Il ne faut pas être bien curieux pour regarder les anciens résultats électoraux de la France. Et qui le fait sera sans doute aussi frappé que moi par les chiffres venus droit de l’élection présidentielle de 2002.
Commençons par ce formidable M. Mélenchon, qui a pu déclarer que le Front de Gauche était en train de devenir le Front du Peuple tout entier. Il a obtenu en avril 2012, voici quelques jours, 11,1 % des voix. Ce n’est pas rien, et il serait inepte de le contester. Mais en 2002, si l’on additionne les voix de l’extrême-gauche et celles du parti communiste, on obtient – vous pouvez me faire confiance – exactement 13,81 %. En 2012, si l’on fait le même calcul, ajoutant au résultat de M.Mélenchon ceux de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud, on arrive à 12,81 %. Soit un point de moins. J’ajoute qu’en 1981, le candidat communiste Georges Marchais était à 15,35 % au premier tour, ce qui avait catastrophé les apparatchiks du Parti. Lesquels se souvenaient qu’en 1969, leur candidat Jacques Duclos caracolait à 21,27 %. Plus ça avance, plus ça recule.
Poursuivons par les chiffres de Marine Le Pen. Elle vient d’obtenir 17,90 % des voix, ce qui est colossal, lamentable et même déshonorant pour nous tous. Mais il n’est pas interdit de rappeler que son père Jean-Marie Le Pen avait atteint en 2002 16,86 % des suffrages. Et il n’est sûrement pas abusif d’y adjoindre le score de son ancien lieutenant, Bruno Mégret, qui avait fait alors 2,34 %. Ce qui donne un total de 19,2 %. Et donc 1,3 point de plus que sa fille cette année.
Où veux-je en venir ? Je crois pouvoir écrire que j’aime la mémoire. Les mémoires. L’extrême-droite est chez nous un problème grave, ancien, compliqué. Son éventuelle solution passe, selon moi, par une mobilisation nationale sans précédent au sujet des banlieues. Ce que n’a pas même esquissé M.Mitterrand lorsqu’il a été président – pendant quatorze ans tout de même – de notre pays. Mitterrand, le grand héros de M.Mélenchon, a toujours préféré la manipulation et le jeu avec le Front National pour demeurer au pouvoir. Lionel Jospin, quand il a été Premier ministre entre 1997 et 2002, n’a rien fait non plus. Encore bravo. Bien que ne jouant pas dans la même division que Mitterrand dans l’esprit de M.Mélenchon, Jospin est pour lui comme un repère, et un repère très positif. Ce qui est bien normal, car M.Mélenchon a été ministre de son gouvernement jusqu’en 2002. Et il le serait peut-être encore si Le Pen n’avait éliminé Jospin, dans les conditions que l’on sait, certain 21 avril 2002.
Pour le reste, je crois que tout a déjà été dit. M.Mélenchon a mené une campagne politique réussie, mais dans le droit fil de l’Ostalgie. Ce mot allemand est formé par Ost – l’Est – et nostalgie. Le tout désigne le regret du passé, dans une partie de la population allemande ayant vécu au sein de la défunte Deutsche Demokratische Republik, c’est-à-dire en français la République démocratique allemande ou RDA. Pourquoi évoquer l’Ostalgie ? Pour au moins les deux raisons suivantes, mais il y en a d’autres. La première, c’est que les rassemblements de M.Mélenchon étaient tournés vers le passé. Celui du Programme commun de la gauche de 1972, celui des grands meetings à drapeaux rouges, celui du parti communiste puissant.
A-t-il mis en avant une seule fois la destruction du monde, pourtant en cours ? Ou le dérèglement climatique, qui renverra sous peu l’ensemble de ces vieilleries au cimetière des idées mortes ? Non. La deuxième raison, c’est que M.Mélenchon considère le parti allemand appelé Die Linke – la Gauche – comme un modèle. Je me dois de rappeler que ce mouvement est né en 2007 d’une fusion de divers groupes, dont le Partei des demokratischen Sozialismus (PDS), autrement dit, en français, le Parti du socialisme démocratique. Mais qu’était donc ce PDS ? Tout simplement la suite du Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED). Ce Parti socialiste unifié d’Allemagne est en fait le parti communiste qui a régné sur la partie orientale de l’Allemagne jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1989.
Est-ce bien grave ? Vous pensez bien que non. Ce pays fantoche, créé par Staline et sa police politique, comptait un peu plus de 16 millions d’habitants au moment de sa disparition. Et selon des sources fiables, 266 000 agents de la Stasi, police intérieure et succursale du NKVD soviétique. Or donc, il y avait des flics partout. Je n’insiste pas sur la quasi-perfection de ce totalitarisme-là. Comme on le sait – comme on devrait le savoir -, des hommes et des femmes mariés depuis vingt ans et plus, ayant des enfants avec leurs conjoints, surveillaient pourtant ces derniers pour le compte du parti, ne loupant que rarement une occasion de les dénoncer. C’est ce monde enchanteur qu’ont bâti les gens du PDS (voir supra), et c’est ce PDS qui a servi d’ossature, à l’Est, au parti Die Linke, si cher au cœur de M.Mélenchon. Notez que l’on ne parle pas de l’époque de Mathusalem. La RDA a cessé d’espionner et de punir ses citoyens – tirs dans le dos pour qui tentait le passage du Mur sans autorisation – en 1989. Il y 22 ans et quelques mois.
Je me résume. On ne saurait faire face à ce qui vient, à ce qui est déjà là – la crise écologique, évidemment – avec des idées en décomposition. Encore moins lorsque ces idées ont produit très concrètement de la dictature pour tous. Et pour ce qui concerne le Front national, cette monstruosité, idem. Il faut repenser la société humaine dans sa totalité. Cela permet moins d’effets de manche, mais il n’y a pas vraiment le choix.