écrasent les sénateurs comme une crotte de chien
se regardant dans les yeux
riront comme les montagnes
obligeront les curés à tuer les derniers généraux avec leurs croix
et à coups de drapeaux
massacreront les curés comme un amen

Donc, Duflot. Qui ose décorer Annie Thébaud-Mony. Mais Annie ne veut pas. Elle explique ci-dessous pourquoi. Merci à Jean-Paul Brodier, de Metz, pour son aide technique.

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Fontenay-sous-Bois, le 31 juillet 2012

Madame Cécile Duflot
Ministre de l’égalité, des territoires et du logement
Hotel de Castries
72 rue de Varenne – 75 007 Paris

Madame la ministre,

Par votre courrier du 20 juillet 2012, vous m’informez personnellement de ma nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur et m’indiquez que vous êtes à l’origine de celle-ci. J’y suis très sensible et je tiens à vous remercier d’avoir jugé mon activité professionnelle et mes engagements citoyens dignes d’une reconnaissance nationale. Cependant – tout en étant consciente du sens que revêt ce choix de votre part – je ne peux accepter de recevoir cette distinction et je vais dans ce courrier m’en expliquer au près de vous.

Concernant mon activité professionnelle, j’ai mené pendant trente ans des recherches en santé publique, sur la santé des travailleurs et sur les inégalités sociales en matière de santé, notamment dans le domaine du cancer. La reconnaissance institutionnelle que je pouvais attendre concernait non seulement mon évolution de carrière mais aussi le recrutement de jeunes chercheurs dans le domaine dans lequel j’ai travaillé, tant il est urgent de développer ces recherches. En ce qui me concerne, ma carrière a été bloquée pendant les dix dernières années de ma vie professionnelle.

 Je n’ai jamais été admise au grade de directeur de recherche de 1e classe. Plus grave encore, plusieurs jeunes et brillant.e.s chercheur.e.s, qui travaillaient avec moi, se sont vu.e.s fermer les portes des institutions, par manque de soutien de mes directeurs d’unité, et vivent encore à ce jour – malgré la qualité de leurs travaux – dans des situations de précarité scientifique. Quant au programme de recherche que nous avons construit depuis plus de dix ans en Seine Saint Denis sur les cancers professionnels, bien que reconnu au niveau national et international pour la qualité scientifique des travaux menés, il demeure lui-même fragile, même s’il a bénéficié de certains soutiens institutionnels.

 J’en ai été, toutes ces années, la seule chercheuse statutaire. Pour assurer la continuité du programme et tenter, autant que faire se peut, de stabiliser l’emploi des jeunes chercheurs collaborant à celui-ci, il m’a fallu en permanence rechercher des financements – ce que j’appelle la « mendicité scientifique » – tout en résistant à toute forme de conflits d’intérêts pour mener une recherche publique sur fonds publics. Enfin, la recherche en santé publique étant une recherche pour l’action, j’ai mené mon activité dans l’espoir de voir les résultats de nos programmes de recherche pris en compte pour une transformation des conditions de travail et l’adoption de stratégies de prévention.

 Au terme de trente ans d’activité, il me faut constater que les conditions de travail ne cessent de se dégrader, que la prise de conscience du désastre sanitaire de l’amiante n’a pas conduit à une stratégie de lutte contre l’épidémie des cancers professionnels et environnementaux, que la sous-traitance des risques fait supporter par les plus démunis des travailleurs, salariés ou non, dans l’industrie, l’agriculture, les services et la fonction publique, un cumul de risques physiques, organisationnels et psychologiques, dans une terrible indifférence. Il est de la responsabilité des chercheurs en santé publique d’alerter, ce que j’ai tenté de faire par mon travail scientifique mais aussi dans des réseaux d’action citoyenne pour la défense des droits fondamentaux à la vie, à la santé, à la dignité.

 Parce que mes engagements s’inscrivent dans une dynamique collective, je ne peux accepter une reconnaissance qui me concerne personnellement, même si j’ai conscience que votre choix, à travers ma personne, témoigne de l’importance que vous accordez aux mobilisations collectives dans lesquelles je m’inscris. J’ai participé depuis trente ans à différents réseaux en lutte contre les atteintes à la santé dues aux risques industriels.

  Ces réseaux sont constitués de militants, qu’ils soient chercheurs, ouvriers, agriculteurs, journalistes, avocats, médecins ou autres… Chacun d’entre nous mérite reconnaissance pour le travail accompli dans la défense de l’intérêt général. Ainsi du collectif des associations qui se bat depuis 15 ans à Aulnay-sous-bois pour une déconstruction – conforme aux règles de prévention – d’une usine de broyage d’amiante qui a contaminé le voisinage, tué d’anciens écoliers de l’école mitoyenne du site, des travailleurs et des riverains. Ainsi des syndicalistes qui – à France Télécom, Peugeot ou Renault – se battent pour la reconnaissance des cancers professionnels ou des suicides liés au travail. Ainsi des ex-ouvrières d’Amisol – les premières à avoir dénoncé l’amiante dans les usines françaises dans les années 70 – qui continuent à lutter pour le droit au suivi post-professionnel des travailleurs victimes d’exposition aux cancérogènes. Ainsi des travailleurs victimes de la chimie, des sous-traitants intervenant dans les centrales nucléaires, des saisonniers agricoles ou des familles victimes du saturnisme.

 Tous et chacun, nous donnons de notre temps, de notre intelligence et de notre expérience pour faire émerger le continent invisible de ce qui fut désigné jadis comme les « dégâts du progrès », en France et au delà des frontières du monde occidental. La reconnaissance que nous attendons, nous aimerions, Madame la ministre, nous en entretenir avec vous. Nous voulons être pris au sérieux lorsque nous donnons à voir cette dégradation des conditions de travail dont je parlais plus haut, le drame des accidents du travail et maladies professionnelles, mais aussi l’accumulation des impasses environnementales, en matière d’amiante, de pesticides, de déchets nucléaires et chimiques…

 Cessons les vraies fausses controverses sur les faibles doses. Des politiques publiques doivent devenir le rempart à la mise en danger délibérée d’autrui, y compris en matière pénale. Vous avez récemment exprimé, à la tribune de l’Assemblée nationale, votre souhait d’écrire des lois « plus justes, plus efficaces, plus pérennes. En qualité de Ministre chargée de l’Egalité des territoires et du logement, vous avez un pouvoir effectif non seulement pour augmenter le nombre des logements mais légiférer pour des logement sains, en participant à la remise en cause de l’impunité qui jusqu’à ce jour protège les responsables de crimes industriels. En mémoire d’Henri Pézerat qui fut pionnier dans les actions citoyennes dans lesquelles je suis engagée aujourd’hui et au nom de l’association qui porte son nom, la reconnaissance que j’appelle de mes vœux serait de voir la justice française condamner les crimes industriels à la mesure de leurs conséquences, pour qu’enfin la prévention devienne réalité.

Pour toutes ces raisons, Madame la ministre, je tiens à vous renouveler mes remerciements, mais je vous demande d’accepter mon refus d’être décorée de la légion d’honneur. Avec l’association que je préside, je me tiens à votre disposition pour vous informer de nos activités et des problèmes sur lesquels nous souhaiterions vous solliciter.

Je vous prie d’agréer, Madame la ministre, l’expression de ma reconnaissance et de
mes respectueuses salutations

Annie Thébaud-Mony