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L’Appel de Heidelberg, Valtat, Rothmans, Rupert et le WWF

Je viens de lire le sensationnel article de Stéphane Foucart dans Le Monde, que vous trouverez en copie ci-dessous. Il se suffit, d’un certain côté. Mais je souhaite y ajouter ma pierre. Un, le cabinet Valtat, dont on parle, a joué un rôle clé dans la désinformation organisé à propos de l’amiante. En créant notamment un Comité permanent amiante (CPA), à partir de 1982 je crois, chargé de faire avaler la fable de « l’usage contrôlé de l’amiante ». Par ce crime social organisé, les patrons de l’amiante en France ont gagné dix ans avant l’interdiction de ce maudit minéral. Pas si mal. Et le pire est que le CPA réunissait patrons et syndicats « convaincus » par quelque mystérieuse manière de siéger à la table du diable. La CGT et la CFDT notamment ont AVALISÉ cette pure saloperie. Qui fera jamais le bilan de cette infamie ?

Autre ajout personnel. Vous verrez dans le papier de Foucart le rôle qu’ont joué les cigarettiers dans la si vaste combinazione de l’Appel de Heidelberg, à laquelle ont participé même des gens comme le sociologue Pierre Bourdieu. Eh bien, l’un de ces cigarettiers s’appelle Rothmans. Et le créateur de cette transnationale du tabac n’est autre qu’Anton Rupert, l’homme qui a fondé le WWF International. Oui. Comme je le raconte en détail dans mon livre Qui a tué l’écologie ?, Rupert, qui était né en 1916, a été un fervent soutien du régime raciste d’Afrique du Sud. Il a même été membre d’une abominable société secrète, le Broederbond, ou Ligue des Frères. Blancs, cela va sans dire. Parallèlement, Rupert devenait milliardaire grâce à la clope, devenant l’une des grandes fortunes sud-africaines. Savez-vous ? Il a même été quelque temps patron de Canal + ! Ohé, les Guignols !

Rupert, mort en 2006, a donc lancé le WWF International et créé pour cela le club des 1001 pour financer la structure. Un club international plus que discret de donateurs, parmi lesquels l’ancien dictateur du Zaïre Mobutu ou l’homme des bombardements massifs sur le Vietnam, Robert McNamara. Sans oublier, chez nous, l’ancien député du Front National Charles de Chambrun, mort en 2010. Toute cette histoire est dégueulasse. En tout cas, Rupert, l’apartheid, le WWF et donc Rothmans.

L’article de Foucart montre que pendant que Rupert faisait joujou avec le WWF, les sbires de sa boîte sabotaient les efforts pour tenter de sauver les équilibres de la planète. Si vous trouvez une morale à cette putain d’histoire, n’hésitez pas à me prévenir.

Voici l’article du Monde

L’appel d’Heidelberg, une initiative fumeuse

LE MONDE | 16.06.2012 à 20h45 • Mis à jour le 16.06.2012 à 20h45
Par Stéphane Foucart

Par son ampleur, par le nombre et le prestige des personnalités enrôlées à leur insu, par l’effet qu’elle a eu dans la structuration du débat public, c’est sans doute l’une des plus brillantes opérations de communication jamais menées. Qu’on en juge : des dizaines de Prix Nobel de toutes disciplines (Hans Bethe, Linus Pauling, Ilya Prigogine, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes, Elie Wiesel, etc.) aux côtés de centaines de scientifiques de premier plan, de médecins, d’intellectuels ou d’écrivains (Pierre Bourdieu, Hervé Le Bras, Marc Fumaroli, Eugène Ionesco, etc.) signant dans un même élan un appel solennel « aux chefs d’Etat et de gouvernement ».

Le 1er juin 1992, ce texte-massue est rendu public à la veille de l’ouverture du Sommet de la Terre à Rio (Brésil). C’est l’appel d’Heidelberg. Sitôt rendu public, il fait couler des tombereaux d’encre : il est présenté comme une grave mise en garde des « savants », enjoignant les dirigeants réunis à Rio à la plus grande méfiance face aux défenseurs de l’environnement animés par une « idéologie irrationnelle qui s’oppose au développement scientifique et industriel ».

« PSEUDO-SCIENCES »

La présentation et la médiatisation du texte – bien plus que son contenu stricto sensu – ont à l’évidence pour objectif de ramener les préoccupations environnementales et les sciences de l’environnement, qui émergent à Rio, à des « pseudo-sciences ». « Des scientifiques s’inquiètent du tout-écologie », titre Le Figaro. « Rio contre Heidelberg », ajoute Le Monde. « Rio : faut-il brûler les écologistes ? », s’interroge Libération à sa « une ». Initiative spontanée de la communauté scientifique ? L’appel d’Heidelberg est en réalité le résultat d’une campagne habilement orchestrée par un cabinet de lobbying parisien lié de près aux industriels de l’amiante et du tabac…

Le premier indice est un mémo confidentiel de Philip Morris, daté du 23 mars 1993 et rendu public dans le cadre d’une action en justice contre le cigarettier. La note interne présente l’appel d’Heidelberg, se félicitant qu’il « a maintenant été adopté par plus de 2 500 scientifiques, économistes et intellectuels, dont 70 Prix Nobel ».

A L’ORIGINE, L’INDUSTRIE DE L’AMIANTE

A quoi tient l’existence de cette « coalition internationale de scientifiques basée à Paris » ? Le mémo de Philip Morris l’explique sans ambages : elle « a son origine dans l’industrie de l’amiante, mais elle est devenue un large mouvement indépendant en un peu moins d’un an ». « Nous sommes engagés aux côtés de cette coalition à travers la National Manufacturers Association française [Groupement des fournisseurs communautaires de cigarettes], mais nous restons discrets parce que des membres de la coalition s’inquiètent qu’on puisse faire un lien avec le tabac, ajoute la note de Philip Morris. Notre stratégie est de continuer à la soutenir discrètement et de l’aider à grandir, en taille et en crédibilité. »
Pourquoi soutenir l’appel d’Heidelberg ? Comment ? « Un nouvel organisme, le Centre international pour une écologie scientifique [ICSE, pour International Center for a Scientific Ecology], a été fondé, à Paris, comme une continuité de l’appel d’Heidelberg, pour fournir aux gouvernements du monde entier des opinions sur ce qui constitue une science environnementale solide, à propos de certains problèmes », explique la note. « Certains problèmes », mais surtout ceux qui concernent les industriels du tabac et de l’amiante…

L’ICSE est domicilié avenue de Messine, à Paris, dans les locaux d’un cabinet de conseil aux entreprises, Communications économiques et sociales (CES), et n’en est qu’une émanation. Or c’est précisément CES qui organise et supervise, en France, le lobbying des industriels de l’amiante entre 1982 et 1996. Un lobbying qui permettra de retarder à 1997 l’interdiction de la fibre cancérigène, qui devrait causer, selon l’Inserm, environ 100 000 morts prématurées entre 1995 et 2025…

MINIMISER LES RISQUES

Pour promouvoir une « écologie scientifique », l’ICSE, cette « continuité » de l’appel d’Heidelberg, organise des conférences. La première se tient le 10 mai 1993, à Paris. Le thème est celui des risques réels associés à la présence de cancérogènes à faible dose dans l’environnement : pesticides, fibres d’amiante, fumée ambiante de tabac… Mais les intervenants sont soigneusement choisis pour minimiser le plus possible ces risques. L’examen de documents internes de l’industrie du tabac – déclassifiés par la justice américaine depuis le début des années 2000 – montre que plus de la moitié des douze scientifiques intervenant ont des liens financiers avec l’industrie cigarettière américaine, soit à titre de consultant, soit par le biais de crédits de recherche. Les autres sont liés à d’autres secteurs… Quant au seul Français présent, c’est le toxicologue Etienne Fournier, membre de l’Académie nationale de médecine et… du Comité permanent amiante – un groupe informel désormais célèbre, mis sur pied par CES pour appuyer le lobbying en faveur de la fibre minérale.

L’inféodation des conférences de l’ICSE à l’industrie va bien au-delà du choix des intervenants. Un courrier confidentiel du 10 juin 1993, adressé par un cadre de Rothmans International à sa représentante en France, montre que les responsables de l’industrie cigarettière américaine ont eu accès à la version provisoire de la déclaration de consensus prise à l’issue de la conférence de l’ICSE à Paris. « La semaine dernière, Sophie Valtat, de l’ICSE, m’a envoyé la version provisoire du consensus, écrit ce cadre de Rothmans. Cela convient pour la plus grande part. Cependant, la deuxième phrase pourrait conduire à condamner l’ICSE pour dogmatisme… » Rothmans suggère ensuite un changement de formulation de la phrase contestée.

« PAR DÉONTOLOGIE, JE L’AI REFUSÉ »

Le lien avec l’appel d’Heidelberg apparaît en toutes lettres dans les plaquettes de présentation de l’ICSE : « Notre but est de répondre à la requête de nombreux signataires de l’appel d’Heidelberg, dans l’objectif d’étendre son impact à l’examen de questions réelles, auxquelles est confrontée la communauté scientifique. » Le programme de la conférence de Paris est, de plus, annoncé comme ayant été préparé par « le docteur Michel Salomon, coordinateur de l’appel d’Heidelberg ». Comme le rapporte à l’époque la presse française, c’est en effet Michel Salomon, médecin et journaliste, éditeur de la revue Projections, qui réunit, en avril 1992 à Heidelberg (Allemagne), le petit noyau des premiers signataires de l’appel… Comment, avec les nombreuses et prestigieuses cautions du célèbre appel, pouvait-on suspecter l’ICSE d’organiser des fausses conférences scientifiques sous la tutelle des industries du tabac et de l’amiante ?

Pourtant, dès avant la publication de l’appel, de premiers soupçons se font jour. « Avant mon départ pour Rio, un certain Marcel Valtat est venu me voir au journal pour me proposer l’exclusivité de l’appel d’Heidelberg », raconte le journaliste Roger Cans, alors chargé de l’environnement au Monde. Patron et fondateur de CES, Marcel Valtat est alors connu pour ses liens avec les industriels de la pharmacie et de l’amiante. « J’ai lu le texte et j’ai tout de suite soupçonné qu’il y avait des intérêts économiques derrière, poursuit Roger Cans. Par déontologie, je l’ai refusé. Je savais que, si Le Monde le publiait en exclusivité, on penserait qu’il en épousait le point de vue. C’est Le Figaro qui a finalement eu le « scoop »… » Bien sûr, l’écrasante majorité des signataires ignore tout de l’origine du texte et des motivations de ses commanditaires.

Jean-Pierre Hulot, ancien collaborateur de Marcel Valtat (décédé en 1993) et actuel PDG de CES, confirme au Monde que « l’appel d’Heidelberg est bien parti de CES ». « Michel Salomon travaillait en free-lance pour nous », ajoute M. Hulot, qui a été mis en examen en janvier 2012 pour son rôle au sein du Comité permanent amiante. Cependant, M. Hulot assure que le texte n’a pas été commandé par une ou plusieurs entreprises, et qu’il était une « initiative bénévole née après des discussions tenues avec des membres de l’Académie des sciences ». Quant à l’ICSE, poursuit-il, « cela partait d’une volonté de diversifier l’activité de CES et d’organiser des congrès scientifiques ». Des congrès dont les documents sont relus et amendés par les cigarettiers ? « Je ne suivais pas cela personnellement, je ne suis pas au courant », répond M. Hulot.

Stéphane Foucart

Encore une grande victoire (aux législatives)

Je vous l’assure, ce qui suit n’est pas (même) polémique. Extrait, pour commencer du communiqué publié ce jour par Europe-Écologie Le Verts (EELV), sous la signature de Jacques Archimbaud, Secrétaire national adjoint :

« En route vers le groupe écolo à l’Assemblée nationale !
Au premier tour des élections législatives, les candidat-e-s EELV ont obtenu – toutes situations confondues – un score de 5,46 %. Plus de deux points de plus qu’il y a 5 ans. La création d’un groupe de 15 députés écologistes à l’Assemblée nationale est aujourd’hui à notre portée. Et ceci, pour la toute première fois dans l’histoire de notre pays.

Ce résultat marque les avancées que nous avons réalisées depuis 5 ans.

En quelques années, nous avons obtenu d’excellents scores aux européennes puis aux régionales, un groupe de 11 sénateurs et sénatrices et désormais deux ministres. Après l’éprouvante séquence de la présidentielle, les résultats de dimanche le confirment : l’écologie politique est présente durablement dans la vie politique française. »

Fin de l’extrait, et début de mon commentaire. J’ai une bien piètre opinion de ce parti politique, depuis les origines ou presque. J’ai eu le douteux privilège de suivre ses activités vers 1991, pour Le Canard Enchaîné un temps, et je n’ai pas oublié le spectacle affreux des luttes de personnes, sans aucun fond politique. Puis, j’ai pu mesurer à quel point l’écologie n’existait pour ainsi dire pas pour les chefaillons se disputant les places. Les choses ont-elles changé ? Je crois que non. Mais je veux bien aller au-delà. Je veux bien traiter les Verts comme les autres partis politiques. De gauche, en la circonstance, puisque ce parti se veut de gauche. Les partis de droite, qui défendent ouvertement la catastrophe, m’intéressent encore moins.

Voyons. Restons-en aux proclamations. Le parti communiste et ses avatars mélenchoniens ne luttent-ils pas, officiellement, contre la division de la société en classes sociales ? Si. Le montrent-ils si peu que ce soit dans leurs pratiques respectives ? Non. Les communistes n’ont jamais su que créer et fortifier des chefferies, des bureaucraties, des hiérarchies, et parmi les plus pesantes qui soient. Le parti socialiste ne prétend-il pas incarner la justice et la redistribution sociales ? Si. Les inégalités n’ont-elles pas explosé sous la gauche au pouvoir, à partir de 1981 ? La question des banlieues n’est-elle pas devenue incontrôlable au même moment ? Le gouvernement de Lionel Jospin, et de Jean-Luc Mélenchon, n’a-t-il pas privatisé davantage que bien des gouvernements de droite ? Si.

Les Verts. Officiellement, ils sont d’accord pour dire, et répéter en rond, que la crise écologique planétaire met en danger la vie même de l’humanité. Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres plus évidents encore, Yves Cochet. Ancien ministre, ponte et archiponte du mouvement écologiste EELV, il a écrit en 2005 un livre au titre explicite :  Pétrole Apocalypse. J’insiste sur un point : de très nombreux responsables de ce mouvement ont ajouté leur pierre à l’édifice, et si l’on pouvait rassembler leurs points de vue en un seul, je crois que le tout serait facile à résumer. Nous allons à l’abîme. Peut-être y sommes-nous déjà.

C’est à cette aune que je vous recommande de relire le texte des Verts supra. Ainsi donc, ces dérisoires législatives sont un grand succès pour les écologistes. Un groupe parlementaire est en vue, etc. Demain, on aura peut-être trois ministres. Après-demain, Cécile Duflot sera Reine de France. À l’automne, soyons totalement fou, M.Placé sera devenu un écologiste. Sans rire, ne voyez-vous pas ? Ne voyez-vous pas l’évidence que ce parti dévoré par les plus médiocres ambitions personnelles n’a que faire des sujets graves traités ici, sur Planète sans visa (et en d’autres lieux, par chance) ? Sans rire, ne comprenez-vous pas que ce parti nous fait perdre à tous un temps qui ne reviendra hélas jamais ? Sans rire, ne pensez-vous pas qu’il est tout simplement un obstacle à toute prise de conscience des enjeux et des échéances ?

Le Foll a le soutien des chasseurs (Thierry Coste superstar)

Merci à Raymond Faure, qui m’a mis sur la piste de ce court article du Figaro, en date du 4 juin 2012. Ma foi, nous allons vers les beaux jours.

Le Foll a le soutien des chasseurs

Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, candidat PS dans la quatrième circonscription de la Sarthe, l’ex-fief de François Fillon, a reçu le soutien personnel de Thierry Coste, conseiller politique de la chasse et de la pêche. C’est lui qui, avec Emmanuelle Mignon, avait rédigé le programme chasse de Nicolas Sarkozy en 2007. En 2012, Thierry Coste a effectué le même travail aux côtés de François Hollande. La preuve que les problèmes de chasse dépassent les clivages politiques.

Planète sans visa l’avait bien dit (sur l’Espagne en ruines)

Cette fois, je ne saurais nier. Oui, ce qui suit est de l’autopromotion. Selon la vieille logique que chacun connaît, si je ne dis pas du bien de moi, qui le fera ? Alain Lipietz, peut-être ? Le fait est, amis de Planète sans visa, que j’ai écrit ici, il y a deux ans, et trois, et quatre, ce qu’il fallait penser du « miracle économique » espagnol. Les banques devraient m’embaucher, elles gagneraient de l’argent.

Plus sérieux : pourquoi personne ne parle ? On va encore nous servir la sauce idéologique selon laquelle les banques voraces seraient coupables. Mais merde, à la fin ! Il est dans la nature de ces entreprises de chercher à faire du blé quel que soient les coûts humain et écologique de leurs opérations. Le problème est ailleurs. Pourquoi cette horrible complicité des classes politiques européennes ? Pourquoi cette affolante propension des peuples à se gaver de biens matériels inutiles, dispendieux, destructeurs de tout ? Les socialos français – ils ne sont pas les seuls – ont ENCENSÉ la politique criminelle de leurs copains espagnols du PSOE. Ils ont applaudi la destruction accélérée du littoral ibérique. Ibérique, car le Portugal est lui aussi concerné. Ayrault, notre Premier ministre, veut à toute force un second aéroport à Nantes, sa ville, au moment où des dizaines d’aéroports espagnols, financés par l’impôt, sombrent dans l’insolvabilité et la ruine.

Je vous en prie ! Assez de jérémiades ! Assez d’explications qui jamais ne rendent compte de rien. Le monde doit changer de base, je crois que cela a déjà été écrit.

Ci-dessous, pour ceux qui veulent voir, de leurs propres yeux éblouis, deux articles anciens de Planète sans visa, et même un troisième. 2010, 2009, 2008 : qui dit mieux ?

Espagne, castagnettes et dominos

Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.

La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.

Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.

Tiens, je vous remets pour le même prix un article de Planète sans visa, qui n’a, après tout, qu’un an. Il renvoie à un article qui en a deux.

Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ? ».

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.

Les truands en pleine action climatique

Interdira-t-on les prévisions climatiques ?

C’est une histoire tellement incroyable qu’il vaut mieux commencer par donner les faits tels que les a rapportés, lundi 28 mai, le News & Observer, journal implanté en Caroline du Nord. Les autorités fédérales américaines ayant estimé qu’en raison de leur relief peu élevé, les côtes de cet Etat étaient vulnérables face à la montée du niveau de l’océan due au réchauffement climatique, il a été demandé à une commission scientifique d’évaluer les risques. Son rapport, rendu à la Commission des ressources côtières de Caroline du Nord, a expliqué qu’il fallait s’attendre à une montée des eaux d’un mètre d’ici à la fin du siècle, avec pour corollaire quelque 5 000 kilomètres carrés de terres passant dans la catégorie des zones inondées ou inondables. Ce qui signifie, en clair, des conséquences économiques importantes avec le bouleversement de la politique locale d’aménagement du territoire, la fin de projets de stations balnéaires et l’obligation de construire des routes surélevées.

Beaucoup trop pour le NC-20, un groupement de 20 comtés côtiers de Caroline du Nord. Jugeant que le catastrophisme était mauvais pour les affaires et qu’il ne fallait pas s’appuyer sur « des modèles informatiques basés sur de simples hypothèses humaines », ce lobby local est donc passé à l’offensive contre ce rapport scientifique, avec tant d’efficacité que l’évaluation d’1 mètre de hausse du niveau de l’océan a été substantiellement revue à la baisse : la Commission des ressources côtières a finalement validé le chiffre de 15,6 pouces, soit un peu moins de 40 centimètres. Mais cette contre-attaque ne s’est pas arrêtée là. Un texte amendant une loi sur la politique d’aménagement des côtes de Caroline du Nord a même été préparé en avril, qui ajoute des restrictions sur l’évaluation de la hausse du niveau de l’océan dans cet Etat ! Il explique notamment que la Division de la gestion des côtes (qui n’est pas un organisme scientifique) sera la seule agence habilitée à la réaliser et ce uniquement à la demande de la Commission des ressources côtières. Les chercheurs pourront toujours effectuer des calculs dans leur coin, cela ne sera pas pris en compte par la Commission.

Ce texte présenté par des élus républicains va même plus loin en expliquant comment la hausse future du niveau de l’océan devra être estimée ! La prévision ne s’appuiera sur aucun modèle de climatologie mais devra seulement être extrapolée à partir des relevés historiques de niveau de la mer effectués depuis 1900. Quant à l’extrapolation elle-même, il s’agira d’une simple ligne droite prolongeant la tendance passée et « n’inclura pas de scénario prévoyant une accélération de la montée du niveau des océans ». Alors même que tous les modèles prévoient ce genre d’accélération et que les mesures effectuées ces dernières années, en particulier par les altimètres des satellites Topex-Poséidon et Jason 1 et 2, concordent avec ces prévisions.

On pourrait très bien arguer que la valeur de 15,6 pouces est tout à fait correcte puisqu’elle s’insère bien dans la fourchette allant de 18 à 59 centimètres inscrite dans le rapport du GIEC de 2007. Ce serait omettre que cette fourchette a été volontairement conservatrice comme le précisait à l’époque le GIEC lui-même : « Les projections ne tenant compte ni des incertitudes liées aux rétroactions entre le climat et le cycle du carbone, ni des effets complets de l’évolution de l’écoulement dans les nappes glaciaires, les valeurs supérieures des fourchettes ne doivent pas être considérées comme les limites supérieures de l’élévation du niveau de la mer. » Dans les faits, la perte de masse des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique s’accélère depuis plusieurs années comme l’ont montré les mesures des satellites GRACE. Une étude de 2009 a donc réévalué la hausse à venir du niveau des mers : selon le scénario le plus modéré (augmentation de température limitée à 2°C à la fin du siècle), la hausse moyenne serait de 104 centimètres, ce qui est en bon accord avec la mesure donnée par le panel de chercheurs s’intéressant aux côtes de la Caroline du Nord.

Le projet de loi en question n’a, à ma connaissance, pas encore été soumis au vote. Cela dit, et au-delà des disputes sur les chiffres, on ne peut que trouver inquiétantes cette envie de vouloir faire taire la science par la législation et cette manière de se dire qu’un phénomène naturel sera limité parce que des responsables politiques ont décidé de le sous-évaluer. Cela rappelle évidemment l’arrêt aux frontières de la France du « nuage » radioactif de Tchernobyl. La hausse conséquente du niveau des océans au XXIe siècle aura lieu partout sur la Terre sauf en Caroline du Nord où elle sera limitée à moins de 40 cm, alors que l’article du News & Observer fait remarquer que d’autres Etats côtiers américains comme la Louisiane, la Californie, le Delaware et le Maine se préparent respectivement à des hausses de 1, 1,4, 1,5 et 2 mètres.

Il se peut aussi que rien de tout cela n’arrive, à en croire le sénateur républicain de l’Oklahoma James Inhofe, tout simplement parce que Dieu ne permet pas le changement climatique. C’est écrit dans la Bible. Lors d’une intervention à la radio début mars, cet homme politique a cité un passage de la Genèse pour soutenir son propos : « Tant que la terre subsistera, les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l’été et l’hiver, le jour et la nuit ne cesseront point. » Il a ajouté : « Dieu est toujours là-haut. Je suis scandalisé par l’arrogance des gens qui pensent que nous, êtres humains, serions capables de changer ce qu’Il fait avec le climat. » Tout est dit.

Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)